Birtouta - Un village d'Algérie :
La rentrée des classes

par Marie Orfila-Coll
Extrait de x Échos d'Alger, n°82, septembre 2003"
sur site le 28-10-2003...déplacé ici le 9-9-2005

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-------Le jour de la rentrée avec nos tabliers neufs à carreaux, nos gros souliers et chaussettes montantes, (vêtements et chaussures que nous gardions pendant l'année scolaire, même si nous avions un rechange (pas deux) nous étions fiers comme Artaban. Mais le hic!! c'est qu'avant d'arriver à notre école, il fallait passer devant la forge et là, la peur au ventre derrière ce cheval que l'on ferrait, une patte en l'air, un autre qui piaffait, attaché à un pieu, je vous dis que c'est en courant et en quelques secondes que l'endroit fatidique était traversé. Le cartable était secoué et surtout le panier d'osier où se trouvait notre repas de midi, tant pis pour l'omelette qui s'y trouvait, on respirait mieux après.
-------Il n'y avait pas encore de cantine en ce temps-là. Plus tard, les jeunes en ont profité. Toutefois en hiver, la maîtresse nous permettait d'entrer dans la classe et nous chauffions notre repas sur le poêle.
-------Le jeudi, c'est souvent les cousines du village qui montaient chez nous. Oh ! que de parties avons-nous faites !
-------Jeux de balles, osselets, mais ce qui nous passionnait le plus c'était de grimper dans les figuiers. Il y en avait tout le long de la route. Leurs branches étaient si feuillues que l'on ne se voyait pas d'un arbre à l'autre.
-------C'étaient nos maisons où l'on se rendait visite, après les parties de cache-cache. C'est fourbus, les genoux et les bras couverts de coups et de bosses, que nous entendions enfin les appels de notre mère nous priant de rentrer. Et c'est toujours ces souvenirs de l'enfance qui restent gravés en nos mémoires.
Peu après ce fut l'implantation d'une briqueterie, usine créée par Père et Fils PÉLIZZARI venus d'Italie, avec une particularité, c'est que chaque employé travaillant à l'usine devait jouer d'un instrument de musique de cuivre.
-------Ce fut ainsi que la première société musicale " S.M.B. " vit le jour à BIRTOUTA avant la guerre 14-18.
Le dimanche des concerts avaient lieu sur la place du village réunissant les villageois à la grande joie de chacun.
-------On savait prendre du plaisir simplement en ce temps-là, et la vie s'écoulait tranquille.
-------Beaucoup plus tard, une autre usine s'ouvrait " LA CELLUNAF ", usine de papier d'alpha qui employait beaucoup d'ouvriers. C'était le temps où il n'y avait pas encore de chômeurs.
-------Ce fut à l'âge de 5 ans en 1926, que je découvris mon village pour la première fois. A cette époque, il y avait déjà une école maternelle, une communale pour les filles, une autre pour les garçons, une église construite en dur après la première chapelle en bois, que je n'ai pas connue. Mais BIRTOUTA, dès sa création, ne resta pas un village inerte, mais au contraire au fil des ans et grâce au travail acharné de tous nos ancêtres, parents et amis. Ils formaient une immense famille où il faisait bon vivre.
-------Nous restions ma soeur Laurette et moi toute la semaine chez la mémé BAGUR qui tenait une épicerie au village, ce qui nous évitait des allées et venues pour aller à l'école.
-------Les parents avec leurs nombreux enfants et leur travail n'avaient pas beaucoup de temps pour nous y conduire chaque jour. Nous remontions à la ferme le jeudi et le samedi soir. Ils avaient tant à faire. Et là, je remonte un peu à mes souvenirs, au temps où nous habitions à la petite ferme, là-haut sur la colline, je crois qu'à ce moment-là, ils ont beaucoup souffert, pas de récolte dans ce terrain pierreux et aride et surtout pas d'eau. Les légumes venaient mal et la famille qui s'agrandissait après Laurette en 1923, Mathilde en 1924, Jeanine en 1927 (les plus jeunes Georgette, Gilberte et Jean-Paul) plus tard dans la grande maison que mon père hérita à la mort de la grand-mère.
-------Le lendemain c'était l'école
-------Après avoir nettoyé notre bureau en bois noir avec un morceau de bougie, l'avoir reluit avec un chiffon de laine, les encriers remplis par les élèves de service, la classe pouvait commencer " premièrement leçon de morale " chaque jour, instruction civique, suivant les jours, lectures, dictées, calcul, un programme bien établi avec une maîtresse sévère, mais juste. Elle voulait que toutes " ses filles " donnent le meilleur d'elles-mêmes, elle s'en donnait la peine, et au certificat d'études, très peu d'échec.
-------Je lui dois mes meilleures années d'études. Chère Madame GUSTIN, c'est à vous que je dois ce goût de la lecture, des mots profonds si bien expliqués. Cela, je ne l'oublierai jamais et je vous dis un grand merci.
-------Il y avait aussi une école coranique où les jeunes Arabes étudiaient le coran et le français. Le fils de l'instituteur " SERMNOUN " allait lui à l'école des Français. Quelques filles venaient à notre école pour apprendre notre langue, cela se passait très bien entre nous, nous échangions souvent notre pain avec leur galette, point de haine ni de racisme à cette époque.
-------Les Arabes respectaient les " Roumis ", c'est-à-dire nous, les Français, et à notre tour nous respections et leur religion et leurs traditions.
 

--------Pour les fêtes arabes par exemple (l'aïd El Kébir) qui est la Pâque chez eux, ils nous apportaient du mouton et des pâtisseries orientales.
-------Nous leur rendions la politesse à notre tour pour le jour de l'an en leur offrant des oreillettes et des bonbons.
-------Voilà ce qu'était notre vie en ALGERIE en 1930 et les fêtes qui se sont déroulées. Etant l'aînée, j'ai plus que les autres le souvenir de cette tâche énorme qu'avaient mes Parents, l'eau surtout qui manquait pour les besoins de la maison et des bêtes, oh, très peu, quelques volailles, le porc de l'hiver, quelquefois une chèvre, et c'est mon père qui chaque soir après sa journée de travail à l'aide de deux bidons allait puiser cette eau indispensable au puits qui se trouvait au fond d'un vallon rocailleux et remontait ensuite sa charge.
Beaucoup plus tard il acheta un vieux mulet avec une charrette et une comporte de 200 litres prêtée par sa mère.
-------C'était moins pénible et de l'eau pour plusieurs jours. Mais arrêtons là ce récit et ouvrons une parenthèse: " Je ne voudrais pas que mes enfants, petits-enfants, nièces et neveux s'attristent si un jour ils relisent mon histoire, car je me demande bien ce qu'en penseraient mes parents s'ils voyaient la vie qu'ont nos jeunes aujourd'hui: déchirement et séparation entre jeunes couples ; chômage, délinquance, stress...
-------En leur temps, c'était peut-être dur, mais la tristesse chez eux ne durait guère, l'ennui, ils ne connaissaient pas. Ils n'en avaient pas le temps. Ils s'accommodaient de tout avec courage et dignité.
-------Est-ce un mal, je ne le pense pas, mais n'anticipons pas et fermons la parenthèse ". Pour le centenaire de la prise d'ALGÉRIE, je m'en souviens très bien (j'avais 9 ans), car chaque élève avait reçu des cadeaux, au milieu des fions-fions et de tout, en village en liesse.
-------Je voudrais ajouter quelques mots, sur les souvenirs qui remontent encore à ma mémoire aujourd'hui.
-------Dans ces années-là, c'était la vie calme et paisible dans notre village.
-------Ma grand-mère paternelle (celle de la ferme) faisait tous les jours ses courses au village. Elle attelait elle-même le cheval à la petite voiture et je la revois le fouet d'une main et les guides de l'autre et Hue ! Coco.
-------Elle s'arrêtait d'abord à l'épicerie que tenait l'autre grand-mère (maternelle), prenait ses courses et bavardait un moment, puis elle passait encore chez le cordonnier, le maréchal ferrant, le bourrelier. Il y avait toujours une bricole à réparer ou à commander. J'entends aussi les bruits si familiers de mon enfance, le résonnement du marteau sur l'enclume du forgeron, la cloche de l'église, et celle de l'école qui nous pressait de rentrer, et le soir le piétinement des bêtes qui traversaient la grande rue, s'arrêtaient à l'abreuvoir avant de rentrer.
-------Toutes ces choses merveilleuses dans la mémoire d'un enfant n'existent plus de nos jours et se perdent dans la nuit des temps. Puis les années ont passé vite, bien vite...
-------Devenues jeunes filles c'est encore notre chère maîtresse qui nous réunissait, cette fois comme anciennes élèves, elle élaborait pour nous des pièces de théâtre, jouées ensuite dans la salle des fêtes où elles obtenaient un vrai succès.
-------Je me souviens d'une pièce d'Eugène LABICHE (le voyage de M. Perrichon) qui avait charmé l'auditoire.
-------Nous allions aussi aux fêtes du village et des alentours et ne manquions jamais la messe du dimanche dans notre paroisse Saint Augustin.
-------Mon cher village
-------Que reste-t-il de toi aujourd'hui, rien...
-------Nos souvenirs bien sûr, puisque nous ne pourrons plus jamais te revoir.
-------Tous mariés et en France depuis l'indépendance en 1962, c'est aux jeunes que nous passons le flambeau aujourd'hui et à leur avenir.
-------Peut-être qu'un jour liront-ils une page de-ci de-là écrite et vécue par leur grand-mère et tante.

Marie ORFILA COLL
août 1997