Louis Ancillon
peintre oranais de l'Algérie

1900 - 1987
Marion Vidal-Bué

extraits du numéro 109, mars 2005, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
mise sur site le21-11-2010

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Louis Ancillon
peintre oranais de l'Algérie
1900 - 1987
Marion Vidal-Bué

Dans l'étude de plusieurs pages que lui consacrait en mai 1950 la revue Algéria, Jean Rousselot, particulièrement favorable aux arts, qualifiait Louis Ancillon de " peintre optimiste " (Algéria, n° 15, mai 1950, p. 29 à 32, " Les maîtres de la peinture algérienne)

Dès les débuts du jeune artiste, en 1927, le critique oranais Raymond Sélig lui ouvrait tous les espoirs en saluant sa " peinture simple, saine, robuste, et qui tout en étant de facture très moderne, demeure profondément dans la tradition latine ".

C'est bien l'impression que nous éprouvons à notre tour, plus de cinquante ans après, lorsque nous revoyons les tableaux d'Ancillon à la lumière de notre propre expérience de Français d'Algérie. Car ses toiles res- piraient en effet, au plan technique, une vigueur et une modernité solidement étayées par un métier très sûr, tout en faisant ressentir à merveille, par leur sensibi- lité dans le choix des sujets, la joie de vivre dans une nature privilégiée.

Ancillon traitait avec le même bonheur d'expression les paysages, qu'il choisissait dans son environnement immédiat, le littoral oranais d'abord, mais aussi l'Algérois et Paris où il tra- vailla beaucoup, et les per- sonnages, qu'il prenait plaisir à décrire dans des situa- tions agréables, sur les plages ou dans les jardins par exemple. Ses natures mortes exprimaient la même tonicité, la composition et le coloris parfaitement accordés pour servir le propos: faire ressentir les choses de la vie avec un réalisme joyeux.

Né à Misserghin, près d'Oran, le 11 novembre 1900, mort à Sèvres dans la région parisienne le 13 mars 1987, Louis Ancillon illustre parfaitement le parcours des meilleurs artistes algériens de la période moderne, ancrés aussi bien à Paris que sur leur terre natale.
Son père, dont la famille était originaire des Deux-Sèvres, était lui-même né en Algérie, et avait développé un commerce dans la région oranaise avec son épouse, elle aussi native du pays. Malgré le poids de neuf enfants à élever, ils ne s'opposèrent pas au goût inné de Louis pour le dessin et la peinture.

Celui-ci put donc s'inscrire à l'école des Beaux-Arts d'Oran entre 1920 et 1922, et son premier maître, Augustin Ferrando, le prépara avec le talent que l'on connaît à continuer ses études à Paris. Ayant demandé un peu d'argent à sa famille, Louis partit avec détermination pour les Beaux-Arts de Paris et l'École natio- nale des arts décoratifs, où il fut éga- lement reçu en 1923. Le jeune homme s'enthousiasma totalement
pour la capitale et s'intégra fort bien au milieu artistique parisien, qu'il ne devait cesser de fréquenter durant toute sa carrière.

" Formé à l'école de Cézanne, de Lhote, de Braque et de Villon, heureusement influencé par un Matisse qui lui a com- muniqué son goût des couleurs claires et franchement étalées ", selon les mots de Jean Rousselot, Ancillon combinait en ses tableaux " la rigueur géométrique des cubistes et néocubistes et la sensibilité chaude des Méditerranéens ". Ses amis peintres, parmi lesquels Brianchon et Legueult, se situaient comme lui dans ce que l'on appelait le courant de la Réalité, ayant opté pour une figuration indépendante et moderne de la vie quotidienne, résolument éloignée des diktats de l'abstraction intégrale.

Ancillon avait choisi d'emblée d'ex- poser dans les Salons de peinture accueillant les tendances les plus nouvelles : Tuileries, Automne, Indépendants et la plupart du temps les critiques d'art remarquaient les qualités de ses oeuvres parmi bien d'autres ( " Un fort bon paysage d'Ancillon ", Thiébault-Sisson, Le Temps, Paris, 31 octobre 1931. " L 'Algérien Ancillon est quelqu'un. Son " Port d'Oran est composé avec intelligence, et les petits personnages qui l'animent sont d'une extra- ordinaire justesse ", Thiébault-Sisson, Le Temps, 1935, " Un bon paysage d'Ancillon, dessiné avec un sentiment des rythmes et des proportions assez rares aujourd'hui pour être noté ", Raymond Cogniat, Beaux-Arts, Paris, 29 oct.
1937.
).

La galerie Léon Zack de Saint- Germain-des-Prés lui offrit en 1937 une exposition particulière, relatée en termes flatteurs par la revue Beaux-Arts, où J. de Laprade rappelait l'existence d'une " très vivante jeune école algérienne " et appréciait le " sentiment franc et solide de la compo- sition, l'instinct sûr des proportions et des rythmes, le dessin enveloppant et souple " de l'Oranais.

Cette même année 1937, d'après les archives familiales, Ancillon fut médaillé à l'Exposition internationa- le de Paris, et une " Place du Gouvernement " à Alger exposée en mai à l'hôtel Continental d'Oran fut acquise par le Musée du Luxembourg à Paris (Voici par exemple cette " Place du Gouvernement à Alger". Combien de fois nous l'a-t-on présentée et sous com- bien d'aspects? Cent artistes l'ont banalisée; deux ou trois, comme Bascoulès, en ont tiré des pages admirables. Eh bien, Ancillon nous la révéla à son tour, et nous avons l'impression qu'elle nous était jusqu'ici demeurée inconnue ", Alfred Cazes, Oran Matin, mai 1937.)



Tipasa, la douane de mer.



Il devait participer à d'importantes expositions de groupe, par exemple à celle de la Société des peintres orientalistes français orga- nisée à Paris sous le patronage du Gouvernement général de l'Algérie, Galerie Charpentier en 1938, et à celle destinée à promouvoir la peinture fran- çaise à Londres en juin 1944. Le commissariat aux Affaires étrangères français et le British Council y avaient réuni quatre-vingts toiles et une soixantaine de dessins de l'Éco- le de Paris et de l'École nord-africai- ne dans la galerie de la " Royal Society of Watercolor " de la capitale anglaise.

Il avait été sollicité pour participer à la Biennale de Menton dès sa pre- mière session, en 1951, alors qu'il vivait encore en Algérie, et y montra par exemple, en 1953, les deux tableaux que nous reproduisons: " Les travailleurs de la mer" et " Les lavandières ".

À Oran, Eugène Cruck qui assurait les " Notes d'art " de l'Echo d'Oran l'avait suivi depuis ses débuts. Il encourageait ses progrès à l'occasion d'un accrochage en 1927 dans le hall de l'hôtel Continental, puis à nou- veau lorsque l'artiste, encore au début de sa carrière en 1932, mon- trait dans une exposition particuliè- re à la librairie-galerie Heintz des toiles rapportées de France comme " Le jardin du peintre Renoir à Cagnes-sur-Mer " particulièrement apprécié, et des portraits ou des pay- sages algériens " saisissants de caractère "; et encore en 1936, pour sa prestation dans les mêmes locaux. (Ce jeune artiste qui s'émeut devant la nature et qui la traduit puissamment... est sur le chemin montant qui mène aux grandes réussites ", Eugène Cruck, l'Écho d'Oran, 1927. " Ancillon expose à la librairie Heintz une vingtaine de toiles, pour la plupart des paysages d'Espagne et des Baléares... M. Ancillon... arrive à émouvoir avec peu d'effets... son talent est sobre et puissant, sa palette lumineuse et franche ", E. Cruck, L'Écho d'Oran, 1936).

Les meilleures galeries oranaises l'accueillirent tour à tour, par exemple en 1934 celle de Marica Allée, rue d'Alsace-Lorraine, où le peintre réunit quelques-uns de ses tableaux les plus remarqués à Alger. Sa première exposition particulière algéroise en mars 1934 à " L'Art de France ", rue Michelet, avait en effet connu un succès salué par les critiques et matérialisé par plusieurs achats du Musée national des Beaux-Arts.

Dans sa galerie Colline où il fit tant pour promouvoir les artistes modernes en Algérie, Robert Martin montra régulièrement les travaux de Louis Ancillon. Martin l'exposa également à Paris, après l'indépendance de l'Algérie, alors qu'il y avait monté une nouvelle galerie. C'est à Oran, où il devait résider presque exclusi- vement à partir de 1940, que Louis Ancillon développa ses relations avec Jean Launois, l'un des plus remarquables parmi les peintres que le Prix Abd-el-Tif amena en Algérie, ainsi qu'avec André Hambourg, autre Abd-el-Tif très attaché à l'Algérie, et Orlando Pelayo, artiste espagnol réfugié pour raisons poli- tiques. Avec ses plus proches amis oranais, le sculpteur Georges Hilbert, et surtout, le peintre Fernand Belmonte et sa femme, Odette Aymé-Belmonte, il entretint une amitié de plus de quarante ans. Leur relation chaleureuse devait se maintenir après le départ d'Algérie, alors que les Belmonte s'étaient éta- blis à Marseille.

À Alger, où il participa à plusieurs Salons des artistes algériens et orientalistes, il était très apprécié de l'om- nipotent conservateur du Musée national des Beaux-Arts, Jean Alazard. Celui-ci lui témoigna son intérêt et son soutien en effectuant des acquisitions régulières: un " Bouquet " (1929), un " Port de Mostaganem " (1937), une " Place du Gouvernement à Alger " (datée 1937, acquise en 1959, cette toile
tranche de la production habituelle en montrant la place sous la pluie), des " Jeunes filles " (1940, acquis en 1953), un " Port d'Oran " (1941 présenté à l'exposition de l'Afrique française à Tunis), " La musique " (1955). Selon les archives du MNBA d'Alger, Jean Alazard avait égale- ment obtenu pour Ancillon en 1938, une subvention lui permettant d'organiser une exposition à Paris ( Catalogue des peintures du Musée national des Beaux-Arts d'Alger, (collections européennes), 1995, par Dalila Mahammed-Orfali, p. 20.). Max-Pol Fouchet, qui fut l'adjoint d'Alazard au musée, avant d'animer la revue Fontaine et d'exercer ses talents de critique d'art dans l'Écho d'Alger parmi d'autres publications, manifestait le même goût pour l'art de l'Oranais, " d'une profonde honnê- teté, d'une émouvante simplicité ". Le professeur Jean Lusinchi, chargé du cours d'histoire de l'art à la faculté d'Alger, ne lui ménageait pas non plus les éloges dans Alger républicain. Le Grand Prix artistique de l'Algérie décerné par le Gouvernement général vint consacrer en 1943 un talent très largement voué au pays, lui facilitant une nouvelle exposition particulière à Alger, en octobre 1944 à la Galerie Charlot. Eugène Cruck salua comme il se devait la qualité des œuvres et la " consécration légitime " d'un artiste qui faisait " honneur aux peintres de l'Oranie et à l'Algérie " tandis que le critique de La Dépêche algérienne notait : " La peinture d'Ancillon ne se borne pas à la représen- tation des objets, mais dégage la psycho- logie des portraits, l'émotion des pay- sages et dans les natures mortes l'esprit même des choses " (La Dépêche algérienne, octobre 1944).

Les plus jeunes artistes de l'École d'Alger, Sauveur Galliéro, par exemple, puis Louis Nallard, Maria Manton, Marcel Bouqueton, reconnurent en lui un des aînés qui leur avait montré la voie dans le chemin de la modernité.

Des commandes du Gouvernement général honorèrent l'artiste reconnu qui mit ainsi en place différentes décorations dans sa région natale: " Collège moderne de Jeunes filles d'Oran-Gambetta " en 1956 (conjointement avec Maurice Bouviolle), " Lycée de Mostaganem " en 1958, " Lycée d'Arzew ".

Lors de l'une des dernières grandes manifestations officielles offertes aux peintres de l'Algérie, une exposition réunissant des oeuvres des lauréats du Grand Prix artistique de l'Algérie et les boursiers de la Casa Velasquez à la salle Pierre Bordes d'Alger en avril 1958, Louis Ancillon montra pour sa part trois tableaux, dont un beau " Port d'Oran ". Il est à noter que l'actuel musée national Zabana d'Oran possède toujours dans ses collections une toile de dimensions importantes, acquise en 1936, qui semble être la même oeuvre ( D'après un document du musée Zabarta en 2002: " Port d'Oran ", huile sur toile, 73x92 cm, entrée en octobre 1936.11 semble que ce soit la même oeuvre que celle exposée à la salle Pierre Bordes, mais amputée sur la photo dune persienne qui suggérait la perspective depuis une fenêtre sur la droite.)

Après le départ d'Algérie, en 1962, Louis Ancillon s'établit définitivement à Sèvres, aux portes de cette capitale avec laquelle il avait toujours gardé le contact. Il continua d'y peindre et de prendre part à des expositions collectives, en France et à l'étranger, notamment sous l'égide du Salon d'Automne dont il était sociétaire depuis 1944.

Plusieurs de ses oeuvres avaient été acquises pour les collections publiques françaises: Musée du Luxembourg (achat de la Ville de Paris), Musée des Colonies, Musées des Beaux-Arts d'Alger, d'Oran et de Tunis.

Certains tableaux de Louis Ancillon ont été présentés en décembre 2003 à la galerie Danielle Bourdette-Gorzkowski, à Honfleur, en même temps que d'autres tableaux d'artistes de la dernière génération française en Algérie avant le départ.o

(-Je prépare un livre sur le peintre André Suréda. Je recherche tous docu- ments et/ou informations sur cet artiste. Je vous remercie par avance de l'aide que vous pourrez m'apporter.
Marion Vidal-Bué, 150 rue de Longchamp, 75116 Paris.