Louis Fernez
Un grand classique de la peinture algerienne
par Marion Vidal-Bué

extraits du numéro 117 , mars 2007, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
mise sur site le 2-2-2012

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Louis Fernez
Un grand classique de la peinture algerienne
par Marion Vidal-Bué

le 1er mai 1900 en Avignon, Louis Fernez, dont la mère appartenait à une vieille famille de notables nîmois, arriva à Alger avec ses parents en 1913, après quelques années passées avec eux à Montpellier, puis à Toulon.

Encouragé dans sa vocation précoce pour les arts plastiques, il put entrer immédiatement à l'École nationale des Beaux-Arts d'Alger que dirigeait alors Léon Cauvy, et étudia également avec Louis Antoni. Bien structurés par l'enseignement de ces deux maîtres de la peinture algérienne, ses dons personnels le firent remarquer par le gouverneur général Lutaud, au cours d'une exposition de fin d'année, qui lui fit accorder une bourse pour lui permettre de poursuivre ses études artistiques à Paris.

À partir de 1917, en même temps que son complice de longue date, le sculpteur algérois Paul Belmondo, il suit la formation des Beaux-Arts de Paris sous la direction de Fernand Cormon. Mais de nature indépendante, il préfère très vite à l'atmosphère de l'atelier les longues séances d'étude des maîtres anciens dans la riche bibliothèque de l'école ou au Louvre, avec son autre compatriote, le peintre oranais Maurice Adret' Il acquiert là une vaste culture et une parfaite maîtrise technique qui lui assureront un art sans failles.

Sur les quais de la Seine, auxquels nul artiste n'a résisté, il brosse des toiles empreintes de cette poésie sereine qui demeurera caractéristique de ses paysages algériens.

Il se livre en même temps à différents travaux de décoration qui lui permettent de vivre plus à l'aise, et gardera d'ailleurs tout au long de sa carrière le goût de créer meubles et agencements d'intérieurs.

L'opéra d'Alger, 1926, coll. part.
L'opéra d'Alger, 1926, coll. part.

Ayant perdu son père en 1924, il retourne auprès de sa famille à Alger tout en continuant à séjourner et à exposer régulièrement dans la capitale où il devient sociétaire du Salon d'automne. Désormais membre de la Société des Artistes algériens et orientastes, il trouve rapidement sa place au rang, des meilleurs, et participe pleinement à toutes les manifestations importantes de la vie artistique algéroise. Parmi ses amis les plus proches, le sculpteur André Greck.

Le professeur Jean Alazard, futur doyen de la faculté de lettres d'Alger et conservateur du Musée national des Beaux-Arts à partir e 1929, apprécie entre tous, ce jeune peintre pour sa personnalité affable, sa culture, son intelligence et la solidité classique de son art, il lui accorde son amitié assortie d'un soutien total. Lorsque le nouveau musée sera édifié, au-dessus du Jardin d'Essai, à l' occasion de la célébration du Centenaire de l'Algérie il lui confiera la création du mobilier de la bibliothèque et des salles de lecture, ainsi que l'agencement de diverses salles d'exposition. La collaboration des deux hommes se poursuivra jusqu'à l'indépendance, Fernez contiuant d'occuper un poste d'attaché au musée.

Louis Fernez s'est tout de suite intéressé au paysage urbain d'Alger, qu'il a représenté avec la plus grande finesse, tant dans la omposition que dans la luminosité, donnant par exemple en 1926 ne série de toiles des grandes places de la ville à ranger parmi les meilleures oeuvres qu'on leur ait consacrées. " Fernez renouvela notre ision d'Alger, écrivait Victor Barrucand. Audacieuses perspectives, raccourcis, contrastes, il voit d'un coup d'oeil qui rassemble et qui précise. Quand une particularité le retient, il nous y attache et n'a pas cessé de nous surprendre ». On peut ressentir dans ces vues une certaine parenté avec celles d'Albert Marquet, pour la simplification des ensembles notamment, mais le style subtil et poétique de Fernez dégage un charme aussi personnel qu'intemporel.

Le port d'Alger, surtout, lui a inspiré d'innombrables études, que les amateurs de la ville s'arrachaient lors des expositions. Le professeur Félix Lagrot rappelait dans l'algérianiste, en septembre 1985, leur passion commune pour les sports nautiques et la beauté du spectacle qu'ils leur permettaient d'admirer : « Ce cher Rowing, un des bonheurs de notre vie, où notre équipe, avec Fernez, se retrouvait à 5 heures du matin, pour sillonner en yole ou en canoë, le port et la rade d'où bientôt on voyait la Casbah rosir, puis s'éclairer sous les premiers rayons du soleil, au-dessus de la mer aigue-morte, émeraude ».

En 1925, Louis Fernez dessine pour les chemins de fer algériens une affiche vantant les charmes de Touggourt et du Sud algérien. En 1940, il réalise l'affiche invitant à souscrire " l'emprunt africain ". Les deux affiches sont imprimées par Baconnier à Alger. Le timbre " Marianne d'Alger " est également réalisé par l'artiste. Il est gravé par Jamignon et imprimé en lithographie par l'Atelier Carbonnel à Alger.

Le premier tirage est effectué en mars 1944 en Corse et en Algérie après le débarquement allié, puis à Paris en novembre de la même année. Ce timbre a également été édité immédiatement après la guerre par le Gouvernement provisoire sous l'autorité de Charles De Gaulle.

Il a su trouver dans la campagne du Sahel, notamment dans les environs d'El-Biar où il habitait, des notes d'une grande fraîcheur. Dans ses années de maturité ce fut le paysage environnant la ferme de de Miliana, au pied du mont Zaccar, qui lui suggéra des rurales paisibles autour des grands bâtiments, ou bien en pleine nature sur les pentes verdoyantes, là où les enfants circulent parmi les arbres et les hautes prairies, où les chevaux vivent en toute liberté.

Fernez a de plus toujours pratiqué avec bonheur l'art du portrait dans la belle tradition classique, caractérisant ses personnages par des accessoires raffinés tels qu'instruments de musique, fruits, bouquets ou détails vestimentaires recherchés, et celui de la nature morte où il excellait à représenter poteries et draperies. Mais il a aussi toujours privilégié les fleurs, une autre de ses passions, composant de somptueux arrangements aux couleurs fraîches ou intenses, selon les saisons.

Toutes les techniques lui ont été familières pour ces créations, le crayon et la plume comme le pastel, la gouache et l'huile.

Alors qu'il n'avait que 25 ans, en 1925, le Grand Prix artistique de l'Algérie vint récompenser un talent qui se démarquait totalement de la veine orientaliste par l'absence de sujets pittoresques, mais ',lisait honneur à l'Ecole d'Alger en démontrant qu'elle pouvait produire des artistes tout à fait dans la lignée des maîtres et de la grande tradition française.

Fernez deviendra membre du jury de ce prix en 1940.

La bourse de la Casa Velazquez lui permit de séjourner à Madrid en 1929-1930 comme pensionnaire dans ce prestigieux établissement, et d'accroître ainsi sa science picturale au contact des maîtres espagnols, dont l'art correspondait si bien à sa propre nature.

Nommé en 1941 professeur à l'Ecole nationale des Beaux-Arts (l'Alger, il prit la direction de l'atelier de peinture à la suite de Louis A ntoni, ainsi que plus tard celle des études du dessin, enseignant désormais là où il avait fait ses premières classes.

Fréquemment présent à Paris dans les manifestations du Salon d'Automne, du Salon des Indépendants et du Salon des Tuileries, il participa aux grandes expositions internationales organisées avec le musée d'Alger sous les auspices de l'Association française (l'échanges artistiques et du Gouvernement général de l'Algérie, à Bruxelles, Prague, Rome, Bucarest, La Haye, Le Caire, entre autres, ainsi qu'aux expositions de l'Afrique française à Alger, Paris, Marrakech, Oran, Tunis, Monte-Carlo, Bordeaux.

EL- Biar , coll. Marie-Jeanne Renaud.
EL- Biar , coll. Marie-Jeanne Renaud.

Les meilleures galeries d'Alger et d'Oran l'accueillaient volontiers pour des expositions personnelles ou de groupe avec d'autres peintres de l'École d'Alger, et les critiques tels Gustave Mercier, Louis Julia ou. Louis-Eugène Angeli louaient sa sensibilité, l'élégance et la séduction de ses compositions.

D'importantes commandes publiques lui furent confiées, en particulier pour le Foyer civique d'Alger édifié entre 1933 et 1935 sur l'ancien Champ-de-Manoeuvre de Mustapha, où il exécuta une toile marouflée de 50 m2 sur le thème de l'activité méditerranéenne dans la campagne algéroise. Il créa également plusieurs décorations murales dans les bureaux du Palais des Assemblées algériennes, de grandes peintures décoratives pour l'hôpital de Beni-Messous, pour la Cité universitaire de Ben-Aknoun, pour les lycées Fromentin et de Kouba, pour l'école de garçons d'El-Biar ainsi que pour une école de Mostaganem où il représenta Abd el-Kader à cheval, dans l'esprit de l'imagerie d'Épinal.

Après 1962 et le départ d'Algérie, Louis Fernez continue sa carrière d'enseignant à l'École nationale des beaux-arts de Bourges, ainsi qu'à l'École Camondo pour les Arts et Techniques, à Paris. Mais les difficultés de cette nouvelle installation entravent ses travaux personnels, et il s'adonne surtout à des peintures d'extérieur, par exemple en Bretagne où ses paysages et ses marines montrent un esprit très impressionniste. Selon les termes de son épouse, elle-même portraitiste: " Lorsque l'âge lui interdit de peindre sur le motif, il peignit, jusqu'à son dernier souffle, les fleurs de son jardin ".

Il s'éteint à Savigny-sur-Orge le 10 novembre 1983, ayant donné l'exemple d'un homme de goût et d'esprit et d'un artiste en tous points attachant.

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Oeuvres au Musée national des Beaux-Arts d'Alger

La leçon de chant ", " La leçon d'histoire ", " Fleurs ", " Notre-Dame de Paris sous la pluie ", " Quais de Paris ", Paysage de Bretagne ", " Port breton ", " La place d'Isly à Alger ", " Nature morte ", " Nature morte à la perdrix ", " Environs de Miliana ", " Intérieur ", " Paysage du Sahel " (détruit en 1958).


Bibliographie :

- L'Afrique du Nord illustrée, 22 janvier 1927.
- Notre Rive, mai 1927, " Louis Fernez ", par M. Michel.
- L'Algérie et les peintres orientalistes, Victor Barrucand, 1930.
- Algéria, septembre - octobre 1949, " Les maîtres de la peinture algérienne, Louis Fernez ", par Georges Martin.
- Collection " Les peintres nord-africains ", Les éditions Iris, Alger, 1949, Louis Fernez par Georges Martin, plaquette comportant 21 reproductions en noir et blanc.
- L'Algérianiste, n° 31, septembre 1985, " Louis Fernez ", par le professeur Félix d et Mme Christiane Fernez.
- Alger et ses peintres, 1830-1960, et L'Algérie des Peintres, 1830-1960, Marion -Bué .