Le maréchal Clauzel(1772 -1842)
extraits du numéro 50, 1er trimestres 2012, de "Mémoire vive", magazine du Centre de Documentation Historique de l'Algérie, avec l'autorisation de son président.
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Le maréchal Clauzel(1772 -1842)

" Posséder en face de notre littoral européen un littoral africain non moins étendu, c'était une position qui me semblait si belle, si forte, si supérieure, que prévoir qu'on voudrait l'abandonner m'eut semblé une injure au bon sens le plus grossier ". Maréchal Clauzel ( Explications du maréchal Clauzel -Paris. Ambrose Dupont. 1837.)

Bertrand Clauzel, Comte de l'Empire

" Né le 12 décembre 1772 à Mirepoix (Ariège), Bertrand Clauzel s'engage comme volontaire, en 1789 il n'avait alors que 17 ans.
Nommé sous-lieutenant le 14 octobre 1791, il partit en 1792 comme capitaine dans la légion des Pyrénées, combattit les Espagnols, accompagna Pérignon dans son ambassade à Madrid ( 1795 ), fut envoyé en 1798 auprès de Charles-Emmanuel IV pour obtenir la remise des places du Piémont à la République Française, il remplit cette mission avec toute l'habilité d'un diplomate. Général de brigade le 5 février 1799 au sein de l'armée d'Italie, il fit partie de l'expédition de Saint-Domingue ( 1801 à 1804 ) et rentra en France avec le grade de général de division ( 18 décembre 1802 ). De 1805 à 1809 il participa aux campagnes d'Autriche, de Prusse, de Pologne et servit en Hollande, à Naples et dans les provinces Illyriennes, il prit une part glorieuse aux deux campagnes du Portugal sous Junot et Masséna, et, remplaçant le maréchal
Marmont blessé à la désastreuse bataille des Arapiles, sauva par des efforts héroïques l'armée française d'une déroute générale ( 23 juillet 1812 ).

Rallié à Louis XVIII après les événements de 1814, mais revenu sous les drapeaux de Napoléon dès son retour de l'île d'Elbe, il entra victorieux dans Bordeaux malgré les efforts des royalistes excités par la duchesse d'Angoulême, refusa d'arborer le drapeau blanc après la défaite de Waterloo, et se rendit en Amérique pour échapper aux vengeances de la réaction. Après une absence de cinq ans, il réapparut dans sa patrie et fut nommé député des Ardennes en 1827 " ( Le Livre d'Or de l'Algérie - Narcisse Faucon. Paris. Editeur Challamel. 1889 et - L'Algérie ancienne et moderne L. Galibert. Paris. Editeur Furne . 1844.)

Première période en Algérie ( 12 août 1830 au 21 février 1831)

" De tous les officiers généraux ralliés par conviction à la révolution de juillet 1830, le général Clauzel était sans contredit l'un des plus aptes à commander une armée ". (L'Algérie ancienne et moderne L. Galibert. Paris. Editeur Furne . 1844.))

Le 12 août 1830, il reçut le commandement en chef de l'Armée d'Afrique en remplacement du maréchal de Bourmont et débarqua à Alger, du vaisseau " l'Algésiras ", le 2 septembre 1830.

Les premiers actes auxquels il apporta tous ses soins furent consacrés à l'administration du pays et à la réorganisation de l'armée.

L'administration

Pendant deux mois on le vit, de concert avec son conseil, présider sans interruption à l'établissement des différentes administrations financières : installation de la municipalité, réglementation des impôts, de la justice, de la propriété, de la police et des douanes.

Il acquiert et crée La ferme- modèle Pensant faire oeuvre de colonisation le général Clauzel créa le 30 octobre, au confluent de l'oued
Kerma et de l'Harrach, la ferme (haouch) " Hassan- Pacha ", au commencement de la plaine de la Mitidja, à quatorze kilomètres d'Alger.

Cet établissement auquel il donna le nom de " ferme-modèle " s'étendait dans une propriété de l'ancien dey d'Alger, sur mille hectares de terres incultes. Dans l'esprit du fondateur cette exploitation était destinée à servir de champ d'expérience à celles que les Français étaient appelés à constituer plus tard dans la nouvelle colonie. ( Histoire Générale de l'Algérie - Henri Garrot. Alger. Imprimerie Crescenzo.1910.)

Son but, pouvoir implanter des vétérans de l'Armée d'Afrique comme colons ; idée que le général Bugeaud devait reprendre, " par l'Epée et par la charrue ".

La réorganisation de l'armée

Dès le 1er octobre, il créa deux bataillons d'indigènes qui prirent le nom de " zouaves " ( de " zouawas " tribu Kabyle des environs de Constantine, qui entrèrent en majeure partie dans leur effectif ) et furent placées sous le commandement des capitaines Maumel et Duvivier.
Pendant ce temps l'insurrection de plusieurs tribus, soulevées par des chefs ambitieux, devenait de plus en plus menaçante. Le plus redoutable était le bey du Titteri, Bou Mezrag.

A la tête d'une colonne de huit mille hommes, le général occupa successivement, Blida le 17 novembre 1830, puis quatre jours plus tard, il franchit le col du Ténia et prit Médéah le 24 novembre après un combat mémorable. Le 3 janvier 1831, un corps expéditionnaire sous le commandement du général Damrémont, appelé par le Bey d'Oran débordé par ses troupes, prend possession de la ville, ce qui fut fait sans devoir tirer un seul coup de feu.

Départ d'une partie des troupes du corps expéditionnaire

Dans les derniers jours de 1830, la France était menacée par les signataires du traité de la Sainte Alliance, réformé par l'Autriche, la Prusse et la Russie, contre le mouvement révolutionnaire qui avait amené la chute de Charles X. L'Angleterre, jalouse de l'expansion de la France en Afrique, réclamait l'évacuation d'Alger comme prix de sa neutralité dans ce conflit. Face à cette situation le maréchal Soult, ministre de la guerre rappela plus de la moitié du corps expéditionnaire autorisant le général Clauzel à ne conserver que dix mille hommes (4); cet effectif s'avérait insuffisant pour la pacification du pays, ce qui entraîna la protestation du général : " Dans l'intérêt de la France, je dois dire que vous laissez trop peu de troupes à Alger... Elles seront insultées impunément et déconsidérées aux yeux des habitants, comme lorsque j'ai pris le commandement de l'armée et je m'abstiendrai d'en exposer les conséquences ". ( L'Histoire de l'Algérie Française 1830-1962 Claude Martin. Paris. Edit. des 4 fils Aymon. 1963.)

Arrivée des volontaires parisiens

Le 9 février 1831, on vit arriver à Alger sur des vaisseaux de l'Etat, trois cents hommes de tout âge, réunis sous le nom de " volontaires de la Chartre " ou " Parisiens ". Ces volontaires, qui avaient combattu aux journées de 1830, exigeaient leur maintien sous les armes. Les arrivées de ces " Bédouins français ", surnom qui leur fut donné par les Algériens, continuaient, ils furent bientôt plusieurs milliers. Certains renforcèrent les unités de zouaves formées de trois bataillons, dits " auxiliaires d'Afrique " ; puis on constitua avec ces éléments le 67e régiment de ligne.

Sa politique désavouée

Les effectifs militaires demeurant insuffisants, le chef de l'Armée d'Afrique prit la sage résolution de se contenter de la province d'Alger. Il décida de confier l'administration du pays à l'autorité musulmane qui voudrait s'en charger, à la condition de le faire pour le compte et sous la protection de la France. Il mit ce projet à exécution en prononçant les déchéances des beys d'Oran et de Constantine et en cédant la suzeraineté de ces deux provinces à deux princes tunisiens, par l'entremise du consul de France à Tunis Monsieur Mathieu de Lesseps, moyennant paiement à la France d'une redevance annuelle fixée pour chacun à un million de francs. Mais le général Sébastiani, ministre des Affaires étrangères, se montra furieux de la conclusion de ce traité en dehors de son ministère et le traité fut annulé ; il désavoua également l'attitude que le général avait prise à propos de Tlemcen envers le Maroc qu'il parlait de soumettre à un blocus après l'intrusion de celui-ci dans la région d'Oran. Le général Clauzel, ne pouvant accepter de tels désaveux démissionna et quitta Alger le 21 février 1831.

Son initiative et son activité impressionnèrent le gouvernement ; sa démission fut comprise, il fut élevé à la dignité de maréchal de France le 27 juillet 1831. ( Les grands soldats de l'Algérie - Général Paul Azan. Cahiers du Centenaire de L'Algérie)

Seconde période en Algérie ( 8 juillet 1835 - 12 février 1837 )

Après la défaite de la Macta infligée par les troupes d'Abd-el-Kader, le 28 juin 1835, faisant 280 tués dans les rangs français, le gouvernement rappela Drouet d'Erlon ( premier gouverneur nommé le 1er juillet 1834 ).

Le maréchal alors député monta fréquemment à la tribune pour défendre l'Algérie contre ses nombreux adversaires et combattre avec ardeur toute idée d'abandon. Cette attitude résolue obligea le gouvernement à céder à la pression de l'opinion publique et à le nommer de nouveau " Gouverneur Général des possessions françaises dans le nord de l'Afrique ".

Le maréchal débarqua le 10 août 1835 (7) à Alger, où son retour fut accueilli avec le plus vif enthousiasme.

Il reprit son œuvre colonisatrice et tint à la population d'Alger le langage qu'elle attendait : " Je parviendrai à favoriser toutes les entreprises agricoles et commerciales, à attirer des cultivateurs européens dans la Régence pour fertiliser les terres les plus riches et à donner ensuite un grand développement au commerce de la colonie... Habitants de la Ré- 1836. Imagerie de Metz, gente livrez-vous à l'esperance ; elle ne sera pas déçue sous mon administration... Par l'émigration européenne, le travail des colons et le commerce, nous jetterons ici des racines profondes. Nous formerons à force de persévérance un nouveau peuple qui grandira plus vite encore que celui qui commença sa création au-delà de l'Atlantique, il n'y a pas un siècle ". ( L'Histoire de l'Algérie Française 1830-1962 Claude Martin. Paris. Edit. des 4 fils Aymon. 1963)

En attendant, accompagné par le duc d'Orléans, il dut affronter Abd-el-Kader à Mascara, en novembre 1835 ; celui-ci se déroba et resta toujours menaçant. A l'est, le bey de Constantine, El-Hadj-Ahmed, continuait à braver l'autorité française. Une partie de bras de fer commença pour le maréchal qui réclama un effectif de 35.000 hommes, dont 30.000 combattants pour tenir le pays et notamment pour s'engager dans la campagne de Constantine.

Un autre mal survint, une épidémie de choléra qui enleva 2.800 hommes et comme un malheur ne vient jamais seul, Thiers qui lui était favorable démissionna. Son successeur Molé voulut au contraire s'en tenir à l'occupation restreinte.

Première expédition de Constantine ( 13 novembre 1836-1er décembre 1836 ).

" Le gouvernement Thiers s'engageait à compléter un effectif combattant de 30.000 hommes. Il fut convenu que tous les préparatifs et tous les envois seraient terminés le 15 septembre (...) car lorsque l'on verra tout ce qui m'a été refusé et contesté, quand on tiendra compte du nombre d'hommes dont j'ai pu disposer, quand on verra que j'ai dû faire vers la fin novembre une expédition commandée pour le début octobre, quand on considérera que je ne suis plus parti de Guelma, comme j'aurais pu le faire, si les ordres du ministère de la guerre avaient reçu leur exécution (...)

et qu'en même temps l'on verra que je suis arrivé jusque devant Constantine malgré les obstacles que le temps nous a opposés, que le colonel Duvivier s'est introduit jusque dans les premières maisons de la place, que la reddition n'a tenu qu'à un de ces hasards dont les accusations font ensuite une imprévoyance, l'on sera forcé de convenir que l'expédition telle que je l'avais conçue, ne pouvait manquer de réussir "(Explications du maréchal Clauzel -Paris. Ambrose Dupont. 1837)

La crise ministérielle du 6 septembre 1836 mit en sommeil les décisions prises par le gouvernement Thiers. Le maréchal réclama 10.000 hommes de troupe pour le 15 octobre au plus tard. Le général Bernard, ministre de la guerre, adressa sa réponse par l'intermédiaire du général Damrémont : " Dites bien à M. le maréchal que je suis persuadé que l'expédition peut se faire avec les moyens que le gouverneur
général tient aujourd'hui à sa disposition. Dites-lui que nous regardons comme utile, comme nécessaire, que cette expédition ait lieu, que je le presse vivement de la faire... ". (Explications du maréchal Clauzel -Paris. Ambrose Dupont. 1837)

Les commentaires du maréchal furent : " Il m'était impossible de reculer sans compromettre la dignité de la France aux yeux de l'Afrique et du monde entier. J'avais rendu l'expédition de Constantine indispensable ; c'était à moi de la faire et je la fis : c'est ici que j'ai commis ma première et ma seule faute, c'est de n'avoir pas remis mon épée dans le fourreau, c'est de n'avoir pas donné ma démission, c'est de n'avoir pas déserté de mon poste. Je dois reconnaître que j'y aurais gagné comme homme politique : cette résolution m'aurait valu de trouver des appuis là où j'ai trouvé des accusateurs, qui peut-être ne se sont fait les miens que parce qu'ils étaient ceux d'un ministère qui m'abandonnait ". (Explications du maréchal Clauzel -Paris. Ambrose Dupont. 1837)

Certains l'accusèrent d'avoir perdu son armée. Il s'en défendit : " 454 tués sur une armée de 7.000 hommes, un peu moins du quinzième. Mais il n'y a pas d'escarmouches où la proportion ne soit plus grande entre la perte et le nombre d'engagés " (1). Rappelons que dans les combats de la Macta la proportion a été de huit (280 tués pour 2.300 engagés).

Au lendemain de l'échec de l'expédition de Constantine, Bugeaud prononça un discours énergique à la Chambre : " Il importe d'avoir une solution ; il n'y a pas de système moyen. On ne fait pas une demi-guerre. Il faut la paix ou la guerre avec toutes ses conséquences. Pour arriver à un bon résultat, il ne faut pas que l'expédition de Constantine soit un fait isolé, il faut se montrer partout pour frapper le moral des Arabes. Et n'allez pas croire qu'il suffit pour cela d'un petit effectif de 20 à 30.000 hommes : il faut au moins 45.000 hommes... ". (5)
Le Maréchal Clauzel fut rappelé ; il quitta Alger le 12 janvier 1837 pour ne plus y revenir, il laissa au général Rapatel le commandement par intérim. Le 12 février 1837 le général Danrémont fut nommé Gouverneur général des possessions françaises dans le nord de l'Afrique. (7)

Pour la deuxième expédition de Constantine ( 1er octobre 1837- 6 novembre 1837 ),

Le ministère donna au général Damrémont les moyens qu'il avait refusés au maréchal Clauzel : une armée de 12.000 hommes mobilisée pour cette expédition. Un millier de soldats tombèrent dans cette rude bataille dont une centaine d'officiers parmi lesquels figuraient : les généraux Damrémont, Perrégaux, Caraman et le colonel Combes. ( L'Histoire de l'Algérie Française 1830-1962 Claude Martin. Paris. Edit. des 4 fils Aymon. 1963 ).
Cette expédition, forte de l'expérience de la première et malgré les moyens engagés, fut un succès qui pourtant afficha un bilan tout aussi dramatique.

A son retour en France, le maréchal écrivit un ouvrage intitulé " Explications du maréchal Clauzel " qu'il termina ainsi : "... On a pensé sans doute que j'étais assez tombé pour m'empêcher de me relever. Non, non, je me relève, moi. Je me relève pour rentrer la tête haute dans mes foyers ! Et sur le seuil de cette maison paternelle où je retourne, je poserai entre moi et la calomnie ma vieille épée de combat. Regardez-la bien ; elle n'a ni
or ni diamants à sa monture, elle n'a que du sang sur sa lame : c'est le sang des ennemis de la France ".

Il mourut au château de Secourrieu à Cintegabelle (Haute Garonne) le 21 avril 1842 d'une attaque d'apoplexie.

Le nom de Clauzel est gravé au côté ouest ( 34e colonne ) de l'Arc de Triomphe à Paris.

Décorations :
- Grand-croix de l'Ordre de la Réunion ( 3 avril 1813 ).
- Chevalier de Saint-Louis ( ler juin 1814 ).
- Grand-croix de la Légion d'honneur ( 14 février 1815 ).

En hommage au maréchal Clauzel, un centre de population fut créé en 1869 sur l'oued Cherf, à 29 kilomètres de Guelma, il reçut le nom de " Clauzel ".

Yves Marthot

Bibliographie
(1) - Explications du maréchal Clauzel Paris. Ambrose Dupont. 1837.
(2) - Le Livre d'Or de l'Algérie Narcisse Faucon. Paris. Editeur Challamel. 1889.
(3) - L'Algérie ancienne et moderne L. Galibert. Paris. Editeur Fume . 1844.
(4) - Histoire Générale de l'Algérie Henri Garrot. Alger. Imprimerie Crescenzo.1910.
(5) - L'Histoire de l'Algérie Française 1830-1962 Claude Martin. Paris. Edit. des 4 fils Aymon. 1963.
(6) - Les grands soldats de l'Algérie - Général Paul Azan. Cahiers du Centenaire de L'Algérie.
(7) - Algérie - Rozet et Carette. Paris. Editeur Firmin Didot. 1856.
- Observations du général Clauzel Paris A.J. Dénian. Libraire. 1831.
9 - Histoire de l'Algérie Française depuis les temps les plus reculés - MM. Leynardier et Clausel. Paris. Editeur Krabbe. 1854.
- Campagnes de l'Armée d'Afrique - le Duc d'Orléans. Paris. Editeur Michel Levy. 1890.
- L'oeuvre du maréchal Clauzel en Algérie de 1835 à 1837 d'après la correspondance du maréchal Clauzel publié par Gabriel Esquer. Mestre - Marie Fabienne - Xavier Yacono. 1976.
10 - L'Armée d'Afrique 1830-1962 C. Lavauzelle. Paris. 1979.