LE MONUMENTAUX MORTS
DE CONSTANTINE

extraits du numéro 47, 1er trimestres 2011, de "Mémoire vive", magazine du Centre de Documentation Historique de l'Algérie, avec l'autorisation de son président.

www.cdha.fr
sur site le 10-4-2011
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LE MONUMENTAUX MORTS
DE CONSTANTINE

Le monument aux morts de Constantine domine, majestueux, les gorges du Rhummel et offre aux visiteurs un magnifique panorama sur la ville et ses alentours. Il fut édifié sur le modèle de l'Arc de Trajan que l'on peut voir parmi les ruines romaines de Timgad et s'élève à une hauteur de 21 mètres. Conçu et érigé par les architectes Roguet et Dumoulin, c'est le premier mausolée de France édifié à la gloire des combattants morts pour la Patrie pendant la guerre de 1914-18.

La première pierre fut posée le 18 novembre 1918, dès la fin de la Grande Guerre sur l'initiative du maire de l'époque, Emile Morinaud. Il fut réalisé grâce aux subventions de la ville de Constantine, des communes environnantes et aux dons de nombreux particuliers.

Les travaux s'échelonnèrent sur plusieurs années si bien que beaucoup d'impatients accusaient la municipalité de lenteur chronique. Dans rues, dans les cafés après l'anisette, en se quittant, on ne disait plus " on se reverra dans très longtemps ! " mais : " quand le monument aux morts sera terminé ! "

Le monument ne fut inauguré qu'en 1930 par Gaston Doumergue Président de la République de l'époque, à l'occasion des fastueuses cérémonies commémoratives du centenaire de l'Algérie française. De nombreuses personnalités avaient fait le déplacement pour la circonstance, parmi lesquelles on pouvait citer : Paul Doumer, président du Sénat, Ferdinand Bouisson, président de la Chambre des députés ainsi que la plupart des Ministres du Gouvernement.

On remarquait également la présence du Maréchal Franchet d'Esperay, de Paul Cuttoli sénateur de Constantine, et bien d'autres qui s'étaient également rendus sur les lieux pour la circonstance. Bien entendu, toute la population de Constantine était là et avait gravi le plateau pour assister à l'événement. Parmi la foule, des milliers d'enfants des écoles qui agitaient des petits drapeaux bleus blancs et rouges.

Arrivé à pied sur l'esplanade après avoir gravi la montée du Boulevard du docteur Roux, le cortège des personnalités, environné par une nuée de journalistes, progressait entre deux haies de drapeaux tenus par des anciens combattants français et musulmans étroitement mêlés.

Après une minute de silence observée dans un recueillement profond, on entama les interminables discours d'usage. Puis les personnalités se retirèrent tandis que la foule redescendue vers la ville se répandait dans un tumulte joyeux. Trois arcs de triomphe avaient été dressés. L'un au pont El Kantara par les cheminots, un autre en haut de la rue Nationale et le dernier dans l'avenue Lamoricière.

Cette manifestation, qui resta longtemps gravée dans la mémoire des Constantinois, consacrait la fin de travaux qui avaient duré douze années. Certes, l'attente avait été longue, mais la population était très fière de son monument et du retentissement que cette inauguration avait suscité dans la presse métropolitaine et algérienne.

Mais il faut dire que le projet initial n'était pourtant pas entièrement réalisé. Il restait à placer des lions de marbre de part et d'autre de l'esplanade.
On en avait prévu six, trois à droite et trois à gauche, deux dans une pose allongée, deux autres dressés et enfin deux en position d'attaque. C'était le sculpteur Joseph Alexandra qui en avait exécuté les maquettes. Hélas, la concrétisation de l'ceuvre en marbre n'aboutit jamais, sans doute faute de crédits.

En arrière du monument, sur un autre éperon plus élevé et d'un accès plus difficile, dans les années 1955 les autorités ecclésiastiques catholiques érigèrent une statue de Notre Dame de la Paix, à proximité du fort de Sidi M'Cid.

L'arc de triomphe, construit avec des pierres provenant de la carrière Lentini, rendait hommage à 844 Constantinois de toutes confessions qui avaient perdu la vie en combattant pour la France pendant la guerre de 1914/18. Sur la partie de l'édifice qui s'élevait au-dessus des colonnes on avait gravé la dédicace :
             PRO PATRIA
             MDCCCCXIV - XVIII

tandis que sous les arches du monument on pouvait lire, emboutis sur des plaques de cuivre, les noms de tous les Constantinois morts pour la France pendant la Grande Guerre. Enfin sous la voûte qui traversait l'édifice on avait creusé des niches dans lesquelles on pouvait voir les quatre bustes des maréchaux vainqueurs de la guerre de 1914-18, Foch, Joffre, Franchet D'esperey et Pétain. Celui de Pétain fut enlevé en 1944.

L'arche était surmontée par une sculpture conçue par le célèbre statuaire Ebstein, (1881-1961), artiste algérois de renom. Il avait déjà érigé le monument aux morts de Tlemcen, (transporté aujourd'hui à Saint Aygulf) et celui du village de Marengo que l'on peut voir de nos jours à l'île de la Réunion.

C'est une " victoire ailée " qui semblait emportée par un irrésistible élan. L'allégorie très simple contribuait à la force de l'expression, un rendu sans surcharge d'une élégance toute classique de ligne. Elle avait été inspirée à l'artiste par une statuette romaine de bronze découverte en 1855 par des militaires dans une cour de la Casbah de Constantine. Cette statuette baptisée " la victoire de Constantine " appartient aujourd'hui au musée de la ville. Il faut noter que c'est son effigie qui a été prise comme insigne de la 3° D.I.A. en 1943.

Selon de récents témoignages de visiteurs, aujourd'hui, le monument ne serait pas trop dégradé, mais reste en mauvais état de conservation. Les plaques sur lesquelles étaient gravés les noms des combattants auraient été mises à l'abri, sans doute pour être restaurées ?

Autre constatation, le lieu serait devenu dangereux et fréquenté par des voyous toujours à l'affût d'un mauvais coup ainsi que par des trafiquants de drogue.

Les villes d'Alger et Oran se sont toujours montrées fières de leurs monuments aux morts, tout à fait remarquables et impressionnants par leur masse, bien qu'ils soient un peu ternis par des détails anormaux ( par exemple, celui d'Alger qui fait porter la dépouille d'un combattant, étendu sur le travers d'un bouclier, par trois cavaliers juchés sur de solides montures lourdement caparaçonnées ). En revanche, la ville de Constantine peut s'enorgueillir d'avoir érigé son monument aux morts dans un décor imposant. C'est une oeuvre élégante et majestueuse qui, nous l'espérons, défiera le temps.

Gérard SEGUY

Sources : L'Afrique du Nord Illustrée N° 443 du 27 octobre 1929.
La France à Constantine de 1935 à 1962 par Jacques Gatt (éditions Atelier 3 Montpellier)
Témoignage du colonel Yves Levez
Témoignage Gilles Alexandra