ALGER dhier,
ALGER, daujourdhui
PLACE MAHON
Cest de la terrasse
du « Veau qui têtte » (sic) que jai
griffonné, il y a vingt ans déjà, ce croquis
destiné à illustrer « Hommes de peine et filles
de joie », de mon camarade René Janon.
Attenant à la place du Gouvernement, la place Mahon était
alors un des coins les plus typiques dAlger.
Une population bigarrée dItaliens, de Maltais, de Juifs,
dArabes, dEspagnols et de Français « de
France » sy agitait toute la journée dans unatmosphère
vibrante de lumière et de cris.
Aux heures de repas, gargotes et restaurants ne désemplissaient
pas damateurs de loubia ou de couscous, tandis que pour quelques
francs les connaisseurs pouvaient se régaler du menu au choix
quaffichait le restaurant du « Veau qui têtte
», tenu par Mme et M. Sammut, dauthentiques Maltais,
dont le fils, toujours dans la tradition, préside aux destinées
du bar du Succès.
Face au restaurant, Galliéro père et Monico avaient
établi les bureaux de leurs autobus. Tout à côté,
à lAmerican Bar, les voyageurs de lintérieur
ou de Guyotville, chargés de volumineux couffins, se raffratchissaient
dune menthe à leau ou dune « Andalouse
» en attendant lheure des départs.
Départs spectaculaires où les cars, démarrant
en pétaradant et en soulevant des nuages de poussière
ensoleillée ne laissaient que tout juste le temps aux flâneurs
de sabriter derrière le tronc dun ficus pour
ne pas se faire occire.
Plus loin, accoudés au zinc du Bar de lAlgérie
on se rappelait les exploits des « Dominos » et des
« Oxygénés », garçons à
la tête chaude mais réguliers sur le code de lhonneur.
Sous les arbres, des aiguiseurs affûtaient à longueur
de journée, tandis que les petits cireurs semployaient
pour un sou à faire briller « comme la glace »
des croquenots fatigués.
Vers le soir, des Zouaves blonds, au sarrouel bien plissé
et portant crânement la chéchia rejetée en arrière,
saventuraient chez mon ami Aravil qui tenait boutique, sous
les arcades, à lentrée de la place.
Après en avoir longuement discuté, ils faisaient lemplette
dune petite glace, « souvenir dAlger »,
dun peigne, du numéro en cuivre doré de leur
régiment ou encore dune carte postale naïvement
colorée pour envoyer à la « payse ».
Et cest parce que tout cela fait déjà partie
dune autre époque que nous avons voulu évoquer,
avant que les immeubles de lavenue
du 8-Novembre en efface le souvenir, ce que fut la place
Mahon, chère au cur des vieux Algérois.
|