-Bab-Azoun et son faubourg.
À l'extrémité de l'actuelle rue Bab-Azoun, il y avait une mosquée, flanquée d'un minaret octogonal, assez différent pour la forme des autres minarets d'Alger et assez semblable à ceux de Tunis : octogonal, presque rond, surmonté d'une haute lanterne à facettes, presque ronde elle-même et coiffée d'un chapeau pointu. Un peu plus haut, les deux casernes de janissaires de la rue Médée,...
Louis Bertrand de l'Académie Française a vécu une dizaine d'années à Alger à partir de 1891.
Dans son ouvrage, il raconte ses promenades dans le vieil Alger. En voici un extrait.

Nouvelles Éditions du Siècle, Paris, 1938
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sur site le 27/09/2002

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-----À l'extrémité de l'actuelle rue Bab-Azoun, il y avait une mosquée, flanquée d'un minaret octogonal, assez différent pour la forme des autres minarets d'Alger et assez semblable à ceux de Tunis : octogonal, presque rond, surmonté d'une haute lanterne à facettes, presque ronde elle-même et coiffée d'un chapeau pointu. Un peu plus haut, les deux casernes de janissaires de la rue Médée, lesquelles complètement transformées, sont devenues le cercle militaire d'aujourd'hui. Enfin, une autre caserne près de la porte Bab-Azoun, en dehors du rempart où étaient fichées à des crocs les têtes de suppliciés.
-----Tout cela a été profondément bouleversé par la création des nouveaux quartiers et par la percée des rues BabAzoun, de Chartres et de la Lyre. Mais il subsiste encore une foule de beaux restes des anciennes constructions, notamment au cercle militaire et dans toutes ces petites rues montantes qui joignent Bab-Azoun à la Lyre. Il n'y a pas à chercher bien loin : il faut seulement un peu de patience et la passion des vieilles pierres, un peu d'imagination aussi. De mon temps, les vieux Algérois se souvenaient encore de la caserne Bab-Azoun, qui fut, jusqu'en 1868, le lycée d'Alger.

---------C'est ainsi que je la revois à travers les souvenirs de mon ami Charles de Galland, qui fut un des plus brillants élèves du " vieux Bahut ". Cette bâtisse, qui s'élevait en dehors de la porte BabAzoun, au bord du fossé des fortifications, s'appelait, paraît-il, la Caserne des Buveurs de lait. En vrais Turcs, les farouches soudards qui l'habitaient étaient friands de lait frais. Pour s'en procurer à bon compte, ils trouvaient tout simple d'arrêter à la porte de la ville, - devant leur porte, - les petits ânes des laitiers indigènes et de prélever leur part sur la marchandise. Comme ils auraient pu prendre tout, étant maîtres et seigneurs, on leur savait gré de se contenter d'une seule mesure...
-----A partir de 1848, le lait des fortes études remplaça pour les lycéens, nouveaux hôtes de la caserne, le petit lait des fellahs du Sahel. On nous assure que, non seulement on y faisait maigre chère, mais que le logis désaffecté n'était pas très commode, qu'il était sale et délabré! C'est bien possible! Mais qu'il était pittoresque, ce Vieux Bahut, si j'en juge d'après les gravures de l'époque! Ses murs blanchis à la chaux et percés de petites fenêtres grillées se dressaient sur un escarpement de rochers qui surplombaient la mer : un vrai décor romantique, où s'évoquent toutes les turqueries de 1830, celles de lord Byron et celles de Victor Hugo...

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Je ne plains pas les petits prisonniers qui, de leurs dortoirs, ou de leurs salles d'étude, avaient, pour se consoler, un horizon pareil. Mais le proviseur surtout était gâté. Les panneaux de son cabinet, pur bijou de style mauresque, disparaissaient sous un revêtement de faïences peintes. Les plafonds, dorés et rehaussés de couleurs vives, reposaient sur des colonnes de marbre blanc, à chapiteaux ioniques, les plus élégantes peutêtre de tout Alger... C'était trop beau! Il a fallu jeter par terre toutes ces merveilles, abattre les colonnes. Comme des captives de guerre, les vainqueurs les ont enlevées et transportées chez eux. Aujourd'hui, ces tristes exilées décorent, au palais de Mustapha, la salle à manger du gouverneur général de l'Algérie...Qui se souvient d'elles et du Vieux Bahut ?

-----De grandes avenues européennes ont recouvert l'emplacement de la Caserne des Buveurs de lait. Plus trace de la porte Bab-Azoun et de ses murailles patibulaires. Les anciens fossés ont été comblés et sont devenus ce boulevard en escaliers, qui commence derrière le théâtre et qui aboutit au sommet des Tournants Rovigo : il s'appelle le boulevard Gambetta. Quand je le descendais et le montais quotidiennement pour rentrer chez moi, je cherchais, derrière ses rangées de maisons en étage, des vestiges des anciens remparts de Barberousse : il en subsistait encore quelques débris. Mais il y avait là, presque côte à côte, un pensionnat tenu par les soeurs Trinitaires et un local occupé par la Ligue de l'Enseignement laïque. Et ce rappel de nos mesquines querelles, ce nom de Gambetta sur les plaques des rues, confronté avec celui de Barberousse, ces antithèses presque comiques, ces heurts de notions et d'époques, cela me gâtait la splendeur des couchers de soleil sur les créneaux ébréchés du rempart Médée.