Bou Ismaël - Castiglione
par Lucien Patania et Edgar Scotti

extraits du numéro 128, décembre 2009, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
sur site : janvie 2014

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Bou Ismaël - Castiglione
par Lucien Patania et Edgar Scotti (†)

Ce centre a été créé en 1848 sur 1484 ha en coteaux, avec des travailleurs parisiens du 4e convoi partis de Paris le 22 octobre de la même année. Arrivés le 4 novembre 1848 à Marseille, les 843 adultes furent aussitôt embarqués sur la frégate " Montezuma " commandée par le capitaine de vaisseau Cunéo d'Ornano. Ce convoi était sous les ordres du chef d'escadron Durrieu du 3e Spahis et de l'adjudant-chef Goy. Le chirurgien-major Mounier, du Val- de-Grâce, avait en charge la santé des passagers destinés aux futurs villages de l'ouest algérois, El Affroun, Castiglione, Bou Haroun, Tefeschoun, Bérard (Tagoureit).

Au cours de la construction du village, des tombes, des médailles, une amphore servant d'ossuaire, des inscriptions chrétiennes du lite siècle, ainsi que des colonnes d'une ancienne église avec une colombe sculptée, furent découvertes. Mais rien ne permit de donner un nom à la ville romaine qui s'étendait sur ce site. Les premiers agriculteurs dont les noms suivent consacrèrent aussitôt tous leurs efforts à défricher pour cultiver : blé tendre, coton, tabac et même des arachides, dans des sols sableux particulièrement propices à cette culture: MM. Boucher, Chérot, Jean-Marie Crucy, Goubellon, Michel, Miguel, Poincinet, Raynaud, Roux-Cuny, Schisler, Tardu, Tramu.

Cette commune de plein exercice prit le nom de la victoire que le général Augereau remporta sur les Autrichiens le 15 août 1796 à Castiglione delle Stiviere au nord- ouest de Mantoue. Avec une altitude de 75 m au-dessus de la mer, le village est situé à 45 km à l'ouest d'Alger et à 7 km de Koléa.

Ce centre était desservi par deux routes, l'une longeant le littoral par Douaouda, Fouka-Marine, Castiglione, l'autre passant par Oued el-Alleug.

A partir de 1892, les chemins de fer sur routes d'Algérie, les CFRA, ouvrirent une ligne à écartement de 1,055 m, à traction vapeur partant d'Alger avec arrêts à Pointe Pescade, Baïnem, Guyotville, Staouéli. À Zéralda il y avait un embranchement sur Fouka et un autre sur Castiglione. En 1898, cette ligne était prolongée vers l'est par un tunnel de 800 m creusé sous la pointe El-Kettani débouchant sur le quai nord. Bien qu'envisagée dès 1930, par M. Varcollier, directeur des CFRA, cette ébauche de futur métro, ne sera jamais réalisée. Elle aurait pourtant permis la desserte en site propre des actives régions agricoles et des plages très fréquentées de l'ouest et de l'est algérois.

En raison de son climat maritime avec des températures extrêmement douces de 10 °C au-dessus de zéro en hiver et de 40 °C en été, Castiglione était déjà en 1900, une station balnéaire de premier plan dotée d'une belle plage. Le village, relié à Alger par une ligne téléphonique, avait une école de filles à trois classes et une école de garçons à deux classes.

Avec 1510 habitants, l'activité de la population de Castiglione était tournée vers la terre : vignobles, maraîchage de primeurs, plantes à parfums, et vers la mer pour le cabotage: pêche, conserverie, séchage ou saumurage des sardines et anchois.

En raison de sa proximité avec de petits hameaux, comme Chaïba, Berbessa, Messaoud, Chiffalo, Bou Haroun, le village de Castiglione constitua très rapidement un pôle d'attraction et un débouché, où agriculteurs et pêcheurs pouvaient écouler leurs produits, faire leurs achats, réparer leurs outils, accomplir toutes leurs formalités administratives. Les lieux de rencontres entre habitants et agriculteurs des villages environnants y étaient particulièrement nombreux.

Les sols légers de la région de Castiglione étaient particulièrement propices à la culture de la vigne et notamment du chasselas précoce. Les vins rouge et rosé étaient appréciés.


Administration municipale en 1900

Maire : M. Edouard Guelpa; adjoint au maire: M. Emile Thirion; secrétaire de mairie: M. Armand Delmas; architecte communal: M. Hyacinthe Neige; cantonnier communal : M. Joseph Guerrier; commissaire de police : M. Emile Germond; gardes-champêtres : MM. François Turco et Hyppolite Chatton; receveur des contributions diverses: M. Léon Gesta; postes des douanes: M. Isidore Pacou, brigadier avec trois douaniers; garde-maritime: M. Vincent Garau; médecin: Docteur Fernand Saint-Cyr; pharmacien: Louis Bressy ; sages-femmes : Mme Vve Baudry, Mile Lemaître; curé: M. l'abbé Dubourg; instituteurs : MM. Hermitte père et fils; institutrices: Mu" Abadie, Laroche, Léonie Chétrit, Jeanne Motta; pensionnat des soeurs de la doctrine chrétienne: Mme Alexandra, mère supérieure; postes et télégraphe: M. Paul Revillet, receveur; M. Emile Vasseur, facteur urbain; M. Adrien Daguilane facteur rural; bureau de la Régie : M. Octave Vasseur; chef cantonnier départemental: M. Eugène Benoît; cantonnier départemental : M. Armand Capus; gardien du cimetière : M. Léon Christophe; tambour de ville et afficheur: M. Raphaël Griffe.

Artisans et commerçants en 1900

Bouchers : Mme Vve Laplanche et M. Louis Laplanche; boulangers : MM. Francisi, Ferrer, Garcia et Lert; cafetiers: MM. Martinez au " Café du Plateau ", Ferrer " Café de Paris ", Sevin " Café de France ", Fuster " Café des Amis ", Garcia " Le Glacier ", Mme Vve Triay " Café des Bains ", M. Pascal " Café des Bellombras ", Mme Vve Goubillon " Café Français ", M. Crispo " Café Bellevue ", M. Pons " Café de la Marine ", M. Vidal " Café du Sahel ", M. Molinès " Café de Belle-Vue ", Etienne Billa, " Café des Colons ", Poehner, " Café du Tapis Vert ", M. Crespo, "Café de Valence ", Levère " Café de la Plage "; charrons-forgerons: MM. Albertini, Béranger et Revol; courtier en vins: M. Jean Matignon; distillateurs de géranium: MM. Emile et Léon Novel; entrepreneurs de travaux publics : MM. Joseph Escriva, Henri Melon, François Pondié, Léon Coutton, Charles Garcia, Louis Pollastrini; épiciers: MM. Delcroix, Décélis, Laroza, Mercurio, Olive, Cauquil, Maladia, Marceau et Mathieu; ferblantier : M. Fernand Rouget; hôteliers : MM. Pons " Hôtel de la Marine ", Sevin, " Hôtel de France ", Poehner " Hôtel du Tapis Vert ", Ferrer " Hôtel de Paris "; menuisiers : MM. Isner, Robichon, Tailleur; mercerie et nouveautés: Melle Giovanelli, MM. Sutty et Honoré Peillon; apprêteurs de poissons frais: MM. Décélis, Salvo, Olive, Delcroix, Amato; quincailliers: MM. Delcroix et Rouget; tailleuses couturières : Mmes Barthès, Pons, Maurel et Melle Giovanelli ; transports maritimes : lignes côtières algériennes : Schiaffino, lobez, Mathieu et Cie; agent consignataire : M. Couturier; Prosper Durand et (' e : agent consignataire M. Julien Matignon; syndicat des irrigations : M. Clément Humbert; syndicat des viti( ulteurs : M. Victor Magnier; expert du service du phylloxera : M. Joseph Sire; cercle civil: M. Jean Blüsset, commandant en retraite, président; foudriers : MM. Léon Méric, Paul Cauquil, Paul Jean; maréchaux-ferrants: MM. Revoul et Gomez ; voitures publiques : de Castiglione à Alger et de Castiglione à Cherchell Mme Vve Cazassus ; de Castiglione à Alger et de Castiglione à Cherchell Mme Vve Soubirous; de Castiglione à Blida : M. Bailly ; Castiglione à Zéralda (gare) : M. Cazassus fils; entrepreneurs de transport: MM. Jacques Lorca, Antoine Garcia; peintres en bâtiments : MM. Poehner, Gonzalez et Brandi ; commerçant en grains et farines : Mme Vve Vaillant; entrepreneur d'éclairage: M. Alexandre Frémaux; détartreurs : MM. Savignac, Durand, Borell et Roques ; coiffeurs : MM. Galiano et Laroza; cordonniers: MM. Cantos et Belmontès; horloger: M. Barthès; collecteur de marché: M. Félix Turco.
Parmi les viticulteurs citons MM. Eugène Benoît (père), les héritiers Sidobre, MM. Veyre frères, Louis Casabonne, les héritiers Santerre, les héritiers Chatelain, Mme Irène Clavé,

Viticulteurs en 1900

MM. Jacques Clément, Félix Esposito, Louis Davin, Charles Cornu, André Couturier, Bernard Crespo, Antoine Crespo, Mme Vve Jean-Baptiste Cuq, MM. Emile Dangla, Eugène Dangla, Henri Dangla, Auguste Descamps, Mme Vve Edouard Eloy, MM. Paul Eloy, François Fuster, Henri Dangla, Aguste Descamps, Mme Vve Edouard Eloy, MM. Paul Eloy, François Fuster, Mme Vve André Gary, MM. Edouard Géronde, Charles Gontier, Laurent Gontier fils, Laurent Gontier père, Victor Granier, Eugène Guegan, Henri Guégan, les héritiers Guégan, MM. Edouard Guelpa, Clément Humbert, Mme Jeanne Humbert, MM. Louis Davezac, Armand Lorendeaux, Pierre Lorendeaux, Julien Lorendeaux, François Liothaud, Jacques Lorca, Victor Magnier, Mme Vve Claude Maire, MM. François Matignon aîné, Henri Matignon, Jean-Julien Matignon, Alexandre Mauguin, Joseph Tardy, Mme Marie Murgier, Mme Marie Nivon, MM. Emile Novel, Léon Novel, Ernest Novel, Napoléon Pêcheur, Nicolas Poignault, Constant Quennehen, Jacques Rey, Louis Rey, Marc Robichon, Jean-François Rosset, Jean -Mathieu Sansorgne, Emile Thirion, Baptiste Tramu, Ernest Tramu, Octave Vasseur, Jean Aubry.


Des cultures intercalaires, entre les rangs de vigne permettaient de faire une récolte de pommes de terre primeurs en février-mars avant le débourrement des ceps de vigne.

À Castiglione, comme dans beaucoup d'autres villages de cette époque, les veuves acquérirent un statut et un rôle social prédominant, en raison de la disparition précoce des hommes,épuisés par le travail, morts dans les conflits ou victimes des caprices du climat. Aussi, afin de préserver le patrimoine jusqu'à la majorité d'un fils, des femmes, qui n'avaient pas encore le droit de vote, prenaient en mains la gestion de la ferme, de l'entreprise familiale, épicerie ou auberge.

Les pêcheurs en 1900

Attirés par les fonds très poissonneux des baies du Chenoua et de Castiglione, des pêcheurs et corailleurs originaires de Sicile, de la région de Naples ou des autres rivages de la Méditerranée, émigrèrent avec leurs nombreuses familles à Bou Haroun, Chiffalo et Castiglione. Chaque année dès le début du mois de juin, ils se déployaient la nuit, avec leurs embarcations à environ deux milles, soit à 3,700 km, de la côte pour pêcher l'anchois selon un rite immuable. Il s'agissait de tester la direction du courant et de mesurer à quel niveau se situait la plus grande partie des poissons. Cet essai précédait le largage du long filet dont on démaillera un à un les anchois, avant le lever du soleil, afin de ne pas en altérer la qualité.

Ces hommes ne parlaient qu'un français très approximatif. Ils s'isolèrent sans acrimonie dans leurs métiers de pêcheurs, d'agriculteurs ou de maçons. Respectueux des règles de la République, ils accomplissaient leur service militaire dans la Marine nationale ou dans les Zouaves, envoyaient leurs enfants à l'école, au moins jusqu'au certificat d'études primaires. Ils ne transposaient pas les difficultés qu'ils avaient dans leur pays, à l'origine de leur émigration, vers les rivages algériens, où ils s'installaient dans des baraques de fortune souvent construites en toute illégalité, sur le domaine maritime.

Les premières familles de pêcheurs arrivèrent des côtes espagnoles, maltaises, italiennes à la fin du xIxe siècle. À Castiglione, elles étaient presque toutes originaires des petits ports siciliens. Les Lucido arrivaient de Favarota, suivis des Costagliola, Patania, originaires d'Augusta. Tandis que les Lipari, Esposito venaient des rivages palermitains, alors que les familles Aloï, Sienni, Capone quittaient leurs petits ports de la région de Messine et les Di Marzo, Scarino, Basile, arrivaient des îles Lipari à bord de balancelles. Bien d'autres, dont il n'est hélas pas possible de citer les noms, étaient originaires de l'île de Malte et du golfe de Naples dont la famille Scotto arrivée avec sa pratique de la pêche au trémail ou tramail, ce long filet composé de trois nappes superposées. Tous pratiquaient la pêche à l'anchois et à la sardine et amenaient avec eux des techniques de conservation par séchage ou saumurage. Ces artisans de la capture et de la conservation du poisson surent évoluer vers la pêche au large, dans les eaux internationales et l'emboîtage. Jusqu'en 1962, Castiglione n'avait pas de port, les palangriers accédaient à la plage par d'étroits passages ouverts parmi les bancs de sable et les hauts fonds de roches. Il n'y avait pas de treuil et par gros temps, il fallait à la force des bras, tirer les bateaux à terre en les faisant glisser sur des tins, grosses pièces de bois enduites de suif. Tirant un trait sur un passé difficile, ces hommes voulaient donner un sens à leur vie, à celle de leurs enfants en bâtissant leur avenir pour eux et pour tous ceux qui les entouraient. Conscients de la nécessité d'épargner la ressource, même si parfois, ils mouillaient leurs filets trop près du rivage, ils étaient respectueux des périodes de reconstitution de la faune marine et notamment de ses espèces les plus appréciées, n'hésitant pas à remettre délicatement à la mer une grosse langouste " grainée " c'est-à- dire pleine d'oeufs en disant: " Voici notre pain de demain ".
Il fallut beaucoup de courage et d'intelligence à ces familles pour construire sur cette côte dépourvue d'abris naturels, une industrie de la pêche et de la conserverie créatrice d'emplois et génératrice d'un apport complémentaire de protéines. Ces activités reposaient sur un travail opiniâtre et une volonté nettement affirmée de combler les déficits alimentaires d'une Algérie exposée aux accidents climatiques ou aux calamités.

Castiglione en 1955

En cette année, Castiglione était la perle du littoral, avec ses 6000 habitants son équipe de foot et son concours d'élégance automobile. Son corso fleuri, l'élection de sa reine faisaient courir les foules, rêver les jeunes filles en petites robes " Vichy " et enflammer les coeurs des garçons. Sous son boulevard de la plage, ses " voûtes " abritaient les estivants. Trop nombreux pour être tous cités, ses restaurants étaient enveloppés des suaves effluves de fritures de rougets et petites sépias. Ses hôtels avaient la vue sur la mer, " Chez Vincent ", " l'Hôtel de Paris ", " l'Hôtel du Plateau ", celui de " La Plage ", " l'Hôtel de l'Oasis " et le
" Miramar ", sans oublier son " Grand vivier salubre " avec ses dégustations d'huîtres, moules et langoustes avec de grosses gambas rouges, les fameuses crevettes " Royales ".

Les soins médicaux étaient assurés par plusieurs praticiens, dont les médecins MM. Rodolphe Balliste, Mereau et Bernard Morla sur l'avenue de la mer. Deux dentistes MM. Pierre Gouin et Reynaud ainsi que les pharmaciens: MM. Dumas, Morlot-Fournier, Urios et Piétri, complétaient l'organisation de santé de cette agréable petite ville. Plusieurs sages-femmes dont Mmes Louise Adragna et Morla se déplaçaient, de jour comme de nuit, pour aider les mamans à mettre au monde leurs bébés.

Depuis la fermeture en 1933, de la ligne des CFRA, les liaisons entre Alger, Castiglione et Tipasa étaient assurées par les autobus des " Messageries du littoral ", des Transports Mory et les cars et camions de MM. René et Albert Roques.

Castiglione avait plusieurs succursales de banques, dont celles de la Compagnie Algérienne, du Crédit Foncier d'Algérie et de Tunisie, du Comptoir d'escompte, ainsi qu'une agence du Crédit Agricole.

Plusieurs garages entretenaient automobiles et tracteurs des maraîchers, producteurs de tomates et autres légumes de primeurs cultivés en hiver, sous abris de diss les protégeant des embruns. Dans une même rue, l'épicerie avec ses bidons d'huile d'olive, ses sacs de semoule, pois chiches, haricots secs, ses barils de sardines salées, était proche de la maison du chirurgien-dentiste, du studio du photographe, de la boutique du marchand de tissus avec ses étoffes de couleurs variées, de l'échoppe du cordonnier, de la boucherie avec ses têtes de moutons pendues aux crochets de la devanture, ou de la vitrine du boulanger-pâtissier. Descendants des colons du 4e convoi, parti de Paris en 1848 et immigrés de toutes les côtes méditerranéennes, labouraient, les uns la terre, les autres, la mer pour en tirer des légumes ou des poissons. Tous ces hommes partageaient une même volonté d'améliorer la qualité de leur vie et de répondre en urgence aux besoins alimentaires d'un pays où la largeur cultivable des plaines sublittorales est très réduite, par rapport à celle des zones steppiques.

Les agriculteurs, travaillaient opiniâtrement à l'amélioration de la précocité des récoltes d'aubergines, courgettes, haricots verts, pommes de terre, poivrons et tomates pour arriver au plus tôt sur les marchés métropolitains, en passant par les stations de conditionnement des fruits et primeurs emballés dans des cageots fabriqués par les établissements Ben Ouenniche à Hussein-Dey. Venus de tous les ports de la Méditerranée, les patrons des palangriers avaient une connaissance parfaite des fonds sur les " Pierres de Bou Haroun " ou les " Pierres de corail ". Une carte provisoire au 1/500000e de toute la marge continentale algérienne, avait été tracée, avec l'appui de l'ingénieur général Gaston Bétier et de M. Robert Lafitte, doyen de la faculté des sciences, par MM. André Rossfelder, Lucien Leclaire et Jean-Pierre Caulet. Cette carte permit aux maîtres de pêche d'approfondir leurs connaissances des zones " chalutables " au large du Chenoua, de Bou Haroun, Castiglione, à l'embouchure du Mazafran, dans leur configuration et leur faune composée de poissons nobles. Ces informations fort appréciées de tous les professionnels et notamment des pêcheurs autochtones, leur permirent d'éviter les fosses profondes et les rochers où les chalutiers accrochaient ou perdaient leurs filets. L'expérience acquise dans la pratique des métiers de la pêche est toujours utilisée par les professionnels algériens de ce littoral dont pourtant les ancêtres n'étaient pas des hommes de mer. La station expérimentale d'aquiculture et de pêche fut créée à Castiglione en 1921 par le professeur J.-P. Bounhiol, qui en fut le premier directeur jusqu'en 1926. C'est le professeur Louis Boutan qui lui succéda jusqu'en 1932. Cette station fut ensuite dirigée par M. André Curtès, puis à partir de 1933 par le Dr Roger Dieuzeide. Cette station, reconnue des scientifiques du monde entier, était plus connue des professionnels, sous le nom " d'école de pêche ". Elle mettait à leur disposition des données scientifiques sur le peuplement et les méthodes de conservation du poisson notamment par salaison et saurissage. Des scientifiques furent à l'origine du développement de nombreuses usines de traitement des poissons par salage, séchage, saurissage, saumurage, ou emboîtage. Trop nombreuses hélas, pour être toutes citées, les entreprises, " Sarthon ", " Papa Falcone ", " Idéal ", employaient une nombreuse main-d'oeuvre féminine locale, éviscérant prestement dès le matin, sardines et anchois aux rutilants reflets bleus, de la pêche de la nuit.

L'exode de 1962

Après des drames atroces, agriculteurs, pêcheurs, industriels et commerçants, petits-fils des colons de 1848, des transportés politiques du Second empire, des Alsaciens Lorrains ou des pêcheurs de corail venus de tout le bassin méditerranéen, partirent, abandonnant, maisons, cultures, filets et bateaux, dont seulement quelques-uns purent traverser la mer.

Traumatisés, meurtris par des pertes cruelles, ces hommes et ces femmes n'ont rien pris à l'Algérie, ils ont laissé à Castiglione, des amis de jeunesse, un appareil de production en parfait état. Ils sont partis, n'emportant que la vision d'une ville écrasée sous la terreur. Ils n'ont rien pris aux Algériens, n'emportant que leur volonté de se reconstruire et d'ouvrir en métropole ou ailleurs, sur mer ou sur terre, d'autres sillons. Et même si, sur les quais de Port-Vendres à Saint- Tropez et Nice, on retrouve encore au milieu de cette première décennie du xxie siècle, quelques enseignes d'entreprises de Castiglione, notamment (Falcone, Mercurio), leurs lointains descendants n'ont plus tellement envie de faire le même métier que leurs aïeux. L'Amicale du Souvenir Castiglionais entretient la mémoire collective des hommes et femmes de cette région. Ces villages de Castiglione, Bou Haroun, Tefeschoun ou Chiffalo, ont chacun une mémoire différente, faite des souffrances de tous ces travailleurs immigrés qui, à l'origine, étaient aussi pauvres que tous ceux qui les entouraient et travaillaient avec eux sur terre ou sur mer. Leurs arrières-petits-enfants sont maintenant les dépositaires de cette histoire. C'est à eux qu'il appartient désormais d'enrichir et de développer tout ce qui a été fait avant eux par d'humbles pêcheurs ou agriculteurs. Ils peuvent être fiers de ce patrimoine commun, mais complexe qui leur appartient. C'est à eux d'éviter sa dilution en mémoires individuelles, au profit d'une mémoire imposée et unique.

L'azur du ciel et de la mer, la beauté des plages et des forêts ne laissèrent pas indifférents des artistes qui créèrent le tango: " Sous le ciel de Castiglione ", paroles de M. André Berthelot, musique de M. Apollinaire Caratéro. Tandis que M. Cano, un peintre de talent, immortalisa sur des toiles, la beauté de la mer, du ciel et le travail des hommes.

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Bibliographie:
- Guides annuaires et documentation de l'époque.
- Patania (Lucien et René), Notre père Alfred, patron pêcheur en Algérie, avec la participation de leurs frères Joseph et Augustin.
- Histoire des prud'hommies de pêche varoises, de leurs origines à nos jours, ouvrage collectif sous la conduite de MM. Lucien Patania et Jacques Guillaume.
- Scotti (Edgar), Bou Haroun, ouvrage collectif rédigé avec le concours de M. et Mm, Marc Heitzler et de tous les Bou Harounais.
- Martin-Larras (Émile et Simone), En chaland, de Paris à Marseille en 1848.

Remerciements :
La documentation iconographique est due à Teddy Alzieu tirée de son livre De Blida à Cherchell - À travers la plaine de la Mitidja, collection " Mémoire en images ", éd. Alan Sutton, 2004.
Il convient aussi d'exprimer nos plus vifs remerciements à toutes les personnes qui, par leurs archives ou leurs souvenirs, contribuèrent à cette évocation de quelques hommes qui furent à l'origine de Castiglione. Le Dr Georges Duboucher, MM. Pierre Crucy, Louis Crucy, Louis Dulac, Joseph Palomba et Jacques Piollenc, voudront bien trouver ici, l'expression de notre très vive gratitude.