Paris(1959 -1962 ) : des harkis face au FLN
Texte de Pierre de Roujoux
Chef d'escadron - officier de la FPA

Illustrations extraites du dossier : les Harkis

extraits du numéro 62, 1er trimestres 2016, de "Mémoire vive", magazine du Centre de Documentation Historique de l'Algérie, avec l'autorisation de son président.
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ici, en juin 2016

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Paris(1959 -1962 ) : des harkis face au FLN

" Je n'ai jamais donné à mes
hommes un ordre que je ne puisse
exécuter moi-même. "
Lieutenant-colonel Raymond Montaner


Attentats terroristes contre des postes de police
Attentats terroristes contre des postes de police


En 1957, à Paris, la guerre des Algériens contre la France fait rage, les combats entre les forces FLN et le MNA sont violents. Les homicides perpétrés par des Algériens font trois cent soixante tués et six cent trente sept blessés. Les groupes de choc du FLN s'acharnent sur les " bastions " messalistes, notamment dans le 19ème arrondissement. L'hémorragie des cadres au sein du MNA est nette et aggravée par des descentes de police auxquelles ne réchappe que le chef de la wilaya de Paris, Nesbah Ahmed. Le FLN doit aussi son succès sur le MNA à une meilleure clandestinité de ses réseaux, dont les membres sont encore inconnus des services de police et, surtout, à une organisation et à une détermination sans faille. En 1961, selon la direction des renseignements généraux, le MNA ne subsiste politiquement en France que par le soutien d'environ 8.000 militants.

Le bilan humain de cette guerre est édifiant. Au total, la guerre civile algérienne aurait entraîné, entre le 1er janvier 1956 et le 23 janvier 1962, 3 957 décès et 7.745 blessés, pour un total de 10.223 agressions contre des Algériens. Au total, le nombre de victimes du terrorisme en région parisienne entre le 1er janvier 1956 et le 31 décembre 1962 s'élève à 1.433 tués et 1.726 blessés.

Ce conflit reste le conflit le plus sanglant en Europe de l'Ouest depuis la fin de la seconde Guerre mondiale (Remi Valat " Les calots bleus et la bataille de Paris " Une force de police auxiliaire pendant la guerre d'Algérie. Editions Michalon. Paris. 2007.)
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La Fédération de France du FLN - qui assurait la propagande sur le territoire français et surtout levait l'impôt révolutionnaire afin d'obtenir les fonds nécessaires au fonctionnement et à l'achat d'armes indispensable pour les combattants - était, en 1958, devenue un état dans l'état.

La population musulmane, venue d'Algérie, s'élevait, dans les années 1960 - 1962, à environ 150.000 personnes, essentiellement des hommes.

Une partie de ces travailleurs " Français de confession musulmane " et les commerçants, qui les ravitaillaient, assuraient 80% des besoins financiers de la " rébellion ". Ils étaient fortement concentrés dans la région parisienne. Le FLN exerçait sur eux une tyrannie féroce. 3% de cette population a été abattue entre 1954 et 1962. On comptait autant de blessés pour refus de cotisation ou non-respect des consignes.

La structure de la Fédération de France du FLN était composée d'une super-zone formée de 2 zones, chacune d'elle représentait 3 régions et chaque région regroupait 5 secteurs.

Une région représentait environ 3.000 " cotisants " auxquels s'ajoutaient les commerçants, les prostituées etc.

Pour donner un ordre de grandeur des montants collectés : la région 1.123, pour le seul mois de février 1961, a comptabilisé une collecte de 10.095.300 nouveaux francs. Les Services d'Assistance Technique ( SATFMA ), à l'image des SAS implantées en Algérie, ont été créés dans la région parisienne pour tenter de rapprocher l'administration de cette population musulmane qui lui échappe. Le responsable du secteur de Nanterre est le capitaine Montaner, un héros de la 2ème guerre mondiale et d'Indochine, qui a été officier SAS au Clos Salembier près d'Alger. Horrifié par ce qu'il voit sur le terrain il fait un rapport expliquant l'intérêt qu'il y aurait à créer une force, composée de jeunes volontaires d'origine arabe ou kabyle, qui permettrait de pénétrer la population musulmane en vue d'identifier les membres de l'organisation terroriste. L'action en uniforme pour l'aspect psychologique, se doublant d'une action en civil pour le renseignement, créerait ainsi un choc psychologique chez l'adversaire.

Ce rapport, remis par le capitaine Montaner au Préfet de Paris, Maurice Papon, parvient sur le bureau du Premier Ministre, Michel Debré, qui décide de lui donner une suite favorable en créant une première unité de 400 hommes en uniforme ou en civil. Ce sera la Force de Police Auxiliaire ( FPA ) qui, encadrée par des officiers de l'armée, sera placée aux côtés de la Police Municipale et instruite directement par des officiers, des gradés et des moniteurs de la Préfecture de Police de Paris.
Les premiers volontaires, recrutés en Algérie par le capitaine Montaner, auprès des SAS, arrivent à Paris à Noël 1959 et sont casernés au Fort de Noisy à Romainville.

Ces soldats, sous uniformes policiers, auront à opérer, après une période de formation et d'apprentissage acquise sur le terrain.

La première compagnie est implantée en mars 1960 dans le 13ème arrondissement, fief du FLN soutenu hélas par certains élus de la gauche métropolitaine. Les effectifs sont installés dans des hôtels repérés comme des centres particulièrement actifs de l'organisation rebelle. L'effet psychologique est important et les collecteurs de fonds sont contraints de quitter le secteur. Compte tenu des résultats obtenus une deuxième compagnie est implantée dans le 18ème arrondissement avec son PC rue de la Goutte d'Or, quartier dont la population est majoritairement composée d'Algériens. Le commandement du secteur des 13ème et 14ème arrondissements est alors assuré ar le lieutenant Loïc Lebeschu de Champsavin qui échappera de justesse à la mort lors de l'une des attaques du FLN. Constatant sa défaite la Fédération de France du FLN, qui appelait les membres de la FPA les " Harkistes ", réagit violemment et se voit contrainte de faire agir au grand jour son organisation spéciale ( OS ) qui engagera une véritable lutte armée contre la FPA en attaquant régulièrement ses postes - fréquemment le samedi soir - et en assassinant ses membres. Des épisodes rocambolesques auront lieu tels que cette poursuite de membres des groupes armés FLN qui se sont engouffrés dans le métro après une attaque et que des agents de la FPA tenteront de rattraper dans la rame suivante avec l'aide du machiniste qui brûla l'étape dès les poursuivants embarqués. Les agents civils de la FPA, quant à eux, menèrent une action de renseignement, d'infiltration et de propagande intense. Certains parvinrent à entrer dans l'organisation du FLN et l'un d'eux arriva à devenir chef de Zone, grade élevé dans l'OPA ( Organisation Politico Administrative ) qui quadrille toute la population.

Dès lors des renseignements capitaux furent obtenus et permirent la récupération d'un armement impressionnant et l'arrestation de nombreux cadres élevés de l'organisation du FLN.
Drapeau de la FPA.

Drapeau de la FPA.


La FPA paiera un lourd tribut dans cette action, on comptera 46 tués et 82 blessés soit 10% de l'effectif engagé ( 1.200 hommes au total en fonction des départs et des engagements ), ce qui constitue un triste record par rapport aux pertes consenties par l'ensemble des unités ayant servi pendant la guerre d'Algérie.
El Moudjahid 1958
El Moudjahid 1958

Pourtant l'administration n'a pas cru devoir reconnaître la qualité d'anciens combattants à ceux des siens qui se sont engagés à la FPA.

Eléments de constitution et du fonctionnement de la Force de Police Auxiliaire


Souhaitant éviter les infiltrations que l'adversaire ne manquerait pas de tenter, le capitaine Montaner prit la décision de n'incorporer que des jeunes célibataires ayant déjà fait leurs preuves en Algérie. Dès l'accord du Premier Ministre obtenu, il effectua une tournée des SAS pour trouver des volontaires parmi les anciens Harkis ou Moghaznis.

Environ 1.200 hommes passèrent dans les rangs de la FPA, cela s'explique par le fait que les engagés avaient la faculté de quitter l'unité à tous moments, certains n'étant restés que quelques mois.

Il est à noter qu'aucun engagé n'a jamais déserté et que les 400 hommes de l'effectif sont toujours restés aux ordres du capitaine.
L'Express du 24-04-1987
L'Express du 24-04-1987

La FPA émargeait au budget du Premier Ministre, c'est-à-dire qu'elle ne dépendait ni du ministère de l'Intérieur ni de celui de la Défense. Les armes étaient louées et les cartouches achetées. N'appartenant directement ni à l'Armée, ni au Ministère de l'Intérieur, la FPA était " prêtée " pour emploi à la Préfecture de Police via le Service de Coordination des Affaires Algériennes ( SCAA ), mais ces fonctionnaires se voyaient mal donner des ordres à des militaires, quant aux militaires ils ne se voyaient plus tenus de donner des ordres à des officiers " détachés ". Le capitaine Montaner bénéficia d'une liberté d'action quasi-totale, cela explique la qualité des résultats obtenus. Par contre une liaison étroite fut maintenue avec tous les services pouvant donner des renseignements au premier rang desquels la DST et les officiers des secteurs SATFMA implantés dans la région parisienne.
Tract F.L.N.
Tract F.L.N.

La stèle de Thiais
La stèle de Thiais.
Cette stèle est dans le zone musulmane du carré militaire. Certains policiers cités sont enterrés à coté, mais d'autres ont été enterrés en Algérie.


Seuls les responsables importants et les membres de l'OS et des groupes armés intéressaient la FPA. Celle-ci aurait souhaité les renvoyer systématiquement en Algérie mais de fait les contraintes administratives ont, en général, imposé l'envoi des détenus au centre d'internement administratif de Vincennes. L'acheminement vers l'abandon de l'Algérie par la France a été évidemment ressenti avec angoisse par tous les membres de la FPA. Quant aux pouvoirs publics ils ont craint que celle-ci ne prenne le maquis dans le bois de Vincennes. Dans tous les cas de figure le capitaine Montaner ne voulut pas mêler ses hommes aux querelles franco-françaises. Il leur a en revanche promis qu'ils ne seraient pas abandonnés et que d'une façon ou d'une autre il garantirait leur avenir, ce qu'il fit. 155 d'entre eux sont restés dans la police municipale de la Préfecture de Police. Certains ont accédé au grade de commandant de gardiens de la paix et quelques-uns à la fonction de commissaire de police.

Pierre de Roujoux
Chef d'Escadrons - Officier de la FPA

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Bilan établi par le capitaine Raymond Montaner
Pertes de la FPA:
a) Personnel : 27 furent tués au combat, 19 assassinés ( du fait de leur appartenance à la Force de Police Auxiliaire ) et 82 blessés au combat
b) Matériel : 1 P.A. - 1 P.M.
Pertes ennemies:
a) Personnel : une trentaine de tués au combat, une centaine de blessés au combat et 1.189 responsables F.L.N. neutralisés ( dont 4 fédéraux de l'Organisation Spéciale et 2 chefs de Willaya de Choc ).
b) Matériel : 488 armes récupérées dont 3 F.M. et 77 P.M - 194 charges explosives et environ 20.000 cartouches de tous calibres - 239 grenades F.1 - et 40 bombes de grande puissance.

Raymond Montaner
Chef d'Escadrons