Belcourt - Alger,
Belcourt, notre quartier
par Alain Cuvillier
extrait de " aux échos d'Alger, numéro 32 "
Lire ensuite une réponse de Mustapha Ouragh qui habite encore Belcourt. ( du 5-11-2003)
mise à jour : 1-09-2003

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BELCOURT, NOTRE QUARTIER
Alain CUVILLIER.
En référence à l'article déjà paru de Mme Jeanine ROSTOLL.

-----OUI. Comment ne pas penser constamment... 30 années en Algérie, autant en France Métropolitaine et pourtant mon cœur, tel une horloge est resté là-bas comme arrêté par une force magnétique à l'heure de notre départ avec comme un arrêt sur l'image en notre Beau Pays.

-----Mes parents se sont établis à Belcourt lorsque j'avais 8 mois en 1933...
-----Mes souvenirs concordent par certains côtés et divergent par d'autres avec tout ce que j 'ai pu lire à œ jour à ce sujet, les témoignages sont différents suivant la réceptivité et la sensibilité de chacun.

-----J'ai ouvert les yeux sur ma RUE ADOLPHE BLASSELLE. Tout au début en montant à gauche de cette rue se trouvait la " Brasserie Rialto ", propriété de mes parents, ensuite un tailleur "Le Chic de Paris, le père de Sydney, puis un marchand de vins et liqueurs en coin tenu par un certain Paul Pons, puis il fut géré par les parents de Jeanine... Après tant d'années ma mémoire défaille, certains noms de famille me sont sortis de l'esprit. Puis une ruelle et le garage sis sous l'immeuble du 3 où nous habitions au 4 , au coin de l'immeuble se trouvait à l'origine une église protestante, puis pendant la guerre ce fut un foyer de soldats alliés, ensuite ces lieux devinrent un magasin de télé-radio. Nous avions également un appartement au 9 de cette même rue. Passé le boulevard Auguste Comte se trouvait le " Bar des Amis " (que de parties de billards avec les copains...), puis des entrées d'immeubles coupées par une petite mercerie justement au 9, ma rue se terminant rue Darwin. Remontant sur la droite le " Café de la Gaieté ", puis un renfoncement de deux mètres carrés, c'était Richard, le marchand de brochettes qui excitait les papilles gustatives de tout le quartier par le fumet alléchant de ses grillades au feu de charbon de bois, à la suite c'était un marchand de légumes, Ah (remplacé plus tard par un magasin de chaussures) et le centre d'attraction du quartier le salon de coiffure des frères D'Accunto où l'on riait et plaisantait à longueur de journée, puis la boulangerie Garda, la droguerie Martinez, la crémerie Michaud et la charcuterie Mari, en coin... Traversant le boulevard déjà nommé un mini magasin de bonbons où nous allions nous approvisionner, puis un magasin mozabite face au 9, puis un atelier de cycles, plus haut la boulangerie de Maurice, le copain de mon père où j 'allais pendant la guerre (en cachette) prendre du pain chaud en son fournil joyeusement éclairé par un feu de bois.

-----À la déclaration de la guerre 39-45 j'avais 6 ans et je me souviens du moment où, mangeant un bifteck Mme Stella, notre voisine est venue avec son accent italien dire à ma mère "Mme Couvillier, aïe mon Dieu, la guerre elle est déclarée ", et moi sans comprendre exactement qu'il s'agissait d'un moment historique je n'ai plus eu faim, tandis que toutes deux larmoyaient. A partir de cette époque commencèrent les restrictions, les tickets de rationnement et le "marché noir "... Le débarquement des alliés et c'est alors que l'aviation allemande arrosa notre ville de ses bombes aveugles et à chaque alerte c'était de jour et de nuit la course vers l'abri qui était en haut de notre rue près du coin de la rue Marey... Malgré ces inconvénients et ces instants de malheurs avec toute l'insouciance qui caractérise la jeunesse, ce fut pour nous, les enfants, la belle époque car nous pouvions enfin savourer le délicieux chocolat américain ou anglais, le chewing-gum " Sin-Sin-Gom" pour les anciens, fumer en cachette des cigarettes blondes et baragouiner en anglais avec tous ces soldats si sympathiques. Et puis, cette char. té, cette chaleur, ces regards enjoués, ces cafés d'où fusaient des rires, des réparties, toute la joie d'être, d'exister. Comme il nous ennuyait ce soleil qui plombait à midi et était restitué le soir par le sol et comme certains d'entre nous qui se plaignaient alors doivent actuellement le regretter ce soleil lourd et pesant, surtout s'ils sont obligés de vivre dans le nord qui n'est pas notre nord de l'Afrique. Mon soleil, je le revendique bien haut, cette clarté, ce bleu du ciel je ne l'ai plus revu depuis..

-----Laissant courir mon imagination, je revois en bloc les bigareaux, cette fête constante des couleurs éclatantes et fortement contrastées, les marchands de figues de barbarie, de cacahuètes, de calentita, les yaouleds, les oialhionnes (fours à chaud ou fouratcho "bons à rien "), qui rêvassaient sous le ciel, je sens encore l'odeur du grillage du café vert aux usines Nizière qui inondait tout le quartier de sa suave senteur. La pâtisserie Guisto, autre copain de mon père, et dont la spécialité était un gâteau que nous nommions "Russe ", sorte de meringue enrobée de crème et d'amandes concassées et tous les dimanches c'était la chaîne en son magasin, je revois aussi le Palais de la Bière, le boulevard Thiers, nos jeux de ballons, de noyaux, de billes rue du 8 Mai, nos parties de cartons de boîtes d'allumettes, de capsules de bouteilles de bière " La Gauloise ", les jeux de toupilles au milieu de la route et voici que défilent mes petits copains d'enfance Edgard Renaud (dont le frère fut tué à la guerre), Hervé Parent que j'ai revu à Marseille à la tête d'une nichée de quatre beaux enfants, Dédé Martinez que j'ai vu aussi à Marseille, Vitiello, Ripoll, Pépé, Andreu, Guy aux yeux de Chinois, et j'en oubli, qu'ils me pardonnent. Nos matches de foot contre A ? au foyer civique qui était encore un champ de manoeuvrel avant que l'on ne construise, nos bagarres, nos premiers émois, nos émotions lorsque nous allions épier les amoureux le soir autour de la Tour des parachutes du Champ de Manoeuvre, nos comparaisons anatomiques, nos concours de crachats, etc.

-----Mais faisons un retour en arrière, je me revois tremblant et pas fier du tout lorsque mes parents me menèrent à 3 ans à l'institution Ste Chantal tenue par des Soeurs. J'entends encore les rires de ma mère lorsque je rentrais le soir à la maison avec l'accent inculqué par les bonnes soeurs, qui venaient toutes de la Métropole. "Le Rauz et le Roose ", et lorsque j'employais le mot terrine pour désigner un récipient. Je restais en cette école jusqu'à l'âge de 6 ans où je vécu comme dans un cocon, tout y était gentil et tout y était beau, c'était quiétude et douceur de vivre parmi les fleurs et les bougainvillées. C'est là que j'ai planté et vu pousser mon premier plant de pomme de terre et que j'ai vu le premier miracle de la reproduction, j 'avais appris les bonnes manières au sein de cette institution, mais je ne savais pas lire correctement. Je redescendis vite sur terre lorsqu'on me mit à l'école de la rue Darwin, à côté de chez Marcé, après tant d'années je sens encore l'odeur de l'encre, celle des livres et des cahiers, celles piquante du petit coin et surtout, souvenir inoubliable, je reçus mon premier coup de poing qui me fit réellement voir des étoiles et c'est là sur le tas que j'appris à ne plus tendre l'autre joue mais à serrer les dents et à rendre... J'étais sorti de l'enfance...

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A la fin de la guerre mon père vendit le Rialto et nous acquîmes à Kouba "Les Orangers ". J'allais donc à l'école de cette localité pendant un an, puis je revins vite à mes premières amours (Belcourt), àl'école Chazot, 47, 48, 49 ? et je me souviens de quelques noms André Zenou, Trojani qui jouait au volley-ball avec moi au Gallia, Brahimi dont les parents tenaient une boulangerie, Raymond Petit, fils de cafetier comme moi, Baghietto, Apicelha, Decourty, etc... Aïe ! ce trajet A. Blasselle-Chazot, soit par la rue de Lyon, soit par le boulevard Auguste Comte, c'était un rêve enchanté pour un jeune de 16 ans, je revois ce chemin comme si j'y étais et je suis persuadé qu'après ma mort je hanterai ces lieux n'en déplaisent aux nouveaux maîtres de "MON PAYS ". La jeunesse, la force et mes lunettes (premières Ray Ban), mes chaussures en daim, ma veste pied de poule, mon polo bleu tout à la SDAGUE, les regards langoureux, troublants et provocants des jeunes f il-les, la piscine des Groupes Laïques. Nous jouions sans le savoir les " Aldo Maccione " avec nos roulements d'épaules rembourrées, nos oeillades assassines et viriles et comme nous nous sentions forts et invincibles du haut de nos 17 ans, étant un tantinet narquois, impertinents vis-à-vis de nos professeurs et, entre parenthèse, si elle me lit je voudrais platement m'excuser auprès de la jeune prof d'anglais que je regardais fixement sans ciller, l'obligeant à détourner le regard, quelle impudence ! M. Mercène était notre prof de math et je me rappelle le regard cerclé de lunettes de M. Jouffray qui était notre prof de français, un prof à l'ancienne qui aimait son métier et qui a réussi à nous inculquer des principes et la notion des valeurs que j'applique encore aujourd'hui tout en pensant à lui. Et après tant d'années, je voudrais rendre un hommage particulier à M. Bovis, directeur de cette école, avec qui nous chahutions et qui était si bon, si patient et j 'ai aujourd'hui des scrupules au rappel de notre jeune cruauté à son égard...

-----Et pêle-mêle les images du dépôt des C.F.R.A., rue Alfred de Musset, et les tramway qui sortaient les matins vers 5, 6 heures et nous réveillaient avec leur klaxon, et je me rappelle mes jambes de 17 ans, agiles, courant pour prendre le tram en marche et en descendre de même, c'était un sport et c'eut été une honte de monter à l'arrêt, c'était comme à la plage où il était de bon ton de plonger en arrivant dans 30 cm d'eau en une sorte de "Pancha " en claquant fortement l'eau de nos bras tendus de manière à amortir le choc, et c'était vraiment spectaculaire... En face du café (Rialto), il y avait le cinéma Musset, la pharmacie Durand, le bar des Sports ; sur la rue de Lyon plus loin l'arsenal, le poussin bleu ou rose? le cinéma caméra, le Mondial, le Roxy, le Monoprix, l'allée des mûriers où nous allions nous approvisionner en feuilles pour l'élevage de nos vers à soie, le bar des Arcades, et je mélange tout emporté par la passion, la librairie Tabuteau, celle de Stoeckhin, la boulangerie Guirado où l'on affirmait avec sérieux dans le fournil même, toute la poésie de la longue et étroite rue Marey avec ce mélange de chèvrefeuille et de jasmin dont j'ai encore l'odeur en moi et que je ne puis vous transmettre ou transcrire sur ce modeste papier, les palmiers nains ornant les petits jardins avec leurs grappes de fruits oranges que nous nommions " cocosses " au goût acide, et cette allée des mandariniers que nous empruntions plusieurs fois par jour pour nous rendre à l'école de la rue Darwin, il y avait des hôtels troublants... et là je pense qu il y a prescription, nous enjambions les grilles des patios pour y dérober des mandarines et j'en garde un souvenir cuisant, celui du jour où la propriétaire est sortie et nous a traité de tous les noms et où en me sauvant mon pied s'est accroché dans la grille et je me suis brisé le poignet gauche, et le docteur Burr m'a immobilisé le bras durant 45 jours, quel supplice !... Chères ces mandarines.

-----Au début du boulevard Auguste Comte existait une petite chapelle Don Bosco où nous allions au patronage y jouer et notre église était à son origine installée rue d'Ornans (oui, certains ne le savent peut-être pas, Saint-Paul, Sainte-Rita était en cette rue), ensuite durant de longues années elle fut boulevard Auguste Comte et c'est grâce à la ténacité du Père Roux que nous pûmes avoir la dernière qui fut construite en face vers 1955; c'est ce même père qui m'a baptisé, m'a fait faire la première communion et a béni mon union et j'ai appris récemment qu'il était décédé. Comme j'aurais aimé le revoir...

-----Quelle tchatche, au fil de mes phrases je me suis emporté ou plutôt je me suis laissé guider et c'est comme si j'y étais et comme je serais heureux de pouvoir vous transmettre la flamme qui anime mon coeur et guide mes mains dont les doigts pianotent agilement sur les touches de ma machine à écrire... Eh! oui, je pourrais remplir des pages et des pages et arriver à vous lasser si ce n'est déjà fait ? Mais je voudrais être bref et vous parler d'un sentiment qui me tient à coeur et en particulier je m' adresse à mon grand fils et à tous les enfants de vous mes frères Pieds-Noirs en leur disant : " Soyez fiers de vos parents, de vos grands-parents, ne rougissez pas, vous n'avez pas le droit d'avoir de complexes et présentez-vous de suite en disant JE SUIS PIED-NOIR et FIER de l'être, et surtout ne tombez pas dans le piège qui consiste à se désolidariser en disant j'étais trop jeune, je ne me souviens plus, je ne suis pas comme les vieux... " Alors, je bondis et je réponds : " Nous sommes encore vivants les anciens (57 ans) et pourrons réparer toutes les lacunes qui vous font défaut et sachez en profiter pendant qu'il est encore temps car nous sommes les derniers témoins et acteurs du Drame de ceux qui ont vécus et connus le Paradis Perdu de 1'ALGERIE FRANÇAISE doux et joyeux, de ceux qui pourront vous parler de la douceur de vivre dans les mauvais comme dans les bons moments et que de plus nous avons payé très cher ce droit de nous dire PIEDS-NOIRS ou plutôt pour moi c'est un honneur.

-----Et si vous n'écoutez pas ce dernier conseil alors vous verrez que dans 20 ou 30 ans vos petits-enfants apprendront à l'école en quelques phrases lapidaires que leurs arrières-grands-parents étaient des profiteurs et des opprimeurs...
-----À tous ceux qui auront eu la gentillesse de subir ma prose jusqu'à la fin je transmets mon meilleur salut fraternel.

-----TRES AMICALEMENT,

Alain CUVILLIER.


Monsieur CUVILLIER, salut!

-----J'ai eu l'occasion de lire votre prose, à travers votre site Web. Vous y avez relaté la mémoire et les souvenirs de votre enfance vécus ici en Algérie, précisément, au quartier Belcourt d'Alger.

-----Ce quartier est mon quartier aussi, je vis dans ce dernier, plus précisément, au 14, ex rue Adolphe BLASSELLE, depuis 1939. Je suis le mozabite que vous aviez cité dans votre texte. Peut être vous rappelez-vous de moi par le surnom de TANGO; car il est fort probable que vous étiez l'un de mes clients du quartier.

-----Je me rappelle d'un certain Monsieur CUVILLIER, qui habitait le bâtiment 14, qui appartenait à Monsieur Alfred d'Aaron DOUIEB; il habitait le 5eme étage en face des MARTEL.

-----A cette occasion, je vous rappelle de quelques noms que vous aviez peut être oublié, comme: Mme COHEN la propriétaire de la mercerie d'au dessus du 9, Monsieur RAYMOND le réparateur des cycles et Monsieur ALZINGUE le commerçant des bonbons de la rue, et d'autres ….

-----Depuis cette époque à ce jour, ça fait déjà plus de quarante ans, la rue Adolphe BLASSELLE qui devient aujourd'hui Fayçal MEBAREK, n'a pas changé beaucoup. Tous les commerces que vous avez cité dans votre texte sont resté presque avec les mêmes vocations qu'à l'époque. Et c'est ainsi pour l'architecture du quartier.

-----J'ai apprécié beaucoup la nostalgie avec laquelle vous aviez relaté vos souvenirs d'enfance et de jeunesse. Et j'ai compris très bien vos sentiments.

-----Monsieur CUVILLIER, ni votre peuple ni le notre assume la responsabilité de l'histoire, seul les politiciens l'assument.

-----Après tant d'années de l'indépendance je crois qu'il est temps pour nos deux peuples de se réconcilier et de s'éprendre d'un avenir commun prospère.

-----Enfin, si vous avez à rappeler quelques détails de l'époque, je suis à votre entière disposition.

-----Amicalement vôtre

-----Mr M.O.