Le village de Bugeaud
extraits du numéro 45, 2ème trimestre 2010, de "Mémoire vive", magazine du Centre de Documentation Historique de l'Algérie, avec l'autorisation de son président.
www.cdha.fr
sur site le 25-11-2010

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La station touristique de BUGEAUD, à 14 km de Bône, se situait au coeur du massif de l'Edough, à 867m audessus du niveau de la mer qu'elle surplombait au Nord et au Sud. Le village fut créé par l'arrêté du 3 juin 1847 au lieu dit Aïn-Quermat (la fontaine du figuier) sur 997 ha. Occupé par l'armée à ses débuts, il prit le nom de Bugeaud (1) en 1850 en l'honneur de l'ancien Gouverneur d'Algérie qui venait de mourir après avoir achevé la pacification.

La création du village

Le 4 octobre 1841 le général Randon prit le commandement de la subdivision de Bône. Il se révéla grand administrateur, autant que grand soldat durant les six années qu'il demeura à ce poste. Bône vivait à cette époque dans l'insécurité, harcelée par les tribus insoumises du Massif de l'Edough et notamment les Beni-Mahammed que le général Randon. à la tête des troupes disponibles, vint surprendre par une marche rapide.

Quelques jours après, les Beni-Mahammed venaient faire leur soumission. Afin de pacifier efficacement le Massif de l'Edough, il sollicita le Gouvernement Général qu'il lui accorde l'autorisation d'ouvrir une route. C'est le 17 janvier 1842 que le capitaine du génie Guilmot ouvrit une route dans l'Edough; le 18 avril elle arrivait au plateau de Bou Zizi, point culminant du massif à 1.008m d'altitude; le 19 mai la route était complètement terminée. Les 19 kilomètres avaient été réalisés par 1.000 hommes du 10ème d'artillerie, du Sème génie, du 3ème léger et des zouaves. Une colonne commémorant cet exploit fut dressée à l'entrée d'un quartier de Bône qui porte comme nom " La Colonne ". A l'indépendance, elle fut démontée et installée en 1971 dans le jardin du musée de la Légion Etrangère à Aubagne. Le 21 septembre 1844, le duc d'Aumale, précédé d'une nouba, monta à l'Edough où il fut reçu par le lieutenant du train des équipages Marchand, commandant de la compagnie de bûcherons.

Il déjeuna près de la source qui fut dénommée de ce fait " la Fontaine du Prince ". C'est de cet endroit très précisément que partaient les conduites romaines qui alimentaient Hippone ; des vestiges d'aqueducs en très bon état nous rappelaient ces travaux colossaux de l'époque. On dénombrait dans ce massif 176 sources qui avaient alimenté pendant de nombreuses années la ville de Bône. Cette alimentation était assurée par une conduite en fonte qui dévalait la pente en coupant régulièrement un tracé appelé " Les cinq cents escaliers ", créés pour la surveillance et l'entretien de celle-ci. C'était, pour de nombreux Bônois, une promenade très appréciée et un raccourci pour atteindre le village de Bugeaud.

Un village de colonisation

Les premiers habitants, en 1851, furent des Alsaciens et des Lorrains (Alsaciens en majorité), bûcherons de profession. Le journal " La Seybouse " du 30 août 1851 nous rapporte les faits suivants " Six familles de bûcherons débarquent à Bône le 28 août 1851, venant des Vosges pour peupler le village. Deux autres familles sont en route et doivent arriver vers le 13 septembre pour compléter l'occupation des huit premières maisons construites dans ce village dont les premiers habitants seront au nombre de 35 ". C'étaient ainsi une dizaine de familles, qui étaient installés dans ces premières maisons situées de part et d'autre de la rue qui menait à l'église. En 1869 leur nombre était de 195, tous bûcherons, sur un total de 300 habitants. Citons l'une de ces grandes familles alsaciennes : les Maurer qui furent liégeurs sur trois générations. Le massif de l'Edough occupait une superficie de 37.273 ha. L'exploitation de la forêt de chênes-lièges débuta en 1849 et fut confiée par adjudication à MM Berthon et Lecoq qui fondèrent " La Société des Lièges de l'Edough " (concession de 6.654 ha). Celle-ci devint vite prospère ; la plus grande partie de la production était expédiée par voie de mer vers la Métropole et l'étranger, principalement en Grande Bretagne. La production était estimée à 32.000 quintaux.

Une station climatique

Le village fut érigé en commune de plein exercice dès 1853 et devint, dans les années qui suivirent une station estivale réputée compte tenu de la qualité de son air et de ses eaux pour la plupart diurétiques et ferrées : selon le mot d'un grand médecin
" une lessive merveilleuse pour le rein et les voies urinaires ". Un centre aéré " Les enfants de la montagne " fut créé en 1921 par Mme Buovolo et permettait à une centaine d'enfants peu fortunés d'y passer quelques semaines l'été.

Une pension privée pour jeunes filles, de cent lits, " la pension Sainte Thérèse " tenue par les soeurs de Saint Vincent de Paul, s'y établit. Un préventorium de 300 lits y fut édifié en 1955. Par son altitude, son climat, Bugeaud attirait bon nombre d'estivants et de Bônois qui avaient construit leur résidence d'été ou fréquentaient l'un des trois hôtels de la station : Beauséjour, Aïssa ou l'hôtel Casino du Rocher (Kef-Sga). L'emplacement de ce dernier offrait un panorama surprenant d'où l'on pouvait admirer l'étendue de la forêt de chênes-lièges dans laquelle se détachaient les àpics de l'Egyptienne et la superbe côte qui s'étalait du Cap de Garde à l'est au Cap de Fer à l'ouest avec une vue plongeante sur la belle plage de l'oued Beugra. En 1960 Bugeaud recensait 5.054 habitants et disposait d'un parc national (réserve botanique) de 770 ha.

Le village des hortensias

Bugeaud méritait sa qualification de " perle des stations " par la variété de sa végétation d'altitude que nous décrivait si bien l'amiral Marec (2): " Ce massif de l'Edough est le seul coin d'Algérie où le châtaignier se trouve à l'état sauvage, et si le chêne- liège, seul, y est l'objet d'une exploitation méthodique, le majestueux chêne-zéen, voire le chêne tout court, y abondent également, ainsi que le noyer, l'acacia, le frêne et le pin maritime.

Les vergers y prospèrent, car partout chantent les sources vives, les clairs ruisseaux qui, par des vallons touffus, à travers le pittoresque entassement des gros rochers moussus, descendent en cascade vers la plaine ou vers la mer.
Les vestiges d'un vieil aqueduc, enfouis sous la verdure, au creux d'un ravin romantique, donnent à ce tableau sylvestre un charme original tout particulier.

Le printemps le comble des touffes enivrantes du lilas inconnu dans la plaine : il n'est pas de vergers qui n'ait ses cerisiers, ses pommiers en fleurs, il n'est pas de jardin qui ne se couvre de roses, en attendant le grand pavois des hortensias qui sont une des plus somptueuses parures de la moindre villa... ".

Yves Marthot

Bibliographie :
- Bottin d'Outre Mer 1960. - Bouyac René " Histoire de Bône ".
- Cataldo Hubert " Hippone La Royale ". - Revue Algéria 1955.
- Frangi Marc " Un coin d'Alsace Lorraine en AFN ".
- Arnaud Louis " Bône son histoire ses histoires ". - Le livre d'or du département de Constantine.
(1) Thomas, Robert Bugeaud, Marquis de La Piconnerie et Duc d'Isly (1784-1849).
(2) Amiral Erwan Marec, historien, directeur des fouilles d'Hippone.