sur site le 2-05-2003
-L'Algérie, Alger, leur Histoire.
La consultation des archives de la guerre d'Algérie est-elle ouverte aux chercheurs ?

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La consultation des archives de la guerre d'Algérie est-elle ouverte aux chercheurs ? Cette question fait parfois l'objet d'interprétations diverses, voire erronées. Il convient donc de préciser quelles sont les possibilités de la recherche historique.

Les délais selon la loi

------La loi du 5 janvier 1979, qui s'applique à tous les documents officiels et pas seulement à ceux qui concernent l'Algérie, autorise la consultation des archives au terme d'un délai de 30 ans, à l'exception
de certains documents pouvant mettre en cause la sûreté de l'Etat, la Défense Nationale, la sécurité et la vie privée des personnes. Les délais de consultation sont ainsi fixés par la loi :

------- 60 ans, pour les documents classés Secret-Défense et Très Secret qui n'ont pas été déclassés (la plupart l'ont été), les documents des services de renseignement, de Sécurité militaire et du SDECE, les archives de la gendarmerie relatives aux personnes privées, les archives diplomatiques relatives aux frontières. En avril 1992, une Commission ministérielle comprenant des universitaires, a ouvert au public la partie "opérationnelle" des 2 émes Bureaux.

------Une Instruction du 13 avril 1981 a précisé la procédure des dérogations, qui permet aux chercheurs d'avoir accès à des documents avant le délai de 60 ans. Leurs demandes sont déposées dans les dépôts d'archives et soumises au Cabinet du Ministre concerné, qui répond dans un délai plus au moins long (2 à 3 mois).

------Ces dérogations, précise le professeur Jean-Charles Jauffret de Montpellier III, "sont le plus souvent accordées aux praticiens, c'est-à-dire aux historiens et à leurs élèves dont ils se portent personnellement garants.
------Ce point me semble très important. Les archives subissent toutes sortes de mauvais traitements, dont le plus fréquent consiste à isoler un document ou un extrait en oubliant, le plus souvent par ignorance ou
précipitation, son environnement historique, sa langue particulière, et sa série. C'est aussi pour protéger les personnes essentiellement, plus que pour occulter d'hypothétiques secrets d'Etat dont il ne reste
généralement aucune trace écrite, que le législateur a fixé des règles de déontologie. Tout en tenant
compte du climat toujours passionnel des séquelles de la guerre d'Algérie, et de la nouvelle déchirure subie en ce moment par le peuple algérien, il s'agit de dissuader les "chasseurs de têtes", les amateurs de
règlements de comptes, ou les éternels procureurs de "l'Histoire jugera", tout en respectant cette liberté fondamentale qu'il faudrait ajouter aux principes de 1789 : la liberté de mémoire".

------- 100 ans, pour les archives de la Justice militaire et les affaires portées devant les tribunaux, les registres d'état-civil et les renseignements d'ordre privé collectés "dans le cadre des enquêtes statistiques des services publics".(1)

------- 120 ans à compter de la date de naissance pour les dossiers de personnels, avec des dérogations pour les ascendants et descendants,

-------150 ans pour les dossiers médicaux individuels.

Les lieux de mémoire

------Les principaux dépôts d'archives militaires se trouvent au château de Vincennes :

------- Le Service historique de l'armée de terre (SHAT) qui détient environ 5000 cartons relatifs à la guerre d'Algérie.

------- Le Service historique de l'armée de l'Air (SHAA) qui détient 2000 cartons, de riches archives photographiques et 90 témoignages oraux,

------- Le Service historique de la Marine (SHM), un millier de cartons.

------D'autres archives militaires sont consultables à :

------- L'établissement cinématographique et photographique des armées au Fort d'Ivry (ECPA, 95 000 photos, plus 55 000 photos du Bled et 14 000 de Flamant),
------- Le Dépôt d'archives de la Gendarmerie et de la Justice militaire, à le Blanc dans l'Indre,

------- Le Centre militaire d'information et de documentation sur l'outre-mer (CMIDOM) à la caserne d'Artois de Versailles,

------- Le Bureau Central d'archives administratives militaires (BCAAM), à la caserne Bernadette de Pau,

------- Les archives médicales hospitalières des Armées à Limoges.

Les dépôts non militaires sont les suivants :

------- Le Centre d'accueil et de recherche des archives nationales CARAN), 11 rue des Quatre Fils à Paris (3°),

------- Le Centre des archives contemporaines (CAC), 2 rue des archives, Fontainebleau*.

------- La Direction des archives et de la documentation des Affaires étrangères au Quai d'Orsay et son annexe à Nantes,

------- Le Centre des archives d'outre-mer (CAOM), chemin du Moulin de Testas àAix-en-Provence,

------- Le Service central des Rapatriés à Agen, en particulier pour les anciens supplétifs*,

------- Les Archives du ministère de la Justice, place Vendôme, Paris*

------- La Mission des archives nationales du ministère de l'Intérieur, place Beauvau à Paris*

------- Le Service des archives et du traitement de l'information (SATI) de la Préfecture de Police de Paris*.

Le contenu des archives

------Les archives font l'objet d'inventaires et sont classées en séries, dans des cartons numérotés.

------Tous les classements ne sont pas terminés, et il y a lieu de demander dans chaque dépôt les inventaires disponibles.
------L'inventaire qui suit résume de façon sommaire tout ce qui se rapporte à la guerre d'Algérie.

------Les archives militaires les plus complètes sont celles de l'armée de terre, dans les séries suivantes :

------- Série 1H. Guerre d'Algérie. Classement par autorité : Gouverneur Général ou Délégué Général, Commandant en chef, Corps d'armée, Divisions, Subdivisions et Secteurs opérationnels et par Bureaux du 1er au 5eme. Les journaux de marche et d'opérations (JMO) des Corps d'Armée, Divisions et Secteurs sont inclus, dans cette série, et ouverts au public(2). Les JMO des régiments et bataillons sont classés dans la série 7U et soumis à dérogation, car ils contiennent des informations sur les personnes,

------- Série T. Etat Major de l'armée de terre, 4 volumes d'inventaires,

------- Série R. Ministre des Armées, soumise à dérogation (budget, directives, rapatriement, plan à long terme... etc),

------- Série S. Etat- major des Armées après 1962, classement en cours,

------- Série Q. Présidence de la République et Etat-major de la Défense nationale, classement en cours,

Comités de Défense nationale non communicables,

------- Fonds privé général Ely, 92 cartons soumis à dérogation, contient toutes les directives importantes d'octobre 1953 à février 196l et le Journal de Marche et d'Activité du général, relatant ses conversations avec les hautes autorités civiles et militaires,

------- Fonds privé général Heux, contenant son rapport sur l'affaire Kobus, et des documents de la wilaya 2,

------- Fonds privé général Goubard, relatif en particulier à la rue d'Isly

------- le BCAAM à Pau conserve les dossiers des personnels, communicables en partie aux intéressés ou à leurs descendants.

------Les archives de la Marine sont classées dans les séries :

------- vv Commandant de la Marine et Unités de surveillance maritime, d'aéronautique, DBFM et commandos,

------- UUV bâtiments ayant opéré en Algérie,

------- CC Direction du Personnel, effectifs et affectations.

Le Service des Archives de Toulon conserve une partie des archives de la Marine d'Algérie, de 1955 à 1959.

Les archives de l'armée de l'Air comprennent les séries suivantes :

------- I. Commandement et unités, Bases, Services, fusiliers, commandos,

------- G. Unités aériennes jMO des escadrilles.

------- E. Secrétariat d'Etat et Etat-Major Paris.

------- Z. dépôts divers et dons.

------Le SHAA dispose de 90 interview, dont celui du Général Challe.

Les Archives Nationales conservent :

------- les fonds de la Présidence de la République (4AG Auriol à Coty, 5 AG de Gaulle et Pompidou). Il contient les notes
du Conseiller B. Tricot (délai de 60 ans)

------- le fonds privé du Général De Gaulle, interdit de consultation par l'Amiral De Gaulle, contient un dossier sur la négociation Pompidou de février 1961.

------- le fonds Michel Debré, en cours de classement

------- le fonds F60 du Premier Ministre et du Secrétaire Général du Gouvernement (SGG) Soumis à dérogation, il comprend les dossiers du Comité des Affaires algériennes.

 

 

------Le Centre des Archives contemporaines à Fontainebleau conserve les archives des ministères, à l'exception de l'Intérieur, de la Défense, des Affaires étrangères, des Affaires algériennes et de la Justice. Les inventaires sont disponibles au CARAN, mais il est conseillé d'aller sur place pour connaître les conditions d'accès aux documents.

------Les archives du ministère de la Justice conservent un dossier sur les émeutes de Sétif de 1945, sur l'insurrection de novembre 1954, et 963 dossiers de recours en grâce des indépendantistes du FLN (délai 100 ans à partir de la clôture du dossier).

------Les Archives diplomatiques conservent :

------- la série du Secrétaire d'Etat aux Affaires algériennes, assez largement ouvert, comprenant les dossiers des négociations d'Evian (n°93 à 114), ainsi que les dossiers du Comité des Affaires algériennes (n°33 à 41) et les documents relatifs aux Français musulmans (n°119 à 150).

------- le fonds des Pactes, comprenant en particulier l'original des accords d'Evian signé par Beikacem Krim.

------Le ministère des Affaires étrangères publie deux fois par an des documents diplomatiques français. Le volume 18 couvre le 2ème semestre de I960 : entretiens de Melun, discours du 4 novembre sur la République algérienne, reconnaissance du GPRA par l'URSS et solidarité avec la France des Etats de la Communauté, litiges avec le Maroc et la Tunisie.

------La Mission des archives nationales du Ministère de l'Intérieur conserve des notes de synthèse sur mai 1958, les barricades, le putsch et la répression des activités du FLN et de l'OAS (délai de 60 ou 100 ans selon les sujets traités)

------Le Centre des archives d'outre-mer à Aix, modernisé et infor-matisé récemment, poursuit son travail de classement. Il conserve :

------- les archives du Gouvernement général de l'Algérie de 1830 à 1950 (série F80), de l'administration des musulmans (série I, J,et K), de la Police (série G), de la colonisation foncière (série M), des affaires militaires (série Q), des cultes (série U), des affaires musulmanes (série H), de la Justice
(série T), de la législation et des assemblées (série F)... etc...

------- les archives des Cabinets civils du Gouverneur et du Délégué général, série CAB 1 à 15 jusqu'en mars 1962, soumises à déro-gation. Les archives des Cabinets militaires (série CM) sont en cours de classement.

------- la série SAS contient les archives des Sections administratives spécialisées des régions d'Alger et de Constantine.

------- la série X comprend des dons et documents d'un grand intérêt.
------Les archives dites de gestion du Gouvernement Général, les archives des mairies, des hôpitaux, des ports, des chambres de commerce, notaires... etc..., sont restées en Algérie, ainsi que les archives ecclésiastiques.
------L'état-civil de moins de 100 ans conservé par le service des Français "nés à l'étranger" (sic) de Nantes.

------Certaines archives se trouvent en dehors des dépôts officiels. C'est le cas des archives de Delouvrier et du Préfet Vaujour qui sont conservées par la Fondation des Sciences politiques. Le fonds du Colonel Godard est déposé à la Hoover Institution
qui dépend de la Stanford University, il comprend des docu-ments de la Résistance en France, de l'Armée Secrète en Haute Savoie, de la guerre d'Indochine et des activités policières et terroristes en Algérie.

------Le Centre de documentation historique sur l'Algérie (CDHA) d'Aix-en-Provence conserve une partie des archives des colonels Schoen et Ruyssen ainsi que la donation Philibert.

------A la bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC) de Nanterre, on trouve de nombreux ouvrages, journaux et revues d'origine algérienne (revue El Djeich), ainsi que le rapport Tubert sur le soulèvement de mai
1945.

Intérêt historique

------Les chercheurs ont à leur disposition une très riche documentation, qui souvent remet en cause certaines opinions reçues.
------On a pu le constater lors de la publication par le Service historique du tome 1 de la guerre d'Algérie par les documents, ouvrage qui a été interrompu en 1992 par décision ministérielle, sur injonction probable de l'Elysée. Le tome II a été de nouveau autorisé et devrait être édité prochainement.

------Dans la masse des documents exploitables, une première approche montre l'intérêt des directives des Commandants en chef, des dossiers des opérations Challe et des barrages frontaliers s(3), de l'engagement des musulmans aux côtés de la France, de l'aide des SAS au développement, des appréciations sur l'état d'esprit des populations et sur le moral des troupes. ------Les bulletins mensuels du 2ème et du 3 ème Bureaux constituent de bonnes synthèses de l'évolution de la situation militaire. Les rapports de la Marine mettent en valeur l'efficacité de la surveillance du littoral, et le bilan opérationnel de la DBFM et des commandos Marine. Les comptes rendus de bombardement aérien et les progrès réalisés dans l'emploi des hélicoptères présentent un intérêt tactique et technique certain. Il est évident que dans le domaine militaire, les archives ouvertes permettent aux chercheurs de conduire des études de bonne valeur sur le déroulement de la guerre.

------Tous les documents ne méritent pas la même attention. Les journaux de marche des Divisions par exemple renferment une masse de détails journaliers, tels que les déplacements de tel Général, mais n'offrent aucune vue synthétique sur la situation dans leur zone d'action, exception faite des JMO des divisions parachutistes, très bien rédigés.

------Dans le domaine politique, seules les archives obtenues par dérogation permettent de suivre l'évolution de la politique algérienne du gouvernement.
------Les dossiers de la négociation, de Melun aux Rousses et à Evian, et les fiches du Comité des Affaires algériennes (constitué à la suite des barricades) constituent en particulier une source extrêmement riche et ouvrent des perspectives nouvelles sur des décisions incomprises ou mal interprétées.

------Il serait sans doute souhaitable de pouvoir observer la face cachée de la guerre, en consultant les archives algériennes, de façon à établir une histoire comparée du conflit. Or il semble d'après Mohamed Teguia, un des rares Algériens à en avoir abordé les aspects militaires, que les archives du ministère algérien de la défense ne soient pas ouvertes.
------Quelques données chiffrées ont heureusement été publiées par Djemila Amrane, qui confirment d'ailleurs les évaluations du 2 ème Bureau du Commandant en chef(4). Une certaine proportion des archives des wilayas se trouvent dans les dossiers de Vincennes et permettent de remédier en partie à la carence des archives algériennes, et de contredire les adeptes de la culture de guerre du FLN, qui célèbrent la victoire militaire de la rébellion.
------Cet article vise en particulier à encourager les chercheurs à s'engager résolument dans l'étude scientifique de l'histoire de la guerre d'Algérie, et à ne pas se contenter des témoignages, qui sont précieux pour restituer une ambiance, mais qui ont parfois tendance à noircir ou à embellir des événements enfouis dans une mémoire défaillante. La recherche historique n'est pas facile, la multiplicité des sources et des dépôts d'archives, aussi bien que la complexité de leurs classements peuvent décourager les débutants. Mais les premières découvertes éveillent peu à peu la curiosité, et c'est avec passion que l'on cherche ensuite à comprendre l'enchaînement des faits et des décisions, et à se rapprocher d'une explication la plus objective possible de l'évolution historique.

Général Maurice FAIVRE

(1) Cette notion n'est pas claire. Les recherches généalogiques sont en réalité ouvertes sans restrictions. Il faut donc demander aux centres d'archives ce qui est autorisé en matière d'état-civil.

(2) Certaines pages des JMO ont disparu, comme celles qui concernent la fusillade de la rue d'Isly ou le 5 juillet 1962 à Oran. Mais il est possible de tourner la difficulté en consultant les JMO manuscrits et ceux des régiments.

(3) le numéro de l'été 1997 de la Revue internationale d'histoire militaire est consacré à la défense des frontières de l'Algérie par les barrages

(4) Réf : - M. Teguia, L'Algérie en guerre.Alger 1981.

- D. Amranne-Minne. Les femmes algériennes dans la guerre.