Eugène Deshayes
(Alger 1862-1939)

Élisabeth Cazenave

extraits du numéro 96, décembre 2001, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
mise sur site le 5-1-2010
+ Les petites expositions
Echo d'Alger du 17-12-1912 - Transmis par Francis Rambert
déc. 2014

+ Peintres algériens
Echo d'Alger du 24-12-1919 - Transmis par Francis Rambert

430 Ko
retour
 
En cliquant sur les mots ou groupes de mots en rouge, soulignés en rouge, vous accédez à la page correspondante.
Il existe le PDF avec les illustrations en couleurs - 270 ko - de l'article ci-après. Cliquer sur la petite image pour le visionner : eugène Deshayes
Eugène Deshayes - Marine
*dans le PDF, lire "Campement nomade dans le sud algérien"- Musée des Beaux-Arts de Narbonne - salle des orientalistes

Adolphe Deshayes, le père de l'artiste, participe au siège de Constantine le 10 octobre 1837 où il est blessé grièvement; il survit à ses blessures et, muté dans les services de l'administration, il reçoit en 1845 sa nomination à Alger et s'y marie. Eugène Deshayes naît le 12 juillet 1862 à l'hôpital de Mustapha, c'est un enfant rêveur, que la maladie retient souvent à la chambre; il demande alors une ardoise, un crayon et dessine du matin au soir. Au Lycée d'Alger, où son père l'a fait inscrire, c'est sans ardeur qu'il étudie mais il se distingue en classe de dessin. De douloureux événements se précipitent, Eugène Deshayes a le chagrin immense de perdre ses parents, il est élevé par son frère, jeune médecin à l'hôpital de Douera.

À 18 ans, il travaille seul sa passion, suit les expositions au théâtre municipal de la Société des Beaux-Arts, puis il peut se faire inscrire à l'École nationale des Beaux-Arts d'Alger, alors dirigée par Émile-Charles Labbé, peintre paysagiste de " l'École de Barbizon ". Là, il se lie d'amitié avec un amateur éclairé, Charles Jourdan, qui possède une magnifique propriété aux environs d'Alger où il va planter son chevalet; il y rencontre Jules Bastien Lepage, venu à Alger pour tenter de rétablir une santé chancelante.

Désormais, Deshayes n'a qu'un seul but : obtenir à l'École des Beaux-Arts, une bourse d'études pour la capitale; il l'obtient en mai 1882, il a 20 ans. L'artiste débarque à Paris avec peu de moyens, son frère l'aidant dans la mesure du possible. Il partage une chambre des plus modestes avec le peintre algérien Bertrand, rue de Seine. Aux Beaux-Arts, il est dans l'atelier du peintre Gérôme. Le maître tient le jeune peintre en particulière estime, il apprécie ses dons, sa volonté opiniâtre.

Cependant, l'élève studieux ne dédaigne pas de partager la vie bruyante de ses amis du quartier. Aux heures laborieuses, il fréquente le Louvre où il fait des copies. Deshayes se laisse séduire par les paysages d'hiver, il brosse un jour un " Paysage de neige à Clamart ", qu'il vend à DurandRuel, le célèbre marchand de tableaux parisiens, pour la somme de vingt francs. Il peint le " Parc Monceau ", " Versailles " ; il lui faut un contact direct avec la nature.

À son retour de Paris, à Alger en 1890, la presse lui est aussitôt favorable, il expose rue d'Isly, galerie Dru, des toiles de la région parisienne et des environs d'Alger. Chaque année, il expose à Paris, au Salon des artistes français. Son atelier de Mustapha Supérieur est l'ancien ouvroir de Mme Luce Ben Aben (Mme Luce Ben Aben, collectionneur, afin de restaurer les arts traditionnels, avait ouvert un atelier où ses élèves musulmanes travaillaient d'après des modèles anciens de broderies et tapisseries.Voir ici.).

En 1897, il retourne à Paris où il passe deux années, puis il voyage en Bretagne, dans le Midi, et en Savoie.

Deshayes change d'atelier, il s'installe au 1 rue de la Liberté; il expose au Petit-Athénée (rue Dumont d'Urville), au Vieux- Chêne, présente des marines, des paysages du littoral, des fleurs, des vues de la Casbah.

En 1909, il loue un atelier boulevard Laferrière et ne le quittera plus. À cette époque, de nombreux peintres métropolitains s'installent chaque année en Algérie, pour se familiariser avec la beauté des sites, les coutumes et les moeurs des indigènes. Léon Tanzi est de ceux-là et Deshayes subit naturellement son influence. Sa technique évolue, la couleur est étalée au pinceau, sans empâtement excessif. La touche est courte, multiple, extrêmement adroite. Il se délasse en faisant du pastel; mais ne s'y attarde pas. Quant au dessin, il est méticuleux, irréprochable.

La physionomie ouverte et souriante, le regard intelligent et droit, la barbe fine et soigneusement taillée, Eugène Deshayes est un charmeur. Tous ceux qui le connaissent, l'apprécient pour la bonté de son coeur, la délicatesse de ses sentiments et aussi pour son grand, son incontestable talent.

La contemplation de la mer est à ce point forte qu'il lui arrive de travailler dans un bateau où il étudie toute la faune et la flore méditerranéenne. Il peint la mer à toutes les heures du jour. Les Baléares, où il fait de longs séjours ; la côte algérienne, de Bougie à Didjelli notamment, lui procurent le meilleur de ce sujet. Il s'attarde devant la vie prodigieuse des ports et des quais. Un sujet favori : les navires, les bateaux à aube venus vers la fin du siècle dernier, faire leurs ultimes voyages sur les côtes algériennes. Rien de plus naturel pour ce peintre friand d'harmonies éclatantes et rares, que d'être attiré par les magnificences du Sud algérien. Jusqu'en 1928, date de sa dernière randonnée, il parcourt les vastitudes sahariennes, accompagnant les caravanes, couchant sous la tente, subsistant quand il le faut, de galette et d'eau tiède, s'intégrant peu à peu à la vie indigène, étudiant les moeurs et les coutumes, découvrant ce que les voyageurs pressés ne surent jamais découvrir.

Le 7 février 1902, Deshayes reçoit mission du gouverneur général Révoil, de se rendre avec ses pinceaux et sa palette dans le Sud Oranais. Cette région est dangereuse. À Saïda, l'artiste se joint à un détachement de la Légion étrangère. Il réunit ainsi une documentation énorme. Il note les incidents de route sur ses carnets de croquis. Il plante son chevalet un peu partout dans le Sud algérien : Ouargla, Touggourt, Biskra, El-Kantara, Batna, Timgad, Ghardaïa... Avec un lyrisme sagement conduit, il signe ces fameux " Jardins d'Alger ", qui ont leur place marquée dans les plus riches collections du monde. L'artiste joue sur ce thème, qu'il se plaît à développer sous les aspects décoratifs les plus imprévus et les plus séduisants. Le Maroc, qu'il parcourt, lui propose aussi de beaux sujets, d'un caractère tout particulier. Deshayes s'intéresse surtout à Marrakech où tant d'images sont faites pour séduire, aux mosquées de Fez. Il travaille davantage en Tunisie et dans le Sud tunisien, où le résident général Pichon le charge, par deux fois, de missions. Les ruines romaines, pour lesquelles il a une prédilection et qui sont nombreuses dans ce pays, tiennent une place importante dans ses cartons.

Deshayes expose régulièrement son oeuvre, à Alger, Bône, Oran, Constantine, Tunis, Paris, Arras,Marseille, à l'étranger : en Angleterre, Allemagne, Espagne et Amérique. Ses vernissages sont des événements, un défilé de visiteurs ininterrompu.

Eugène Deshayes-jardin d'Alger

Comme beaucoup de ses collègues, Eugène Deshayes reçoit d'assez nombreuses commandes officielles. En 1900, il brosse une décoration sur toile pour la grande salle à manger du Palais d'Été. La même année, il peint l'un des quatorze panneaux décoratifs du Pavillon de l'Algérie à l'Exposition internationale. Les sujets sont tirés au sort, Deshayes s'attribue le plus ingrat : " Les phosphates ". Sallès, Noailly, Chataud, Sintès, Muller, Antoni, Reynaud et son vieil ami Bertrand se partagent les autres.

Il obtient de nombreuses récompenses, mais ne les prend guère au sérieux. Une médaille d'or lui est attribuée pour sa participation à l'Exposition internationale de Paris en 1937, où il envoie une " Vue de Ténès ". En 1923, le contre-amiral Thomine l'accrédite en qualité de peintre du département de la Marine. En 1935, l'artiste reçoit la croix de chevalier de la Légion d'honneur. C'est en 1932, lors d'un séjour estival à Cherchell, qu'Eugène Deshayes ressent les premières atteintes du mal implacable et sournois qui, quelques années après, devait avoir raison de sa verte et féconde vieillesse. Sa femme lui fut d'un admirable soutien. Il passe ses dernières vacances dans sa petite villa de La Bouzaréah " Ric et Rac ". La déclaration de guerre, le 2 septembre 1939, lui porte un rude coup. Patriote ardent, français de toute son âme, il suit la marche des événements avec une attention soutenue. Avec la même vaillance au travail, il pense à sa prochaine exposition en décembre.

Le 24 novembre, il s'éteint. Le peintre de la mer, le chantre inspiré des pierres millénaires, va, suivant son désir, reposer dans le petit cimetière romantique de Tipaza.

Le 1er décembre 1939, en séance du conseil municipal, M. Rozis, maire d'Alger, toujours dévoué aux artistes et profondément attaché à l'oeuvre qu'ils ont laissée, rend un vibrant hommage à la mémoire d'Eugène Deshayes. Enfin, le 25 avril 1941, M. Rozis, désireux de perpétuer le souvenir du Maître, proposait à son conseil municipal, de débaptiser la rue de l'Industrie et de lui donner le nom de rue Eugène-Deshayes. L'adhésion fut unanime.

Élisabeth Cazenave


Bibliographie :
- ARNAUDIÈS Fernand, Eugène Deshayes - peintre algérien, Alger, 1941.
- GRIFFANES Tristan, Eugène Deshayes, La Vie Algérienne, décembre 1924.
Expositions :
- Alger, 1904, rue d'Isly.
- Alger, janvier 1909, avenue Pasteur.
- Alger, décembre 1912, Hôtel-de-Ville.
- Alger, février 1916, galerie Choses d'Art. - Alger, décembre 1918, rue Dumont-d'Urville.
- Alger, novembre 1921, Le Vieux-Chêne.
- Alger, novembre 1925, Bijou-Concert.
- Alger, décembre 1926, Salle d'Isly.

Eugène Deshayes

Eugène Deshayes