Alger, ses alentours : Birkadem
Eugène SCHEER, inspecteur général des écoles indigènes en Algérie
Cimetière de Birkadem
D'après des photographies et lettre de Samira Négrouche adressées à Leila Sebbar- Envoi J.M.Cambou
sur site le 5-10-2008
J'ai écrit de plusieurs façons aux auteurs de ces pages. Nulle réponse à ce jour...

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Novembre 2007           Leïla Sebbar. Journal de mes Algéries en France          

Je revois Samira au Sélect. Avant son départ à Alger, elle m'envoie une lettre où elle fait le récit cocasse de sa visite au cimetière chrétien de Birkadem où je lui ai demandé de retrouver la tombe du fondateur de l'instruction des Indigènes en Algérie, Eugène Scheer.

J'ai dû trouver l'information dans un texte de Aimé Dupuy directeur de l'Ecole normale
d'instituteurs de Bouzaréa à Alger dont je parle dans Mes Algéries en France. J'ai rencontré sa petite-fille Sylvette Dupuy qui m'a donné des documents dont je reparlerai, c'était au Raspail vert. Voici la lettre de Samira et les photos qu'elle a réussi à prendre ce jour-là.

Mission accomplie.

Cimetière chrétien de Birkadem, photographie par Samira Négrouche
Hall d'entrée du cimetière
Cimetière chrétien de Birkadem, photographie par Samira Négrouche
Hall d'entrée du cimetière

Novembre 2007  

Chère Leïla,

Tu m'as demandé de retrouver Eugène Scheer, ce n'était pas une mince affaire mais je l'ai fait. Je me demande parfois comment tu arrives à trouver des informations aussi précises jusqu'au détail de l'épitaphe écrite en français et en arabe.

Je ne connaissais pas le cimetière chrétien de Birkadem, pourtant je suis souvent passée à côté quand j'étudiais à l'hôpital de Tikesrain sur le bord de l'autoroute qui descend à Blida.

Je me suis d'abord rendue au village de Birkadem, c'est-à-dire là où restent encore debout l'église et la mairie de l'époque coloniale, cette ville s'est beaucoup construite sur des fermes qui sont encore réputées pour leurs produits agricoles exceptionnels, bientôt ce sera un mythe.

Paris, le 25 novembre 2007-12-09

Au hasard d'une course, je me suis renseignée auprès d'un commerçant qui m'a envoyée sur l'autoroute en me disant que « là haut, tout est mélangé, les chrétiens, les juifs et tout »,

Quel était donc ce tout ? Et depuis quand un Algérien avec une tache noire sur le front (très long à expliquer : selon certains, cette tache serait le signe que la personne qui la porte fait beaucoup la prière, mais cette marque n'est apparue que depuis peu sur le front de quelques musulmans...) et donc ma question, depuis quand un musulman pratiquant ou même un Algérien X peut-il avoir oublié que sa culture est de tolérance et de respect pour les autres religions ? Se peut-il que cet homme ne sache pas qu'un cimetière chrétien et un cimetière juif, ce n'est pas la même chose.

Le temps qui passe me fait peur, et si certains de ton côté de la mer fouillent dans les archives, de notre côté, on enterre soigneusement la mémoire et on retient ce qui sied aux uns et aux autres. A cette période, j'étais dans Camus à qui j'ai envie de demander pardon, que ce cycle de violence se soit ouvert sans jamais se refermer, pardon pour ceux qui ne savent pas qui sont les enfants de leur terre. C'est cette même violence que j'ai vécue en cherchant Eugène, à chaque étape, la religion ou les valeurs sont autant de faux prétextes qui n'expliquent en rien le déni et le mensonge par omission ou autre.

Le cimetière était cadenassé, une barre arrachée qui m'aurait permis de m'insinuer sans difficultés, cependant, il était préférable de prévenir la gendarmerie qui était juste en face ; de plus, trois jeunes hommes nous surveillaient déjà depuis un moment, leurs regards n'étaient pas tendres.

Les gendarmes m'ayant demandé de m'adresser à la mairie, je me suis imaginé que c'était mission impossible, d'autant plus que je prenais l'avion le lendemain matin pour Prague.

Une amie m'accompagnait, heureusement elle ressemble à une Européenne bien qu'elle soit algérienne. N'ayant pas dit un mot à la réception de la mairie, me laissant expliquer notre « cas », l'agent de mairie a vraiment cru qu'elle était française et nous a fait recevoir en urgence par le maire à qui je me suis gardé de dire que c'était pour un livre que prépare Leïla Sebbar, tu sais comme ils se méfient des livres. Il fallait que je trouve une histoire, des Algériennes qui cherchent à rentrer dans un cimetière chrétien, ce n'est pas normal, elles n'ont pas le droit d'être autre chose que musulmanes. J'ai raconté que mon amie devait donner à une amie commune la photo de la tombe de son arrière-grand-père.

Une vue du cimetière
Une vue du cimetière

Ni le maire ni ses agents ne savaient rien de cet Eugène Scheer fondateur des écoles indigènes d'Algérie, ils m'ont même juré qu'il n'existait aucune épitaphe écrite en français et en arabe. Ils n'avaient pas d'archives, encore moins le plan du cimetière.

Nous voici accompagnées de cet agent et de la clé pour accéder au cimetière, il a fallu repasser à la gendarmerie pour prévenir que nous étions à l'intérieur. Le paysage était désolant sur toutes les allées, beaucoup de tombes étaient ouvertes, d'autres fracassées, d'autres encore recouvertes avec du gravier.

Nous avons erré dans ce cimetière suppliant Eugène d'apparaître et de nous laisser fuir ce spectacle désespéré, Eugène nous a fait faire le tour des lieux, j'étais tellement sûre de ne pas le trouver que je me suis mise à photographier les plus vieilles épitaphes encore lisibles, au moins quelque chose à te montrer.

Au bout du cercle, le voilà aéré et majestueux, Eugène et sa double épitaphe franco- algérienne qui appelle à l'amitié des deux peuples, une pensée de sa femme ayant perdu le même jour un mari jeune et son enfant.

stèle de Eugène Scheer
stèle de Eugène Scheer

Voilà ce maître d'école, ses espoirs et encore d'autres questions ouvertes et d'autres tragédies algériennes ... algéro-françaises ?

Je te passe les détails lugubres de l'aventure, peut- être un jour comprendrons-nous le sens de cette

recherche.

A bientôt de te voir à Alger.

Je t'embrasse

Samira

stèle de Eugène Scheer