Arts divers en Alger et en Algérie

Le peintre DINET
Son oeuvre

LE PEINTRE DINET

" Grâce à lui, dit M. Arsène Alexandre, nous connaissons et aimons ces gracieuses petites créatures qui fleurissent à l'entrée du désert, nous interrogeons ces visages dramatiques ou graves, qui nous mettent en communication avec le Coran... "

Certes, le peintre Dinet, qui décrit avec une précision que revêt la couleur la plus brillante, les plus belles formes et les plus intenses expressions des êtres, est bien l'un des artistes qui ont le mieux pénétré la mystérieuse âme musulmane. Il s'est assimilé la littérature et la poésie arabes et, tout comme ses graves personnages, croit même au Coran, la parole d'Allah incréé, c'est-à-dire existant de toute éternité et transmise par l'ange Gabriel à Mohamed, choisi pour la révéler en Arabie, au VIIéme siècle de notre ère.

L'éminent artiste, dont l'orientalisme n'est pas simplement pictural, s'est, en effet, converti à l'Islam et a pris, en faisant profession de foi, le nom de Nasr-eddin, " défenseur de la religion musulmane ". On sait aussi qu'il s'est retiré à Bou-Saâda, où il a accumulé une œuvre considérable, toujours significative et qui s'accroît sans cesse, ainsi que le prouve notre photographie inédite de son prochain tableau.

Or, de cette œuvre a paru un commentaire attrayant par son ami Sliman ben Ibrahim, où nous apprenons que la représentation de la figure humaine n'aurait jamais été interdite par l'orthodoxie musulmane. Seule, d'après cet auteur, le serait la représentation de la divinité sous des traits humains parce que choquante et trop irrévérencieuse.

Voici, d'ailleurs, ce que dit à ce sujet un article paru dans La Renaissance et intitulé " l'Esthétique musulmane remise au point " :
" Dinet est le grand peintre que les Giaours I apprécient à sa haute valeur. Benedite est le président des Orientalistes de toute latitude et de tout poil, si nous osons nous exprimer ainsi. Quant à Sliman ben Ibrahim, qui n'a rencontré dans Paris ce grave et affable lettré arabe qui, à l'encontre des mandarins, nos hôtes, empressés à cacher leur nate et à remplacer leurs belles casaques de soie brodée par un complet homespun ou Elbeuf, arbore noblement son burnous sur lequel brille la croix d'honneur.

*** La qualité médiocre des photos de cette page est celle de la revue. Nous sommes ici en 1922. Amélioration notable plus tard, dans les revues à venir. " Algeria " en particulier.
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TEXTES COMPLETS SOUS LES IMAGES.


Afrique du nord illustrée du 26-491924 et du 7-11-1925 transmis par Francis Rambert
mise sur site : mars 2021

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Le peintre DINET
Le peintre DINET

LE PEINTRE DINET

" Grâce à lui, dit M. Arsène Alexandre, nous connaissons et aimons ces gracieuses petites créatures qui fleurissent à l'entrée du désert, nous interrogeons ces visages dramatiques ou graves, qui nous mettent en communication avec le Coran... "

Certes, le peintre Dinet, qui décrit avec une précision que revêt la couleur la plus brillante, les plus belles formes et les plus intenses expressions des êtres, est bien l'un des artistes qui ont le mieux pénétré la mystérieuse âme musulmane. Il s'est assimilé la littérature et la poésie arabes et, tout comme ses graves personnages, croit même au Coran, la parole d'Allah incréé, c'est-à-dire existant de toute éternité et transmise par l'ange Gabriel à Mohamed, choisi pour la révéler en Arabie, au VIIéme siècle de notre ère.

L'éminent artiste, dont l'orientalisme n'est pas simplement pictural, s'est, en effet, converti à l'Islam et a pris, en faisant profession de foi, le nom de Nasr-eddin, " défenseur de la religion musulmane ". On sait aussi qu'il s'est retiré à Bou-Saâda, où il a accumulé une œuvre considérable, toujours significative et qui s'accroît sans cesse, ainsi que le prouve notre photographie inédite de son prochain tableau.

Or, de cette œuvre a paru un commentaire attrayant par son ami Sliman ben Ibrahim, où nous apprenons que la représentation de la figure humaine n'aurait jamais été interdite par l'orthodoxie musulmane. Seule, d'après cet auteur, le serait la représentation de la divinité sous des traits humains parce que choquante et trop irrévérencieuse.

Voici, d'ailleurs, ce que dit à ce sujet un article paru dans La Renaissance et intitulé " l'Esthétique musulmane remise au point " :
" Dinet est le grand peintre que les Giaours I apprécient à sa haute valeur. Benedite est le président des Orientalistes de toute latitude et de tout poil, si nous osons nous exprimer ainsi. Quant à Sliman ben Ibrahim, qui n'a rencontré dans Paris ce grave et affable lettré arabe qui, à l'encontre des mandarins, nos hôtes, empressés à cacher leur nate et à remplacer leurs belles casaques de soie brodée par un complet homespun ou Elbeuf, arbore noblement son burnous sur lequel brille la croix d'honneur.

Or, en cette année 1322 de l'Hégire, le seigneur Étienne Dinet vient de parachever quelques belles peintures de la vie proche du désert, avec ses belles petites bêtes féminines, parées et tatouées, ses gavroches de l'oasis et ses vieux Arabes tout bronzés et tout ravinés. Ces peintures, que les initiés fervents peuvent aller admirer chez Allard, sont l'occasion d'un assez curieux petit livre, soigneusement édité par Piazza, et dû à la collaboration des trois honorables seigneurs de qui le nom figure en ces lignes : Benedite a fait la préface, Slimane le commentaire et Dinet contribue, par la reproduction de quelques-unes de ses plus saisissantes scènes de la vie africaine. Il serait superflu de redire avec quelle profondeur de psychologie Dinet a rendu en un métier précieux et impeccable, ces âmes nobles ou puériles, religieuses ou passionnées. Aucun de nos adjectifs ne serait nouveau. Mais de la nouveauté, il y en a beaucoup dans les lyriques proses de Sliman, dans les petits poèmes qu'il adapte aux tableaux et surtout dans son introduction.

C'est en effet, pour nos préjugés ou nos ignorances, une grande nouveauté que d'apprendre le goût que peuvent, sans enfreindre la loi, manifester les musulmans pour les images peintes. Jamais, nous affirme ce brave Sliman, jamais, dans le Livre que Dieu fit descendre sur la terre, elles ne furent interdites.
A ce qu'il paraît, ce furent seulement " les Idoles de pierre, que les mécréants entouraient d''une adoration ridicule " que brisa notre " Seigneur Mohamed (sur lui la bénédiction et le " salut) ".

Seules, certaines tentations " ont paru incompréhensibles " à Sliman. " Quelle folie ou quel orgueil a pu pousser l'homme à représenter le Maître des Mondes sous les traits d'un vieillard marqué par les infirmités qu'apportent les années, par ces signes précurseurs de la fin prochaine, les rides et la blancheur de la barbe ?"

Voilà qui est entendu, et les images du " Père Éternel " étant biffées, il y a des accommodements avec les plus purs fidèles. Aussi comme notre poète s'en donne à cœur joie devant les gracieuses représentations des sauvages fleurs de chair que Dinet a modelées, si sveltes et si souples, dans une si chatoyante harmonie ! Pourquoi, dit-il en terminant un de ses commentaires, le Clément, le Miséricordieux m'en voudrait-il d'adorer la Beauté? Pourquoi aurait-il fait nos yeux, s'il nous défendait de nous en servir ? "

Tel est le nouveau point de vue qui surprendra bien des personnes accoutumées à croire que le Coran interdit en propres termes toute reproduction de figures animées et, en particulier, de visages humains.



Le peintre DINET

Le peintre DINETL'ŒUVRE DE M. D1NET

L'Orient ! mot magique évoquant avec intensité les matins merveilleux composés de bleu et d'or, les splendides ruissellements de soleil, les parfums les plus subtils se répandant dans l'air rempli de mystère aux heures où, nourris de musique et d'amour, les corps alanguis reposent mollement sur les étoffes précieuses et rares. Mot redoutable aussi pour ceux qui se sont donné pour tâche d'observer et peindre la nature. Cet Orient tissé de lumière aveuglante, d'horizons flamboyants, mélange curieux de mélancolie, de lassitude et de vie généreuse et puissante n'apparaît plus, quand il est traduit par des peintres a qui le métier a développé le talent et non le génie, que comme une pochade, un fantôme des choses, une arlequinade ou une mystification de rapin.
Il y a dans cette pure beauté, tour à tour frémissante ou voluptueuse, brutale ou languissante, des harmonies indécises, des heurts de tons, une gamme de couleurs d'une telle étendue et d'une telle complexité qu'il semble impossible, au premier abord, de la rendre avec exactitude sans nuire profondément à la richesse de l'expression.

Et pourtant combien s'y sont essayés ! combien ont été tentés par celle incomparable nature ! Beaucoup n'ont pas réussi car la difficulté de l'épreuve a eu le don d'éliminer les médiocres en les décourageant. Par contre que de dons a-t-elle développés et parfaits ! M. Dinet s'est spécialisé dans la recherche du caractère et du mouvement orientaux. Il a donné à son inspiration une forme de réalisation saisissante qui, loin de nuire à ses œuvres, les dore au contraire d'un charme. Aussi a-t-il rendu la vie comme on n'y avait point atteint avant lui et ce avec, une sensibilité et une exactitude qui dénotent les moyens débordant d'un immense talent qui fait demeurer M. Dinet un artiste sincère, d'une forte personnalité, en opposition avec toute école, toute influence, toute banalité.
Depuis longtemps l'Orient des mosquées, des minarets et des sultanes voilées avait attiré M. Dinet. Il s'y est donné tout entier et l'on sait quelle vie palpite dans ses tableaux, quelle flamme et quelle inspiration ont guidé sa main. II n'est jusqu'à cet orient âpre, nu et fauve, celui duquel se dégage la poésie violente du désert, de la montagne inaccessible et abrupte, du frais oasis, calme et vert, qui ait tenté ce talent divers, procédant spontanément de la vision et du sentiment, gagnant à cette énonciation directe une intensité et une fraîcheur inséparables du premier jet. Sans doute l'artiste ne s'arrête pas où la difficulté commence. La profondeur des exécutions ne déçoit pas et si les chefs-d'œuvre parlent d'eux-mêmes, le Baiser dans la Nuit devant lequel on s'est incliné a trouvé sa place au Musée du Luxembourg. Et c'est justice ! Ce tableau n'est pas de l'imagerie, mais une véritable féerie de couleurs, une création rénovant, si l'on peut dire, les forces créatrices et les orientant vers des buts nouveaux, une émanation personnelle qui met en lumière, dans son rayonnement le plus éclectique, l'ensemble des œuvres de M. Dinet.

Le caractère de la peinture moderne, on le sait, réside en son émotion... cette émotion doit donc, en principe, accuser une pensée, un geste, résister au convenu, au factice et éveiller, par la vérité reproduite, avec fidélité et force, la sensation nouvelle qui dépasse le rendu. Il est compréhensible dans ce cas que l'expérience doit formellement régir l'originalité. La peinture orientaliste relève d'une responsabilité technique et surtout d'une documentation précise sans laquelle toute reproduction n'apparaîtrait que comme un pâle reflet, une copie incertaine noyée dans la brume d'une conception où s'enclosent des erreurs ou des altérations. - Au contraire de ce qui se passe pour la peinture moderne, le rêve, quand il s'agit de scènes ou de personnages orientaux doit se borner à l'exactitude du cliché. La ressemblance avec la vie offre ici les bases d'un jugement et c'est ce que M. Dinet a compris parfaitement. Dans Mirages (tableaux de la vie arabe), il a associé son talent avec la documentation de M. Sliman ben Ibrahim Ramer. Et de cet heureux mariage ne pouvaient sortir que des œuvres tour à tour délicieuses, fortes, précises, toutes d'une exécution pittoresque à laquelle il faut joindre les qualités bien françaises de fraîcheur et de spontanéité.

Nous croyons être agréables à nos lecteurs en leur donnant la préface que M. Sliman ben Ibrahim Ramer a écrite pour les Mirages.
Le Sahara, sultan des vagues de la lumière, a disparu bien loin de mes regards ; l'humidité des flots bleus a glacé mes membres, puis le noir océan des fumées et des brouillards du Nord a recouvert mon cœur d'un burnous de deuil.
Comment des créatures humaines peuvent elles supporter la vie en ce sombre tombeau ! Enfant du désert limpide, comment pourrais-je jamais m'y résigner ?
Mais, peu à peu, mes yeux se sont habilités à l'obscurité ; à travers les nuages de la brume, ils ont découvert les portes de palais merveilleux, généreusement ouvertes devant eux : ils y ont pénétré et ont pu jouir des trésors auprès desquels les coffrets d'Haroun-el-Rachid ne contenaient que pauvreté.
Bien mieux, pendant leur excursion de visiteurs dépaysés, ils ont tout à coup retrouvé leur route en voyant briller sur les murs de ces palais la lumière de leur pays, enfermée dans des cadres précieux, suspendus comme les vers du poète arabe vainqueur étaient suspendus dans le temple de MekKa.

Mon cœur a voulu s'échapper de ma poitrine pour se réchauffer à ces rayons amis...

Hélas ! Ce n'étaient que des mirages trompeurs habilement brodés sur de la toile...

Merci quand même, ô Peintres, qui avez su arrêter les rayons fugitifs du soleil on de la lune, ou fixer les regards plus fugitifs encore, de la jeune fille timide comme la gazelle.

O peintres, vous me semblez posséder deux âmes en un seul corps : j'en juge par ceux qui furent contemporains de mes ancêtres.
L'une de ces âmes fut nécessaire à leur existence et quitta ce monde en même temps qu'eux ; mais l'autre a subsisté. Elle demeure visible dans les yeux et sur les lèvres des personnages qui habitent leurs tableaux, et cette âme doit rapporter à sa sœur disparue les souvenirs compatissants qui lui sont adressés par les générations présentes.

Merci à vous, qui avez adouci les heures amères loin du pays, en m'y transportant d'un clin de l'œil, comme sur le tapis magique de Notre Seigneur Soliman.
Merci à vous d'avoir ainsi comblé ma curiosité, en me faisant connaître les contrées où mes pieds ne m'avaient pas conduit, et les héros du passé dont les livres seuls m'avaient parlé.
M. Sliman Ben Ibrahim Bamer exalte ensuite l'art pictural, mais des bornes lui semblent nécessaires. Écoutons-le :
Seules, certaines tentatives m'ont paru incompréhensibles, car elles démontrent d'une façon, évidente combien sont étroites les bornes de l'imagination de l'homme.

Quelle folie ou quel orgueil a pu le pousser à représenter le " Maître des mondes " sous une, forme semblable et la forme périssable qu'il en avait reçue ? Sous les traits d'un vieillard marqué par les infirmités qu'apportent les années, par ces signes précurseurs de la fin prochaine, les rides et la blancheur de la barbe.
Le Créateur est éternel, c'est dire qu'il ne peut être ni jeune ni vieux. Il est l'Infini, et dans quel cadre espérez-vous encadrer l'Infini ? Il est l'Inimaginable et nos sens ne peuvent percevoir quoi que ce soit de sa nature.
A un athée qui le plaisantait sur sa croyance en un Être suprême qu'il n'avaitt jamais vu, un

croyant répondit : " Demain, au milieu du jour, : je te ferai voir Celui dont tu nies l'existence ".

Et le lendemain, l'athée étant venu rappeler au croyant sa promesse, ce dernier, lui saisissant brusquement la tète, dirigea ses yeux vers le soleil au zénith.
Aveuglé, l'athée se détourna vivement et le croyant lui dit : " Comment ! tu désires contempler l'éclat du Maître des mondes et les yeux débiles ne peuvent pas supporter un instant cette faible lueur qui est la moindre de ses créations ? "

Celle impuissance est la vraie cause, pour laquelle jamais nos écrivains n'ont cherché à donner de formes à la Divinité, et pour laquelle les miniaturistes de l'Islam n'ont jamais songé à la représenter.

Pardonnez à celui qui vient seulement de quitter sa tente de laine pour la Ville des Palais, centre dun monde de l'intelligence, s'il ose formuler une critique de ce genre.

Son excuse est dans sa sincérité, qui seule peut apporter quelque intérêt à l'essai qu'il va tenter ici, en évoquant les souvenirs de son pays et de ses coreligionnaires.

Que Dieu le conserve dans le droit sentier.
Sl.lMAN BEN IBRAHIM BAMER

On voit quelle sensibilité, quel amour du pays, quel mysticisme et quelle reconnaissance se dégagent de ces lignes. En penseur profond M. Sliman ben Ibrahim Bamer rend hommage à ceux qui, par la beauté de leur art insufflent la vie ardente " aux personnages qui habitent leurs tableaux " et tout, en s'appuyant sur la tradition, prennent sans léser l'art moderne, leur vol vers le Beau et vers l'Inédit.