mise sur site le 21-10-2004
-Un moment de l'histoire de l'Algérie

l'Assemblée algérienne

--------Le statut de l'Algérie, créé par la loi organique du 20 septembre 1947, a donné naissance à l'Assemblée algérienne. Celle-ci était composée de 120 membres, tous citoyens français, dont 60 dits de statut civil et 60 dits de statut coranique. Elle n'était pas souveraine et avait principalement pour objet le vote du budget de l'Algérie, lequel n'était applicable qu'après homologation du gouvernement. En cas de non homologation, le Parlement, arbitre souverain, était saisi du litige et le tranchait aussitôt. L'Assemblée algérienne était également chargée d'adapter à l'Algérie les lois votées par le Parlement.
--------Extrait de la revue du Cercle algérianiste, n°5, d 15 mars 1979 avec l'autorisation de la direction de la revue "l'Algérianiste

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Le statut de l'Algérie, créé par la loi organique du 20 septembre 1947, a donné naissance à l'Assemblée algérienne. Celle-ci était composée de 120 membres, tous citoyens français, dont 60 dits de statut civil et 60 dits de statut coranique. Elle n'était pas souveraine et avait principalement pour objet le vote du budget de l'Algérie, lequel n'était applicable qu'après homologation du gouvernement. En cas de non homologation, le Parlement, arbitre souverain, était saisi du litige et le tranchait aussitôt. L'Assemblée algérienne était également chargée d'adapter à l'Algérie les lois votées par le Parlement.

------------En créant l'Assemblée algérienne, la loi du 20 septembre 1947 avait mis sur pied une institution qui apparaîtra aux yeux des historiens comme l'instrument majeur d'une politique d'association des divers éléments ethniques de sa population.
------------Tout en gardant le caractère d'un organisme administratif délibérant, l'Assemblée algérienne, à la différence de ses devancières - Délégations financières et Assemblée financière - fut dotée d'une compétence législative limitée se combinant harmonieusement avec des prérogatives financières et économiques plus étendues.
------------Cette création institutionnelle, inaugurée sous le proconsulat de Marcel-Edmond Naegelen, l'un des plus grands gouverneurs de l'Algérie, répondait à un double but perceptible dans les travaux préparatoires du statut et particulièrement dans les interventions du professeur Capitant : réaliser en Algérie une large décentralisation politique, économique et sociale, sans pour autant rompre la notion d'unité de la République française.
------------Malgré les critiques acerbes dont elle a été injustement l'objet, cette assemblée a fortement marqué de son empreinte la vie politique de l'Algérie et aucune création nouvelle n'a pu éluder les principes qu'elle a su proclamer avec force : liens indissolubles avec la Métropole, volonté de progrès social, politique d'expansion économique, participation de plus en plus poussée de la population musulmane à la gestion des affaires publiques.
------------C'est pourquoi, après l'abandon délibéré de l'Algérie, suivi d'une effroyable tragédie, il est bon que l'on sache quelle fut l'oeuvre de l'Assemblée algérienne et que justice soit faite de certaines critiques tendant à la rendre responsable de la non-application du Statut de 1947.
------------Dans le cadre de ses pouvoirs financiers, l'Assemblée algérienne a joué un rôle de premier plan dans la mise en valeur économique du pays. Elle a su, au demeurant, apprécier sa faculté contributive et se servir de l'impôt comme d'un instrument de bonne politique économique, n'oubliant pas qu'il s'agissait encore d'un pays sous-développé. Elle a su, aussi, adapter les
dépenses et solliciter les concours en fonction de la spécificité des besoins.
------------Son action apparaît clairement à travers les différents budgets qu'elle a votés, toujours plus importants, toujours plus généreux. C'est ainsi que les volumes respectifs des budgets extraordinaires de 1948 à 1955 se sont élevés de 15 milliards à 56 milliards. Pour l'exercice 1956, l'effort fut encore plus considérable. Le total du budget ordinaire et extraordinaire excédait de plus de 45 milliards celui du précédent. Cette différence énorme résultait principalement de l'application des conclusions d'un groupe d'études présidé par M. Maspetiol, qui, dégageant les enseignements fournis par les comptes économiques des années antérieures, avait estimé que, pour élever le niveau de vie d'une population croissante, la production intérieure devait être augmentée.
------------Consciente de ses devoirs et du bien-fondé des conclusions du rapport Maspetiol, l'Assemblée algérienne n'avait pas hésité à voter une augmentation considérable des charges fiscales pour aligner l'effort local sur la contribution accrue des finances métropolitaines.
------------Par son action budgétaire, l'Assemblée algérienne a tenu, tout en s'inspirant des principes de prudence essentielle, à donner ainsi une impulsion nouvelle à l'expansion économique, source de plein emploi et d'amélioration du niveau de vie. C'est à juste titre que, lors du compte rendu annuel de la Banque d'Algérie, un technicien aussi expert que M. Paul Messerchmidt a pu écrire que " la machine était bien lancée ".
------------C'est donc un équilibre réel que l'Assemblée a su réaliser puisque, sa gestion financière ayant été saine, elle a cependant entrepris une oeuvre sociale de longue haleine tout en multipliant les postes d'équipement du pays.
------------Aucun aspect de l'activité économique dé l'Algérie ne lui a échappé.
------------Son action fut constante s'agissant de l'agriculture. Dès 1949, l'Assemblée s'est attachée à réorganiser le crédit agricole afin qu'il bénéficie au plus grand nombre possible d'agriculteurs, et n'a cessé de donner des directives pour que les demandes de prêts soient examinées sur le plan humain et non sous leur aspect comptable et rentable. Elle créa, en outre, un régime d'assurances agricoles que bien des pays, si habiles à la critique, ne possèdent pas encore. Elle décida que de justes indemnités seraient servies au titre de la législation sur les accidents du travail dans les professions agricoles et forestières. Elle mit au point le statut juridique de la coopération agricole, se pencha sur le problème de l'organisation et l'assainissement du marché du lait et des produits dérivés, institua un système d'allocations aux vieux travailleurs salariés de l'agriculture, procéda à une réforme des sociétés de prévoyance en faveur desquelles elle édicta une dispense de droits d'hypothèques.
L'organisation du commerce n'a pas laissé l'Assemblée algérienne indifférente. Elle créa notamment de nouvelles chambres de commerce et elle se fit un devoir d'étendre à l'Algérie de nombreux textes d'intérêt général appliqués dans la Métropole.
L'utilisation de l'énergie, l'exploration du sous-sol firent l'objet de
nombreuses décisions.
------------Mais au-dessus de ses préoccupations économiques, on peut dire que l'oeuvre maîtresse de l'Assemblée algérienne s'est manifestée dans le cadre du social.
------------Il convient de souligner tout d'abord que c'est à l'initiative de plusieurs de ses membres, et non pas à celle du gouvernement, qu'un système de Sécurité sociale fut adopté par l'Assemblée algérienne.
------------En dehors des multiples créations d'hôpitaux, de centres de santé et d'écoles auxquelles elle a procédé à l'occasion du vote des différents budgets extraordinaires, on peut citer une série de décisions dont les principales ont trait à l'organisation des professions, aux établissements hospitaliers, aux laboratoires d'analyses, à la création d'un Centre algérien de lutte contre le cancer, à la protection sociale des aveugles, à l'amélioration des situations des infirmiers et assistantes sociales, à la prise en charge par l'Algérie de l'entretien des collèges classiques, modernes et techniques.
------------La liste est longue de ses réglementations généreuses en faveur des salariés, des retraités, des chômeurs, des mutilés du travail, des victimes des calamités publiques.
------------Si le rôle législatif de l'Assemblée, justement limité par le statut, ne fut pas à l'échelle de ses créations économiques et sociales, il fut néanmoins important. Il a évité au Parlement, par la solution de très nombreux problèmes quotidiens, une surcharge de ses ordres du jour. On peut dire, sans risque d'être démenti, que l'Assemblée algérienne a su, comme le Statut de 1947 le prévoyait, adapter aux textes votés par le Parlement une législation qui tenait compte du " fait algérien " avec le souci constant de faire eeuvre efficace et de ne rien éluder des particularismes locaux.
------------Avec audace, elle avait même adopté dans l'enthousiasme, à l'unanimité des deux collèges, des réformes révolutionnaires du droit musulman telles que la preuve testimoniale du mariage et une refonte du régime de tutelle qui démontraient chez les autochtones une volonté de s'affranchir de certains préjugés du passé.
------------Ne pouvant ignorer ces réalisations, ses détracteurs ont soutenu qu'elle s'était refusée à régler les questions qui lui avaient été dévolues par le législateur.
------------Il est temps de détruire cette légende.
------------Qu'étaient ces questions ? Essentiellement, le droit de vote de la femme musulmane, la réorganisation des territoires du Sud, la suppression des communes mixtes et l'indépendance du culte musulman.

 

-------------L'Assemblée algérienne ne s'est pas désintéressée de ces questions.
------------Dès 1949, la Commission de la législation examinait une proposition de décision présentée par un élu communiste tendant à l'octroi du droit de vote aux femmes musulmanes. C'est devant l'opposition des élus musulmans, attachés aux coutumes ancestrales, que cette question avait été renvoyée sine die.
------------L'Assemblée s'était au contraire prononcée d'une manière positive sur la suppression des communes mixtes et la réorganisation des territoires du Sud. Après de longs débats qui montrèrent tout l'intérêt que les élus portaient à ces problèmes, l'Assemblée donna un avis favorable au projet de loi portant réorganisation des Territoires du Sud et au projet de loi relatif à la création des communes rurales en Algérie.
-----------S'agissant de l'indépendance du culte musulman à l'égard de l'Etat, l'Assemblée, tenant à marquer toute l'importance qu'elle y attachait, décidait d'abord la création d'une commission spéciale du culte musulman.
------------Après de nombreuses séances de travail et auditions de délégations représentant les diverses confréries et associations religieuses et de magistrats musulmans d'Algérie, le rapporteur général de la commission, luimême musulman, déposait plus tard un remarquable projet de rapport prévoyant une organisation rationnelle du culte musulman en Algérie.
------------Mais peu de temps après, le Conseil d'Etat, consulté par le gouvernement, déclara que les conclusions de ce rapport exorbitaient de la législation sur la séparation des Eglises et de l'Etat.
------------En raison d'une rédaction incomplète d'un article du statut, l'Assemblée algérienne se trouvait donc impuissante à séparer le culte de l'Etat, ainsi que le législateur le lui faisait pourtant obligation, dès lors qu'il lui était interdit de prévoir l'organisation de ce culte.------------Ainsi résumés, les travaux de cette haute instance régionale suffiraient à lui assurer le respect des gens de bonne foi et justifieraient les éloges que n'ont pas manqué de lui adresser les guides éclairés qui présidèrent aux destinées de l'Algérie : MM. Naegelen, Léonard et Soustelle.
------------Mais, pourrait-on à bon droit observer que si cette assemblée, nantie cependant de pouvoirs étendus, a fait oeuvre utile, elle n'en a pas moins été impuissante à résorber le chômage, à procurer un minimum vital à trop d'inactifs. Cela est vrai, et c'est d'ailleurs dans ce sens que l'on serait fondé à souligner que certains objectifs visés par les auteurs du statut n'ont pas été atteints.
------------En effet, rappelons qu'en 1947, le nombre des chômeurs intermittents et des autochtones sans travail n'excédait guère 200.000, tandis qu'en janvier 1956, il dépassait sensiblement le million...
------------Est-ce à dire que l'Assemblée algérienne est responsable de cette douloureuse situation, beaucoup plus tragique encore dans les pays, si prompts à dénigrer l'œuvre magnifique accomplie par la France dans sa province africaine où, comme en Algérie, la courbe démographique croît démesurément par rapport à la courbe économique ?
------------Absolument pas, tant il est certain que le substratum économique de l'Algérie ne lui permettait, en aucun cas, de subvenir à l'ensemble des gigantesques besoins en augmentation constante. C'est pourquoi d'ailleurs le désir d'intégrer l'Algérie à la Métropole a été exprimé avec force à la tribune de l'Assemblée algérienne, par plusieurs élus musulmans qui, après avoir malaxé la pâte budgétaire de nos départements africains, savaient que seule la France parviendrait à conjurer un péril de plus en plus angoissant. Mais après la révolution du 13 mai 1958, on préfère se délester du " fardeau algérien ".
------------Notons-le en passant, il s'agissait là du véritable problème algérien, qu'aucune promotion politique, si légitime fût-elle, ne serait parvenue à résoudre si elle n'avait pas été assortie de dispositions économiques et financières adéquates.
------------Il est certain que la rébellion, dont il est superflu de souligner les origines étrangères, n'aurait jamais pris une telle ampleur si ses instigateurs n'avaient pas trouvé parmi les " sans travail " un recrutement facile.
------------Enfin, il est un aspect du mérite de l'Assemblée algérienne plus important bien que plus fluide, plus éminent que toutes ses heureuses réalisations matérielles, c'est l'inestimable service qu'elle a rendu à la cause de l'amitié franco-musulmane.
------------Travaillant sur les mêmes bancs, appartenant aux mêmes commissions, se succédant aux mêmes postes, les élus des deux collèges de cette assemblée locale paritaire (60 délégués par collège) avaient réalisé entre eux, dans une émulation féconde, une fraternité qui ne s'est jamais démentie. Même aux heures les plus sombres du drame algérien malgré les pressions de toute nature, beaucoup d'élus musulmans sont restés à leur poste.
------------Ayant participé le 9 mai dernier à un débat télévisé à ANTENNE 2 au cours duquel les téléspectateurs, lors de la présentaiton du film du 13 mai, ont pu entendre de la part du commentateur que les élus européens de " feu l'Algérie française " s'étaient montrés toujours hostiles aux réformes suggérées, ce rappel schématique de l'oeuvre de l'Assemblée algérienne était nécessaire.
------------Je remercie les dirigeants de la revue algérianiste dont j'apprécie la haute qualité de m'avoir permis de m'exprimer librement sur un sujet aussi important,

Alain de SERIGNY,
ancien vice-président de l'Assemblée algérienne.

------------Il convient de souligner que, le 12 octobre 1947, à Alger (au stade de Saint-Eugène), le général De Gaulle, alors président du Rassemblement du peuple français, s'était élevé avec force contre les visées d'hégémonie des Soviets et, sous les applaudissements de 60.000 Algérois, il avait ainsi terminé son allocution:
------------«Les bons Français comprennent que l'Algérie, partie intégrante de la France, est en même temps un lien géographique et moral entre la Métropole et les autres territoires africains de l'Union française. Ils savent que ce qui se passe à Alger, à Oran, à Constantine, a, dans tout ce continent des répercussions puissantes et singulières. Ils savent qu'en laissant entamer la cause de la France sur cette rive de la Méditerranée, c'est tout l'édifice national qui risquerait la dislocation. Ils sont résolus à rester forts, libres et maitres chez eux. -