Louis Granata,
peintre algérois

Jean-Jacques Tavera

extraits du numéro 97, mars 2002, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
mise sur site le 9-1-2010

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Louis Granata : " Sujets de Bou-Saâda ", 58 x 70 (coll. particulière).
Louis Granata : " Sujets de Bou-Saâda ", 58 x 70 (coll. particulière).

Louis Granata
peintre algérois
1901-1964

Nous avons au Cercle de Hyères, un couple discret et sympathique d'adhérents qui, au hasard des conversations, nous a fait part de son attache familiale avec Louis Granata, le peintre algérois.
La curiosité, tout autant que le devoir de mémoire, nous pousse à nous remémorer la vie de cet artiste trop tôt disparu.

Louis Granata est né le 10 décembre 1901 à Spezzano Grande; sa mère étant allée accoucher en Italie avant de regagner Alger où elle vivait. Cela se pratiquait beaucoup à l'époque, chez tous ceux dont l'origine est méditerranéenne (Italiens, Corses, Espagnols, Sardes, Maltais, Provençaux...).

La famille était implantée en Algérie de longue date. Le grand-père, Jean Granata, le premier arrivé, tailleur de pierre et maçon, s'était installé au Clos Salembier où toute sa famille vivait dans une petite maison qu'il avait achetée et qu'il agrandissait lui-même, au gré des naissances et de sa situation financière. Le père de Louis, sculpteur, habitait aussi au Clos Salembier, dans une magnifique villa mauresque dont les plafonds étaient " relevés " (peints). Cette demeure jouxtait la propriété Lung. Louis avait deux soeurs plus âgées que lui. L'aînée, Joséphine, mariée à Antoine Mercurio, employé des Douanes, et la cadette, Isabelle, mariée à Julien Albano, ébéniste de son état, qui travaillait aux Établissements Lassalas à Belcourt.

Le petit Louis commence à travailler avec son père qui lui inculque les premiers rudiments de dessin. Doué, il est remarqué et s'inscrit à l'école des beaux-arts d'Alger, rue des Consuls, en 1912. Son travail assidu, associé à un grand talent, lui fait obtenir, en 1916, le premier prix de peinture pour un nu. C'est là que le maître Rochegrosse le remarque et le prend dans son atelier. Il va le considérer comme son propre enfant. Son amitié sera très bénéfique à Granata. Il côtoie les peintres algérois et, parmi tous ceux qu'il rencontre, Dinet.

Dinet l'emmène dans le Sud. Ils vont travailler tous les deux la lumière saharienne à Bou-Saâda. Louis ira d'un atelier à l'autre entre ces deux peintres; il trouve là son accomplissement. Il sera peintre et seulement peintre! Rochegrosse, le voyant travailler de façon si ardue, le pousse à exposer et lui fait ouvrir les salons du Bijou Concert, rue d'Isly, en 1921: c'est un triomphe! Granata revoit souvent son professeur, Jules Van Biesleweck, qui l'a initié à l'art du pastel.

En 1922, l'État lui achète " L'aveugle et le paralytique " à l'occasion de l'Exposition coloniale. Mais, il découvre l'huile et se lance alors dans les portraits d'Arabes et peint aussi des marines. Il va parcourir la Kabylie du Djurdjura avec son ami Charles Savorgnan de Brazza, un remarquable aquarelliste.

Le 30 avril 1925, Louis Granata épouse Mireille Gisbert dont le père, bourrelier, a un atelier contigu à celui de tonnellerie appartenant à l'oncle d'un certain Albert Camus, à Belcourt. Le jeune couple vit au 5 rue de Lorraine, puis au 18 rue Lamartine, avec les beaux-parents. C'est là que naîtront deux fils : Georges et Louis. Dans la grande maison de la rue Lamartine, Louis a installé ses beaux-parents et son atelier. La famille partira plus tard rue Darwin, à l'angle du chemin Fontaine Bleue, dans une villa de style oriental typique et remarquée pour sa somptueuse glycine.

En 1930, le peintre obtient le prix Dollin du Fresnel (dit Prix du centenaire) de l'Union artistique de l'Afrique du Nord. En 1931, il fonde la Société libre de l'artiste algérien, qui deviendra plus tard la Société des arts et lettres de l'Afrique du Nord. Son éclectisme le pousse à toucher à d'autres formes de l'art : c'est ainsi qu'il crée, en 1936, le Club des cinéastes amateurs d'Algérie. La reconnaissance de ses pairs et les critiques très favorables vont lui valoir une médaille d'or hors concours en 1937 à Alger, pour le classicisme de son style.

Granata n'est pas français. Il tient à obtenir la nationalité française et pour cela, il va s'engager au 5e Chasseur (rue Marguerite), de 1939 à 1940. Au sortir du régiment, il participe au Salon des petits tableaux où il est primé en 1940.

En 1951, Granata sera officier d'académie pour les Beaux-Arts et, en 1956, la ville d'Alger lui décerne une plaquette d'honneur.
Entretemps, Louis avait présenté ce qu'il considérait comme son oeuvre maîtresse : une composition allégorique inspirée d'un poème d'Edmond Rostand : " La Brouette " : c'était en 1945 (cette toile sera sauvée par le beau- père de son fils Georges, roulée et portée en bandoulière). Ne disait-on pas aussi que ses toiles comme " l'Achoura " ou " La Chanson de l'Aveugle " étaient dignes d'un musée dédié à la vie arabe?

Louis Granata " Environs de Ténès " 26 x 71 (coll. particulière).
Louis Granata " Environs de Ténès " 26 x 71 (coll. particulière).



Sa fierté fut d'être cité dans le catalogue du Salon des artistes français, dont il était sociétaire, qui, à Paris en 1960, l'avait classé parmi les plus grands orientalistes contemporains.

En 1961, à l'Exposition internationale de Vichy, il obtient le prix du Public.

Les heures sombres arrivent. La belle maison rue Darwin est convoitée; elle se trouve en effet face à la cité Mahiedine.

Granata reçoit des menaces. Il doit quitter précipitamment sa villa en y laissant tous ses meubles, mais surtout une multitude d'oeuvres qu'il ne reverra jamais.

Louis et sa femme vont s'installer à Salon-de-Provence, se rapprochant ainsi de leur fils Georges qui a obtenu une mutation à Miramas. Les voilà donc tous deux dans un tout petit studio en location, le peintre obtenant un poste de " maître auxiliaire " de dessin dans un collège de la ville.

Ses proches sont inquiets, il n'a pas grande envie de reprendre ses pinceaux, les moyens lui manquent. Il monte tout de même une exposition dans le hall de l'Antenne, à Marseille en octobre et novembre 1962. Sur le carton d'invitation qu'il fait parvenir à son beau-frère, il s'excuse de ne pas avoir écrit plus tôt " car avec tous ces événements, nous sommes tout désorientés... ".

C'est de désespoir que Louis Granata s'éteindra le 4 avril 1964.

Le jour même de son décès, ses enfants relèveront dans sa boîte à lettres, sa nomination comme professeur titulaire de dessin dans l'Éducation nationale. Son épouse lui survivra une dizaine d'années, pour disparaître à son tour le 6 mars 1974.

Jean-Jacques Tavera

Expositions :
- Première exposition à Bijou Concert, Alger, 1921.
- Salon de l'Union artistique de l'Afrique du Nord, Alger, 1928.
- " Arabe à la fontaine ", sujet de Bou-Saâda, Alger, 1929.
- " Sud Algérien, Bou-Saâda ", galerie Salles-Girons, Alger, 1930, 1935, 1938.
- Galerie du Crédit Municipal, marines, paysages, coins du Djurdjura et de Kabylie, Alger, décembre 1938.

Nous remercions Mme Marion Vidal-Bué pour les reproductions de tableaux illustrant cet article. Les oeuvres de ce peintre seront reproduites dans son prochain livre
L'Algérie des peintres. 1830-1960, tome II, dont la parution est prévue pour septembre 2002.

Galerie Colin

À la suite de la publication, dans le livre de Marion Vidal-Bué, Alger et ses peintres - 1830-1960, d'une note en page 244 sur la galerie Colin, la famille s'étant manifestée, l'auteur est en mesure de rectifier et de donner des précisions : la maison Colin, dont la vocation était " Tout pour la musique ", avait été fondée en 1905 par M. Paul Marie Colin, facteur de pianos à Nîmes, décédé en 1946 à Alger, puis gérée par son fils Paul Colin, né à Nîmes en 1892 et décédé à Alger en 1960, président du Syndicat commercial de la musique. La famille Colin, issue d'un peintre ami de Delacroix et exécuteur testamentaire de Géricault, Alexandre-Marie Colin, très proche du monde artistique en général et de celui de la peinture en particulier, a ouvert à Alger " la galerie Colin " au 12 rue Dumont-d'Urville, dans la grande salle d'exposition et de vente de la sodé- té. Cette galerie a notamment fonctionné pendant les années de la Seconde Guerre mondiale, exposant des peintres comme Bénisti, Bernasconi, Bouviolle, Caillet, Claro, Galliero, Terracciano, Tona, etc.