Cagayous

MUSETTE

Deuxième partie
Les amours de Cagayous
Chapitres 5 - 6 -7 - 8

mise sur site le 2 juin 2010

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CHAPITRE V
ALLER ET RETOUR A CHEZ MADAME PINAUD

Je sais pas quoi il a dit le médecin. Mais en côté le lit, ma mère et ma soeur elles disaient la prière, et dans le fond de la chambre, assis dessur une chaise, mon père, qu'il est aveugle, y se tenait la tête dedans ses mains pour pas qu'on voit qui pleurait, le pôvre !

On s'avait emmagataillé mon dos de chiffons blancs, longs, qui m'attrapaient un bras pour l'empêcher qui bouge. Et ça sentait l'odeur de l'hôpital qui me faisait chaud dans la tête et pis froid, et pis chaud.

Tout d'un coup, en voulant tourner, y me sort un mal qu'on s'aurait dit qu'on me rentre une pointe de l'aloès dedans la viande. Alors la nuit elle a descendu dans mes yeux, et j'ai tombé je sais pas où. Pareil qu'on m'aurait "lis un costume des scaphandres, j'ai descendu dans le fond de la mer, en bas, en bas tout le temps... Des gros poissons qui z'avaient des têtes qui faisaient peur, y venaient m'enfoncer leurs épines dans la potrine... Des oursins y rentraient dedans la bouche, des orties elles s'attrapaient dessur ma peau... Aïe qué sale rêve !...

Quand j'ai vu clair, des femmes, qu'elles restent dans la même maison que nous autes, elles me régardaient sans rien dire, avec la figure triste qu'on se croyait je serais mort.
Après, ma mère elle a venu pour me donner un bol de la tisane d'une herbe qu'une vieille elle y avait dit. Cette herbe-là on s'en a fait des cataplasses qu'on s'a posé dessur le trou que le couteau y m'avait fait. Et quand le médecin y s'amenait on se les ôtait vite pour pas qui voye.

Un mois j'a resté couché. Qué maigre j'a venu ! Qué mesquine ma figure y s'avait fait !

Quand j'ai commencé marcher un peu dedans la chambre, mes camarades y z'ont rentré pour me parler et me dire bonjour.

Y m'ont dit que Bacora on l'avait empoigné, et que la poulice elle viendrait à la maison pour me demander des choses.

Qu'elle vient. Ç'empêche pas que quand je me rencontre Bacora j'y rentre mon couteau dedans son ventre jusqu'à le manche.

En tendant ça, mon père y s'a levé, il a marché de mon côté, et quand il a trouvé ma tête vec ses mains, pourquoi le pôvre ses yeux y voient plus le soleil, il a embrassé mes cheveux, pareil que quand j'étais petit, et y m'a parlé que je laisse tranquille Bacora, que le Bon Dieu il y rendra le coup qui m'a donné.

CHAPITRE VI
OUSQUE CAGAYOUS Y SE RENCONTRE UNE TYPESSE QUI SE CONNAÎT

Huit jours après que j'a sorti de la maison, guari tout à fait, y tombe la mouna.

A la maison de nous autes toujours on fait la fête des mounès, pourquoi mon père qu'il est français y s'a habitué vec ma mère que sa mère à elle, elle est spagnole. Moi je suis "champoreau ".

Ça fait qu'on s'avait commencé préparer les gâteaux vec des œufs pour aller à la plage, tous ensemble, un tas des camarades.

Nous avons sorti deux compagnies oùsque y avait des femmes vieilles, des femmes jeunes, des hommes, Gasparette, Çuilà qu'il a la calotte jaune, Niai, Loulou, Ugène le louette, des gargoulettes, des guitares, des accordéïons, des couffins pleins du manger, des barils de vin, des couvertures pour qu'on fait des baraquettes des fois que le soleil y tape ou que la pluie elle pisse.

Le matin nous avons parti, chargés comme des bourriquots, et nous sommes été plus loin de Saint-Ugène, à cause que toutes les places bonnes elles étaient prises par ceuss-là qui z'avaient venu dans la nuit.

Mû que rigolade ! Nous avons fait tomber les filles dessur le sable jusqu'à temps que les jambes elles touchent la mer ; nous avons joué à saute-mouton vec une aouella qu'on crevait de rire.

Nous nous avons battu à coup des oeufs, et j'a poché un oeil à Ugène pendant que lui y se mettait le sable dans la casserole oùsqu'on se faisait le riz.
Le pôvre Tape-à-l'oeil on s'y a ôté le pantalon, la chemise et tout, et pis on l'a attaché et on se l'a enterré dedans la plage que seule la tête elle sort. Après chacun on prend une paille et vingà d'y chatouiller les oreilles et le nez. Lui qui peut pas se gratter, y vient fou. A la fin nous y avons fait boire l'anisette naturelle par force, et pour pas qu'il y vient la tasse nous li avons renversé la gargoulette dessur le caillou.

Qué rire !
Darrière un gros rocher y se tenait une autre compagnie qu'on la voyait pas bien. Mais pour savoir qui c'était, je commence grimper les blocs, et qui je me trouve en bas ?
Vicenta !

D'un peu je tombe.

Pour pas que le monde y nous régarre, je fais semblant que je la connais pas, et je descends à la mer soisandisant pour faire des arapètes.

Elle qu'elle m'avait vu, elle s'enlève les souliers et elle rentre dedans l'eau pour en ramasser aussi.

Comme ça nous avons parlé ensemble sans qu'aucun y sait ça que nous disons, parce tous on croit que nous faisons des arapètes.
- Pourquoi vous êtes pas venu l'aute dimanche ? J'a cherché partout et je vous a pas trouvé ?
- Je m'a battu vec Bacora et y m'a f... un coup de couteau que j'a resté couché pluss qu'un mois. D'un peu je clapse.
- Oh ! si c'est possible ! Vous êtes guari à présent ?
- Et alorss ! Moi j'a cherché après vous et j'a pas pu vous dénicher.
- Je travaille plus chez Mme Muscat. Cette saleté-là, est-ce qu'elle n'a pas dit que moi j'y avais volé une cuillère en argent et une bague !
- Oùsque vous êtes à présent ?
- Je reste à la maison, en tendant qu'on fasse la noce pour mon mariage.
- Bientôt c'est ?
-- L'autre samedi en huit.
- Il est ici votre... novio ?
- Non. Son patron il a pas voulu qui se fait remplacer à cause des fêtes.
- Taïba ! Y a pas moyen parler ce soir, hein ?
- Et si on nous verrait ?
- Qui y nous voit ? Tous y z'ont la tasse. Disez à la compagnie qu'elle s'amène à côté nous autres, quand les guitares et les accordéïons y commenceront ronfler. Nous faisons grand bal.
- J'y dirai. Dessez-moi que je m'en vais pourquoi on nous régarre.

Le goût ! Le goût ! Le goût !
Ma parole, le Gouverneur il est pas mon camarade !

CHAPITRE VII
OÙSQUE UN SALE MEC Y FAIT LE SOUPRIEUX PAR FORCE

Vicenta, qui la connaît dans les coins, elle a embrouillé si tant bien la compagnie d'elle, que le soir tous y s'ont amenés à côté nous autres pour danser.

Tout de suite on s'a fait camarades.

Reusement la lune s'avait couché à bonne heure et y faisait noir pareil chez le diable.

Les autres y se f... à faire la polka dessur le sable qu'à chaque coup y tombent et que tous on se tordaient. Moi je m'attrape Vicenta et nous faisons semblant danser jusqu'à temps qu'on nous voye plus.

Moment après, escapa par en haut le rocher et nous nous assions dedans un endroit qui ressemble une chambre.

Tout le temps Vicenta elle se tenait la peur que quelqu'un y vient.
- Vous avez pas entendu qu'on remue dedans l'herbe d'en haut ?
- Laissez, c'est un rat.
- Non, c'est quelqu'un. Partons.
- Le Bon Dieu y m'enlève pas d'ici.
- Cagayous...
- Ho ! combien des histoires...

Elle s'a ensauvée la première pour pas qu'on nous voye tous les deux, et moi j'a monté par un aute chemin par en haut.

Quand j'ai arrivé en dessur le rocher, tout d'un coup je me vois un homme qui sort de la broussaille et qui me saute dessur.

J'y empoigne le cou et j'y serre de toute ma force. Alors je me reconnais Bacora ! La rage y me tordait les nerfs. Lui y parlait pas ; moi non plus. Mais y me poussait fort pour que je fais la cabriole dessur les rochers d'en bas.

Entre moi-même je me pensais : si moi je tombe lui y faut qui tombe avec, bessif !

Comme y pouvait pas me jeter, oilà qui m'attrape l'épaule vec les dents. Je m'abaisse presta ; y lâche, j'y empoigne les jambes et j'y f... une poussée. Patatrac ! y dégringole par en bas, la même chose un fagot des boulangers.
- Maintenant que les crapes y te mangent la cervelle, si ti en as !

CHAPITRE VIII
POUR FAIRE VOIR QUE CAGAYOUS Y SE CONNAÎT TRAVAILLER MÉDECIN

Le bal il était fini. Presque tous y s'avaient couché dessur des couvertures. Mingo basta, y jouait la guitare devant une bougie qui s'avait enfoncée dedans une bouteille.

Mingo, quand même, il est plus vieux de moi, qu'il a la barbe et tout, il est mon camarade.

J'y dis doucement :
- Mingo, écoute.

Lui y se lève et y parle :
- Qu'est-ce que tu veux ?
- Ecoute.
- Laisse la guitare ici, souffle la bougie et viens vec moi.
- Pour quoi faire ?
- Tu veux venir ou non ?
- Oilà, je viens.
- Marche. Parle pas fort. Tout-à-l'heure un homme y m'a serché dispute dessur la montagne oùsque j'a été faire les besoins. J'y ai f... une poussée et y s'a piqué une tête de l'autre côté du rocher.
- Tu le connais ?
- Non...
- Alors qu'ça te f... ! Laisse-le qui crève !
- Ça fait rien. Allons...
- Qué couyon ti es toi !
- Marche, on te dit !

Moi et Mingo nous avons rentré dans la mer et nous avons passé l'autre côté de le rocher.

Nous allumons la bougie et nous nous voyons Bacora assis par terre qui se mettait de l'eau de la mer dessur la tête qu'elle était pleine de sang.

Tout de suite y s'a caché la figure pour qu'on le connaît pas. Mais moi, j'y enlève le mouchoir et j'y parle :
- Qu'est-ce ti viens faire ici, toi ? Lui y répond pas.
- Allez, parle ! D'aoùsque tu sors et qui c'est qui t'a fendu la carabasse ?
- J'a tombé en promenant...
- Ti as tombé et ti dis rien à personne ? Une supposition que tu tombes dessur la pointe de le rocher, où c'est que tu vas après ?

Bacora y me régarre sans rien répondre.
- Ecoute, une autre fois que tu veux te piquer une tête numéro un, dis-y à Cagayous qui te donne un coup de main : jamais tu remontes plus. Ti entends ! Ce coup-là ça compte pas, et pour qui te vient le goût de recommencer, nous allons, moi et Mingo, te raccommoder la pastèque bien comme y faut.

Comme ce rosse de Bacora il avait pas des chiffons, je m'a déchiré un morceau la ceinture, j'y a nettoyé la saleté de la tête vec de l'eau de la mer et nous y avons serré la fente pour qu'elle se recolle.

Ma parole, vec le mouchoir et le bout de la ceinture, y se ressemblait un Arabe.

- A présent, si tu veux un matelas et un coussin pour coucher, y en a partout par terre. Bonne nuit, oh ! Mecieu Alacoupe !

Et nous avons parti moi et Mingo.