Louis Bernasconi
" L'un des artistes algériens qui ont poussé le plus loin l'interprétation systématique de la nature ". Jean Brune
par Danielle Richier-Bernasconi

extraits du numéro 122 , juin 2008, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
mise sur site : septembre 2012

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Louis Bernasconi
" L'un des artistes algériens qui ont poussé le plus loin l'interprétation systématique de la nature ".
Jean Brune
par Danielle Richier-Bernasconi

Louis Bernasconi est né au début du siècle dernier (1905) au milieu des orangers en fleurs, des glycines et des bougainvilliers, dans la maison construite en 1855 par son grand-père, émigré suisse, où étaient nés également son père et son oncle, puis ses frères et soeurs. On l'agrandissait au fur et à mesure des besoins a grande terrasse embrassait le splendide panorama de la baie

Sa vocation artistique semble prédestinée dès la petite enfance : son père Alexandre, trésorier de la Société d'horticulture d'Algérie, lui-même diplômé des Beaux-Arts d'Alger (1887), se servait d'aquarelles pour agrémenter ses plans et son fils l'imita. Il l'emmenait aussi dans ses visites au Jardin d'Essai, lui fit connaître le Dr Trabut, le directeur Castet, le jardinier Imbert, et lui transmit ainsi l'amour de la nature.

Mais surtout, le petit Louis eut l'occasion de côtoyer souvent le maître Albert Marquet, fidèle client quand il venait à Alger, de l'hôtel Royal situé boulevard de la République, qui était tenu par la tante de Louis, Aline Guerraz. Pour faire rester l'enfant tranquille, elle l'envoyait sur la terrasse observer le grand artiste peindre les eaux miroitantes du port. Il y passait des heures.

Après sa scolarité à l'école Dordor, Louis entre donc tout naturellement à l'école des Beaux-Arts, située alors dans le quartier de la Marine et dirigée par Léon Cauvy, premier boursier de la Villa Abd-el-Tif. L'influence de ce dernier se retrouve dans les premières toiles de Louis Bernasconi, notamment un " Jardin d'Essai " dont il ne se séparera jamais. Il se lie avec Rostagny et Brouty, débutants comme lui. Il n'a pas 20 ans quand il part pour Paris avec son ami Jean Lauze se perfectionner dans des académies libres. À l'occasion d'un séjour à Alger, il s'inscrit à l'académie " Arts " que viennent de fonder en 1926, 21 rue Burdeau, deux réfugiés catalans diplômés de l'école des Beaux- Arts de Barcelone, Alfred Figueras peintre, et Rafel Tona sculpteur, à l'instar des académies du Quartier Latin. Cette première académie privée à Alger est née des sollicitations de nombreux artistes algérois désireux de se démarquer de l'enseignement académique des anciens " Arts ". Elle forme en quelques années des peintres de réel talent: Mathilde Cauvy, Louis Bernasconi, Roger Domon, Jean Lauze, Jean de Maisonseul...

Vue des hauteurs d'Alger " (coll. part.)
Vue des hauteurs d'Alger " (coll. part.)

Il est à noter que bon nombre des élèves de Figueras obtiendront la Bourse artistique du Gouvernement général de l'Algérie. Louis fera alors sa première exposition avec Roger Domon et Léon Moreau à la Maison Lacroix, rue des Chevaliers de Malte, en 1929; il y recevra les éloges de Figueras.

De retour à Paris et durant plusieurs années, il va toucher à tous les genres et finalement au 7e Art. Devenu attaché artistique à la société de production cinématographique américaine Paramount en 1932, il va collaborer avec de grands cinéastes : Pabst, Renoir, Feyder, Allegret, Duvivier.

Ce dernier, tournant les extérieurs du film " Golgotha " en 1935 aux studios de Fort-de-l'Eau (Bordj el-Kiffan) avec une importante figuration des étudiants d'Alger, lui demanda de réaliser, sous la direction de Fernand Earle, peintre américain célèbre pour ses effets spéciaux, un panorama géant de Jérusalem pour lequel il s'inspirera de la Casbah.

En 1938, il participe au film " Terre d'Angoisse " réalisé par René Jayet et inspiré du livre de Pierre Nord, grand prix du roman d'aventures 1937, qui s'intitulera finalement " 2e Bureau contre Kommandantur ". En 1939, il est responsable des décors de " Quartier sans soleil " du scénariste Dimitri Kirsanoff.

Devenu habile à utiliser les trucages de la caméra, les trompe-l'oeil et ayant déposé son " système ", il s'apprête à partir pour Hollywood. La guerre de 1939-1945 va donner un coup d'arrêt brutal à cette carrière prometteuse. Louis Bernasconi est mobilisé en Tunisie et versé, en raison d'une forte myopie, dans le 25e corps des infirmiers auxiliaires. Sensible à la beauté du pays, il y peindra de jolies gouaches de Sidi Bou-Saïd. De retour au pays natal à l'armistice, Louis décide de s'installer définitivement à Alger à laquelle tout le rattache : sa maison, sa famille, le soleil et la lumière, la mer et la douceur de vivre. À l'arrière du front, le Comité de Libération nationale lui donne la mission d'organiser à Alger, Oran et Tunis, les " Salons de la Résistance " destinés à réunir des fonds pour la mise aux enchères d'oeuvres offertes par un comité d'artistes; ce fut une grande réussite.

Il reprend ses pinceaux et, tous les ans, donnera une exposition dans les galeries les plus connues d'Alger, également d'Oran et Constantine, tout en participant aussi activement aux multiples salons et manifestations qui faisaient à cette époque d'Alger, une ville au bouillonnement artistique intense où la littérature et les arts se donnaient la main. Randau, Pomier, Audisio puis Roblès, Camus, Brune se posent en fervents avocats des peintres du pays auxquels ils donnent conscience de leur appartenance à une culture particulière.

Les critiques d'art saluèrent vite ce jeune talent dont ils suivront l'évolution de 1940 à 1961 lors de ses expositions à Alger, successivement à l'Art du Home, au Crédit Municipal, aux galeries Pompadour, du Minaret, Tam-Pasteur, Colin, Charlet, du Nombre d'Or, Romanet, Colline à Oran, Cirta à Constantine, ainsi que lors des différentes manifestations annuelles des nombreuses sociétés artistiques algériennes en Algérie ou en Afrique du Nord.

Alger sera la principale source d'inspiration de l'artiste: ses ports tout d'abord, qu'il représentera dans une vingtaine de toiles. Sa baie, souvent peinte en perspective au travers d'une fenêtre ouverte. Ses nombreux parcs publics. Ses jardins privés luxuriants, dont celui de Mme Degueurce au Télemly, lui inspireront des toiles aux couleurs éclatantes. Ses monuments historiques ou publics. Ses maisons mauresques, notamment la villa Djenan-Ben-Omar, située dans un vallon de la Bouzaréah à Montplaisant, dont la fréquentation sera particulièrement féconde pour l'artiste épris de nature. Louis Bernasconi produira une vingtaine de toiles de Ben-Omar dont l'une, emblématique de cet endroit de rêve, intitulée " Coin pour la sieste à Ben-Omar " a été acquise par la section orientaliste du musée d'Art et d'Histoire de Narbonne en 2006.

" Port d'Alger " (coll. part.).
" Port d'Alger " (coll. part.).

Dans cet ancien palais turc d'Alger de très belle architecture, dont le patio couvert et non ouvert laisse supposer qu'il aurait appartenu à un Juif peseur d'or, Louise Bosserdet, peintre autodidacte, recueillait des enfants algériens nécessiteux. Après la guerre, le petit noyau d'artistes formé chez Figueras, se reconstitue autour de M. Hivert, gérant de Colin, et va y exposer au milieu des postes de TSF. Ainsi les dimanches et jours fériés, " les copains " Benisti, Bernasconi, Sanchez- Granados, Tona, Chouvet, Degueurce, Bouviolle, Terracciano, Galliero et par la suite Caillet et Nallard prendront l'habitude de se retrouver à Ben-Omar dans une atmosphère à la fois professionnelle et festive, apportant ainsi une contribution financière à Louise Bosserdet. Parfois les rejoignaient Claro, Assus, Durand et les amis des artistes pour de très joyeuses réunions.

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Grand chasseur, Louis parcourt la Kabylie, s'émeut de ses levers de soleil et de ses petits villages accrochés dans les montagnes; il peindra " La Porte des Ta bouda " qui sera sa première oeuvre à entrer au musée national des Beaux-Arts d'Alger en 1944. Tlemcen, Constantine, Bougie ("Les Aygades"), Oran sont représentées dans plusieurs petites gouaches ou grands panoramas. Seul le grand Sud algérien ne l'attirera pas.

Ses voyages l'amèneront au Maroc, propice à son amour des couleurs crues qui inspireront les superbes toiles dont " La Porte de la mer à Mazagan ", que son conservateur Jean Alazard choisira pour le musée national des Beaux-Arts d'Alger. Ébloui par l'Espagne et le Portugal, l'artiste en ramènera une cinquantaine de toiles représentant Grenade, Cordoue, Tolède, Ségovie, Porto, Lisbonne...

Lors d'un été en Provence, ce seront le charme des vieilles pierres qui le séduiront: Tourettes-surLoup, Vence, Nice... Et bien évidemment et toujours Paris, dont les quais de la Seine sont peints dans des tonalités plus sourdes. Paris où il aura eu en 1946, l'honneur d'exposer à la galerie Champion-Cordier sous le patronage d'Albert Marquet qui, se souvenant du petit Louis, tiendra à lui exprimer sa sympathie. Ayant quitté l'Algérie en 1945, Marquet était considéré comme le meilleur peintre d'Alger et avait notablement influencé, par l'aspect dépouillé de sa facture, les jeunes artistes qui allaient constituer " l'École d'Alger ".

Signe de son attachement et admiration au Maître, dans les archives de Louis Bernasconi, le journal Liberté du 19 juin 1947 est resté plié sur l'article " Albert Marquet est mort ".

Plusieurs distinctions seront décernées à l'artiste, dont le Grand Prix de la ville d'Alger en 1952 dont il fut le plus fier car jugé par ses pairs. Le " Les Aygades " (coll privée) diplôme est signé par Jean Pomier et René Rostagny, respectivement président et secrétaire du Salon des artistes orientalistes d'Afrique du Nord.

Le Gouvernement général fit l'acquisition d'une vingtaine de ses oeuvres pour des bâtiments publics; Jean Alazard choisit trois autres toiles pour le musée national des Beaux-Arts d'Alger, celui d'Oran en détenant deux. Enfin, il réalisa les décors de la salle à manger de l'hôtel de ville, de l'hôpital Maillot et le bureau du président des Délégations financières. Confiné voire enfermé dans un genre unique, celui du paysage, en communion solitaire avec la nature, l'artiste a pu être considéré comme inhumain par l'absence de personnages dans ses oeuvres, d'autant plus inhumain que son évolution picturale se fera dans un sens surréaliste dans les dernières années, tel que le montre cette surprenante toile intitulée " Les Sauterelles ". Il n'en est rien et l'homme était connu et apprécié dans tous les milieux d'Alger. Très grand comme tous les Bernasconi, flegmatique, souvent humoriste, volontiers farceur, égal à lui-même en toutes circonstances, toujours élégant dans sa ressemblance prononcée avec Arthur Miller, le second mari de Marilyn Monroe, la cigarette aux lèvres permanente, sa faconde pince-sans-rire lui valait d'être très recherché et de participer à de nombreuses manifestations de la vie algéroise. Il avait également ses jours précis pour déjeuner chez ses clients ou au restaurant, son talent d'organisateur faisant le lien entre le groupe d'artistes et leurs clients, Apab dont Arthur Mani grand collectionneur.

Dans son agenda algérois coexistent à tout jamais les noms et adresses de médecins, avocats, artistes, architectes, professeurs, sportifs, colons, hommes politiques, industriels, négociants, directeurs de journaux, libraires, galeristes, cafetiers qu'il a fréquentés, clients et amis à la fois.

Excellent photographe de par son métier, équipé d'un matériel Zeiss ultra-performant, il a fixé sur la pellicule les sites qui lui ont inspiré ses tableaux et tous les événements artistiques, mondains et historiques auxquels il a participé. Mais pudique, Louis ne dévoilait pas sa vie personnelle. Resté célibataire par choix d'artiste, il vivait avec mère, frères et soeurs dans la maison familiale, 40 rue Lys du Pac, chacun à son étage mais très liés entre eux. Après celui de sa mère, le décès de sa jeune soeur Yvonne, brillante gymnaste de l'Algéria, militante responsable à la Croix-Rouge française, modèle favori du sculpteur Pouvreau-Baldy, le frappa douloureusement en 1954.


" Le 40 rue Lys du Pac " (coll. part.).

Il faut rappeler, malgré leurs divergences picturales, l'indéfectible amitié qui le lia à Rafel Tona depuis qu'ils firent connaissance en 1926, jusqu'à leur disparition tous deux en 1987.

Par caractère, tout lui était bonheur; dans une interview à Edmond Charlot sur Radio- Alger, il fait, en bon Algérois, l'apologie de la sieste, avouant en avoir connues qui étaient des festivals ! Quand il pleuvait sur Alger, il s'exclamait pour Mme Degueurce dont le magnifique jardin, 12 bis boulevard du Télemly, lui a inspiré de nombreuses toiles luxuriantes, que " c'était de l'or en barres qui tombait du ciel ". Pilier de l'Otomatic, quand il était attablé au soleil, il retroussait la manche de sa chemise sur son avant-bras gauche pour le bronzer en expliquant d'un air entendu : " La Jag... ". Ce n'est qu'en décembre 1963 que Louis Bernasconi se résolut à quitter Alger, sa ville natale, après que sa maison eût été mitraillée et squattée. Il retrouva alors Paris mais les conditions avaient changé. Malgré tous ses efforts pendant quelques années, il ne put émerger et finit sa vie dans la précarité à Fontainebleau, mais toujours habité de la sérénité que lui avait procuré sa lumineuse peinture.

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Louis BERNASCONI
Mon oncle,
Artiste-peintre algérois
Danielle Richier

En vente chez l'auteur:
Mme Danielle Richier Bernasconi
" Tara ", quartier Labagnère
40140 Soustons

44 € port compris.