Alger - l'Algérie
         BREVES MONOGRAPHIES COMMUNALES
Les quatre communes de la troisième ceinture du Fahs

Texte, illustrations : Georges Bouchet

 o DOUÉRA

mise sur site le 17-5-2008

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o  DOUÉRA

Historiquement Douéra est apparu bien avant la rédaction du plan Guyot. Mais le Comte Guyot, responsable de la colonisation à Alger de 1838 à 1847, en parle très longuement dans son plan daté du 12 mars 1842. Ce centre, rattaché à la troisième ceinture de protection d'Alger, est celui auquel il consacre le plus long paragraphe. Il vaut la peine d'être reproduit intégralement ; puis commenté.

Douéra est sur le territoire de l'ancienne tribu de ce nom ou sur la ferme de Bordj el hamar vendue il y a quelques années et actuellement possédée par Monsieur Locré.

Il a été créé par l'armée sur ce point, un camp considérable et un hôpital magnifique.

A peu de distance il s'est groupé un petit nombre de maisons qui constituent le village provisoire de Douéra, et sont bâties sur des terrains loués à très haut prix à Monsieur Locré.

Aucune culture n'existe pour diverses raisons qu'il est inutile d'expliquer ici et parmi lesquelles il faut placer la nature du terrain. L'existence des établissements militaires et du commencement du village en question, et la position avantageuse de la localité traversée par la route d'Alger à Blida, et centrale pour cette partie du Sahel, a déterminé en 1840 la création d'un chef-lieu du district de Douéra.

Les mêmes motifs m'engagent à proposer de l'y maintenir. Seulement d'accord avec le Génie militaire je propose de joindre les habitations au camp et de donner à l'enceinte une extension telle qu'elle puisse contenir 250 familles. Le plan est préparé et va être proposé à l'approbation ministérielle. Mille hectares y seront joints. Ces terres sont généralement couvertes de broussailles, il y a de fort bonnes parties et presque tout le sol pourra être défriché. L'exposition est saine, en plein nord, et préservée des émanations de la plaine. Les eaux courantes sont peu abondantes, mais on trouve l'eau à peu de profondeur ;des puits publics y suppléeront aux fontaines, et à la rigueur des citernes pourraient être construites sous les établissements.

Ce texte confirme ce que les autres monographies du Sahel nous ont déjà appris : à savoir qu'autour de chaque camp militaire viennent s'agglutiner quelques commerçants, cabaretiers ou charretiers. Un hameau se forme alors, sans plan d'ensemble. Guyot évoque l'existence de ce centre civil, tout en précisant pour 1842 " aucune culture n'existe " ; étrange village dont je n'ai pu trouver une date de création incontestable. Si la date de mai 1835 parfois évoquée est vraisemblable pour le village spontané, elle est précoce pour la commune et fausse pour l'installation de colons sensu stricto.

On peut imaginer, comme pour les centres voisins, une arrivée de colons concessionnaires en 1842, 1843 ou 1844. Je n'ai trouvé nulle part ailleurs le nom de Douéra associé à un chef-lieu de district.

Guyot ne fournit pas d'explication suffisante pour l'origine des terrains à coloniser en 1842. Il n'évoque aucune saisie de terres à une tribu émigrée en 1839. Peut-on imaginer un achat, comme dans la commune voisine de Baba Hassen, à " un particulier qui, comprenant ses véritables intérêts, sollicite l'administration de l'exproprier d'une partie de son domaine " ? Pas impossible si l'on sait que la famille Nacef Khodja possédait d'immenses propriétés à la fois dans le Sahel et dans la Mitidja, et si l'on se souvient qu'encore en 1962, il subsistait à Baba Hassen un grande ferme nommée Nacef Khodja. Pas impossible ; mais pas sûr non plus.

L'explication du toponyme Douéra n'est guère crédible ; je préfère croire à une prononciation approximative de Douïra ou Douïrat (petite maison ou petites maisons). De la même façon la traduction de Bordj el hamar (le fort rouge) donne à penser qu'ici, comme à Mahelma, l'armée française a pris la suite d'un poste de surveillance turc.

Il est vrai que Douéra est bien placé pour y situer un poste d'observation des mouvements de cavaliers dans la plaine ; il est exact que jusqu'en 1845, Douéra fut sur la grande route d'Alger à la Mitidja et à Blida (ensuite cette route par El Biar et Dély Ibrahim fut détrônée par une nouvelle plus commode par Birkhadem). La sécurité de cette route était essentielle pour le développement de Boufarik, au milieu de la plaine, où Drouet d'Erlon avait installé en octobre 1834 un camp près d'un souk et Tnine (marché du lundi), et où il avait même favorisé l'établissement de colons dans une zone difficile car paludéenne et constamment menacée par des incursions hadjoutes (tribus maghzen restées fidèles aux Turcs). Des indigènes leur vendaient assez volontiers des terres à un prix bas. L'acheteur européen faisait un pari sur l'avenir en achetant ces terrains inondables l'hiver, comme il aurait acheté un billet de loterie : il y eut peu de gagnants. Le vendeur espérait que l'acheteur dégoûté ou trop menacé finissant par s'en aller, il récupérerait son bien tout en gardant l'argent. Cela faillit d'ailleurs arriver à l'automne 1839. Comme les Ouled Mendil avaient des terres dans la Mitidja et dans le Sahel du côté de Douéra, on peut imaginer qu'eux aussi ont été tentés par ces ventes.

Le camp de Douéra fut créé au plus tard en 1834, et pourvu d'une grosse garnison capable d'intervenir dans la plaine en soutien de celles de Boufarik et d'Oued el- Alleug.

Douéra a donc une double histoire ; celle d'une place militaire permanente de 1834 à 1962, et celle d'un village apparu vers 1835, et ayant grandi suffisamment pour jouer un rôle de chef-lieu local, sans en avoir le titre ; du moins sous la Monarchie jusqu'en 1848.

                      • Quelques épisodes marquants de la place militaire
L'armée française n'a jamais quitté Douéra de 1834 à 1962. Bien sûr ce ne furent pas toujours les mêmes unités ; au début ce furent surtout des cavaliers, par la suite plutôt des tirailleurs et à la fin apparurent des unités plus spécialisées, comme les transmissions.

  o   De 1834 à 1842 le camp de Douéra fut avec celui de Birkhadem, l'un des deux camps principaux du Sahel pour la surveillance et le soutien de nos postes avancés dans la Mitidja autour de Boufarik et d'Oued el-Alleug.

A partir de l'arrivée des colons la Mitidja devint, pour le Gouverneur Général, un ramassis de problèmes que l'on peut ranger autour de trois dangers principaux : le Hadjoute, le marécage et le moustique.

La garnison de Douéra ne fut concernée que par les Hadjoutes. Cette tribu, jadis au service des Turcs contre exemption d'impôt, avait d'abord estimé que les Français ne feraient que passer. Quand elle s'aperçut que ces derniers allaient s'incruster, elle devint une menace permanente pour les colons et pour les soldats isolés. A l'automne 1839, lorsque Abd el-Kader proclama le djihad, les Hadjoutes répondirent à son appel, brûlèrent les fermes et massacrèrent les colons. Le 20 novembre 1839 un convoi fut attaqué près d'Oued el-Alleug : il y eut 105 tués et les Hadjoutes emportèrent 98 têtes. Pour mieux apprécier la performance il convient de savoir que la gloire du Hadjoute n'était éclatante que s'il avait décapité et saisi le tête de sa victime sans descendre de cheval. Il avait droit alors au titre envié de " sersour ". Le cheval est moins utilisé aujourd'hui, mais, avec la guerre civile des années 1990, la décapitation a connu un renouveau.

Clauzel ayant fait évacuer de force tous les colons rescapés et tous les postes militaires sauf quatre, le camp de Douéra fut aux premières loges (avec celui de Koléa) pour intervenir en appui du camp de Boufarik, et pour recueillir les rescapés. Il constitua une sorte de verrou qui empêcha les Hadjoutes de soulever les tribus du Sahel, à un moment où les villages du plan Guyot n'existaient pas encore.
La victoire de Clauzel sur les Hadjoutes, dite de la Saint-Sylvestre, le 31 décembre 1839, diminua le danger ; mais la pleine sécurité dans la Mitidja, ne fut établie qu'en 1842.

o   De 1834 à 1845 la garnison de Douéra fut chargée, avec celle de Dély Ibrahim, d'assurer la sécurité sur la route principale reliant Alger à la Mitidja et au sud. Ce rôle fut parfaitement rempli et a sûrement contribué au maintien de la paix dans le Sahel à l'automne 1839. Des tribus du Sahel ont " émigré " c'est-à-dire rejoint les Hadjoutes, mais il y eut peu de troubles dans le Sahel, hormis quelques assassinats de colons isolés du côté de l'oued Kerma.

On se souvient que les terres de ces tribus furent ensuite séquestrées, et qu'elles ont servi à la création de la majorité des 22 villages du plan Guyot.

La bonne tenue du camp de Douéra a joué un rôle décisif dans le bon enchaînement de
ces événements.

o   En 1852 Douéra devint un camp déversoir, ou de transit pour les Transportés

Une explication s'impose : on appelle officiellement " transportés " les républicains éloignés de Paris pour s'être opposés au coup d'Etat du Président de la République, Louis Napoléon Bonaparte, à Paris, le 2 décembre 1851.

Il y eut 9581 transportés. Douéra fut l'un des centres d'hébergement provisoire et de tri des hommes. Le Gouverneur Général Randon fut embarrassé par cet afflux de personnes non condamnées mais qu'il fallait à la fois surveiller, nourrir, loger et si possible occuper. Les premiers bateaux à débarquer des transportés arrivèrent à Alger en février 1852. Randon dut improviser, puis il édicta, le 20 mars 1852, un règlement dont j'extrais et résume quelques articles.
 
Extraits du règlement du 20 mars 1852 sur les transportés en Algérie

Art.1 Les transportés seront divisés en 3 catégories
- ceux à interner
- ceux admis dans les villages
- ceux autorisés à se livrer à des exploitations particulières
Art.2 Le changement de catégorie est une décision du Gouverneur G.
Art.6 Seront envoyés dans les villages les transportés calmes et utiles à l'agriculture
Art.7 Ils y travailleront en escouades de 20 hommes
Art.16 Ils pourront participer à des travaux de défrichement, assèchement
plantations et cultures
Art.17 Ils seront payés à la tâche, selon un prix fixé d'avance. Mais 70% du salaire seront retenus par l'administration pour les dépenses consenties (outils, nourriture, hébergement…)
Art.18 Dimanche et jours fériés seront consacrés à la religion et au repos
Art.27 Ceux qui voudraient rester en Algérie comme cultivateurs peuvent le demander et obtenir une concession

Le camp de Douéra put héberger 400 ou 500 transportés dont la surveillance et l'orientation furent confiées au Capitaine Monnier qui prit cette responsabilité très au sérieux, trop au regard de beaucoup de transportés.

Les transportés admis dans les villages furent notamment conduits à Birtouta, tout proche, ou près de Miliana, à Aïn Sultan et à Aïn Benian (futur Vesoul Benian). A noter que Birtouta venait d'être créé le 15 décembre 1851 près du 4è blockhaus de la route d'Alger à Blida par Birkhadem.
Il est probable que certains transportés qui acceptaient de travailler, ont été employés sur des chantiers de construction de routes.

A noter que le camp de Birkhadem reçut la même mission, et que ses derniers clients
furent envoyés à Douéra.

Quant aux femmes elles furent confiées au couvent du Bon Pasteur d'El Biar dont la clientèle habituelle était celle des filles publiques.

Cet épisode de l'histoire de l'Algérie et du camp de Douéra fut de courte durée : les
premières mesures de grâce intervinrent dès mars 1852 ; d'autres furent prises en février
1863 et l'amnistie totale fut décrétée le 16 août 1859. Les transportés qui restèrent
volontairement en Algérie, comme colons, furent l'exception qui confirme la règle. Je puis
tout de même, pour des raisons familiales, citer le cas d'un transporté admis à Birtouta
et dont le fils monta ensuite à Baba Hassen pour s'y marier ; il s'appelait Lutinier.

  o   De 1852 à 1942 rien de très remarquable.
Le camp a été mieux aménagé avec en 1902 la construction des bâtiments des casernes
Damrémont et Bugeaud.

Il a hébergé, à partir de 1923, le Centre d'Instruction des Transmissions.

  o   En 1944 de Lattre installe son Etat-Major au château Holden
Le général de Lattre de Tassigny a réussi à s'évader de sa prison de Riom le 3 septembre 1943, puis à rejoindre Londres et enfin Alger où il arrive le 20 décembre 1943. Entre temps de Gaulle l'avait nommé le 11 novembre 1943 Général d'Armée. Il lui confie début 1944 le commandement en chef d'une armée à reconstruire, la future première armée française alors appelée armée B.
De Lattre s'installa dans une belle villa qui porte le nom de son constructeur anglais, et qui est une annexe du camp de Douéra. C'est là qu'il a étudié les plans des débarquements à l'île d'Elbe, puis en Provence. Il était chef de l'armée B, mais dépendait du Général américain Patch qui commandait la VIIè armée américaine.
Les soldats de de Lattre participèrent à la reprise de l'île d'Elbe le 17 juin 1944 et au débarquement en Provence, à Cavalaire et Saint Tropez, le 16 août 1944.

  o   En 1959 le bataillon de Joinville occupe le château Holden. Ce bataillon regroupe des conscrits de haut niveau dans diverse disciplines sportives et auxquels on permet ainsi de bénéficier d'un service militaire adapté. Pour les sportifs envoyés en Algérie, c'était donc à Douéra ; et pour les conscrits musiciens au talent reconnu, c'était la caserne d'Orléans , au-dessus de la casbah, à Alger.

  o   En 1962 le château Holden reçut des membres de l'OAS en instance de transfert vers la prison de la rue de la santé à Paris.

  o   En 1965 le château Holden reçut son dernier hôte de marque, le Président Ahmed Ben Bella qui venait d'être renversé et arrêté par son ministre de la Défense, Houari Boumédiène le 19 juin 1965.

                      • La commune et l'administration française
Le rôle et l'importance de la commune et du village de Douéra ont pas mal évolué en 130 ans, mais Douéra est toujours resté un centre mieux équipé que ses voisins. Il serait exagéré de traiter ce village de capitale du Sahel oriental, mais il est sûr que ce centre de colonisation a eu des attributions et des équipements que ses voisins n'avaient pas. D'ailleurs sa population était en 1954 plus nombreuse que celle des autres communes du Sahel non rattrapées par la croissance de la banlieue d'Alger.

  o   Jusqu'en 1848 Douéra est surtout habité par des militaires, mais en raison de sa situation stratégique au-dessus de la Mitidja centrale et de la salubrité du site il fut question d'en faire un chef-lieu administratif. Le projet n'aboutit pas, mais Douéra fut tout de même la résidence d'un commissaire civil, une sorte d'auxiliaire de l'intendant de la province d'Alger. La présence de ce commissaire civil signifiait que les civils qui résidaient là échapperaient à l'autorité militaire.
En effet le centre de colonisation ayant été officiellement créé des colons vinrent en assez grand nombre; mais cependant pas autant que ce qu'avait imaginé Guyot. En 1848 Quétin trouve le village florissant avec 57 familles (et non 250 comme annoncé par Guyot).

En 1843 le rôle de Douéra est accru par l'inauguration de la ligne télégraphique de Blida à
Alger. Par contre en 1845 la nouvelle route d'Alger à Blida par Birkhadem diminue
beaucoup l'importance de la commune comme voie de transit pour les gens et les
marchandises allant de la Mitidja centrale ou du sud, vers Alger.

Durant cette période l'institution la plus fréquentée par les soldats et les colons, surtout ceux
de la plaine marécageuse toute proche, fut l'hôpital. On avait renoncé à soigner sur place
les victimes de crises de paludisme de la région de Boufarik. On les transportait à Douéra.
Il y avait aussi l'église Saint Antoine dont j'ignore la date de construction, mais qui a dû être
bâtie assez vite car elle était prévue par le plan Guyot de 1842.

o   Après 1848 la loi du 9 décembre étendit à l'Algérie la départementalisation. Les trois provinces cédèrent la place à trois départements, et Douéra y perdit son commissaire civil. La commune fut intégrée à l'arrondissement de Blida, et non à celui d'Alger.

En 1848 elle était immense car quatre communes voisines étaient des communes annexes qui ne devinrent CPE, communes de plein exercice, que plus tard : Mahelma en 1870, Baba Hassen en 1875, Saint Ferdinand en 1894 et Crescia à une date que j'ignore. Seul le hameau de Sainte Amélie, situé tout près de la limite nord de la commune, est resté dépendant de Douéra, alors qu'il est plus près de Mahelma.

Douéra a ainsi occupé une place à part dans le Sahel oriental, en raison de sa grosse garnison et des institutions et établissements qui n'existaient pas dans les villages voisins. Les colons de ces villages venaient se faire soigner ou faire leurs achats exceptionnels à Douéra. A l'inverse des commerçants ambulants de Douéra allaient à la recherche de leurs clients dans les villages les plus proches, Crescia et Baba Hassen notamment, au moins jusqu'en 1939. La photo ci-dessus associe à la vue de l'hôpital des rangées de vigne qui sont comme un symbole de la culture principale du Sahel non littoral.

Quelques dates

1834 - Installation d'un camp militaire sur la première route d'Alger à Blida
1835 - Arrivée des premiers résidents civils. Création d'une centre de peuplement européen
En 1835 ou plus tard, Douéra devient la résidence d'un commissaire civil
1839 - Saccage de la Mitidja par les Hadjoutes. Douéra est un refuge pour certains rescapés
1843 - Création du hameau de Sainte Amélie
Inauguration de la ligne télégraphique Blida-Boufarik-Douéra-Alger
1845 - Ouverture de la route directe Alger-Mitidja par Birkhadem : Douéra est à l'écart de cette route
1848 - Douéra est rattaché à l'arrondissement de Blida créé par la loi de départementalisation
1852 - Le camp de Douéra devient "camp déversoir " pour les transportés du coup d'état du 2/12/1851
1870 - Mahelma échappe à la tutelle de Douéra
1875 - Baba Hassen échappe à la tutelle de Douéra
1894 - Saint Ferdinand échappe à la tutelle de Douéra
1902 - Inauguration des casernes Damrémont et Bugeaud
1923 - Ouverture du centre d'instruction des transmissions du 19è corps d'armée
1942 - Arrivée de soldats américains en novembre
1944 - De Lattre de Tassigny établit son Etat-Major au château Holden (jusqu'en juin)
1959 - Installation du bataillon de Joinville
1965 - Ben Bella est interné au château Holden après le coup d'état de Boumédiène (19/6/1965)

Le territoire communal

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Territoire communal de Douéra
Territoire communal de Douéra

Comme les territoires des communes voisines, celui de Douéra est triple avec au nord un plateau en pente très faible vers la mer, au sud une étroite bande de plaine et entre les deux un versant parcouru par de nombreux talwegs d'oueds à sec durant l'été. Ce schéma se retrouve d'ailleurs dans tout le Sahel oriental ainsi que dans celui de Koléa au-delà de la coupure du Mazafran.
                      • Le plateau
C'est dans la commune de Douéra que ce plateau est entaillé par le ravin le plus profond, celui de l'oued Ben Amar encaissé d'une soixantaine de mètres.

En fait il scinde le plateau en deux ensembles : celui de Douéra à l'est et celui de Sainte Amélie à l'ouest. Le plateau où est situé le village de Douéra est le plus régulier et le mieux mis en valeur par les colons. Il est presque entièrement couvert de vignes, tant du côté de Crescia que du côté de Baba Hassen. Celui où a été bâti le hameau de Sainte Amélie est à peine plus entamé par les branches amont de l'oued Mahelma.
L'occupation des sols par la vigne a laissé un peu plus de place aux broussailles, mais guère plus. Il y a au sud de Sainte Amélie, de l'autre côté de la route de Mahelma à Saint Ferdinand un grand domaine, celui de l'haouch Scalladgi.

Les altitudes sont semblables à Douéra et à Sainte Amélie : de l'ordre de 185m, et un peu plus hautes au sud de Douéra dont le " signal " est à 232m.

                      • La plaine
En face du Sahel de Douéra la route de ceinture nord de la Mitidja s'écarte suffisamment du talus pour que la commune de Douéra empiète d'un bon kilomètre sur la plaine de la Mitidja. Cet espace était en 1939 drainé correctement et presque entièrement occupé par des vignes et parsemé de fermes de colons.

L'altitude de la plaine baisse de 44m en face des 4 chemins, à 28m à la limite avec Mahelma. Cette déclivité était imperceptible au regard du passant, mais elle avait des conséquences sur le risque inégal de submersion des champs en cas de pluies violentes. Nous sommes là en limite des marais des Ouled Mendil dont l'assèchement fut tardif ; les travaux débutèrent en 1927.

                      • Le versant
Il descend de 232m à moins de 50m en 2,5km, parfois moins. Il est donc fortement érodé par une dizaine d'oueds qui en période de pluies, faisaient déborder les marais des Ouled Mendil au-delà des limites des communes voisines de Boufarik et de Birtouta. Sur les pentes de ce versant les fermes de colons étaient l'exception et les mechtas des douars la règle. Ces terres argileuses et pentues avaient été laissées aux tribus indigènes ; elles n'étaient pas entièrement cultivées. Pourtant les points noirs des mechtas sont, sur la carte, très nombreux. On y remarque également l'emplacement de deux cimetières musulmans et en bordure de la route, de plusieurs carrières. Sur la carte j'ai repéré les cimetières musulmans , avec seulement l'abréviation cim.

Le village centre
A vrai dire Douéra était plus qu'un village sans être pour autant une ville, même petite.

Il a le plan en damier classique des villages de colonisation ; mais en version élargie, avec dix rues parallèles et non 3, 4 ou 5 comme partout ailleurs. Cinq routes y convergeaient.

Il offrait surtout un éventail de services qui étaient utilisés par les habitants des communes environnantes. Sans être exhaustif, je tiens à souligner la présence de quelques institutions absentes de la plupart des villages du Sahel :
           Un temple protestant, en plus de l'église (ici Saint Antoine) que l'on trouve partout,
           Une gendarmerie et un pénitencier,
           Une société philharmonique,
           Des agences bancaires,
           Une grande salle de cinéma (et non un projecteur dans une salle des fêtes)
           Un hôtel ; du Palais Royal sous la Monarchie, de Strasbourg ensuite,
           Des médecins et une pharmacie ; et beaucoup d'établissements de soins qui conféraient à Douéra
une place et un rôle importants dans le domaine de la santé :
           un solarium ou centre de rééducation pour enfants,
           un asile de vieillards ensuite appelé hospice,
           un sanatorium qui a cédé la place après 1945 à celui de Rivet situé sur le djebel Zérouéla,
           un grand hôpital.
           Il n'est pas impossible que les dimensions inhabituelles du cimetière, s'expliquent, pour une part, par la présence de ce grand hôpital.
           Ce rôle médical a également été illustré par le souvenir laissé par un docteur décédé en 1927, le docteur Babilée, dont le buste se trouvait en face de la mairie.

On peut lire parfois que Douéra était la " reine du Sahel ". Je crois qu'il ne faut pas exagérer : ou alors il faudrait ajouter que la reine avait peu de courtisans, 5 ou 6 villages tout au plus car Alger était trop proche et réduisait la zone d'influence de Douéra. Même Boufarik, à 13km, faisait de l'ombre à Douéra. Pour un vrai théâtre, pour le lycée et pour la gare, les gens de Douéra étaient démunis et avaient le choix entre Alger à 20 km de routes sinueuses et Boufarik à 13km au bout d'une longue ligne droite à partir du carrefour des 4 chemins.

pharmacie rue du 4 septembre
eglise Saint antoine

un vrai cinéma

Une fois fini le temps des voitures à chevaux, la desserte de Douéra a été assurée par les cars de la société Seygfried, avant son rachat par les auto-cars blidéens. Ce sont les mêmes sociétés qui desservirent également le hameau de Sainte Amélie situé dans la même commune, du côté de Mahelma.

Le hameau de Sainte Amélie

Ce centre a été créé en même temps que Saint Ferdinand, en 1843, et par les mêmes bâtisseurs. La décision fut prise par le Gouverneur Général Bugeaud en personne qui connaissait les lieux pour y avoir fréquenté un pavillon de chasse. Les maisons furent construites par les condamnés militaires du Colonel Marengo, mais peuplé par des colons civils. Malgré l'apport de quelques familles suisses valaisanes en 1851 ce centre n'a jamais atteint les dimensions d'un vrai village. Il n'y eut jamais qu'une école à classe unique.

Le prénom Amélie, ainsi que le prénom Ferdinand, ont été choisis pour rendre hommage à la famille royale. Ferdinand est le prénom du prince héritier Ferdinand, duc d'Orléans mort accidentellement le 13 septembre 1842 à Neuilly sur Seine. Amélie est le deuxième prénom de sa maman, Marie Amélie de Bourbon fille du roi des Deux-Siciles et reine des Français depuis 1830.

Cet hommage pour lequel je n'ai trouvé aucune preuve décisive, me paraît d'autant plus probable qu'à la même époque la reine Amélie participait, pour un tiers, au financement de l'église en construction à Boufarik, et dédiée à Saint Ferdinand.

sainte amélie

Ce hameau est le centre de peuplement européen le plus modeste de tout le Sahel. Le guide Quétin croit y avoir vu 50 familles vers 1848 : ce n'est pas crédible. Il n'y a que deux rangées de maisons entre deux rues tracées un peu à l'écart de la route de Mahelma. En 1939 le village n'avait pas dépassé ces limites qui ressemblent à celles d'un ancien fossé ou d'un ancien talus de protection. C'est ce qui explique qu'il n'ait jamais été promu chef-lieu de commune.

Etrangement son nom très chrétien figure encore sur les cartes et les photos satellitaires visibles sur des sites algériens : il semble n'avoir pas été remplacé.


Suppléments sur les Ouled Mendil
Les Ouled Mendil sont la principale tribu arabe de Douéra et du morceau de Mitidja attenant
           et aussi un marécage situé dans la plaine sur leur territoire d'avant 1830
           et aussi un hameau européen de 1851 qui a vite changé de nom
           et enfin un village prévu par Guyot en 1842, mais qui n'a jamais vu le jour.
Je commencerai par ce village.

                      • Le projet de village abandonné
Le mieux est de recopier le texte du comte Guyot

Ouled Mendil est sur le territoire d'une tribu émigrée en partie. Le village pourrait être placé à cheval sur la route d'Alger à Blida dans l'endroit même où existe déjà un établissement des ponts et chaussées. L'eau y est rare, mais dans le cas où l'on en trouverait pas dans le voisinage qui puisse être amenée, des puits et citernes y suppléeraient. Il y a des carrières très abondantes et dont l'exploitation pourrait devenir fort importante pour les constructions des villages environnants ou pour celles de la plaine. Les cultures seraient presque toutes dans la Mitidja que la position domine de manière avantageuse pour la défense tant de la localité même et de la route, que d'une grande partie de la plaine.

Ce texte semble presque décrire le cas de Douéra, à ceci près que Douéra n'a que très peu de terres cultivées dans la plaine. En fait ce village aurait fait double emploi avec celui de Douéra qui est effectivement à cheval sur la route d'Alger à Blida, celle d'avant 1845 bien sûr. Quant à la plaine, c'était alors le domaine d'un marais à géométrie variable selon les saisons et de fièvres que l'on ne savait ni prévenir, ni vraiment guérir, malgré les distributions de quinine.

Les terres confisquées aux tribus émigrées ont sûrement été réunies à la commune créée autour de Douéra pour celles situées en hauteur, et à celles de Boufarik pour celles, à marécages saisonniers, de la plaine.
La carte de 1930 confirme la présence de carrières exploitées le long de la route descendant de Douéra vers la plaine.

                      • Un hameau appelé Ouled Mendil en décembre 1851
Lorsque la route de Blida à Alger évita Douéra pour passer par Birkhadem, en 1845, la route à protéger ne fut plus celle qui traversait le Sahel, mais celle qui longeait le Sahel en passant dans la plaine de la Mitidja. On renforça les blockhaus qui s'échelonnaient sur cette route. Et en décembre 1851 un village fut créé auprès du 4è blockhaus, Birtouta, et un hameau créé au carrefour des deux routes de Blida, l'ancienne et la nouvelle. Ce lieu fut appelé Ouled Mendil : mais cette dénomination fut éphémère car l'habitude fut prise de dire les 4 chemins ; à savoir vers Douéra, Birtouta, Boufarik et le Mazafran. Ce hameau ne grandit jamais au point de devenir un village et resta un lieu-dit de la commune de Boufarik. Les documents algériens actuels ont gardé ce nom français malgré l'existence théorique d'un nom arabe, celui de Tessala el Merdja ; (merdja signifiant marais)

                      • Le marais des Ouled Mendil

station experimentale du marais

Il était encore intact en 1926, et tout près des fermes de Douéra situées dans la plaine. C'était un foyer paludéen dangereux.

En été il ne subsistait qu'un marécage de 5ha environ, d'autant plus infecté de moustiques que ses eaux n'avaient pas de poissons. L'hiver il pouvait s'étendre sur 500ha. Il se trouvait dans une cuvette fermée très peu profonde sur le seuil de partage entre le Mazafran et l'Harrach. D'ailleurs en cas de débordement les eaux se dirigeaient des deux côtés, vers l'Harrach par l'oued Terro et vers le Mazafran par l'oued Tleta.

L'idée de supprimer ce dernier foyer d'infection de la commune de Boufarik aurait été émise en 1911 par le Directeur de l'Institut Pasteur d'Alger, le docteur Roux. Mais la guerre de 1914-1918 a retardé les travaux qui n'ont été possibles qu'après que l'Institut Pasteur eut reçu une concession de 360ha pour y créer deux fermes expérimentales. Ils ont commencé en 1927 sous la direction des docteurs Etienne et Edmond Sergent. Ils ont été précédés par une campagne dite de " quininisation " des populations locales, afin de supprimer les réservoirs humains d'hématozoaires. Ensuite il s'est agi d'éliminer les eaux stagnantes en creusant de modestes canaux de drainage, en approfondissant et en canalisant l'oued Tléta et en colmatant quelques creux. On a aussi planté des arbres, surtout des eucalyptus censés éloigner les moustiques.
Ce fut un succès. On a tout de même gardé une " réserve " d'un quart d'hectare comme témoin de ce qu'avait été la Mitidja en 1830. Par la suite on y a introduit des gambusies, petits poissons d'eaux douces longs de 4 à 6cm, et grands amateurs de larves de moustiques.

Dans les fermes expérimentales ont été plantés orangers et citronniers.

                      • La tribu des Ouled Mendil
Traditionnellement cette tribu possédait des terres dans la plaine et dans le Sahel. Mais ses gourbis, puis ses maisons, ont toujours été bâtis sur le territoire de Douéra.

Cette tribu est divisée en plusieurs fractions, dont trois sont nommées sur la carte. Le cartographe n'était pas arabisant, c'est sûr : sinon il n'aurait pas placé à la même longitude les Ouled Mendil de l'est (les Chéraga, pluriel de Chergui) et ceux de l'ouest (les Gharbia).

En réalité les Chéraga vivaient à l'est de la route de Douéra aux quatre chemins, du côté de Crescia et les Gharbia à l'ouest, du côté de Mahelma. Le doute, s'il y en avait un, serait levé en regardant les vues satellitaires figurant sur des sites algériens. Elles mentionnent le nom Ouled Mendil Gharbia au bon endroit.