Louis Bénisti
Jean-Jacques Tavera

extraits du numéro 106, juin 2004, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
mise sur site le 14-8-2010

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Louis Bénisti
Jean-Jacques Tavera

Louis Bénisti est né le 15 mai 1903 à El-Biar, dans une famille établie en Algérie depuis plusieurs générations. Le père, Joseph, a épousé Blanche Zermati. C'est un brillant avocat capable tout aussi bien de plaider en arabe qu'en français. Le couple a trois garçons: Georges, l'aîné qui aura une existence éphémère, Louis, et Lucien le petit dernier, né en 1906 qui deviendra pharmacien.

Les premières années de Louis sont assombries par une série de deuils: son frère Georges disparaît en 1904 à l'âge de 4 ans, puis le père, emporté par le typhus en 1908 et successivement sa grand-mère en 1909 et son grand-père en 1910.

La famille se recompose alors autour de Blanche et de ses parents à El-Biar dans la villa " la Dominante ". Blanche accueille auprès d'elle ses jeunes frères et soeurs. Elle va devenir pour toute la famille " Tata Blanche ".

En 1910 on quitte les hauteurs d'Alger pour s'installer à Bab-El-Oued, où Louis va grandir près de la mer et au sein de cette communauté si particulière.

Il entre au " grand Lycée " - le lycée Bugeaud - en 1914, où il va faire des études moyennes mais où se confirme son engouement pour le dessin et l'art en général. En 1919 échec au baccalauréat - son tuteur l'envoie à Paris apprendre le métier d'artisan joaillier. Il n'en oublie pas pour autant de s'inscrire dans différentes académies de peinture de la capitale.

Retour à Alger, dans les années vingt, afin d'y créer un atelier de bijouterie.

À partir de 1928 il abandonne définitivement la joaillerie pour ne plus se consacrer qu'à la peinture; il s'inscrit alors à " l'Académie Art " animée par Alfred Figueras, peintre catalan. Là, Bénisti va se lier d'amitié à un autre Catalan, Tona, mais surtout à un jeune architecte-urbaniste Jean de Maisonseul. La forte personnalité de Figueras va exercer une sensible influence sur toute une pléiade de jeunes artistes algérois.

Après le départ de Figueras, Maisonseul proposera un vaste local qu'il met à la disposition du jeune peintre. Nous sommes dans les années trente et Bénisti aborde la sculpture où il excelle, se révélant un brillant plasticien classique. Jean de Maisonseul le présente à un groupe de jeunes écrivains : Max-Pol Fouchet, Albert Camus et René-Jean Clot; il y a, là aussi, des architectes: Pierre-André Emery et Louis Miquel. Ils forment alors une " bande " autour de Camus liée par une forte amitié.

Entre 1930 et 1934 Louis Bénisti va produire toute une série de bustes de ses amis: des bronzes, des plâtres mais aussi de la terre cuite. 1933 - première exposition de sculpture à la galerie Paul Dano à Alger. Il expose aussi dans les salons orientalistes. Albert Camus lui consacre un article dans le journal Alger-Étudiant. Le talent de Bénisti est récompensé par une bourse à la Casa Velazquez de Madrid où il restera jusqu'en 1935.

De 1936 à 1938 il expose à Alger dans différentes galeries, notamment chez Edmond Charlot aux " Vraies Richesses " ainsi qu'au Salon d'Automne à Paris où il a été admis dès 1933. C'est dans cette période que Louis va travailler à la scénographie, aidé par ses amis Louis Miguel et Pierre-André Emery. Il participe à la réalisation des costumes et des masques au Théâtre du Travail et au Théâtre de l'Équipe d'Albert Camus.

Bénisti, perfectionniste, veut améliorer encore sa sculpture et " monte" à Paris en 1938 où il s'installe avec sa mère. Il fréquente les musées, les expositions de sculpture et de peinture. Il est fasciné par l'atmosphère de Montparnasse, ses cafés, la Coupole. Il va côtoyer les grands de l'art et de la littérature. Impressionnisme, cubisme, fauvisme le passionnent et le confirment vraiment dans sa vocation de sculpteur et de peintre.

L'invasion allemande, en 1940, va le contraindre à rentrer à Alger où il s'établit définitivement à partir de 1942.

Le 30 mars 1942 il épouse Solange Sarfati, étudiante en médecine. De cette union naîtra un fils, Jean-Pierre, le 11 janvier 1943 qui sera lui aussi médecin.

Mais la sculpture ne suffit plus à faire vivre le foyer. Bénisti ne se consacrera plus qu'à la peinture. Là il va faire montre d'une grande fécondité inslipirée par une " Algérie des travaux et des jours ", aussi sensible et discrète que lui.

Bénisti, par sa forme d'art, ses motifs, ses couleurs, entre de plain-pied darns l'École d'Alger naissante.

La peinture elle non plus n'arrive pas à faire vivre notre artiste et sa petite famille, il sera donc maître auxiliaire de dessin à partir de 1945 et il exercera dans les collèges et lycées d'Alger et de sa proche banlieue. Au lycée de Maison-Carrée il aura 1 pour collègues les historiens Hildebert Isnard et Xavier Yacono puis, plus tard, le (futur écrivain Roger Laporte.

Son travail se poursuit avec des sujets d'intérieurs pour Alger et des scèr-ies d'extérieurs pour les sujets parisiens ou provençaux qu'il peint pendant ses péériodes de vacances. Tandis qu'on voit apparaître " l'art abstrait ", vers lequel tournent nombre de peintres d'Algérie, Louis reste résolument figuratif. Il expose régulièrement à Alger de 1947 à 1950, surtout à la galerie Comte-Tinchant d'Edmonnd Charlot. Le groupe qu'il forme alors avec Sauveur Galliero, Jean Senac, sera la "génération du
môle ", selon l'expression de Jean de Maisonseul. Le 17 septembre 1957 Blanche Bénisti, " Tata Blanche ", va rejoindre celui dont elle n'a jamais cessé de porter le deuil. Louis en sera très affecté.

Albert Camus meurt le 4 janvier 1960. En 1961 Bénisti, à la demande desamis algérois de l'écrivain et avec le consentement de Francine Camus, réalise à Tipasa une stèle à partir d'une pierre tirée du site archéologique. Il va y graver une citation extraite de Noces: " Je comprends ici ce qu'on appelle gloire: le droit d'aimer sans mesure ".

Arrivent alors les heures sombres de l'exode, mais les Bénisti restent à Alger, toujours à Bab-El-Oued, Solange poursuivant son activité de médecin et Louis ses cours de professeur de dessin dans les lycées. En mai 1964 il participe à l'exposition organisée au Musée des Arts Décoratifs à Paris par l'association France-Algérie. En 1970, René Gachet, qui dirige à Alger le Centre Culturel français, met en scène une rétrospective des oeuvres du peintre.

Leur fils poursuivant ses études de médecine en France, les Bénisti quittent définitivement l'Algérie; ils s'installent à Aix- en-Provence, où Solange ouvre un cabinet médical.

Pas très loin de là, dans le Var, vient les rejoindre Jean de Maisonseul, à Cuers très exactement. Ce sont alors de fréquentes réunions auxquelles participe une ancienne " pensionnaire " de l'atelier de Figueras : Suzon Pulicani-Varnier.

Bénisti est à la retraite depuis juillet 1972, il continue à dessiner et à peindre des scènes de rues, des paysages avec de nombreuses réminiscences de la terre natale. Dans son petit atelier d'Aix-en-Provence, il va aborder des thèmes nouveaux pour lui, l'enfance, l'adolescence, la danse avec des ballets de petites danseuses aux lignes très épurées.

Il expose en avril 1976 à " la Galerie ", rue Saint-André-des-Arts à Paris.

De 1979 à 1983 il refait un peu de sculpture, mais à partir de 1984 sa vue baisse et il ne va plus se consacrer qu'à l'écriture: Au soleil sans chapeau ,un récit d'enfance; On choisit pas sa mère, souvenirs sur Albert Camus.

Dans les carnets de croquis qu'il a rapportés d'Alger, il retrouve des sujets ébauchés à la Casbah de 1945 à 1950. Cela va le pousser à entreprendre une nouvelle oeuvre picturale dès 1988, et qu'il va accomplir en usant de techniques très diverses, notamment la détrempe.

Du 18 au 31 août 1990 a lieu une exposition des œuvres récentes de Louis Bénisti au Palais des Congrès d'Évian et c'est Jean de Maisonseul qui va préfacer le catalogue.

Le 17 octobre 1990 Solange Bénisti s'éteint.

À Toulon est organisée une exposition des dernières oeuvres de Bénisti du 28 septembre au 31 octobre 1993, à la galerie " Espace Interrogation ".

Enfin, en juillet et août 1994, Louis Bénisti participe à Lourmarin à une exposition collective regroupant " les peintres amis d'Albert Camus " sous l'égide de l'association " Rencontres Méditerranéennes Albert Camus ".

La dernière présentation des tableaux de Bénisti se déroule en avril et mai 2000 à " la petite Galerie " rue de Seine à Paris. Ce sont essentiellement des dessins, des détrempes et études de la période 1974-1992, sous le thème " Enfance et danse ".

Le 1er mai 1995 Louis Bénisti meurt à Évian. En 1998, les " Rencontres Méditerranéennes Albert Camus " présentent à Lourmarin, les dernieres oeuvres de la période 1988-1995.

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( Du 25 septembre au 12 décembre 2004, I e Cercle algérianiste de Hyères participera à la présentation en forme de rétrospective, des oeuvres de Louis Bénisti. Cette exposition est organisée par l'association " Les Amis de Louis Bénisti " et la Ville d'Hyères-les-Palmiers, son adjoint à la culture, M. François Carrassan, ainsi qu'à l' initiative de Jean-Claude Vitiello, membre du Cercle de Hyères et ami de Solange, Louis et Jean-Pierre Bénisti.