Le contexte artistique à Alger dans les années 1840-1850
Marion Vidal-Bué

extraits du numéro 105, mars 2003, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
mise sur site le 26-6-2010

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Le contexte artistique à Alger dans les années 1840-1850
Marion Vidal-Bué

Nous sommes à Alger dans la première moitié du xixe siècle, entre dix et vingt ans après la prise de possession de la ville par les Français. Laissant la ville ancienne de la Casbah à ses habitants historiques, ceux- ci ont établi le centre de leurs activités autour de ce qui deviendra la place du Gouvernement après 1848 et qui est
d'abord pour eux la place Royale, gagnée sur un terrain vague dominant la mer, devant l'ancien palais turc de la Djenina et le long de la mosquée de la Pêcherie. L'imposante statue équestre du duc d'Orléans y est érigée en 1845, elle restera en place après la chute de la monarchie de Juillet, devenant un symbole pour les uns, un point de ralliement pour les autres (" la place du cheval! "). Dans un " indissoluble mélange de la vie occidentale et de la vie arabe ", toutes les populations s'y mêlent, depuis les paysans en burnous venus du bled jusqu'aux militaires français, les petits yaouleds portant la chéchia rouge offrant leurs services à tous les passants. Selon la plaisante description de Gabriel Esquer (ESQUER (Gabriel), Alger et sa région, Guide Arthaud, 1957, p. 45.) " Le chapska des chasseurs d'Afrique voisinait avec le bicorne des gendarmes. On y voyait des Espagnols, des Maltais, des Napolitains, des Juifs, des Mahonnais, des fashionables à la culotte de nankin, et au chapeau tromblon. L'aprèsmidi, on y rencontrait des Italiennes aux robes de couleurs crues, des Espagnoles avec la mantille, des Juives coiffées du sharmah pyramidal, des Mauresques dans des tissus immaculés, quelques lorettes aussi, mises à la mode de Paris ".

Tout naturellement, ces Européens d'origine si diverses reproduisent dans la capitale de la " Province d'Afrique " leur mode de vie traditionnel et ils construisent, en bordure de cette place appelée à constituer le coeur de leur vie sociale, les premiers beaux immeubles de style Louis-Philippe. En tout premier lieu celui du capitaine marquis de La Tour du Pin, où les autorités organisent jusqu'en 1848 leurs réceptions mondaines et qui devient par la suite l'hôtel de la Régence avec son célèbre café, très apprécié pour les rendez-vous de la société la plus huppée qui s'y retrouve pour converser et traiter des affaires, comme un peu plus tard le très sélect café d'Apollon, ou la librairie Bastide (La librairie Bastide devient ensuite Bastide-Jourdan. Dubos s'installe quelque temps après, rue Bab-Azoun.), première ouverte à Alger et sorte de cercle intellectuel où l'on peut s'entretenir du mouvement littéraire parisien.

Bien des témoignages écrits nous permettent d'imaginer cette époque, mais si l'on connaît généralement bien l'abondante littérature des écrivains romantiques, l'on découvre avec infiniment de plaisir les œuvres picturales nous restituant visuellement des scènes de la vie algéroise peu de temps après la conquête, d'autant plus passionnantes qui elles sont rares.

Remarquons à ce propos que si la littérature joua un grand rôle dans le devenir artistique d'Alger, les écrivains qui mirent la ville à la mode étaient souvent liés à des peintres, lorsqu'ils ne dessinaient pas eux-mêmes. L'on sait avec quel talent Théophile Gautier assura dans ses chroniques la promotion des artistes " africains ", après son voyage de l'été 1845, et à quel point ses souvenirs de voyages furent rédigés comme autant de tableaux littéraires.

On admire les récits algériens d'Eugène Fromentin, arrivé pour son premier séjour en 1846, autant que ses célèbres scènes de chasseurs, de cavaliers ou de bédouins dans le Sud. Mais l'on se souviendra également que la même année 1846 vit débarquer Alexandre Dumas père et fils, parachevant un voyage en Espagne par une croisière le long des côtes africaines sur le " Véloce ", invités à résider à Alger dans la villa du colonel Yusuf, et qu'ils étaient accompagnés de plusieurs peintres, dont Eugène Giraud qui composa notamment, d'après ses croquis de voyage, les " Femmes d'Alger, intérieur de cour ", du musée des Beaux- Arts de Tours, et Louis Boulanger dont certains dessins exécutés à Constantine au cours de leur périple figurent dans les collections du musée des Beaux-Arts d'Alger (Ces dessins furent offerts au musée en 1919 par le baron Arthur Chassériau, neveu et légataire de Théodore Chassériau.
).

Les frères Goncourt, alors tout jeunes hommes, séjournèrent à Alger durant un mois, fin 1849. Hésitant encore entre peinture et littérature, Jules de Goncourt y fit une série de dessins et d'aquarelles. Dans une lettre " débordant de juvénile enthousiasme " citée par Georges Marçais, il affirmait à son ami Paul Passy : " Décidément, mon cher, il y a deux villes au monde: Paris et Alger; Paris, la ville de tout le monde; Alger, la ville de l'artiste " (MARÇAIS (Georges), Pages retrouvées, les Goncourt à Alger, cité par Émile Gaudissard, in Alger Barbaresque, Alger, imprimerie Baconnier.). C'était bien l'avis de Gautier, lui qui proclamait en louant les artistes algérois " Alger est l'Athènes de l'Afrique; c'est la ville du goût barbare, et les modes y reçoivent leur consécration " (GAUTIER (Théophile), Voyage en Algérie, Paris, La Boîte à Documents, 1997, p. 5 1.). La vocation littéraire des futurs arbitres de la vie intellectuelle et artistique parisienne s'affirma avec le récit de leur expérience algéroise, ainsi que le remarquait Charles Taillard : " Les vingt pages de souvenirs des frères Goncourt sur leur séjour à Alger sont toutes en tableaux. Tous les détails sont exacts, ils sont même précis. Ils admirent volontiers " ( Charles Taillart, vice-recteur de l'Académie d'Alger publie L'Algérie dans la littérature française, Paris, Librairie ancienne Édouard Champion, 1925. Les Goncourt font paraître leurs Notes d'art à leur retour d'Alger.).

Les premiers artistes installés dans la ville puisent en partie leur matière au contact de la bonne société d'origine européenne, qui n'a de cesse de recréer les usages de la vie métropolitaine et organise rapidement une vie sociale, principalement orchestrée par les autorités civiles et militaires. Il s'agit parfois d'évènements mondains, tels les réceptions privées ou officielles, les soirées au théâtre et les bals donnés par le gouverneur ou le maire, qui rassemblent " fonctionnaires civils et bourgeoisie d'affaires ", officiers " venus entre deux campagnes goûter le charme de la ville " (Lire à ce propos Marc Baroli, La vie quotidienne des Français en Algérie, Paris, Hachette, 1967 - Réédité par L'Harmattan, 1992, sous le titre Algérie, terre d'espérance, Colons et immigrants (1830-1914).), membres éminents du clergé, et ces " colons en gants jaunes et chapeau de soie " ( Lire Balzac et l'Algérie, Documents Algériens n° 52, mars 1951, publiés par le Gouvernement général de l'Algérie.) dont tout un chacun connaît l'importance. Les peintres reçoivent à l'occasion des commandes de portraits, dans ces réceptions où les épouses françaises et les femmes juives des familles en vue se mêlent aux chefs arabes ralliés à la France, en grande tenue. Ces derniers, selon les récits de l'époque, participent fort peu aux divertissements, mais rehaussent l'éclat des soirées " ajoutant à l'aisance élégante de l'Europe ", " la magnificence orientale " ( Journal de l'Expédition des Portes de Fer, Paris, Imprimerie Royale, 1844, p. 72).

On découvre un exemple très parlant de l'un de ces bals, avec l'une des gravures exécutées par Auguste Raffet, pour le Journal de l'Expédition des Portes de Fer, destiné à immortaliser une célèbre campagne du duc d'Orléans aux côtés du maréchal Valée en 1839. En appréciant le très documentaire portrait d'un jeune dandy français en veste puce et cravate noire, posant vers 1848 pour Augustin Régis devant la mosquée de la Pêcherie, l'on se figure volontiers qu'il eût pu côtoyer dans une circonstance officielle l'un des " Huit notables arabes en grande tenue " représentés sur une même toile par Emmanuel-Joseph Lauret en 1854, ou encore ce fier " Cheikh bédouin " campé sur fond de minaret ( Voir reproduction in L'Algérie des Peintres, 1830-1960, Marion Vidal-Bué, p. 26.) par Antoine Joinville, auteur par ailleurs d'une vue d'Alger très évocatrice, exposée au Salon de 1848.

La vie européenne de la cité est ponctuée de temps à autre de grandes célébrations religieuses ou militaires, qui revêtent un faste particulier dans la colonie. Celles-ci fournissent des commandes officielles aux peintres aptes à traiter les tableaux commémoratifs.

Ainsi Ernest-Francis Vacherot, collaborateur d'Horace Vernet, ayant délaissé sa résidence de l'île Saint-Louis à Paris, qui est sans doute le premier à ouvrir son atelier vers 1836-1837, peut-il peindre alternativement des sujets historiques comme " La bénédiction de la ville d'Alger par le clergé en 1836 ", ou " L'Arrivée du maréchal Randon à Alger en 1857" (Tableau appartenant aux collections du Musée national de la Marine, provenant du Musée Franchet d'Esperey, Alger, qui a été exposé en juin 2003 au Musée de la Marine à Toulon. Fernand Amaudiès mentionne Vacherot aîné et Vacherot jeune dans ses Esquisses anecdotiques et historiques du Vieil Alger (éd. A. Barthélemy, Avignon, 1990, pp. 150, 151 et 152). Nous manquons de précisions sur le second.), ou bien un thème allégorique comme " La France conduisant par la main un soldat colon ", tout en proposant aux amateurs privés des scènes tout à fait orientalistes, par exemple un " Marché d'esclaves au Faubourg Bab-Azoun avant la présence française " (Voir reproduction in Alger et ses Peintres, 1830-1960, Marion Vidal-Bué, p. 172.) Vacherot dévoile ces deux dernières toiles au public en 1842 dans le Palais de la Djenina, inaugurant ce que Fernand Arnaudiès considérait
comme " la première exposition particulière à Alger " . L'artiste fera souche dans le pays et son fils, né à Alger et peintre d'histoire également, représentera entre autres sujets " L'Accueil de la population à Leurs Majestés ", lors de la visite de Napoléon III et Eugénie en 1860.

De même, Augustin Régis qui réside sans doute de façon suivie à Alger et se trouve bien introduit auprès des autorités ecclésiastiques, est-il tour à tour portraitiste mondain et auteur de toiles évoquant la vie de la cité avec une précision qui leur confère un grand intérêt documentaire. Elles retracent des scènes de rue typiques, comme celle située " Devant le palais épiscopal à Alger " (Francis Ernest Vacherot, " Bénédiction de la ville d'Alger par le clergé en 1836 ",(coll. particulière), cliché G. Parisot.), ou de grandes manifestations officielles comme cette " Cérémonie de la Fête-Dieu à Alger en 1848 ", tableau initialement placé dans la cathédrale d'Alger et que nous avons eu le bonheur de découvrir conservé dans la collection de l'Archevêché (Le père archiviste de la cathédrale d'Alger ayant contacté l'auteur de ces lignes à la lecture de sa mention du tableau dans Alger et ses Peintres (p. 172), l'oeuvre a pu être photographiée pour l'album L'Algérie des Peintres (p. 58), puis exposée au Fort Saint-Jean à Marseille, en novembre 2003 (Exposition " Parlez-moi d'Alger "). La célébration de la fête religieuse, le 14 juin de chaque année, revêtait un éclat particulier, l'évêque y accomplissant l'office sous un dais écarlate dressé au centre de la place du Gouvernement, entouré du chapitre ecclésiastique, d'une foule de prêtres et de moines agenouillés, de dignitaires et de magistrats, d'officiers et de cavaliers rendant les honneurs, avant d'aller bénir la mer toute proche.

La toile scrupuleuse du peintre biterrois montre en outre les grappes de spectateurs juchés sur les toits des immeubles environnants et même de la mosquée, pour mieux contempler la scène.

Également peintre d'histoire fidèle, Régis est encore l'auteur d'une " Reddition d'Abd-el-Kader le 24 décembre 1847 " ayant appartenu au duc d'Aumale et visible dans les collections du Musée Condé à Chantilly.

Ainsi, le travail ne manque-t-il pas à ces quelques peintres professionnels venus s'établir à Alger dès les premiers temps: ils doivent se montrer suffisamment polyvalents pour traiter les sujets relatifs aux épisodes de la conquête, fixer le souvenir des évènements publics, exécuter les portraits des civils comme des militaires, et surtout pour exploiter la couleur locale en représentant scènes de moeurs et paysages descriptifs qui leur assurent des ventes aux particuliers et le succès lorsqu'ils exposent au Salon de Paris.

Tous les aspects de la vie quotidienne des Algérois retiennent alors leur attention, et comme il est très difficile de pénétrer dans les demeures privées musulmanes ou de faire poser des individus, les scènes de rue leur fournissent l'essentiel du répertoire. Parmi les thèmes habituels, vite devenus répétitifs, les architectures typiques de la ville arabe, avec les maisons blanches à encorbellements soutenus par des rondins de bois, les passages couverts et les cours intérieures à galeries décorées de colonnes et de faïences, les ruelles pentues gravies par de petits ânes et parfois par des dromadaires, mais aussi les porteurs d'eau et les musiciens ambulants, les cafés maures où les hommes fument le chibouk et le narguilé, jouent aux échecs ou au jacquet, les échoppes des artisans et des barbiers, les étalages d'oranges, de légumes et d'épices colorés.
Très représentatif de cette veine " orientaliste ", Emmanuel Lauret est un Toulonnais d'origine, qui va enseigner le dessin au Collège d'Alger. L'année même de son arrivée, 1849, il expose ses tableaux chez le libraire Dubos, rue BabAzoun, et ses sujets nous renseignent sur les centres d'intérêt de l'époque: portraits, études de " types humains ", paysages, et même, vues des ruines romaines de la région de Lambèse dans le Constantinois. Dessinateur fécond, il laisse quantité d'études de personnages arabes ou juifs au crayon et à l'aquarelle, nombre de tableaux de genre et de scènes de vie quotidienne mettant en valeur avec beaucoup de charme et d'imagination les beautés algéroises sur leur terrasse, dans leur intérieur, ou dans les ruelles de la Casbah. Son frère cadet, François Lauret, le rejoint bientôt pour peindre, comme lui, moeurs et paysages. Tous deux résident longuement à Alger. Plusieurs autres peintres dont les noms nous sont conservés viennent, comme Lauret, professer le dessin au Collège d'Alger, ainsi Célestin Liogier, artiste d'inspiration classique, Gustave-Désiré Bournichon, architecte et peintre nantais, ou André Durand, qui participa comme dessinateur à la publication de L'Exploration scientifique de l'Algérie. Ces artistes éprouvèrent bientôt le besoin de se regrouper avec les élites locales pour développer l'enseignement artistique dans la ville et créer des collections susceptibles " d'éveiller et de développer chez les Algériens le goût du vrai et du beau ". Ainsi naquit la Société algérienne des Beaux-Arts, qui devait fonder un embryon de musée et offrir des cours libres d'accès.

Lauret, Bournichon, Liogier et Vacherot, ainsi que le très actif sculpteur Victor Fulconis, auteur de maints bustes de personnalités et décors de monuments publics, sont à l'origine de cette fondation qui joue un rôle tout à fait déterminant dans le développement de la vie artistique à Alger. La Société ceuvre pour la constitution de collections et leur présentation au public, pour l'éducation de celui-ci, comme pour la conservation du patrimoine algérois en général. Une exposition conjointe à la Djenina en août 1851 constituera son Salon inaugural (ARNAUDIÈS (Femand), Esquisses anecdotiques du Vieil Alger, op. cit., p. 152.). Quelques années plus tard, Hippolyte Lazerges que l'on peut considérer comme l'un des pères de l'École d'Alger, se fera le porte-parole zélé d'une Société des Beaux-arts ayant acquis notoriété et pignon sur rue. Durant des années, c'est dans ses locaux, rue du Marché, que les Algérois trouvent à la fois enseignement artistique et collections publiques, avant que ne soit organisé, en 1908, le Musée municipal.

Les manifestations publiques des artistes restent longtemps bien limitées, faute d'installations adéquates. Ce sont les cafés à la mode qui se chargent d'accueillir sur leurs murs quelques accrochages, les librairies, ainsi que certains photographes, et même des commerces d'antiquités ou des bazars orientaux, qui offrent des vitrines très prisées. Quelques édifices publics se prêtent heureusement à de plus amples démonstrations. Ce sont d'abord les grandes bâtisses construites au temps de la Régence turque, telle la Djenina, ancienne résidence des Deys détruite en 1856, puis le Palais d'Hiver, ancien palais Hassan Pacha où Alexandre Dumas assiste le 1e janvier 1847 à l'investiture du chef kabyle El Mokrani. C'est dans la Djenina, on l'a vu, que Vacherot père organise sa première exposition particulière et que la Société algérienne des Beaux-Arts tient son premier Salon. Le Musée-Bibliothèque, fondé en 1835 par le maréchal Clauzel, accueille notamment des collections de peintures religieuses. Un temps installé dans l'ancienne caserne des Janissaires, transféré dans le palais Dar Aziza, il devient Bibliothèque Nationale sous la conduite de son premier et remarquable conservateur, Adrien Berbrugger auquel nous sommes redevables de L'Iconographique historique de l'Algérie.

Par la suite, le luxueux théâtre conçu par les architectes Ponsard et Frédéric Chassériau, inauguré avec pompe en 1853, permet de mettre en valeur des oeuvres de dimensions importantes. Son grand Foyer donna ainsi asile après 1866 à une immense toile offerte par Napoléon III, une scène de bataille d'un élève de Vernet, Alfred Couverchel (ARNAUDIÈS (Femand), Esquisses anecdotiques du Vieil Alger, op. cit., p. 15 1.).

Il ne faudrait pas omettre, dans ce rapide panorama, les amateurs de talent qui apportent leur contribution sincère à l'élaboration d'une iconographie authentiquement algéroise.

Dès les années 1830, Frances Kenney Bowen, fille du médecin du consulat britannique en poste bien avant l'arrivée des Français (Le docteur Bowen dirigea l'hôpital Maillot à Alger. Frances Kenney Schultze et son époux furent enterrés dans le carré des consuls à Saint-Eugène (cf. Feuillets d'El Djezaïr, septembre 1942)), et membre de cette toute petite communauté européenne composée des représentants des puissances étrangères et de négociants admis à commercer avec la Régence, s'adonnait avec une grande efficacité à la peinture des moeurs et des sites de son environnement immédiat. Elle se fit davantage connaître sous le nom de son mari, M. Schultze, consul de Suède et de Norvège, et le grand collectionneur que fut Eugène Robe (Eugène Robe (1890-1970), juriste, avocat et journaliste, dirige la Dépêche algérienne jusqu'en 1945. Érudit et collectionneur de peintures représentant l'Algérie, il est également président du Comité du Vieil Alger qui oeuvre pour la conservation de la ville ancienne.) sut apprécier, au xxe siècle, dans le cadre de son action au sein du Comité du Vieil Alger, ses aquarelies commémorant fidèlement le passé. Lizinka Guibal-Poirel, fille d'un artiste nancéen et épouse de l'ingénieur Victor Poirel chargé des aménagements du port d'Alger (18), réside entre 1834 et 1846,
dans cette ville pour laquelle elle se passionne, apprend l'arabe, fréquente tous ceux qui s'intéressent comme elle à l'art, peint à l'aquarelle les personnages bariolés qu'elle aperçoit dans la rue et surtout, pour notre plus grand plaisir, la vie domestique algéroise et les intérieurs des demeures musulmanes ou juives où elle est reçue à certaines occasions, privilège que seule une femme pouvait obtenir. Dépositaire de la mémoire de son ami Théodore Leblanc, peintre militaire tué lors du siège de Constantine en 1837, elle réunit ses aquarelles avec les siennes et celles de divers autres amis peintres, dans le précieux Album d'Afrique qu'elle lègue au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale.

Et pour terminer sur une note " exotique ", nous évoquerons une femme artiste assez extraordinaire, l'Anglaise Barbara Leigh Smith, très représentative de la vogue que connut Alger auprès de ces " hiverneurs " , en majorité anglo- saxons, férus de peinture tout autant que de soleil et vivant des saisons très animées dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Venue comme beaucoup de ses compatriotes goûter la douceur du climat avec ses parents durant l'hiver de 1857, elle est vite conquise puis mariée à un médecin français exerçant à Alger, Eugène Bodichonet partage alors son temps, au rythme des saisons, entre Londres et Alger, où elle entremêle activités artistiques, mondaines et bienfaisantes. Reconnue à présent comme membre intéressant du mouvement artistique anglais de son époque, elle laisse une série de paysages algérois peints à l'aquarelle qui comptent parmi les plus sensibles témoignages sur la physionomie de la ville et du Sahel.