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       Saint-Arnaud l'Africain 
      " S'il y avait un officier dans cette 
        armée d'Afrique qui fut plus que les autres le type de l'ardeur 
        et de bonne humeur militaire, c était lui... ". 
        Bugeaud (1841) 
      Saint-Arnaud, Algérie, 
        département de Sétif, chef-lieu d'arrondissement, 
        à 950 mètres d'altitude. Chemin defer d'Alger à Constantine. 
        12 166 habitants (agglomé- ration 11318) - vin, distilleries, minoteries 
        - fontaines romaines restaurées. L'arrondissement de Saint-Arnaud 
        a 4 621 km2, 28 communes et 139 015 habitants (Encyclopédie Quillet). 
      *** 
      I1 ne sera de retour en Algérie qu'au 
        mois de février suivant. Ses enfants sont bien élevés 
        et travaillent correctement. Mais sa célébrité aidant, 
        car les journaux ont parlé de lui, les créanciers accourent. 
        Le frère Adolphe paye une fois de plus. Et puis ce frère 
        célibataire décide de se marier. Du coup, Achille prend 
        la même résolution. Il va, pense-t-il, traiter cette affaire 
        comme on traite un marché. C'est son intention. Patatras ! On le 
        rappelle à Alger et il s'embarque en février 1844. 
         
        Peu après son arrivée, en mai, on l'envoie faire le coup 
        de feu à Laghouat et Aïn-Mandi qu'occupe un marabout vénéré, 
        Si Mohamed Tedjani, ennemi juré d'Abd el-Kader, qu'il faut cependant 
        impressionner pour s'en faire un allié. Le colonel part de Médéa 
        le 1er mai sous les ordres du général Marey-Monge: 2 800 
        hommes dont 800 cavaliers indigènes, et 1 200 chameaux. L'itinéraire 
        : Boghar, Chabounia, Taghin, Tadjemout, Laghouat. Pas de végétation, 
        pas d'eau, une chaleur torride le jour et des nuits glaciales. On arrive 
        à Aïn-Mandi où Tedjani règne sur quelques centaines 
        de fusils. Il faut l'impressionner sans l'humilier. C'est Saint-Amaud 
        qui est choisi, avec dix officiers, douze chasseurs à cheval et 
        cent soldats indigènes, pour se présenter au chef arabe. 
         
        La rencontre avec Tedjani, lequel ne veut pas se trouver en face d'un 
        chrétien, ne va pas de soi. Mais tout s'arrange: la brouille Tedjani 
        - Abd el-Kader est consommée! Le but est atteint grâce au 
        talent de diplomate de Saint-Arnaud. La troupe regagne Laghouat et visite 
        quelques ksours, ce qui n'enchante pas Saint-Arnaud " Quant aux 
        habitants, ce sont des hideux démons qui ont des jardins du ciel 
        ". 
        La colonne se dirige vers Tiaret pendant que Bugeaud gagne la bataille 
        d'Isly. On revient à Blida mais sans avoir le temps de se reposer 
        car les Kabyles de Dellys 
        s'agitent. On embarque la troupe à Alger pour aller mater les tribus 
        en révolte. Saint-Arnaud est alors nommé colonel et inaugure 
        ses galons par un combat de six heures avec 1 500 Français contre 
        8 000 Kabyles retranchés. Il faut réduire l'ennemi, groupe 
        après groupe. Le nouveau promu s'en tire avec une contusion au 
        côté gauche, son pantalon et sa capote ont été 
        troués par des balles. Son cheval a également été 
        blessé. 
         
        Un mois plus tard Bugeaud l'envoie commander la subdivision d'Orléansville, 
        poste qu'il rejoint à la fin de novembre 1844. Il y remplace le 
        colonel Cavaignac et fait une entrée remarquée dans les 
        misérables baraquements de son nouveau séjour. Il reçoit 
        les officiers, puis les chefs arabes qui donnent une fantasia en son honneur. 
         
        Ne nous y trompons pas. Le pays est mal pacifié. " Orléansville 
        est un désert dans un grand désert " écrit-il. 
        " Pas un arbre, pas de végétation... j'ai pour maison 
        un kiosque ressemblant à la loge du bouc au Jardin des Plantes 
        ". 
         
        Orléansville est alors le poste le plus avancé à 
        l'ouest. Malgré les alertes quotidiennes, Saint-Arnaud va tout 
        organiser. Comme il ne veut pas rester bloqué, il fait ouvrir une 
        route vers le port de Ténès (car on ne peut aller à 
        Alger que par mer en attendant la création d'une route Orléansville 
        - Blida). " L'avenir de ce pays est immense mais l'or qu'il engloutira 
        est incalculable " écrit-il en prophète. En faisant 
        niveler les rues, on trouve des ruines romaines, des tombeaux, des pièces 
        de monnaie, une mosaïque de Saint-Réparatus. " Sa " 
        ville va donc s'élever sur l'emplacement de l'antique Castellum 
        Tingitanum que les Arabes conquérants avaient nommé El Esnam 
        (les idoles) à cause du grand nombre de statues qu'ils avaient 
        trouvées. Mais pour le colonel il faut penser aux vivants: il fait 
        construire des bâtiments pour abriter ses soldats et même 
        un théâtre pour les distraire. Comme il dispose de fonds 
        il aide et/ou indemnise des petits colons (  
        Ce qui lui vaudra de graves ennuis et les médisances du général 
        Changarnier. Le fait d'avoir utilisé des ruines romaines pour construire 
        une caserne lui vaudra d'être traité de vandale par C. A. 
        Julien.). Il achète des grains pour faire semer et il 
        fait planter des arbres; pourtant il est parisien de naissance ! Sa devise 
        est celle de Bugeaud " Ense et aratro " (par l'épée 
        et la charrue). Les soldats se muent en cultivateurs : 50 hectares labourés 
        et semés au départ, 40 000 pieds d'arbres, et beaucoup de 
        vignes mais aussi des jardins et des prairies. Sa ferme modèle 
        a plus de 600 hectares deux ans plus tard. Il donne aussi des fêtes 
        avec bals et musique. En novembre 1846, il reçoit des journalistes, 
        des politiciens, des notabilités conduits par Bugeaud et il traite 
        tout ce monde somptueusement. n'apprécie pas pour autant tous ces 
        invités. Par exemple, il tient Tocqueville ( 
        Partisan de la guerre totale et de la terre brûlée.) 
        pour un poseur et un snob et il déteste les journalistes et les 
        députés qui parlent de ce qu'ils ne connaissent pas. " 
        Quels hommes, quels ridicules, quels vices " écrit-il. 
         
        Il s'endette pour les Charles Alexis CLÉRE recevoir fastueusement 
        et en retour on l'accuse de concussion et de malversations ! Il vitupère 
        : " Viens voir de près ceux que tu calomnies! Tu n'en regarderas 
        pas un en face! ". 
         
        On l'accuse d'avoir empoché le produit des razzias sur les tribus 
        insoumises et il se justifie. Mais le simple fait d'avoir à se 
        justifier est humiliant! Il parle en gentilhomme " Toujours faire 
        grand quand on est un chef dut-on en périr ". On croirait 
        entendre Cyrano de Bergerac ! 
         
        La guerre se poursuit. Les ordres venus d'en haut sont terribles: tuer, 
        piller, incendier, dévaster, chez les insoumis. 
         
        Les tribus sont prises entre la cruauté des partisans d'Abd el-Kader 
        et les représailles des Français. Il écrit " 
        C'est un ouvrage de Pénélope. Nous faisons une guerre 
        sans gloire et qui nous coûte autant que la bataille d'Austerlitz 
        ". Ceci dit, il considère les Kabyles comme de vrais soldats, 
        il les admire et les plaint à la fois. " L'impunité 
        amènerait pour nous de véritables désastres ! ". 
        Déjà au printemps 1845, il avait fallu sévir dans 
        les montagnes du Dahra. Pellissier et Saint- Arnaud avaient été 
        chargés de réprimer la révolte des tribus soulevées 
        par l'agitateur Bou-Maza ( Bou-Maza 
        " est un surnom qui signifie " le père de la chèvre 
        ". En effet, le jeune homme traîne avec lui cet animal qui, 
        paraît-il, fait des miracles. En fait Bou-Maza s'appelle Mohamed 
        Ben Abdallah et appartient à la tribu de Ouled Sidi Ouadha. C'est 
        un fanatique exalté mais fort intelligent. Il se rendra à 
        Saint-Arnaud le 13 avril 1847 après nous avoir donné beaucoup 
        de mal.). Là se place la fameuse affaire des grottes 
        où la tribu des Ouled-Riah s'était réfugiée. 
        Pellissier avait fait enfumer les cavernes et tous les rebelles et leurs 
        familles avaient péri. Saint-Arnaud est heureux que cette triste 
        obligation ne lui soit pas échue. 
         
        Hélas ! pour lui, quelques semaines plus tard, il se voit placé 
        dans la même situation avec les cavernes des Sbéhas et après 
        les sommations, il fait enfumer les révoltés: " Personne 
        n'est descendu dans les cavernes... J'ai pris l'Afrique en dégoût 
        ". Il est fatigué, cette vie de privations l'use. Et il approche 
        de la cinquantaine ! D'autant plus qu'il partage les risques de ses soldats 
        au combat et au bivouac. Et puis, il est malade: douleurs d'estomac, fièvre, 
        arthrite. Il est squelettique. On le nomme commandeur de la Légion 
        d'honneur et fin 1847 le télégraphe lui apprend à 
        Orléansville, sa nomination au grade de maréchal de camp 
        (général de brigade). Il jubile et en est tout ragaillardi 
        ! Il part à Paris montrer ses étoiles à ses enfants. 
        Il s'arrête cependant à Alger où il est reçu 
        par le duc d'Aumale, gouverneur qui a remplacé Bugeaud démissionnaire. 
         
        Il quitte Alger le 5 janvier 1848 sur le " Mérovée 
        ". 
         
        Il va recevoir à Paris un accueil auquel il ne s'attend pas, une 
        véritable tempête! 
         
        Quelques semaines après l'arrivée à Paris, la monarchie 
        de Louis-Philippe s'effondre et la République est proclamée. 
        Sur le plan du tempérament et du caractère, Saint-Arnaud 
        est un aristocrate. Il croit au commandement, à l'autorité, 
        aux élites. Sa famille maternelle a été ruinée 
        par la première Révolution. Saint- Arnaud a de l'aversion 
        pour la République qui, pour lui, est synonyme de pagaille. Il 
        compte sur Bugeaud pour s'opposer au nouveau régime. Il oublie 
        que depuis l'affaire de la rue Transnonain, Bugeaud est très impopulaire 
        à Paris. Néanmoins il y a une tentative de résistance. 
        Saint-Arnaud et ses hommes enlèvent les barricades de la rue de 
        Richelieu mais beaucoup de soldats mettent crosses en l'air, lui-même 
        subit une vive fusillade à l'Hôtel de Ville et, désarçonné, 
        il manque être tué. 
         
        Désormais, il a son compte à régler avec la République. 
         
        Il pense à se marier, bien que quinquagénaire. Il perçoit 
        15 000 francs par an. Il se croit libéré des accès 
        de passion. Finalement, il tombe amoureux de la soeur cadette de la femme 
        de son frère Adolphe, Mlle de Trazenies d'Ittre... qui n'a aucune 
        fortune. Elle est âgée de 27 ans; gracieuse, intelligente, 
        distinguée, très fine, elle n'a rien d'une beauté. 
        M'aime à la folie ! Le mariage religieux a lieu le 3 avril 1848 
        à Saint Thomas d'Aquin. Le témoin du marié est, à 
        la mairie, le général Bedeau ( Il y eut 
        à Alger une rue Bedeau qui allait du boulevard Carnot à 
        la rue Alfred Lelluch. Bedeau était un puritain qui n'admettait 
        aucun écart ni pour ses officiers, ni pour lui-même. Il était 
        estimé de ses soldats.). 
         
        Le 18 avril le " jeune " ménage part pour Alger où 
        Cavaignac est désormais gouverneur. Le choix est offert à 
        Saint- Arnaud entre Tlemcen, Mascara, et Mostaganem. Il choisit Mostaganem. 
        À Paris, les " républicains " africains ont le 
        vent en poupe: Lamoricière, Cavaignac, Bedeau, Changarnier. 
         
        Mais c'est aussi l'anarchie. " Ledru-Rollin et compagnie nous 
        mènent à 1793. Louis- Bonaparte ne vaut guère mieux 
        " écrit Saint-Arnaud " Jamais je n'ai tant désespéré 
        de la patrie! ". 
         
        Au bout de quelques mois, il rentre à Alger avec la vie de bureau 
        qui en découle, sauf au printemps 1849 où on l'envoie à 
        Bougie mater une insurrection. De son bivouac, il écrit des lettres 
        passionnées à sa femme. Cette dernière a l'obligation 
        mondaine de recevoir le duc d'Uzès. Du coup, Saint-Arnaud harcèle 
        son épouse de conseils, si bien qu'elle fait descendre le duc à 
        l'hôtel ! A vrai dire, Saint-Arnaud est devenu d'une jalousie féroce, 
        pourtant Agnès semble bien avoir été la plus vertueuse 
        des épouses d'autant plus qu'elle aime son mari. 
         
        Après l'expédition de Bougie où les combats ont été 
        durs, Saint-Arnaud reçoit le commandement de Constantine, ce qui 
        signifie à terme une troisième étoile. En attendant, 
        dans ses lettres, il riposte aux attaques de Victor Hugo et fulmine contre 
        Ledru-Rollin. Son anti-républicanisme va jusqu'à le faire 
        traiter Louis- Napoléon, devenu président de la République 
        et futur Napoléon III, de " soliveau ". Puis, petit à 
        petit, il apprend que le Président cherche à s'attacher 
        des " Africains " et qu'on a pensé à lui. Le ménage 
        Saint-Arnaud se rend d'Alger à Constantine... par mer. Mer démontée. 
        Madame la générale reste à Philippeville. À 
        5 heures du matin, on part à Constantine en voiture où on 
        arrive à 16 heures. En somme, douze heures pour franchir quatre-vingt-six 
        kilomètres. 
         
        Le ménage est reçu en grande pompe. Treize ans plus tôt, 
        Saint-Arnaud y entrait en combattant ! On s'installe au palais du bey 
        dont le luxe consiste en quelques belles cours intérieures. Le 
        " palais " est moderne, de facture italienne, en somme une construction 
        pour touristes. 
        Quinze jours après, le 3 mars, grand bal avec trois cents invités. 
         
        Même fête l'année suivante en mars 1851. Le ménage 
        a deux lions apprivoisés, Juba et Cirta, ainsi que toute une ménagerie. 
         
        Ce général qui n'a cessé de bouger semble aspirer 
        au repos et devenir casanier. Comme le dit Louis Bertrand, c'est Don Quichotte 
        et Cyrano de Bergerac qui aspirent à la retraite, qui deviennent 
        de vrais bourgeois. Sa passion pour sa femme ne cesse de s'accroître 
        et chaque départ est un déchirement. Un jour, il est en 
        tournée avec le colonel Bizot à 40 km de Constantine. " 
        Si nous allions surprendre nos femmes? ". Aussitôt dit, aussitôt 
        fait. Ils arrivent à la nuit et grimpent le long du mur. Chute. 
        Vacarme. A la garde ! Saint-Arnaud, le sous-lieutenant n'est pas mort! 
        ! " Je t'aime trop, ma femme adorée, je t'aime comme un fou. 
        Je ne suis pas raisonnable! ". 
         
        Il a fort à faire cependant, ne seraient-ce que les tournées: 
        Guelma, HammamMeskoutine, Medjez el Ahmar, Millésimo, Héliopolis, 
        Mondovi. À Bône, il trouve les déportés de 
        1848 dont il écoute les doléances. 
         
        Il lui faut pacifier l'Aurès et faire une démonstration 
        en Petite Kabylie. Il prépare deux colonnes. L'une de 3 000 hommes 
        est sous ses ordres directs. L'autre de 1 500 hommes, commandée 
        par le colonel Eynard, part de Bône. Point de rencontre, Timgad. 
         
        L'expédition dure deux mois et le conduit jusqu'à Biskra. 
        Le latiniste qu'il a été s'émerveille des ruines 
        romaines de Lambèse. Il a reçu l'ordre d'y faire édifier 
        un pénitencier et sans le savoir il le fait construire sur l'emplacement 
        de l'ancien camp de la Ille Légion romaine. Même émerveillement 
        à Tébessa et dans la région des Nementchas. Il trouve 
        les traces de passage d'une légion, la Vie, dans les gorges de 
        l'Oued-el-Abiod. 
         
        Rentré à Constantine, il faut préparer une expédition 
        contre la Kabylie ( Toutes ces opérations 
        semblent avoir été télécommandées par 
        Louis-Napoléon qui avait besoin de Saint-Arnaud pour son coup d'État.). 
        Mais si le nouveau gouverneur, le général d'Hautpoul, veut 
        attaquer la Grande Kabylie, Saint-Arnaud veut attaquer la Petite et libérer 
        Djidjelli qui est bloqué depuis 12 ans. Le ministère se 
        rallie à ses vues mais le gouverneur en est fort mécontent! 
        Ce que certains ont nommé une " promenade militaire " 
        dure trois mois. La soumission est obtenue, après vingt-trois combats, 
        le 6 juillet ( Parti le 9 mai de Mile 
        avec 8 700 hommes, il débloque Djidjelli le 16. Cette expédition 
        permet de soumettre 40 tribus au prix de combats très durs.). 
        Les opérations cessent le 18. 
         
        Du coup, le prince président lui écrit pour le féliciter. 
         
        Dans la deuxième quinzaine de juillet, il est reçu à 
        Philippeville en triomphateur, puis à Constantine, et il est nommé 
        général de division le 10 juillet... mais à Paris. 
         
        Si on l'appelle dans la capitale, c'est qu'on ne peut pas compter, pour 
        le coup d'État, sur les Africains Lamoricière, Cavaignac, 
        Bedeau, Changarnier. Son vieil ami, le commandant Fleury, aide de camp 
        du Président, va le persuader d'aider Louis-Napoléon. 
         
        Alors Saint-Arnaud quitte l'Afrique pour toujours. Avec regret d'ailleurs 
        car le but qu'il visait c'était le poste de gouverneur général. 
         
        Il arrive à Paris le 15 août 1851 et essaie de se faire une 
        idée exacte de la situation politique. La majorité composée 
        d'orléanistes, de légitimistes, de bonapartistes est trop 
        disparate et ne peut pas gouverner. C'est donc la gauche extrême 
        qui en profite. Or c'est en mai 1852 que doivent avoir lieu les présidentielles 
        et des troubles sont prévisibles. 
         
        Pour le prince président Louis- Napoléon, la solution est 
        simple: gagner les parlementaires de vitesse, c'est-à-dire faire 
        un coup d'État avant eux. 
         
        Saint-Arnaud est reçu à l'Élysée immédiatement. 
        On lui dit que l'on compte sur lui. Louis-Napoléon, qui le connaît 
        par le commandant Fleury, lui fait un accueil flatteur et lui accorde 
        une permission de quinze jours. Le coup d'État est prévu 
        pour le 17 septembre. C'est une aventure périlleuse et la date 
        semble mal choisie. Aussi Saint-Arnaud se désiste par lettre, laquelle 
        plonge l'Élysée dans la perplexité. 
        Le commandant Fleury vient le voir et argumente. Saint-Arnaud expose ses 
        objections: le moment est mal choisi. Il faut que la Chambre soit réunie 
        pour pouvoir la fermer et arrêter les opposants. D'ailleurs, pour 
        septembre rien n'est prêt. 
         
        Il est invité à dîner à l'Élysée 
        pour le 10. Après ce dîner, on achève la soirée 
        au théâtre du Gymnase. Suivent des jours de conversations 
        sans que l'on précise au général quel sera son rôle. 
        En octobre, on en est toujours là. Quoi qu'il en soit, le 26 octobre, 
        Saint-Arnaud est nommé ministre de la Guerre, chef suprême 
        de l'armée, fonction à laquelle il n'est pas préparé, 
        d'autant plus qu'il a les politiciens en horreur. Il adresse une proclamation 
        à l'armée pleine de franchise et d'audace. Il travaille 
        dix-huit heures par 
        jour malgré ses douleurs violentes à l'estomac. Avec l'aide 
        du général Magnan, il fait jurer fidélité 
        au Prince par les officiers et on réunit 50 000 hommes dans les 
        casernes. En fait, je résume là une réalité 
        infiniment complexe. 
         
        Le 2 décembre, anniversaire d'Austerlitz, la Chambre est occupée 
        et les opposants arrêtés. Le 4, les choses se gâtent, 
        mais Saint-Arnaud et le duc de Morny (demi-frère de Louis-Napoléon) 
        prennent des mesures sévères. Il y a néanmoins des 
        morts (380 pour le journal Le Moniteur, 1 200 d'après le Times 
        de Londres). Mais faire un coup d'État, c'est accepter le fait 
        qu'il y aura des victimes! Avant la fin décembre 1851, un plébiscite 
        approuve le coup d'État par huit millions de suffrages positifs. 
         
        Le ler janvier 1852, un Te Deum est chanté à Notre-Dame 
        avec un faste extraordinaire. Dans la voiture présidentielle, le 
        Prince est seul avec le général de Saint- Arnaud. Quel chemin 
        parcouru par le pauvre officier sans fortune! Il songe à rentrer 
        dans le rang et à continuer sa politique africaine. 
         
        En fait, le 2 décembre 1851 n'a été qu'un commencement. 
        Louis-Napoléon songe à rétablir l'Empire! Il a donc 
        encore besoin de ses fidèles. Saint-Arnaud est contraint de rester 
        à son poste, encore qu'il y trouve un intérêt personnel. 
        Il a, de plus, commencé à aimer Louis- Napoléon qui, 
        disons-le, est plein de qualités (hélas! aussi bourré 
        de défauts, entre autres celui d'être obsédé 
        par les femmes !). Louis-Napoléon, fils de la reine Hortense (Il 
        y a peu de chance qu'il ait été le " vrai " neveu 
        de Napoléon ler, la reine Hortense ayant eu quelques aventures 
        Voir les ouvrages de Guy Breton et autres historiens. Le duc de Morny, 
        demi-frère de l'empereur Napoléon III était lu aussi 
        fils de la reine Hortense, mais fils du général Flahaut, 
        lui-même fils de Talleyrand.) - petit-fils donc de Joséphine 
        de Beauharnais - est un grand séducteur, et sa bonté est 
        réelle (ce qui ne l'empêchera pas d'aller faire massacrer 
        nos soldats dans des guerres stupides et inutiles). 
         
        Saint-Arnaud a son franc-parler avec le Prince et il va jusqu'à 
        lui faire des remontrances. Le 2 décembre 1852, c'est la proclamation 
        de l'Empire. 
         
        Saint-Arnaud, Magnan et Castellane sont élevés à 
        la dignité de maréchaux de France (dignité la plus 
        élevée dans la hiérarchie militaire). Au même 
        moment, Saint-Arnaud marie sa fille avec un capitaine de chasseurs à 
        cheval, le marquis de Puységur, et l'Empereur offre à la 
        mariée une dot de 300 000 francs. Est-il besoin de dire que le 
        mariage est somptueux? 
         
        Saint-Arnaud ne reste pas inactif. Il s'occupe plus particulièrement 
        - plus affectueusement - de l'armée d'Afrique qui devient permanente. 
        Le véritable essor de l'Algérie française date du 
        Second Empire. Il faut lui rendre cette justice. 
         
        Mais l'état de santé du maréchal ne cesse de se dégrader. 
        Il avait été obligé durant l'été 1852 
        d'aller " prendre les eaux " à Vichy qu'il appelait 
        " un gros village pluvieux ", et ceci en compagnie de sa femme, 
        de sa fille et de la fille du maréchal Bugeaud, Mme Feray d'Isly. 
        À SaintGermain-des- Fossés, il avait été hué 
        et lapidé alors qu'il se promenait à cheval avec le sous-préfet. 
        En tous cas, sa santé s'améliore un peu. Mais les voyages 
        qu'il entreprend avec celui qui n'était encore que Prince- Président 
        l'ont épuisé, d'autant qu'il faut assister aux réceptions 
        et bals. 
         
        Après les fêtes qui suivent le mariage de l'Empereur avec 
        Eugénie, il est à bout de forces et part dans le Midi au 
        printemps 1853. Le maréchal de Castellane, qui le rencontre à 
        Lyon, le pense dans un état désespéré. 
         
        A Marseille, il a une crise violente et manque mourir. Du coup, à 
        Hyères, il fait son examen de conscience. Il est à bout. 
        Son fils a échoué aux examens de Saint-Cyr, s'est engagé 
        au 5e Hussards à Limoges et est mort à 20 ans d'une pneumonie. 
        Saint-Arnaud est inconsolable de ce deuil. Il perd sa mère à 
        cette même époque. 
         
        Puis il retourne à Marseille et s'installe au Prado. Assez curieusement, 
        il semble se rétablir. " Je sens que ma tâche n'est 
        pas terminée et je veux être à la hauteur ". 
         
        Des bruits de guerre circulent. On prépare ce qui sera l'expédition 
        de Crimée : l'Angleterre se sent menacée par la Russie qui 
        semble vouloir s'emparer des Détroits. Cette affaire ne concerne 
        guère la France sauf pour des questions de prestige. La France 
        se dit protectrice des Lieux Saints et le Tsar nous dispute cette protection. 
        Le Second Empire tient aussi à faire entendre sa voix. Rien qui 
        ne puisse être réglé par la voie diplomatique. Néanmoins 
        la France et l'Angleterre déclarent la guerre en mars 1854 dans 
        une impréparation totale! Nous avions prévu 6 000 hommes. 
        Saint-Arnaud portera ce nombre à 30000. Bientôt il en faut 
        le double! Saint- Arnaud est à nouveau malade et sans cesse en 
        déplacement. Il sait que son mal ne pardonne pas. " J'aime 
        mieux finir au milieu de mes soldats que dans mon lit ", dit- 
        il. Le fautif de l'affaire est l'Empereur qui confie une armée 
        à un moribond ! Il tient compte du fait, sans doute, que Saint- 
        Arnaud parle l'anglais alors que le chef britannique, lord Raglan, ne 
        sait pas un mot de français. Bref, le maréchal reçoit 
        le commandement en chef de l'armée d'Orient. " Il est debout, 
        mais il est très maigre, il a les yeux vitreux, il est voûté 
        ", écrit le maréchal de Castellane. En route vers 
        Marseille, il a deux crises d'angine de poitrine. 
         
        La France, bonne fille, envoie 50 000 hommes. L'Angleterre 28000, et pas 
        l'élite de son armée! Mais elle argue du fait qu'elle prête 
        sa flotte. En tous cas, elle est décidée à se battre 
        le moins possible et la besogne sera l'affaire des Français et 
        des Turcs. Bref, l'entente ne règne guère entre les alliés 
        : divergences dans les buts de guerre, divergences sur les différentes 
        stratégies à adopter. 
         
        Après maintes tergiversations, on se décide pour un futur 
        débarquement en Crimée. Saint-Arnaud fulmine: tout parvient 
        en vrac dans une pagaille indescriptible: des affûts sans canon, 
        des canons sans caisson, des chevaux désappariés et tout 
        à l'avenant. Dès l'arrivée à Gallipoli, première 
        étape, il se heurte aux Anglais " Ces gens-là ne savent 
        pas se remuer. Impossible de bien faire la guerre comme cela, et si je 
        la fais contre eux ils s'en apercevront! ". Il voit clair dans leur 
        jeu. " Je vois que les Anglais sont arrivés avec le parti 
        pris de ne pas prendre de parti... Quel sac à bière, quelle 
        buse stupide que ce Dundas (amiral qui commande la flotte anglaise) 
        ". 
         
        Les Zouaves, enfants chéris de Saint-Arnaud. Saint-Arnaud propose 
        de débarquer à la Katcha, à 8 km de Sébastopol. 
        Les Anglais s'y opposent et le débarquement a lieu à Old-Fort, 
        beaucoup plus éloigné. Aussitôt à terre, les 
        Anglais ne bougent plus. Le maréchal parcourt le front britannique 
        au galop en criant: " En avant, braves Anglais, les Français 
        partent, suivez- nous ! ". Et les Anglais s'ébranlent 
        en poussant des hurrahs. Ils se font décimer héroïquement 
        par l'artillerie des Russes ! Les enfants chéris de Saint-Arnaud, 
        ce sont ses Zouaves. Il communique à tous son énergique 
        volonté. Il rabroue vertement le prince Jérôme-Napoléon 
        ( C'est lui qui sera surnommé 
        Plon-Pion et deviendra ministre de l'Algérie. Intelligent mais 
        brouillon et dilettante, il jouera un rôle néfaste. Il était 
        le neveu de Napoléon ler, fils de Jérôme Bonaparte, 
        roi de Westphalie.) malgré son titre d'Altesse impériale 
        et son grade de général de division " S'il n'est 
        pas content, qu'il parte! " et au prince: " Vous vous 
        appelez Napoléon. Votre place est au poste périlleux. Voyez 
        ce pont sur l'Alma vers lequel converge le feu des batteries russes. C'est 
        là qu'est votre place, à la tête de votre division... 
        Ie viendrai vous y rejoindre pour vous donner l'accolade au milieu du 
        feu! ". 
         
        Seule la volonté anime le maréchal dont la vie n'est plus 
        qu'un long supplice. Mais à tous, il donne l'exemple du courage. 
        Il veut bien accepter de mourir mais après une grande victoire 
        qui justifierait sa dignité de maréchal. 
         
        Les deux armées fondent petit à petit à cause d'une 
        épidémie de choléra et autres maux. 
         
        Saint-Arnaud recommande au docteur Cabrol qui le soigne: " Cachez 
        bien à la maréchale ce que je souffre et le danger que je 
        cours. Qu'elle ignore tout, excepté mon amour ". Le 25 
        août, il envoie à sa femme, pour sa fête, un bouquet 
        de fleurs et des vers. Il se sait condamné mais il fait son devoir 
        jusqu'au bout. 
         
        Les Russes organisent leur défense à 8 km de Sébastopol 
        sur les hauteurs de l'Alma où le général Menschikoff 
        a disposé ses troupes et une nombreuse artillerie. 
         
        Le jour de la bataille, Saint-Arnaud soigne sa tenue, monte - péniblement 
        - à cheval. Il n'en descendra qu'à 16 heures, après 
        la déroute de l'ennemi. Quand tout est terminé, il caracole 
        sur le front des troupes qui l'acclament " Vive le maréchal, 
        vive l'Empereur! ". Et les drapeaux s'inclinent. Pour les fils 
        des vaincus de Waterloo, c'est un beau jour. 
         
        Mais la guerre est loin d'être terminée. Il faut aller camper 
        à Balaklava (  C'est à 
        Balaklava que nos Chasseurs d'Afrique recueillent les survivants de la 
        célèbre Brigade légère britannique qui a chargé 
        héroïquement. " C'est magnifique, mais ce n'est pas la 
        guerre " dira le général Bosquet.). 
         
        Pour le maréchal, l'agonie commence. Le 25 septembre, il remet 
        son commandement au général Canrobert et rédige une 
        proclamation à l'armée. 
         
        Au moment où on lit le texte aux soldats, Saint-Arnaud est presque 
        un cadavre. 
         
        On le charge dans une voiture escortée de spahis et on le conduit 
        à Balaklava. Pendant une halte, il aperçoit les Zouaves. 
        Ses yeux s'illuminent un instant. II leur tend la main... 
         
        On va l'embarquer sur le navire le " Berthollet ". Il passe 
        à terre une nuit affreuse et on le calme avec une potion. Le lendemain 
        on le dépose dans sa cabine et le navire glisse sur l'eau calme. 
        Les derniers mots qu'il prononce sont: " L'Empereur! Louise, ma 
        pauvre Louise... ! ". 
         
        Le grand soldat est mort. 
         
        Quinze jours plus tard, le corps arrive à Paris. Il est venu rejoindre 
        son vieux chef d'Afrique, Bugeaud, duc d'Isly. 
      o 
      Bibliographie: 
        - Louis BERTRAND, Le maréchal de Saint-Arnaud, 1941. 
        - Le maréchal de Saint-Arnaud, Quatrelles, L'épine, 1929. 
        - Bois Jean-Pierre, Bugeaud, 1997. 
        - JULIEN Ch. André, Histoire de l'Algérie contemporaine, 
        1964. 
        - MARTIN Claude, Histoire de l'Algérie française, 1963. 
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