Alger, l'Amirauté
LES MYSTÈRES DU VIEIL ALGER
LA CHAMBRE SANGLANTE DE L'AMIRAUTÉ

Afrique illustrée du 28-9-1929 - Transmis par Francis Rambert

 

A côté d'Alger la Blanche se dresse El-Djezaïr la Rouge, sanglante par les cruautés qu'ont exercées les Turcs sur les malheureux esclaves chrétiens. Des traces de carnage sont restées çà et là, notamment dans un réduit peu connu de l'Amirauté. Sous la voûte qui conduit au môle, un escalier d'une vingtaine de marches environ donne accès à une salle. Son aspect est sinistre. Les murs sont couverts d'empreintes de mains ensanglantées. Comment ? Par qui ? A quelle époque des scènes de sauvagerie ont-elles eu lieu ?

Deux historiens de l'Ancien Alger, M. Fritz Muller et M. Alfred Imbert, se sont intéressés à cette question. M. Fritz Muller, dans la Revue Nord-Africaine, a donné, en 1906, une monographie de ce lieu sinistre. Deux ans plus lard, dans une monographie de l'Amirauté. M. Imbert en signala l'existence. Mais aucun d'eux n'arriva à soulever le voile et à percer le mystère.

En fouillant l'histoire de la Régence, nous croyons pouvoir déterminer l'époque à laquelle ces faits se sont déroulés et dire ce qui s'est passé entre ces murailles sanglantes.

Cette salle de carnage est placée, en face de la " Consulaire ", pièce de canon ainsi nommée car c'est sur elle qu'on attachait, au XVIIème siècle, les consuls rebelles à supplicier. Elle fut fondue par un Vénitien, en l'an 1542.

On l'appelait à cette époque " Baba-Merzoug, " père j fortuné " : elle servait à la défense du môle. Il existait peu de constructions en cet endroit: vers 1560 la j jetée fut surélevée et, en 1575 Arab Ahmed fit construire deux tours de vigie avec fanaux.

Ce ne fut qu'en 1666 et 1667, sous le règne de Mohamed Ranzy, que fut construit, le fort Bordj-es-Sardin où se trouve la chambre sanglante.

*** La qualité médiocre des photos de cette page est celle de la revue. Nous sommes ici en 1920. Amélioration notable plus tard, dans les revues à venir. " Algeria " en particulier.
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Voir sur ce site:
-L'Amirauté d'Alger
Ouvrages du centre (consulaire, chambre sanglante), forts du sud (el Goumen, Ras el Moul, porte des lions), fontaine de Baba Ali, marabout, mosquée.
voir la première partie : origines du port, forts du nord et de l'est
par Edouard NOCCHI


sur site : avril 2021

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LES MYSTÈRES DU VIEIL ALGER

LES MYSTÈRES DU VIEIL ALGER
LA CHAMBRE SANGLANTE DE L'AMIRAUTÉ

A côté d'Alger la Blanche se dresse El-Djezaïr la Rouge, sanglante par les cruautés qu'ont exercées les Turcs sur les malheureux esclaves chrétiens. Des traces de carnage sont restées çà et là, notamment dans un réduit peu connu de l'Amirauté. Sous la voûte qui conduit au môle, un escalier d'une vingtaine de marches environ donne accès à une salle. Son aspect est sinistre. Les murs sont couverts d'empreintes de mains ensanglantées. Comment ? Par qui ? A quelle époque des scènes de sauvagerie ont-elles eu lieu ?

Deux historiens de l'Ancien Alger, M. Fritz Muller et M. Alfred Imbert, se sont intéressés à cette question. M. Fritz Muller, dans la Revue Nord-Africaine, a donné, en 1906, une monographie de ce lieu sinistre. Deux ans plus lard, dans une monographie de l'Amirauté. M. Imbert en signala l'existence. Mais aucun d'eux n'arriva à soulever le voile et à percer le mystère.

En fouillant l'histoire de la Régence, nous croyons pouvoir déterminer l'époque à laquelle ces faits se sont déroulés et dire ce qui s'est passé entre ces murailles sanglantes.

Cette salle de carnage est placée, en face de la " Consulaire ", pièce de canon ainsi nommée car c'est sur elle qu'on attachait, au XVIIème siècle, les consuls rebelles à supplicier. Elle fut fondue par un Vénitien, en l'an 1542.

On l'appelait à cette époque " Baba-Merzoug, " père j fortuné " : elle servait à la défense du môle. Il existait peu de constructions en cet endroit: vers 1560 la j jetée fut surélevée et, en 1575 Arab Ahmed fit construire deux tours de vigie avec fanaux.

Ce ne fut qu'en 1666 et 1667, sous le règne de Mohamed Ranzy, que fut construit, le fort Bordj-es-Sardin où se trouve la chambre sanglante.

A cette époque, elle servait de corps de garde au bordj. Deux entrées : l'une extérieure, encore visible aujourd'hui : l'autre, intérieure, donnant accès au fort.
Ce fut le 29 juillet 1823 que les Turcs attachèrent à la bouche de la " Consulaire ", le Père Levacher, préfet. apostolique, faisant fonctions de consul à Alger.
Étant dans un état de faiblesse extrême, il fut transporté sur une chaise jusqu'au canon. Il périt ainsi, après avoir passé trente-six ans à soulager les pauvres esclaves chrétiens de Tunis et d'Alger, et vingt ans à défendre les intérêts de la France dans les états barbaresques.

Comme le permet de le constater le manuscrit de 1705, ce n'est que sous le bombardement du maréchal d'Estrées que commencèrent les atrocités dans la salle du corps de garde du bordj-Es-Sardin.

Dès le début du bombardement, Mezzomorto, dey d'Alger, songea à mettre les principaux Français à la bouche du canon, après leur avoir fait subir maints supplices, comme les Mémoires de la Congrégation de la Mission nous en ont conservé le tragique souvenir. Le consul Piolle fut tellement martyrisé qu'il fut attaché mourant à la bouche du canon.

Ceux qui le suivirent, notamment. M. Michel Montmasson, vicaire apostolique, durent subir des tortures atroces avant d'être exécutés. Quarante-deux Français eurent le même sort.

D'ailleurs, voici ce que dit, le manuscrit de 1705 : "... Comme les rues étaient pleines de débris des maisons renversées par les bombes, on fut contraint de mener en bateau M. Michel Montmasson du bagne, à la " Consulaire ", c'est-à-dire du fort Bab-Azoun au môle, où il devait finir sa vie au milieu des supplices.
Quand le vicaire apostolique fut arrivé au môle, on le rendit eunuque, on ne l'expédia pas de suite, on le laissa longtemps languir et il dut, assister au supplice, de ses compagnons avant, d'être lui-même exposé aux derniers excès de leur fureur. Ils ne l'exercèrent pas sur lui tout entière à la fois, mais peu à peu et progressivement. Un Turc lui coupa une oreille et le nez, un autre lui creva un œil et lui donna un coup de couteau dans le gosier, un Maure à qui les bombes avaient détruit trois maisons, se jeta sur lui avec fureur, le mordit au bras profondément et lui coupa la barbe, entamant la joue.
C'est. dans cet état pitoyable que. sans pousser une plainte, il fut attaché en croix de Saint-Andrée à la " Consulaire ", le 5 juillet 1688. Ses compagnons de misère furent pendus par les pieds, la tête en bas et le ventre contre l'embouchure du canon. "

C'est ainsi que, au XVIIème siècle, sous la domination turque, périrent, au milieu des supplices, les représentants de. la France.
La chambre sanglante, avec les empreintes des mains des bourreaux, est restée comme le témoignage des tortures infligées à nos malheureux compatriotes.
Le voisinage de la " Consulaire ", le manuscrit de 1705, l'emplacement de la salle, son état actuel ou l'on peut relever encore les empreintes de la tragédie barbaresque, attestent l'exactitude des faits qui se sont déroulés dans ces lieux.

Souhaitons que le Comité du Vieil Alger, à qui rien de ce qui touche l'Histoire de notre ville ne demeure indifférent, prenne un jour, sous sa protection, ce souvenir du passé.