Cap-Matifou à 26 km d' Alger :
Le Centre Siroco
par René BAIL

Extrait de "39-45 magazine, n° 32, octobre 1988/
mise sur site le 2-9-2009
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Vue aérienne de Siroco

Vue aérienne de Siroco. A gauche, le cimetière serbe, qui date de la Première Guerre mondiale, les logements des officiers et le terrain de sports. Plus à gauche, le stade Nozières. Au centre, les bâtiments de l'auto-école, l'armurerie et le stage commandos. L'infirmerie, la chapelle et le bâtiment de commandement sont dans les palmiers. A droite, en premier plan, le CFM, juste derrière le fortin, suivent le CIR (centre instructions des réserves) les cuisines, les bâtiments d'instruction. Au fond de l'allée, la porte principale.

Au fil des années, les souvenirs s'estompent et si certains noms ont parfois des consonnances familières, leur définition, toutefois, reste floue ou occasionne des confusions.

C'est ainsi que dans la marine, le nom de Siroco rappelle d'abord un torpilleur de 1 300 tonnes, qui s'est distingué le 22 novembre 1939, en coulant deux sous-marins allemands dans l'intervalle de trois jours.

Dans le cas présent, nous allons parler du Centre Siroco où, de 1945 à 1962, plusieurs " générations " de fusiliers-marins ont appris le métier des armes. Depuis les débuts de la guerre d'Indochine, en passant par les troubles de Madagascar, jusqu'à la fin de la guerre d'Algérie, les instructeurs ont dû " fournir ", comme s'ils alimentaient une chaîne sans fin, des promotions d'officiers, d'officiers-mariniers, de quartiers-maîtres et matelots, de spécialité fusilier, parfois certifiés commandos ou amphibies, pour compléter, renouveler les effectifs des unités opérationnelles de la marine.

Le site

Installé au cap Matifou dont le promontoire escarpé, déchiqueté, enserre la magnifique baie d'Alger au nord-est, le centre avait déjà été, au cours de la Seconde Guerre mondiale, occupé par les chantiers de jeunesse (Marine) que commandait le lieutenant de vaisseau Thévenet, secondé par l'enseigne de vaisseau Devigot.

L'école des cadres se trouvait à Jean Bart, à l'est de Matifou. Mario Faivre, un des conjurés qui avait décidé de faire assassiner l'amiral Darlan, y avait fait son service, en tant qu'inscrit maritime, mais surtout intéressé par les dépôts d'armes pouvant servir à la cause . Il était chargé du ravitaillement, assuré par des convois de mules. Son père, propriétaire du domaine d'Ain Hamedi, entre Ténès et Mostaganem, en possédait tout un troupeau.

En dehors des liaisons terrestres reliant Alger au cap Matifou, en passant par Maison Carrée, Fort de l'Eau et la Pérouse, un chalutier armé, l'Angèle Perce, effectuait les rotations des permissionnaires.

L'endroit est réellement privilégié. Un plateau bordé de falaises dominant la mer, entrecoupé de petites criques de sable de roche. Les rochers qui emergeaient de la mer, rappelaient facilement un paysage du Finistère, surtout par gros temps.

L'école des fusiliers

En août 1945, le capitaine de corvette Cornault, en provenance de l'aviso Commandant Dominé, remplace le capitaine de corvette Célérier. Le camp abrite alors le centre de formation jeunesse (Marine), l'école des mousses musulmans et le centre de formation des recrutés et inscrits maritimes d'Afrique du Nord, dont sera séparée la nouvelle école des fusiliers.

Peu de temps après sa prise de commandement, Cornuault reçoit un certain nombre de visites officielles. Le vice-amiral Ortoli, le général Leclerc venu en inspection en Afrique du Nord, puis Louis Jacquinot, ministre de la Marine. qui remet au " Pacha " de Siroco le valeureux drapeau des fusiliers- marins.

Toutefois, la fréquence de ces visites ne freine en rien l'aménagement de l'école. Des prisonniers allemands sont chargés de monter le stand de tir. Des batiments à niveau du sol sont construits pour les salles de cours, de sports, répartis de part et d'autres d'une grande allée centrale, bordée de palmiers, qui part de la porte principale jusqu'à l'autre extrémité du camp. Des terrains de sports, des parcours du combattant et du commando sont bientôt à la disposition de l'école.

Un fortin, dont l'origine remonte au temps des Turcs (Bordj Tamendfous) détruit et restauré, sera utilisé comme prison. Devant sa façade, un petit terrain pour tirs réduits au mortier.

Les premières années, à l'imitation des camps d'entraînement britanniques, une ring est élevé devant le fortin pour des combats de boxe.
Devant le bâtiment de commandement, la statue en bronze du fusilier-marin, baptisé " Jean- Louis ". Auparavant, elle était à Saïgon...

Evolution de la spécialité

En avril 1946, le capitaine de corvette Kieffer, premier commandant du ler bataillon de fusiliers- marins-commandos (France Libre), parvient, avant de quitter la marine, à intéresser l'état-major général à un projet de création d'unités de commandos-marine.

Deux de ses adjoints, l'officier des équipages Lofi et l'enseigne de vaisseau Sénée, suivi de deux instructeurs britanniques des commandos, Frank et Coxton, rallient Siroco pour " monter " cette nouvelle " boutique ",

Au premier stage d'officier commando, figure le lieutenant de vaisseau de Joybert, futur chef d'état- major de la Marine, qui commandera beaucoup d'unités opérationnelles et, agacé par certaines réflexions du' clergé, enverra " paître " les hauts dignitaires en robe.

Pour faire un fusilier, l'apprenti- marin fait d'abord ses classes au Centre de Formation Maritime (CFM), à Pont-Réan, près de Rennes, à Mimizan, dans les Landes ou même à Siroco ; Hourtin, près de Bordeaux, étant réservé à ce moment là, au personnel de l'Aéronautique Navale.. Ensuite, six mois de cours de fusilier, suivi, éventuellement, d'un mois préliminaire, pour ceux qui seront commandos, après deux mois de stage. Pour ceux qui ne réussissent pas le stage commando, il reste une alternative, le certificat de commando 'amphibie. '

Ce certificat s'obtient en conclusion d'un stage suivi au Centre d'Instruction des Opérations Amphibies (CIOA ), installé à Arzew, à 40 kilomètres d'Oran. Cette base, devenue rapidement interarmes, est commandée par le capitaine de frégate Maggiar.

Autre évolution : le quartier- maître du Cadre Spécial (CS), ouvert, non seulement aux fusiliers, mais également à des quartiers-maîtres, souvent anciens d'autres spécialités. L'avantage, en dehors de l'avancement, réside dans le port de la tenue d'officier- marinier, grade de second-maître de 2e classe avec des filets transversaux rouges. Cette distinction sera supprimée après la guerre d'Algérie en faveur d'autres variantes, apparemment peu satisfaisantes.

Arrivé en fin de commandement, Cornuault, est remplacé par le capitaine de corvette Richard. Suivent les capitaines de frégates Grincourt (1950), Legendre (1952), Degoy (1953), Tournyol du Clos (1955), Garnier Marcel (1956), Merceron (1957), Ortolan (1958), Hinden (1960) et Servent. Ce dernier va être chargé du déménagement de l'école, lors de l'indépendance de l'Algérie (1962) en direction de l'arsenal de Lorient. berceau de tradition, avant-guerre, de l'école des fusiliers. Une base provisoire, en attendant les nouveaux bâtiments, sera établie à bord du croiseur ex-italien Chateaurenault. Un autre rapatrié est du voyage. " Jean-Louis " qui trouvera, ultérieurement, sa place à proximité du bâtiment de commandement.

Les opérations de la guerre d'Algérie

Comme commandant militaire du secteur de Matifou. le " Pacha " de Siroco dispose d'un groupement d'intervention, susceptible d'être envoyé en opération avec des unités d'autres armes.

Plusieurs dizaines d'opérations seront ainsi lancées auxquelles vont participer autant les élèves que les cadres. Le 23 juillet 1957. lors d'une opération dans le secteur de Bou Keram. l'officier des équipages Nozières est grièvement blessé, ainsi que le second-maître Aubry. dit " Picpus ". Leurs camarades tentent de les ramener à l'abri, mais trois d'entre-eux. l'aspirant Cahot, les matelots Vincent et Fournier, sont mortellement blessés. Nozières mourra quelques jours plus tard des suites de ses blessures. Une plaque à son nom sera posée à l'entrée du stade.

Des officiers comme Garnier, Ortolan, Hinden, n'hésiteront pas à mettre leurs gens sur le terrain, pour des marches forcées autant que pour des opérations. En conclusion, on peut dire que le Centre Siroco s'est révélé comme une base opérationnelle très active et disponible à tous moments, garantissant une tranquillité parfois insouciante parmi les populations des communes environnantes.

Pourquoi ne pas terminer ainsi ?

Le capitaine de frégate Garnier est un personnage reconnu comme courageux. Ses deux campagnes d'Indochine l'ont largement démontré. Blessé deux fois, la première sur la rivière Claire (Tonkin) en octobre 1947, la seconde dans le sud du delta, en février 1954.

Son bras droit, gravement atteint, l'obligera, plus tard, à saluer de la main gauche, comme le maréchal Juin. Signe particulier, une voix qui porte ; ses coups de " gueule " étaient entendus de loin. En Indochine, il avait organisé sa famille comme un groupe armé.

Chacun avait son poste de combat.

Comme commandant de Siroco, une histoire assez amusante nous a été contée : un jour, en fin de matinée, le capitaine d'armes du Centre frappe à sa porte. Un signe de Garnier l'invite à entrer. Trois pas, salut imposant et claquement de talons, signes extérieurs du militaire, très prisés par le " Pacha ".
- Mes respects, commandant, jesuis venu vous présenter un officier- marinier, nouvel embarqué.
- Qu'il entre !


Le capitaine d'armes se retourne et fait signe à celui qui attend dans le hall. Même cérémonial de la part du nouveau, puis se découvrant, il clame :
- Maître canonier BS Arzul, en provenance du cours de Toulon.

Garnier s'apprêtait à lui dire quelques mots, quand, brusquement, retentit la sonnerie du téléphone. Une unité de l'armée de terre vient d'accrocher une bande rebelle et demande du renfort.

Comme la conversation semble se prolonger, le capitaine d'armes dit à Arzul :
- Tu restes là, moi je vais à la signature du commandant en second.

Resté seul en face du " Pacha ", il ne sait comment faire. Soudain, Garnier dit :
- Appelez-moi Papa...

Soufflé, Arzul ne sait que faire. On lui avait bien dit que, parfois, le commandant semblait un peu étrange, mais, connaissant les farces faites au détriment des nouveaux embarqués, il n'avait pas prêté attention. Là, il commençait à se poser des questions...

Le malheureux ignorait que le chauffeur de Garnier s'appelait Papapopoulos. Il était né d'une famille grecque naturalisée. Son nom paraissait trop compliqué, tout le monde l'avait surnommé " Papa ".

Ne voyant pas Arzul bouger, Garnier s'exclame, tout en mettant la main devant le combiné :
- Je vous ai dit de m'appeler " Papa " !

Complètement perdu, ne sachant que faire, Arzul fait un geste timide de la main, recule, puis avance... La panique. C'est là, qu'agacé, Garnier hurle en se levant :
- Nom de Dieu, je vous ai dit de m'appeler " Papa " !

Alors, claquant de nouveau les talons et gonflant sa poitrine, Arzul clame tout haut :
- A vos ordres, " Papa "...