sur site le 31-08-2003
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L'Armée d'Afrique : Les Spahis en Algérie
GLOIRE DES SPAHIS

auteur : Colonel Yves JOUIN
Historia magazine, la guerre d'Algérie, n°203 (10)

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-------Le corps expéditionnaire du maréchal comte de Bourmont, débarqué le 14 juin 1830 à Sidi-Ferruch, comprenait 37 000 hommes des troupes métropolitaines, dont 31 000 fantassins, des artilleurs, des compagnies du génie, avec un important matériel de siège et trois escadrons de cavalerie légère fournis par les 13e et 17e chasseurs à cheval.
-------Les difficultés rencontrées pour le transport des chevaux et du fourrage expliquent cette situation qui rendit difficile l'exploitation du succès après la prise d'Alger, le 5 juillet, et le maintien de la sécurité autour des différentes têtes de pont de Bône et d'Oran.
-------Aussi, dès octobre 1830, le général Clauzel, successeur du maréchal de Bourmont, accepta les services des spahis en majorité d'origine turque, qui, avant l'arrivée des Français, constituaient l'essentiel des troupes montées du dey d'Alger.
-------À ces derniers se joignirent des éléments locaux, comme les volontaires à cheval, qui formèrent le corps auxiliaire des chasseurs indigènes, rattachés aux zouaves et chasseurs d'Afrique.
-------Mais bientôt toutes ces formations disparates furent confiées au célèbre Yousouf ou Yusuf , cet Italien de l'île d'Elbe, enlevé par les corsaires barbaresques, élevé à la cour du bey de Tunis et passé au service de la France en 1830.

-------Yousouf et Marey-Monge, noms légendaires pour tous ceux qui furent cavaliers d'Afrique

-------Cet intrépide cavalier, qui finira son extraordinaire carrière militaire en 1866 comme général commandant la division de Montpellier, rude sabreur et fin politique à la fois, mit ses spahis au premier rang de la cavalerie d'Afrique en les faisant participer à toutes les colonnes sous les ordres d'officiers français et indigènes particulièrement choisis. Le nom de Yousouf est inséparable des premiers exploits des spahis. Il fut le véritable créateur de ce corps d'élite, le forma à son image et lui communiqua cette ardeur héroïque, cet esprit aventureux dont la tradition allait se conserver pendant cent trente-deux ans sur tous les champs de bataille de l'armée française.
-------Il convient également de ne pas oublier le lieutenant-colonel Guillaume Marey-Monge, qui, en sa qualité de père des escadrons de chasseurs algériens des zouaves, se vit confier le commandement du premier groupement de spahis, à Alger, en septembre 1831, après la promulgation de la loi autorisant la levée hors du territoire national de corps militaires composés d'étrangers.

-------C'est en 1841 que la cavalerie d'Algérie, cessant d'être un corps auxiliaire, fut intégrée dans l'armée régulière.
-------Et en juillet 1845, une ordonnance royale créa le 1er spahis (province d'Alger), le 2è spahis (province d'Oran), le 3è spahis (province de Constantine).

-------Mais il fallut attendre décembre pour que la cavalerie d'Algérie perdît son caractère d'auxiliaire pour être intégrée dans l'armée régulière.
-------Quatre ans plus tard, en juillet une ordonnance royale crée trois régiments de spahis à l'aide des vingt escadrons du colonel Yousouf : le 1er dans la province d'Alger, le 2e dans la province d'Oran, le 3e dans la province de Bône.

-------Burnous au vent, les spahis rappellent les cavaliers d'Abd el-Kader, montés sur leurs petits chevaux arabes. Leur tenue est une des plus belles des régiments d'Afrique.
-------Burnous rouge ou bleu sombre, guennour (turban) immaculé, ils montent sur de petites selles arabes, en cuir souvent brodé.

-------Parmi les grands noms inséparables de la gloire des spahis Joseph Vantini, dit Yousouf, Italien enlevé par des
pirates, élevé par le bey de Tunis et qui rallie la France en 1830; Marey-Monge et Bournazel, tué au Maroc dans sa tunique rouge de spahi.

-------Dès cette époque, les nouvelles formations vont participer davantage encore à l'achèvement de la conquête, puis à la pacification de l'Algérie.
-------Auparavant, les unités de spahis des différentes provinces s'étaient distinguéesdans de nombreuses circonstances et, en particulier, celles de la région de Bône, à Constantine en 1836 et 1837, aux Portes-de-Fer en 1839 et à Collo en 1843; celles de la région d'Oran à la bataille de l'Isly, en 1844 ; enfin, celle de la région d'Alger à la prise de la smala d'Abd el-Kader, en 1843.

Représentés dans l'armée impériale

-------Mais si les régiments de spahis restent stationnés en Algérie jusqu'au début du XXè siècle, ils n'en participent pas moins à presque toutes les campagnes de l'armée française hors d'Afrique du nord : en Europe, en Afrique, en Extrême-Orient.
-------Pendant la malheureuse guerre francol-prussienne de 1870-1871, les trois régiments de spahis furent représentés dans les rangs de l'armée impériale comme dans ceux des troupes levées par le gouvernement de la Défense nationale sur la Loire ou dans l'Est.

pour "eux" paix veut dire aussi pacification

-------Ils vont également participer à l'expansion coloniale de la IIIè République sur tous les continents
-------L'établissement du protectorat français dans la Régence marque une nouvelle étape dans l'histoire des spahis avec la création, le 1er octobre 1886, d'un 4è régiment, à l'aide des trois escadrons locaux levés dès le début de l'occupation.

1923 : première garnison en Europe

-------C'est à ce moment que les appellations des unités correspondront à leur recrutement et ainsi vont exister trois régiments de spahis algériens (R.S.A.) et un régiment de spahis tunisiens (R.S.T.).
-------L'Algérie pacifiée, la Tunisie occupée et la conquête de notre empire colonial terminée, l'armée d'Afrique va connaître une période de calme jusqu'en 1907.
-------Après la signature. du traité de protectorat à Fez, en 1912, la cavalerie d'Afrique se renforce de dix escadrons de spahis marocains issus des tabors montés du sultan du Maroc et encadrés en partie, à leur formation, par des gradés algériens.
-------Deux ans plus tard le déclenchement de la première guerre mondiale va provoquer un nouvel accroissement de l'effectif de nos cavaliers d'A.F.N.
-------Après la guerre 1914-1918, l'activité opérationnelle des spahis va se poursuivre encore longtemps.
-------Pendant les vingt années qui séparent les deux conflits mondiaux, leurs régiments vont participer à toutes les opérations menées au Maroc et au Levant.
-------En 1921, l'ordre de bataille des spahis était le suivant
-------En Algérie : les 1er, 2è, 3è, 5e et 6è spahis algériens ;
-------Au Maroc : les 7e, 8è , 9è spahis algériens
et le 22e spahis marocains ;
-------Au Levant : le 21e spahis marocains (ex
régiment de marche de spahis marocains) et le 11è spahis mixte ;
-------En Tunisie : le 4e spahis tunisiens.

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En 1923, pour la première fois de leur histoire, des spahis vinrent tenir garnison en Europe avec la constitution de deux brigades : la 1ère (5è et 6è spahis), stationnée en Allemagne ; la 2è (7e et 9è spahis), stationnée dans la vallée du Rhône à Orange et à Vienne.

-------En 1924, le 23è spahis marocains est formé au Maroc tandis qu'au Levant en janvier 1929, le 12è spahis tunisiens succède au 11è spahis. Les graves événements de 1925: guerre du Rif au Maroc et révolte druze en Syrie vont donner l'occasion à nos cavaliers d'Afrique de montrer leurs incomparables aptitudes à combattre sur des théâtres d'opérations extérieurs.

Ils passent à la " guerre moderne "


-------Les deux brigades d'Allemagne et de métropole sont dirigées sur le Maroc, où elles prendront une part active à la campagne contre Abd el-Krim jusqu'à la capture de ce dernier, tandis que le 6e spahis verra son chef, le lieutenant-colonel Ving, tomber glorieusement à sa tête près de Damas, le 20 juillet 1926.
-------Cette même année voit la fin des grandes insurrections en Afrique du Nord et au Proche-Orient, ce qui provoque un nouveau déploiement des unités d'Afrique qui restera pratiquement inchangé jusqu'au début de la seconde guerre mondiale.

-------En janvier 1929, les régiment spahis marocains deviennent respectivement les 1er, 2è, 3è et 4è R.S.M.
------- Jusqu'en mars 1934, les unités du Maroc vont participer aux dernières opérations de pacification. On les trouve au djebel Sagho, en 1933, où l'un des leurs, le capitaine Henri de Bournazel, trouve une mort glorieuse revêtu de sa veste rouge de spahi à la tête de supplétifs marocains ; dans le Grand Atlas et jusqu'aux confins du désert, dans l'Anti-Atlas, où va se terminer un siècle de combats en Afrique du Nord. Hélas ! la trêve sera de courte durée après l'instauration du régime nazi en Allemagne et l' aggravation continuelle de la situation internationale.

 

--------Pendant les six années qui vont suivre, les spahis - ceux de France comme ceux d'Afrique du Nord - se prépareront à remplir leurs missions dans le cadre d'une guerre moderne.
-------À la mobilisation de septembre 1939, plusieurs groupes de reconnaissance divisionnaires sont constitués à l'aide d'élélments de spahis en France, en Afrique du nord et au Levant.

-------En outre vont participer à la campagne de France de mai-juin 1940 lesdeux brigades de métropole et une 3è formée en Afrique du Nord.
-------Cette dernière, qui comprenait le 2è R.S.A. et le 2e R.S.M., va, en se sacrifiant au cours d'un combat sans espoir à La Horgne, ajouter à l'histoire des spahis une page d'héroïsme, que nous croyons devoir évoquer plus longuement.

-------Le 13 mai, après la percée du front à Sedan, les panzers de Guderian foncent vers l'ouest et nos troupes sont rejetées, au nord, sur la Meuse et, au sud, sur la route du Chesne.

La Horgne, 15 mai 1940

-------Dans l'intervalle s'ouvre, entre la IXe et la IIe armée française, une brèche de huit kilomètres où, le 14, s'établit la 3e brigade de spahis (2e R.S.A. et 2è R.S.M.), placée sous le commandement du colonel Marc. Des renforts sont attendus avant le 15 mai au soir, mais il faut tenir jusqu'à leur arrivée en organisant un centre de résistance dans le village de La Horgne, au milieu de la trouée, entre Poix-Terron et Baâlons.
-------Après cinq jours de combats en Belgique et sur la Meuse, les effectifs sont déjà fortement entamés. -------Pour la brigade entière, ils ne dépassent pas la valeur d'un régiment avec des moyens antichars encore plus restreints.
-------La position, dans un pays vallonné et couvert, se réduit au village de La Horgne, qui commande plusieurs routes sur l'un des axes de marche de l'ennemi.
-------En toute hâte, des barricades doublées d'abattis sont construites aux carrefours tandis que tous les chevaux et bagages sont dirigés sur l'arrière.
-------Dès le 15 mai au matin, le contact est pris par des éléments légers de la
1ère panzerdivision, qui va être obligée d'engager la plus grande partie de ses moyens pour venir à bout de la résistance de nos cavaliers nord-africains.
-------Utilisant au mieux leurs trois canons antichars, les spahis stoppent dans la matinée deux contre-attaques appuyées par des blindés, mais la faiblesse de nos moyens et l'importance de nos pertes rendent vite la lutte inégale. Dans l'après-midi, la 3e brigade est encerclée et, malgré l'incendie du village, les combats vont se poursuivre au corps à corps dans chaque maison et autour du cimetière.
-------En fin d'après-midi, après la destruction de leurs engins antichars et l'épuisement de leurs munitions, une cinquantaine de survivants du 2e R.S.A., sous les ordres du colonel Burnol, essaient de s'ouvrir un passage les armes à la main. Comme beaucoup d'autres, le colonel tombe en combattant après avoir réussi à dégager une partie de son détachement.

Ils ont eu aussi leur "Camerone": la Horgne

-------Pendant ce temps, l'étau ennemi se referme sur les Marocains, dont le chef, le colonel Geoffroy, est à son tour mortellement frappé en organisant une ultime résistance.
-------À 17 heures, les Allemands occupent les ruines fumantes de La Horgne après avoir payé chèrement leur " conquête " de la perte de douze chars et d'une centaine d'hommes.
-------En se sacrifiant presque totalement, la 3e brigade de spahis avait rempli sa mission en empêchant, pendant une demi-journée, la progression des éléments blindés ennemis.

À la libération de Paris et de Strasbourg

-------L'arrêt des hostilités va provoquer le retour des spahis en Afrique du Nord. Là, ils se reformeront, le plus souvent dans la clandestinité, et se prépareront à recommencer la lutte dès que les circonstances le permettront.
-------Le débarquement allié du 8 novembre 1942 permet à l'armée d'Afrique tout entière de reprendre sa place dans le conflit. Après la campagne de Tunisie de 1942-1943, où nos troupes combattront avec les seuls moyens dont elles disposaient organiquement, sept régiments de spahis, entièrement motorisés et blindés, participeront aux campagnes de la Libération de 1944-1945
-------1. Avec le corps expéditionnaire français en Italie du général Juin
-------a) le 3e R.S.A., régiment de reconnaissance de la 3e division d'infanterie algérienne (3e D.I.A.) ;
-------b) le 3e R.S.M., régiment de reconnaissance de la 2e division d'infanterie marocaine (2e D.I.M.) ;
-------c) le 4° R.S.M., régiment de reconnaissance de la 4e division marocaine de montagne (4e D.M.M.).

-------2. Avec la 1ère armée française du général de Lattre:
-------ces mêmes unités avec, en plus, le 2e R.S.A. de la 1è division blindée et le 1er R.S.A., qui opérera dans les poches de l'Atlantique.

-------3. Avec la 2e division blindée du général Leclerc
-------le 1er régiment de marche de spahis marocains, qui aura la fierté de libérer Paris et Strasbourg après avoir combattu sans arrêt, depuis 1941, en Erythrée, en Tripolitaine et en Tunisie avec les Forces françaises libres.

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Enfin, au cours de l'hiver 1944-1945 fut reformée la 1ère brigade de spahis avec deux régiments à cheval : les 7e R.S.A. et 5e R.S.M., pour tenir garnison dans l'est et le sud-ouest de la France.

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Le 6 mai 1945, jour de la capitulation de l'armée allemande, ce même régiment atteindra le col de l'Arlberg et les spahis, comme en 1918, auront été parmi les principaux artisans de la victoire.

-------Après la fin de la seconde guerre mondiale, quelques régiments de spahis entrent dans la composition des divisions stationnées en Allemagne et en métropole avant de rejoindre successivement leurs garnisons d'Afrique du Nord.

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Le 7e groupe de spahis algériens est créé à Senlis où il constituera, jusqu'à sa dissolution en 1962, la dernière unité à cheval de l'armée française.

-------Le nombre et la composition des corps de spahis varieront en fonction des besoins du théâtre d'opérations d'Extrême-Orient. S'adaptant aux missions les plus diverses, les spahis comprendront des unités à pied, montées, portées ou blindées.

-------Dès la fin de 1945, des escadrons de spahis débarquent en Indochine avec le corps expéditionnaire du général Leclerc.

-------En 1947 est créé le régiment de marche de spahis d'Extrême-Orient, qui deviendra bientôt le 2e R.S.M. qui prendra part à de nombreuses opérations comme troupe à pied ou blindée.

-------En 1949, seront dirigés sur l'Indochine les 5e et 6e spahis, puis le 8e algériens. Ils seront employés, le premier en Cochinchine et au Cambodge, les deux autres en Annam et au Tonkin.

Depuis 1962 un régiment maintenu

-------Après la signature des accords de Genève de 1954, les spahis seront rapatriés en Afrique du Nord, où ils tenteront, jusqu'en 1962, de maintenir la présence française sur cette terre qui avait vu naître leur corps plus d'un siècle auparavant.

-------La fin de la guerre d'Algérie va provoquer la disparition des unités nordafricaines.

-------Seul a été maintenu jusqu'à ce jour le 1er régiment de spahis marocains en sa qualité d'héritier des régiments de marche de spahis des deux guerres mondiales et de nos campagnes d'outremer.

-------Cité cinq fois à l'ordre de l'armée en 1914-1918, deux fois en 1940-1945, trois fois en Extrême-Orient, décoré de la croix de la Libération et du mérite militaire chérifien, son étendard porte des noms prestigieux.

Colonel Yves JOUIN