champ de Manoeuvres - Alger
Ah ! Qu'il était beau mon village mai 2001
par Henri GARCIA

Aux Echos d'Alger, n°79, décembre 2002
Aux Echos d'Alger, n°80, mars 2003
Aux Echos d'Alger, n°81, juin 2003
Aux Echos d'Alger, n°82, septembre 2003
sur site le 04-06-2003...mise à jour : 07-08-2003

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----- Mon quartier de Mustapha/ Champ de Manoeuvres pour l'appeler par son nom - occupait le Rond Point du Champ de Manœuvres de la ville de Mustapha (rattachée à la Ville d'Alger en 1902), dont la Mairie, située rue du 4 Septembre, vit le mariage de mes parents en juin 1894. Ceux-ci vinrent loger, à cent mètres de ladite Mairie, au 75 de la rue Sadi Carnot (Cité Larade) où mon père avait son échoppe d'artisan serrurier. Ils habitèrent ensuite au 89 de la rue Sadi Carnot (Cité BARTHE), puis chemin Bobillot, puis rue Bel-Air et Bichat. En 1915, ils habitèrent au 2 de la rue de Lyon jusqu'en 1939. A cette date, après mon mariage, je logeais Place Sarrail, puis au 16 de la rue de Lyon jusqu'en 1960. Toutes les rues ci-dessus confluaient vers le Carrefour du Champ de Manœuvres
----- Dans les années 1920, ce Carrefour du Champ de Manœuvres comprenait essentiellement la rue Sadi Carnot, qui débouchait du carrefour de l'Agha et qui prenait la direction d'Hussein-Dey et de Maison-Carrée, et le début de la rue de Lyon qui partait en direction de Belcourt et Kouba. Ces deux grandes artères d'ALGER longeaient le Champ de Manœuvres, au nord par la rue Sadi Carnot, au sud par la rue de Lyon.

Qu'était le CHAMP-DE-MANOEUVRES ?

-----C'était un vaste terrain militaire d'une superficie de 25 hectares environ, entièrement libre jusqu'en 1928, date de la construction par la ville d'ALGER des premières cités H.B.M., appelées plus tard H.L.M.
-----Le Champ de Manoeuvres était donc entre la rue Sadi Carnot (face bordée d'arbres) au nord, le mur de l'Arsenal à l'est (allant de la rue de Lyon à la rue Sadi Carnot), la rue de Lyon au sud, le rond-point à l'ouest dégageant l'entrée du Champ de Manœuvres. Le Champ de Manœuvres, terrain essentiellement militaire, avait octroyé dans un de ses angles (côté Sadi Carnot - face rond-point) un terrain que la Ville d'ALGER avait aménagé en jardin public assez vaste et clôturé sommairement par une barrière en lames de châtaignier, le sol était de la terre battue de tuf. Dans ce square, il y avait des massifs de plantes décoratives (genre bigaradier, bambou) et des fleurs (canna et aubépine). Dans le centre, un vaste kiosque à musique en forme de polygone multipans surélevé. Il y avait aussi des ficus et des bancs en bois sur le pourtour intérieur. C'était le centre du quartier où les enfants, accompagnés ou non, se rendaient pour s'ébattre et se livrer à des jeux divers, ainsi que les adultes, jeunes et moins jeunes, qui venaient pour discuter de tout et pour écouter les concerts de la Sté Philharmonique " L'Africaine de Mustapha " dont le Président était Monsieur Albert CHAUZY, puis Monsieur François TOCHE. Le chef d'orchestre était Monsieur Henri SIACCI, également Maître des Grandes Orgues de Ste-Marie-St-Charles de l'Agha, Chef de la Clique Monsieur Abel BOURSAUD, etc., de même que la Sté l'Estudiantina de Mustapha Orphée, orchestre à cordes à plectre (mandolines et guitares) qui avait son siège dans les anciens locaux de la mairie de MUSTAPHA, rue du 4 Septembre (Président Monsieur Démétrio GARCIA, Chef d'Orchestre Monsieur Lucien PAGÈS, puis Monsieur Michel SCHIANO). Il y avait des concerts diurnes ou nocturnes (le kiosque était là pour ça), il y avait aussi les bals du 14 Juillet ou les bals des fêtes du quartier pendant l'été. Pour ces manifestations, le jardin était décoré de guirlandes, de drapeaux et de pavillons, une porte d'entrée monumentale était éclairée " à giorno ", d'abord à l'acétylène, puis à l'électricité. Pendant ces fêtes, des jeux étaient organisés les après-midi des jours fériés pour les enfants et les jeunes du quartier: mât de cocagne, course en sac, jeu de matraquage à l'aveuglette de marmites suspendues et lâchers de montgolfières. Les bals se déroulaient le dimanche soir. Les familles, comprenant les épouses, les mères, les filles et les enfants, prenaient place sur des chaises de location, tout autour du kiosque où l'orchestre était installé. Les hommes jeunes, ou moins jeunes, se tenaient, en principe, debout, derrière les chaises, reluquant de loin les cavalières potentielles. L'orchestre était composé d'une douzaine de musiciens environ, avec cornet à piston, clarinette, saxophone, trombone, basse, contrebasse (cuivre), caisse claire, grosse caisse et cymbales. Les batteries de jazz n'existaient pas, pas plus que la sono. L'orchestre jouait trois séries de danses en commençant chaque série par une polka, une mazurka (ou java), une scottish, une valse, un quadrille formant des groupes de quatre couples. Le bal se terminait vers minuit par le grand quadrille endiablé des Lanciers. Pour les concerts organisés l'après-midi, les orchestres étaient au complet, soit 60 musiciens environ pour l'Africaine et 40 pour l'Estudiantina.
-----Au cours de ces festivités, des concours de boules étaient organisés à l'extérieur du jardin, sur un terrain non aménagé. Ainsi, toute l'année, les joueurs fanas de " longue " pouvaient s'entraîner et jouer tous les jours dans des parties acharnées (avec ou sans enjeu).
Il faut préciser que l'A.S.B.A. (Association Sportive de la Boule Algéroise) avait son siège 91, rue Sadi Carnot (en face du jardin) au Bar des Boulomanes, tenu par Monsieur Florentin BONNET, leur président de la Fédération Bouliste d'Afrique du Nord. La plupart des concours de boules étaient organisés sur ce terrain et ils étaient dotés par les fabricants de spiritueux tels que REBAUD FILS AÎNÉ, ANIS CRISTAL LIMINANA, FLOR DE ANIS GRAS FRÈRES, PHÉNIX-KANOUI ET LACKAR, etc.
-----Une foire foraine venait s'installer pendant la saison estivale et séjournait pendant deux mois environ sur une parcelle du Champ de Manœuvres contiguë au jardin, entre le jardin et la rue de Lyon. À cette foire foraine, il y avait des gaufres, des glaces, des pâtisseries (bizarrement, les sucreries arabes étaient absentes). Je dois signaler que nous disposions en permanence, à l'entrée du jardin, d'une vaste baraque où Madame GAUTIER nous approvisionnait à longueur d'année en glaces et sorbets qu'elle fabriquait sur place en tournant à la main sa sorbetière et qu'elle nous vendait en forme de " gaufrettes ". -----Dans la partie attraction manèges, il y avait le manège des chevaux de bois de Monsieur LOUIS, installé toute l'année sous les fenêtres de mes parents situées 2, rue de Lyon. Pourquoi toute l'année? Parce que Monsieur LOUIS était Algérois. Ce manège, tout ce qu'il y a de plus classique, était actionné par un cheval que Monsieur LOUIS amenait les jours de foire et qu'il faisait passer au centre du manège pour le faire tourner, après avoir démonté un panneau du plancher du manège. C'était simple!
-----Il y avait " Les Vagues de l'Océan ", " Le Gouffre du Maelstrôm "; celui-ci fonctionnait à bras d'hommes, en faisant tourner d'abord la plate-forme surélevée dans le vide d'un plancher, lui aussi surélevé. La plate-forme était suspendue par des suspentes inclinées, accrochées à une grosse rotule centrale reposant sur le mât central du manège et qui permettait à l'équipe de fonctionnement d'imprimer à la plate-forme les balancements de la houle. Les gondoles étaient accessibles par le plancher circulaire et surélevé où se trouvaient dés escaliers monumentaux partant du sol. Ces escaliers étaient décorés de statues, de sirènes, de marins, de grands navigateurs, et il y avait de grands panneaux portant le nom des grands ports du monde, ainsi que ceux des grands navigateurs. L'ensemble des décorations était peint en bleu océan et blanc et surmonté d'arcs équipés de centaines de lampes électriques.
-----L'ambiance musicale était assurée par un immense et merveilleux orgue Limonaire sur remorque indépendante qui jouait tous les chants patriotiques et les marches militaires de la guerre de 1914, ainsi que les airs d'opéras et d'opérettes anciens et modernes. La force motrice pour le fonctionnement de cet orgue, ainsi que tout l'éclairage du manège, étaient assurés par l'électricité produite par une dynamo entraînée par un moteur thermique à essence (le diesel n'était pas encore dans le domaine public). Ce merveilleux manège, pour l'époque, était l'invention, la réalisation et la propriété de Monsieur Marius LEPÈRE qui vivait dans une immense et merveilleuse roulotte (que l'on nommerait aujourd'hui " super caravane ") près de son manège.
-----On pouvait aussi admirer (ou bien utiliser) dans cette fête foraine, le manège de Monsieur VELLA, nommé " Les Montagnes Russes " (aujourd'hui La Chenille). Ce manège était tout à fait original, car il fonctionnait à la vapeur produite par une chaudière verticale (genre Field), chauffée au charbon, avec une cheminée qui sortait par le centre du chapiteau circulaire en toile et sifflet de locomotive à deux tons. Ladite chaudière alimentait en vapeur un mécanisme alternatif vertical entraînant le mouvement de rotation du manège proprement dit, composé de gondoles roulant dans un monorail en U circulaire à profil de sinusoïde vertical, figurant alternativement les vallées et les sommets des monts de l'Oural. La grande attraction, pour ce manège, était de regarder les démarrages de la rotation avec les purgeurs du cylindre ouverts et crachant de la vapeur dans un sifflement strident qui couvrait les harmonies égrenées par un Limonaire relativement modeste. Cela valait le démarrage de la locomotive du train d'ORAN, en gare de l'AGHA.
-----Il y avait une autre attraction qui attirait les adolescents curieux dont je faisais partie. C'était un manège qui se nommait " The Whip " (le fouet). C'était un ensemble de panneaux rectangulaires, avec un revêtement en tôle d'acier, formant un plateau de 15 m environ de longueur et 5 m environ de largeur surélevé de 0,50 m au-dessus du sol. À chaque extrémité de ce plancher métallique était disposé un volant de 2m environ de diamètre couché à plat. Dix mètres environ les séparaient. L'un de ces volants était entraîné dans une rotation par un moteur explosion Bernard (les moteurs fixes à essence Bernard compacts étaient à l'époque les plus " high tech "), un second moteur identique au premier, entraînait une dynamo fournissant l'éclairage et la décoration de l'ensemble, l'autre volant situé l'autre extrémité était " fou ", autrement dit libre. Entre les deux volants, un câble sans fin était tendu. Des gondoles, montées sur quatre galets à chape pivotante, étaient rattachées au câble par l'intermédiaire d'un jeu de deux bielles assemblées en compas fermé par un ressort puissant. Lorsqu'une gondole arrivait sur un des volants en rotation, la force centrifuge la lançait violemment vers l'extérieur en l'éloignant du volant par la détente du ressort du système de liaison au câble: c'était le coup de fouet.
-----À côté de tous ces manèges, il y avait des balançoires, des baraques de loteries de vaisselle, des tirs à la carabine, des jeux de massacre, de pêche aux vins mousseux.
-----Certains cirques, comme le Cirque FEDRIZZI, le Cirque JOYAT, le Cirque ZAVATTA (Achille ZAVATTA était né ALGER), venaient installer leur chapiteau sur le Champ de Manoeuvres en bordure de la rue de Lyon. Ils y séjournaient quelques fois pendant un hiver pour réaliser l'entretien de leur matériel.
(suite prochain numéro)

-----Nous avions à l'année Monsieur FOLKER. Qui était ce Monsieur FOLKER? C'était un " pépino ", homme de cirque, pauvre et besogneux, qui présentait un spectacle en plein air, sans chapiteau, au centre d'un cercle formé de bancs démontables sur deux rangées et entourant un portique avec anneaux et trapèze. Un vieux tapis, complètement élimé, posé sur le sol, figurait la piste. Ce pépino donc présentait, avec quatre ou cinq acolytes, un spectacle de numéros d'acrobatie aux agrès, ou des contorsions au sol, ou des numéros de force avec poids et haltères, des numéros de chiens savants, ainsi que des entrées comiques avec clown et auguste. Le spectacle se déroulait le soir à la lumière des lampes à acétylène, ou l'après-midi pour les enfants lorsque le temps le permettait.
-----Les spectateurs pouvaient s'asseoir et profiter du spectacle, mais devaient verser, autant que possible, une obole lors de la quête, juste avant la fin de la représentation.
-----Comme je l'ai dit plus haut, le CHAMP-DE-MANOEUVRES était bordé sur sa façade sud par la rue de Lyon, sur une longueur de 900 m environ (depuis le carrefour de Mustapha jusqu'au mur de l'Arsenal à BELCOURT). Cette langue de terre de 40 m environ de largeur n'était percée d'aucune rue transversale " classée ", reliant la rue de Lyon au cœur du CHAMP-DE-MANOEUVRES. Ce terrain de 40000 m2 environ était géré par une Société Immobilière qui louait des parcelles, couvertes ou non, de constructions légères (provisoires) à des commerces, des dépôts de matériel, des artisans, une " usine ", une villa d'habitation, etc. et deux vestiges de la Belle Époque Algéroise 1900, c'est-à-dire des piliers en ruine, en bordure de la rue de Lyon, sur un terrain face à l'école Chazot loué à la SACITA (Société Anonyme de Constructions Industrielles et de Travaux d'Art), des anciennes arènes d'ALGER. Et oui, à cette époque, ALGER avait ses heures de tauromachie comme sa soeur ORAN. La deuxième curiosité célèbre était le " skating parc ", un vaste bâtiment en bois, en bordure de la rue de Lyon (face au couscous Ferrero) avec parquet jointif en bois, pour patineurs sur roulettes. Cet établissement fut transformé (après 1920) en dancing sous le sigle d'" Attraction-Parc ", avec l'arrivée du charleston.
-----Les occupants de ces locaux étaient, à peu près, en partant du Rond-Point du CHAMP-DE-MANOEUVRES vers BELCOURT, côté des numéros impairs de la rue de Lyon, dans l'ordre
- TRIPOTIN, réparateur de gros matériels et entrepreneur de défoncements à vapeur pour l'agriculture;
-Le Garage APRILE-SERVAJEAN et FRAYSSE ;
-GIUDUCELLI, peinture et sellerie pour véhicules hippomobiles ;
-Louis GUARDIOLA (puis GREGORI et LOMBARDI), commerce de vieux métaux;
-DOMENECH (puis CORVINO et MENY), Atelier de chaudronnerie/métaux ; Villa habitation de -Monsieur Albert CHAUSY;
-BOTELLA frères, atelier de charronnage, carrosserie hippomobile/forges; BRUSTIER, commerce de bois d'œuvre;
-SACITA, Entrepôt du matériel d'Entreprise de Travaux Publics;
-PORTIER, grumes et sciages;
-GARCIA, Ateliers de forges, ouvrages de serrurerie de bâtiments, charpentes métalliques (puis, Cinéma le Mondial) ;
-DORSCH, Entreprise de déménagements par fourgon hippomobile, écuries ;
-AUMASSIP, chaudronnerie cuivre (puis -CACCIOTOLO et ABIAN);
-GOMEZ, mécanique automobile;
-SINTÉS et FIEVET, peinture automobile;
La salle de réunion, de répétitions, de bals et manifestations de la Philarmonique
"l'Africaine de Mustapha " ;
- L'Usine PÉTOLAT (de Dijon) dont Monsieur Albert CHAUSY était le patron et qui vendait, réparait ou louait du matériel Decauville et du matériel d'exploitation de carrières;
-Ateliers HANSSENS, construction de remorques pour camionnage automobile;
-Ateliers de mécanique générale BOUGARD et BONESTEVE;
-Commerce de bois de construction NOQUE et JUANICO (puis Monsieur
-DEBENEST, Boulonnerie Algérienne);
-Fabrique de carrelages en ciment comprimé ACQUAVIVA ;
-Garage BOU;
-Ets. Noël DUMONT de Lyon, puis Ets. DUPRAT et BRUEL, commerce de vieux métaux et aciers marchands neufs.
-----Toute l'occupation de cette partie du CHAMP-DE-MANOEUVRES, longeant la rue de Lyon, a été changée par le percement de rues perpendiculaires ou parallèles à ladite rue et la vente par lots des terrains à des particuliers et la construction d'immeubles.
-----Revenons au CHAMP-DE-MANOEUVRES, terrain appartenant en majorité au Ministère de la Guerre.
-----C'était le lieu destiné aux manœuvres des personnels des deux régiments cantonnés dans la rue Margueritte: le 5è Régiment de Chasseurs d'Afrique (Quartier Margueritte) et le 27è Régiment du Train des Équipages Hippomobiles (Quartier Gueydon). La rue Margueritte (côte des Chasseurs) montait du Rond-Point à l'angle du numéro 2 de la rue de Lyon, vers le " Pâté " (Plateau Saulière), séparant à gauche les deux casernes et, à droite, d'abord le mur d'enceinte du Parc à Fourrage (militaire) et, plus haut, le mur d'enceinte Est de l'Hôpital Civil de MUSTAPHA. Au Quartier Margueritte était stationné (en subsistance) un peloton détaché du 1" Régiment de Spahis de Médéa avec leurs montures. Ce peloton représentait la garde d'honneur du Gouverneur de l'ALGERIE, en grand apparat dans toutes les réceptions officielles et assurait les gardes au Palais d'Entéà MUSTAPHA Supérieur. Plusieurs fois par semaine, les Cavaliers Chasseurs d'Afrique descendaient vers le CHAMP-DE-MANOEUVRES pour participer à des exercices avec leurs montures: exercices de trot, de galop, d'attaque au sabre sur cible mannequin, de sauts d'obstacles, de séparation et de regroupement, de leçons d'équitation pour les nouvelles recrues, etc.
-----Quelquefois, la Fanfare de Trompettes de Cavalerie Montée du Régiment, avec le timbalier en tête, précédait, en musique, les cavaliers se rendant sur le terrain de manœuvres.
-----De même, les cavaliers spahis, en grand apparat, se rendant en service commandé à une manifestation officielle, faisaient sensation parmi les badauds sur leur passage.
-----Les tringlots descendaient par convois d'une douzaine d'" arabas " tirées par deux mulets, manoeuvraient pour former des conducteurs et promenaient les brêles.
-----Le Parc à Fourrage, dont l'entrée se situait sur l'Esplanade, face au Rond-Point, était le lieu d'une intense activité par les allées et venues incessantes de véhicules militaires, prolonges, fourragères, etc. Des unités de la Garnison d'ALGER et de sa banlieue venaient s'approvisionner en aliments pour leur cavalerie. L'activité sur cette Esplanade était d'autant plus intense que la ville d'ALGER y détenait un " Poids Public ", pont bascule procédant au pesage de marchandises diverses chargées sur camions hippo ou auto, et délivrait un bulletin officiel de poids, constaté brut d'abord et net ensuite.
-----De plus, les rues Bichat et Bel Air débouchaient côte à côte devant le Parc à fourrage et entre les deux rues se trouvait l'entrée du garage des véhicules auto du Service de Nettoiement de la ville d'ALGER à savoir: des arroseuses (SCHNEIDER), des balayeuses (LAFFLY), des bennes à ordures ménagères (LATIL). Les arroseuses opéraient dans la journée, circulant au milieu des grandes artères, arrosant à la fois les deux côtés de la chaussée. Les balayeuses sortaient de nuit; j'entendais souvent de ma chambre (lorsque je veillais pour préparer mes colles du lendemain) une espèce de chuintement produit par le frottement sur les pavés en granit du balai rotatif, disposé en diagonale entre les roues avant et les roues arrière du véhicule, sous une citerne à eau afin d'humecter le sol poussiéreux. Les bennes à ordures ménagères sortaient au petit matin pour la collecte journalière des ordures ménagères, mais ces véhicules n'étaient pas munis de compacteurs, comme les bennes actuelles.
-----Séparé du Garage du Nettoiement par la rue Bel Air, c'était le Bureau de Poste de Mustapha Inférieur (ainsi dénommé par l'Administration des PTT pour le différencier du Bureau de Poste de Mustapha Supérieur) dont l'entrée, sur sa façade principale, était rue Sadi CARNOT, sa façade latérale était sur l'Esplanade, devant le Parc à fourrage, et la façade arrière, rue Bel Air.
-----Le CHAMP-DE-MANŒUVRES était le lieu où se déroulait la grande revue du 14 juillet, ainsi que la revue commémorant l'Armistice du 11 novembre.
Pour le 14 juillet, les festivités débutaient la veille, organisées par le Comité des Fêtes de Mustapha dont mon père était le Président. C'était la retraite aux flambeaux qui partait, dès 21 heures, du carrefour de l'Agha et défilait par la rue Sadi CARNOT et la rue de Lyon, décorées d'oriflammes tricolores, jusqu'à BELCOURT. Ce défilé était composé d'une brigade de sapeurs-pompiers, porteurs de torches, qui encadrait le défilé. Puis, en tête, quelques fonctionnaires de police pour canaliser la circulation, puis quelques membres du Comité des Fêtes, puis la Philharmonique l'Africaine de Mustapha avec sa clique de tambours et clairons, faisant résonner les cuivrées. Venait ensuite la foule des Algérois et Algéroises de tous âges, les uns porteurs d'un drapeau tricolore, les autres porteurs d'une canne en roseau avec une lanterne vénitienne suspendue à son extrémité supérieure et allumée d'une bougie, puis, venait la clique de tambours et clairons, trompettes, basses du Patronage Saint Bonaventure, puis, de nouveau, la foule avec drapeaux et lanternes vénitiennes (appelées communément " ballons "), et, pour clôturer le défilé, la clique de tambours et clairons des Sapeurs Pompiers. Le passage du défilé se faisait au pas, dans le brouhaha de la musique, des cris, des chants, des éclatements de pétards, des applaudissements des gens sur les trottoirs et massés aux fenêtres et balcons des immeubles pavoisés de drapeaux tricolores et de drapeaux des nations alliées qui avaient participé à la victoire de 1918, ainsi que de lanternes vénitiennes (éclairées celles-là à l'électricité).
-----Les tramways, soit des CFRA, soit des TA, étaient également pavoisés.
-----Le jour du 14 juillet, l'armée prenait le relais avec la Grande Revue sur le CHAMP-DE-MANŒUVRES qui se déroulait le matin entre 10 heures et midi.
La tribune officielle, pour les autorités civiles, militaires ou religieuses et pour les invités, était dressée au milieu du CHAMP-DE-MANŒUVRES. Pour la petite histoire, je dois rappeler qu'à la grande époque Algéroise, MUSTAPHA avait, sur le CHAMP-DE-MANŒUVRES, des tribunes en dur sur un champ de courses (de chevaux) dont les vestiges subsistaient après 1918.
-----Donc, le Gouverneur Général de l'ALGÉRIE et ses collaborateurs directs, le Général commandant le 19e Corps d'Armée et son Etat-Major, puis les corps de troupes des Régiments de la Garnison d'ALGER et de sa banlieue arrivaient et se rangeaient en carré, drapeaux en tête, face à la tribune. Il y avait une Compagnie du 9è Régiment de Zouaves de la caserne d'Orléans avec leur clique de tambours et clairons et leur grand orchestre philharmonique, puis une Compagnie du 5è Régiment de tirailleurs Algériens de MAISON CARRÉE avec sa nouba et son bélier en tête, puis une Compagnie du 13' Régiment de tirailleurs Sénégalais de la caserne Martimprey, puis une Compagnie du 45' Régiment du Génie de la caserne Lemercier à HUSSEIN-DEY, puis un escadron monté du 5' Régiment de Chasseurs d'Afrique avec sa fanfare de trompettes de cavalerie, timbalier (toujours aussi populaire) en tête, un peloton de Cavaliers du 1" Spahis de Médéa, en grande tenue avec double burnous (un blanc + un rouge), puis un peloton monté de la Gendarmerie Nationale puis un convoi du 27' Train des Équipages avec leurs véhicules hippomobiles, un détachement des Sapeurs Pompiers avec leur clique de tambours et clairons.
La cérémonie commençait par la remise de décorations, puis le Général passait les troupes en revue, s'arrêtant et saluant chacun des drapeaux. Le défilé des troupes poursuivait la manifestation et repartait, musique en tête, vers leurs casernements respectifs, sous les acclamations et les applaudissements de la foule des citadins massés sur leur passage et sur les balcons pavoisés des immeubles des rues Sadi Causas et de Lyon.
-----Dans l'après-midi du 14 juillet, étaient organisées, par le Comité des Fêtes, dans le square du CHAMP-DE-MANŒUVRES décoré et pavoisé, des réjouissances avec concert pour les anciens et jeux divers pour les jeunes et, alentour, la fête foraine battait son plein. Dans la soirée, débutait un grand bal populaire avec un orchestre de l'Africaine qui était suivi par un grand feu d'artifice tiré par les Ets. Ruggieri.
-----Le 14 juin 1930, qui célébrait le Centenaire de l'ALGÉRIE, fut particulièrement grandiose, car les troupes participant à la revue militaire étaient vêtues des uniformes de l'époque du débarquement de Sidi FERRUCH.
-----Le CHAMP-DE-MANŒUVRES avait encore une autre utilité. C'était le lieu où venaient s'entraîner et jouer pour des matchs interclubs, des équipes de football des clubs Algérois, tels le Gallia Sports Algérois, l'ASM (Association Sportive Montpensier), le Red Star, le RCA (Racing Club Algérois), etc. Mais il fallait, avant de jouer, préparer préalablement le terrain, c'est-à-dire apporter les bois et planter les buts et tracer le terrain à la chaux. Ceci, jusqu'au jour où Messieurs CHAMPAUX et DORMOIS obtinrent la concession de construire le 1er Stade d'ALGER (il y avait bien le Stade Mingasson, stade militaire situé au-dessus de la CASBAH) dans un angle du CHAMP-DE-MANŒUVRES sur la rue Sadi Carnot, face au dépôt des CFRA (Chemins de Fer sur Routes d'ALGÉRIE). Ce stade avait des aménagements sommaires, mais minima et permanents. Il dura jusqu'en 1930, date de la construction du Stade d'ALGER, rue de Lyon, mitoyen du Jardin d'Essai.

  -------MUSTAPHA avait une Société de Gymnastique qui se nommait à l'origine le Club Gymnastique de MUSTAPHA, puis la Tricolore, puis le Ralliement de MUSTAPHA, qui avait sa salle dans les voûtes, sous le petit Lycée, sur le bas de la rue Edgar QUINET; nous avions au Ralliement un Champion de France aux agrès, nommé Jeannot RIZZO. Ce Club (dont j'étais membre) se rendait sur le CHAMP-DE-MANOEUVRES pour effectuer des mouvements d'ensemble, en particulier que nous appelions des " pyramides " qui nécessitaient une quarantaine de gymnastes ou plus.
-----Le CHAMP-DE-MANŒUVRES fut, en 1922 (note du site : 1921), le lieu où on organisa la foire exposition d'ALGER, manifestation grandiose qui célébrait la renaissance des industries mécaniques et artisanales au sortir de la guerre de 14/18 meurtrière et destructrice. On y vit (et on ne le revit jamais à ALGER), pour la première fois, l'ingéniosité et le talent des constructeurs automobiles français et aussi les progrès du machinisme agricole.
-----L'installation de ladite Exposition couvrait une grande partie du CHAMP-DE-MANŒUVRES et comportait une entrée, face au Rond-Point, sous un arc en plein centre de 15 m environ de haut, de 10 m de rayon environ, avec un minaret sur un côté de l'arc, le tout construit en charpente métallique (fournie par les Ateliers Durafour d'HUSSEIN-DEY), habillée de panneaux légers décorés. Cette entrée monumentale donnait accès à une allée centrale de 20 m environ de largeur et 200 m environ de longueur, séparant deux halls, également en charpente métallique de 50 m environ de largeur et 100 m environ de longueur, puis une surface à l'air libre, sur l'arrière des deux halls, et de petits bâtiments séparés pour un dancing, pour l'administration de l'Exposition, la Poste et les services d'incendie et de sécurité.
-----L'un des halls présentait le clou de l'Exposition, soit un mini Salon de l'Automobile et des Industries Mécaniques.
-----Le second hall était réservé aux produits de l'Agriculture, les industries agro-alimentaires, les arts, l'artisanat.
-----Dans ce salon de l'auto Algérois, étaient présentées plus de vingt marques françaises et quelques étrangères. Parmi les françaises, les prestigieux modèles de Cottin et Desgouttes, Bugatti, Delage, Delahaye, Lorraine-Dietrich, Hotchkiss, Delaunay-Belleville, La Buire, Pic Pic (Picquart Pictet), Panhard et Levassor, Unit, Théophile Schneider et les modèles courants de Citroën (avec la B2 et la 5 CV), de Renault (avec la KZ et la 15 CV 6 Cyl.), Lion Peugeot de Peugeot avec la Lion Peugeot et la Quadrilette, la Zédel, d'Amilcar, de Salmson, de Corre La Licorne, de Mathis, de Georges Irat, Motobloc, Berliet, Chenard et Walker, De Dion Bouton. Puis, venaient les U.S.A. avec Général Motors: Buick et Chevrolet, avec Ford (modèle T qui sortait de la guerre avec leurs ambulances), avec Chrysler: Dodge Plymouth. Puis l'Italie avec Fiat. Les motos présentées étaient françaises, avec Terrot, Monet Goyon, Magnat Debon, Gnome et Rhone, René Gillet, Motosacoche, américaines avec Harley Davidson, Indian (Side Car), anglaises avec BSA (Birmingham Small Arms), Royal Enfield, Norton, etc.
-----Les accessoires étaient présents avec Marcel REY (dirigeant de l'Automobile Club), SOLDANI, SAVOURNIN (Carburateurs Solex), Max MARIOLLE (Carburateurs Zénith), Lucien APRILE, de même, les pétroliers fournisseurs de carburants et lubrifiants, tels la Sté Italo-Américaine pour le Pétrole " essence Lampo " (plus tard la Esso Standard), la CIPAN (Compagnie Industrielle des Pétroles de l'Afrique du Nord), Essence Motricine, la Raffinerie du Midi: Essence Motogaz. Également avec les fournisseurs de lubrifiants auto, Spidoleine, Kervoline, Valvoline, avec les vulcanisateurs marchands de pneumatiques, Michelin, Dunlop, Bergougnan, Englebert, Kléber-Colombe, etc.
-----Les " Poids Lourds " étaient représentés par des châssis Berliet et Delahaye.
-----Dans ce hall, la TYPO-LITHO de BAB-EL-OUED avait installé une véritable imprimerie en action où on pouvait admirer une importante machine de lithographie, imprimant en continu des planches de paquets de cigarettes Bastos bleues. Dans la partie arrière de l'exposition, à l'air libre, c'était le salon du machinisme agricole, industriel et d'entreprises du bâtiment. Il y avait le matériel pour les céréaliers des Hauts Plateaux du SERSOU et du Département de CONSTANTINE principalement. C'était tous les matériels aratoires, ainsi que les matériels de traitement des récoltes, soit les semoirs, faucheuses, moissonneuses-lieuses, batteuses et botteleuses, ces deux dernières présentées symboliquement en mouvement, au moyen d'une locomobile à vapeur. Ces matériels étaient présentés par les Ets. Louis BILLIARD, les Ets. PILTER, la CIMA-Wallut, c'était essentiellement des matériels américains, Deering, MAC CORMICK; un constructeur de batteuses et de locomobiles, les Ets. BROUHOT de Vierzon. Le matériel pour les viticulteurs comprenait les charrues, les scarificateurs, les pulvérisateurs, les cisailles pour la taille de la vigne, le matériel de vinification avec fouloirs, égrappoirs, pompes à moût, filtres, réfrigérants, pressoirs hydrauliques, pompes centrifuges, tous ces matériels présentés par la Sté du Filtre GASQUET (GASQUET, PEPIN et COQ), Constructeur du midi de la France, Ets. BLACHERE, Constructeurs à HUSSEIN-DEY, les Ets. Barthélemy BLANC, Constructeurs au RUISSEAU (ALGER) pour toutes les canalisations et robinetteries en bronze et cuivre, les Constructeurs de cuves en béton armé, Entreprise BORSARI (ORAN), Entreprise Alfred ROSTAGNY (ALGER), etc.

------Après la fermeture de la Foire, les bâtiments furent démontés et furent remontés pour les foires des années suivantes, soit sur le CHAMP-DE-MANOEUVRES, soit sur les terres pleins de la Chambre de Commerce du Bassin de MUSTAPHA de l'Arrière Port de l'AGHA.

------Un Établissement important et animé du Rond-Point du CHAMP-DE - MANOEUVRES était l'Hôpital Civil de MUSTAPHA, dont les pavillons étaient dans un périmètre limité au nord par la rue Bichat, à l'est partie par le parc à fourrage et partie par la rue Margueritte, au sud par les rues Broussais et de l'Abbé Grégoire, à l'ouest par un chemin de ronde très étroit, qui longeait le mur de clôture en surplombant de plusieurs mètres la rue Professeur Vincent, bordant un ravineau qui descendait du Plateau Saulière vers la rue Sadi CARNOT. Au fond de ce ravineau, se trouvait, dans sa partie haute, sur la rue Denfert Rochereau, la Centrale Thermique de la Cie LEBON et, à sa partie basse, vers les rues BALZAC et Sadi CARNOT, l'Usine à Gaz d'éclairage, également de la Cie LEBON, prédécesseur d'EGA. Le chemin de ronde, reliant la rue Bichat à la rue Denfert Rochereau, était très peu fréquenté par les piétons, car il n'était pas viabilisé, et on pouvait chuter d'une hauteur de 5 à 6 mètres sur la rue Professeur VINCENT en contrebas. Mais, il y avait une autre raison de donner à ce chemin une mauvaise réputation et un air sinistre la nuit, c'était le " tour ". Qu'était le tour? C'était une alcôve pratiquée dans le mur de l'Hôpital, toujours ouverte vers l'extérieur, et reliée à l'intérieur de l'Hôpital par une petite porte fermée en permanence. Dans cette alcôve était disposé un berceau fixé sur un axe vertical lui permettant de pivoter vers l'intérieur de l'Hôpital (d'où le nom de tour). Dans ce berceau, les mères, voulant abandonner incognito leur bébé nouveau-né, venaient le déposer et s'esquivaient après avoir alerté par une sonnerie le ou la préposé à ce service. La nuit, une lumière blafarde éclairait le lieu et accentuait l'air sinistre ambiant. On accédait à l'Hôpital de MUSTAPHA par une allée particulière, bordée d'arbres, en partie, montant en pente de la rue Sadi CARNOT (côte de MUSTAPHA) et donnant uniquement accès à l'Hôpital, après avoir traversé les rues Bel Air et Bichat.
------Ces arbres faisaient partie de la famille des " sapindacées " et produisaient ce que nous appelions " boules de sapindus " (savon indien) que, enfants du quartier, nous allions ramasser une fois tombées à terre et apportions à notre mère pour le lavage à la main de la lingerie délicate (les machines à laver ménagères n'existaient pas). C'était en quelque sorte l'ancêtre de la " Woolite ". Cette allée avait été nommée, à l'origine, Avenue MAILLOT, mais lorsque l'Hôpital Militaire, sis à BAB-EL-OUED, Bd. de Champagne, nommé Hôpital du Dey, fut débaptisé et nommé Hôpital MAILLOT, l'avenue MAILLOT de MUSTAPHA fut à son tour (sans doute pour éviter la confusion) débaptisée et appelée Avenue Battandier. Le personnel soignant subalterne était constitué par une Communauté religieuse, des Sœurs de St. Vincent de Paul.

------Le Rond-Point du CHAMP-DE-MANOEUVRES était d'une activité intense, créée par les lignes des tramways des CFRA, dont le dépôt était situé rue Sadi CARNOT, près de l'Arsenal, où les rames venaient se garer chaque soir et le quittaient à partir du petit matin. Les CFRA, chemins de fer départementaux à voie métrique, comprenaient un réseau de tramways électriques, urbain et suburbain, avec les DEUX MOULINS SAINT EUGENE à l'ouest et MAISON CARRÉE et KOUBA à l'est, comme têtes de ligne, et plusieurs réseaux vapeur dont les lignes: ALGER - MAISON CARREE L'ARBA ROVIGO, ALGER - MAISON CARRÉE-FORT-DE-L'EAU, AÏN TAYA, EL AFFROUN - MARENGO - CHERCHELL, assurant la correspondance d'ALGER avec la ligne PLM d'ALGER à ORAN, ALGER - CASTIGLIONE et embranchement vers KOLEA et MAZAFRAN, la ligne d'HAUSSONVILLER à DELLYS, assurant la correspondance d'ALGER avec la ligne des CFAE (Chemins de Fer Algériens de l'Etat) desservant la KABYLIE et le CONSTANTINOIS.

------Le Rond-point du CHAMP-DE-MANOEUVRES avait une gare des CFRA (devant le Jardin Public, sur la rue Sadi CARNOT, face au n° 89) où les trains desservant les lignes ALGER - FORT-DE-L'EAU - AÏN TAYA et L'ARBA-ROVIGO, embarquaient les voyageurs sous la surveillance d'un vrai chef de gare, dans une longue voiture de voyageurs montée sur boggies, remorquée en traction électrique jusqu'à MAISON CARRÉE où elle était accrochée à une rame vapeur.

------Les trains de la ligne ALGER - CASTIGLIONE - KOLEA partaient en traction vapeur des quais du port, empruntaient le tunnel, sous le Bd. Amiral Pierre et rue Borély la Sapie, entre l'Amirauté et la gare de BAB-EL-OUED, où avait lieu le véritable départ, et suivaient sur leur voie particulière sur le Bd Pitolet.
Ce train à vapeur eut une dernière utilité très importante avant de disparaître: il transporta depuis BAB-EL-OUED des milliers de tonnes de pierres jusqu'au chantier Schneider, pour la construction du bassin de MUSTAPHA de l'Arrière Port.

------Pour l'allongement de la jetée de MUSTAPHA et la construction des terres pleins de l'Arrière Port, Bassin de MUSTAPHA, l'Entreprise SCHNEIDER, chargée des travaux, devait s'approvisionner,en matériaux des Carrières JAUBERT de BAB-EL-OUED. Pour cela, des camions sans plateaux chargeaient des bennes spéciales mobiles, pleines de matériaux et d'enrochements, et descendaient jusqu'à la gare CFRA de BAB-ELOUED. Les bennes étaient alors transbordées par un portique de levage, sur une rame d'une dizaine de wagons plats, remorquée par une locomotive à vapeur, empruntant le tunnel de BAB-EL-OUED à l'Amirauté, par les quais du port d'ALGER, de l'Arrière Port de l'AGHA et le chantier à hauteur du Jardin d'Essai du HAMMA. La Direction Générale des CFRA était située à MUSTAPHA, quartier BELCOURT, rue Alfred DE MUSSET.

------Il y avait un autre genre de transports urbains de voyageurs que les réseaux électriques des CFRA, des TA et des TMS. C'étaient les trams à chevaux des Messageries de BELCOURT, descendants à la fois des omnibus (sans impériale) hippomobiles parisiens du 19e siècle et des carricolos de CAGAYOUS. C'était un moyen de transport très populaire de SAINT-EUGENE jusqu'au MARABOUT à BELCOURT. Les véhicules, avec accès par l'arrière, avaient à l'intérieur un couloir central et deux rangées de sièges latéraux parallèles. Ils étaient tirés par trois chevaux attelés en limonière. Mais un cheval de renfort, sous la conduite d'un cocher, attendait au bas de la côte de MUSTAPHA chaque véhicule allant vers BELCOURT et aidait l'équipage à gravir la côte jusqu'au Rond-Point du CHAMP-DE-MANOEUVRES, où ce cheval était décroché et redescendait au bas de la côte attendre le véhicule suivant.

------A côté de la gare des CFRA du CHAMP-DE-MANOEUVRES, on pouvait trouver, à la baraque du Père TANZI, tous les journaux, petits et grands, pour enfants et les adultes.

------L'intensité de la circulation, hippo ou auto, ne faiblissait jamais durant le jour, autour du CHAMP-DE-MANOEUVRES, sur les rues de Lyon et Sadi CARNOT, attendu que la majorité des bus des lignes régionales passait par le Rond-Point du CHAMP DE-MANOEUVRES. Ils prenaient, soit la direction de BIRMANDREIS ou de KOUBA pour desservir la MITIDJA vers l'ORANIE ou le SAHEL, soit la direction de MAISON CARREE par la rue Sadi CARNOT et sa continuation, la rue de Constantine, pour desservir l'est du département, la KABYLIE et l'est Constantinois.

------Le charroi venant du Port et de l'arrière Port de l'AGHA sortait de la zone portuaire, sur la rue Sadi CARNOT, par la rampe Poirel, au carrefour de l'Arsenal, étant donné que l'arrière Port de MUSTAPHA et la Route moutonnière étaient en cours de construction. Ces lignes de transports auto de voyageurs étaient très nombreuses, surtout sur ALGER- TIZI-OUZOU et la KABYLIE et ALGER-BLIDA, d'autant plus que la création de nouvelles lignes était libre jusque vers 1935, date de création par l'Autorité de la " Coordination du Rail et de la Route ", réglementant la création et l'exploitation d'entreprises de transports auto de marchandises ou de voyageurs, par l'octroi, en nombre limité, de licences de transports par route (cartes jaunes, violettes, etc.).
------Il y avait à ALGER deux pionniers du transport routier qui exploitaient les lignes les plus longues du département pour l'époque. C'était, Monsieur PLANÇON, Sté des Messageries du Littoral qui exploitait des lignes vers l'ouest par le littoral, ALGER - CHERCHELL - TENES (200 km), ALGER - MARENGO - CHERCHELL.

------Puis, c'était Monsieur Charles AMBROSI, Auto Traction de l'Afrique du Nord (ATAN); il exploitait des lignes vers le sud, dont la principale ALGER - AUMALE - BOU-SAADA (250 km). Le service quotidien, retour de BOU-SAADA, passait chaque soir vers 19h, au Rond-Point du CHAMP-DE MANOEUVRES, en émettant le cliquetis des chaînes de transmission des véhicules Delahaye (qui constituaient la flotte des autobus de l'ATAN) tout en gravissant le faux plat de la rue Sadi CARNOT, avant de s'arrêter devant la Brasserie de la Bourse (chez MILLET) pour y débarquer des passagers et des messageries d'une petite remorque et le véhicule repartait vers son terminus, rue Général BOISSONNET, à BAB-EL-OUED (voisin de la Caserne Pélissier, face au Lycée d'ALGER, alias Bugeaud).

------Ce coin d'ALGER était très connu de tous les Algérois, car il y avait, à l'angle des rues Boissonnet et Eugène ROBE, un théâtre nommé " le Kursaal ".

RACONTEZ-NOUS... Le Champ de Manoevvres
raconté par Henri GARCIA (suite du numéro 81)


------Dans ce théâtre, l'on " donnait " toutes les opérettes dites " anciennes " de Jacques OFFENBACH à Frantz LEHAR, STRAUSS, LECOQ, AUDRAN : La Vie Parisienne, La Belle Hélène, les Contes d'Hoffman, etc..., La Veuve Joyeuse, la Péricole, etc..., Rêve de Valse, le Petit Duc, La Mascotte, les Cloches de Corneville, etc...
------Les opérettes dites " modernes " de CHRISTINÉ et autres, telles Nono Nanette, Phi Phi, Dédé, La Haut, Pas sur la Bouche, l'Auberge du Cheval Blanc, étaient données au Théâtre de l'Alhambra, rue d'Isly, qui était aussi un Music Hall où l'on a pu écouter et applaudir la grande Star Lucienne BOYER et son tube " Parlez-moi d'Amour ".
------Autre pôle d'attraction, c'était la 40 CV Renault, huit cylindres en ligne, nommée Reinastella de Lucienne BOYER, stationnée devant l'Alhambra pendant le spectacle et qui provoquait un attroupement permanent et admiratif de la foule des badauds Algérois.
------Mais revenons au Rond-point du CHAMP-DE-MANOEUVRES et parmi ses bruits familiers de la circulation, c'était le soir, vers minuit, lorsque le quartier était endormi, la file de chariots des maraîchers des régions de FORT-DE-L'EAU, AÏN-TAYA, MAISON BLANCHE, etc..., qui livraient leur production de légumes au Marché de Gros aux légumes, qui se tenait dès le petit matin au Marché de la Lyre, derrière l'Opéra Municipal. Les chariots, lourdement chargés d'un monticule de légumes, retenus par une bâche humide, deux hautes ridelles latérales et une fourragère arrière, étaient montés sur deux grandes roues arrières et deux roues basses sur avant-train, et un siège avant surélevé, muni d'une capote pour abriter le cocher dans le cas de pluie. La file de chariots, espacés de 5 à 6 mètres entre eux, tirés par un attelage en limonière de trois chevaux ou mulets, gravissait au pas les 200 m du faux plat de la rue Sadi CARNOT, pour arriver au Carrefour du Rond-point du CHAMP-DE-MANOEUVRES avant d'attaquer, tous freins bloqués, la descente de la Côte de MUSTAPHA vers l'AGHA. Dans la nuit calme résonnaient les bruits cadencés des sabots ferrés des bêtes sur le pavage en granit de la chaussée et le roulement des bandages métalliques des chariots. Le cocher, assis sur son siège, entre deux lanternes éclairées d'une bougie, somnolait plus ou moins, bercé par le pas des bêtes qui connaissaient par habitude la direction du Marché de la Lyre.
------Notre école communale " Groupe Scolaire " du CHAMP-DE-MANOEUVRES, (plus tard alias CHAZOT) était implantée sur un terrain à configuration d'un triangle sensiblement isocèle, dont la base était sur la rue de Lyon, l'un des côtés sur la rue BÉRANGER, côté École des garçons, l'autre côté sur la rue Fontaine Bleue, côté École des filles. Ces côtés se rejoignaient au sommet du triangle, au carrefour des rues Béranger, Fontaine Bleue, Chemin Yusuf, où était située l'entrée de l'École Maternelle, construite au-dessus des deux écoles de filles et de garçons, par suite du dénivelé du carrefour Yusuf par rapport à la rue de Lyon.
------À l'école maternelle, j'ai eu comme institutrices (pendant la guerre 14/18) Mme GRANGAUD, Mme MALATERRE, Mme ACQUET (Directrice). A l'école de Garçons: M. CHARPENTIER, Mlle MAYNARDIER, Mme PAQUET, M. GRANDMOUGIN, M. LESPINASSE, M. BOUCHON (Directeur, chargé du cours complémentaire), M. ARRIGHI.
------À l'école des Filles, la Directrice était Mme BIANCHINA qui habitait au Ravin de la Femme Sauvage, dans un ancien moulin à eau sur l'OUED KNISS.
------Ce groupe scolaire scolarisait les enfants du quartier du Rond-Point du CHAMP-DE-MANOEUVRES et ceux du quartier BELCOURT, jusqu'à l'Arsenal.
------Je vais essayer de nommer ci-après les commerces autour du RondPoint du CHAMP-DE-MANOEUVRES, tels que je m'en souviens. Il est évident qu'il y aura des oublis ou des erreurs et je prie mes lecteurs de m'en excuser:
------POVEDA - Boulanger - Angle rue Sadi CARNOT - rue des Colons ;
PEROLLO - Brasseur - Angle rue Sadi CARNOT - rue des Colons ;
PADOVANO - Coiffeur - Rue Sadi CARNOT ; BONNET - Bar - Rue Sadi CARNOT ;
SAUZAY et WEDELL - Quincaillers - Rue Sadi CARNOT ;
Epicier MOZABITE - Moutchou surnommé BAYOT - Rue Sadi CARNOT ;
ROMA - Boulanger - Rue Sadi CARNOT ;
Bar - X - Rue Sadi CARNOT ;
PRINCIPATO - Notre Bastien, Artiste Capillaire - Coiffeur pour dames - Rue Sadi CARNOT ;
Bureau de Tabac - Rue Sadi CARNOT ;
MILLET - Brasserie de la Bourse - Rue Sadi CARNOT ; LEUWERS - Coiffeur - Rue Sadi CARNOT ;
APRILE - Accessoires Auto - Rue Sadi CARNOT ; RIGA - Pâtissier - Rue Sadi CARNOT ;
AGUILAR - Pharmacien (puis PORTE) - Rue Sadi CARNOT ;
BALLESTER - Vélos, vente, réparations - Rue Sadi CARNOT ;
FENECH - Epicerie Fine - Rue Sadi CARNOT ; Agence Crédit Foncier d'Algérie et de Tunisie - Rue Sadi CARNOT ;
Epicerie MOZABITE - Moutchou - Rue Sadi CARNOT ;
OLIVER - Bar Jean BART - Angle rue Sadi CARNOT, rue du 4 Septembre.
------Là, j'ouvre une parenthèse pour signaler que OLIVER et ses Fils étaient escaliéristes spécialistes dans le bâtiment, comme SOLIVERES (BAB-EL-OUED). Depuis plusieurs décennies, tous les escaliers des immeubles construits à ALGER étaient conçus et exécutés par les deux spécialistes ci-dessus et comprenaient des volées de marches droites ou balancées, reposant sur une voûte dite " Sarrazine " en deux épaisseurs de briques 3 trous croisées, hourdées au plâtre à prise rapide. La mise en ceuvre de la voûte " Sarrazine " était très spectaculaire.
MAUDUIT - Bazar de MUSTAPHA - Angle Sadi CARNOT et rue du 4 Septembre ;
SURLEAU - Pharmacien - Angle Avenue BATTENDIER et rue Sadi CARNOT ;
RICHOUD - Pâtissier - Rue Sadi CARNOT ; BUSSETI et ses 4 Fils - Marbrerie de Bâtiments - Rue Sadi CARNOT ;
DEBERNARDI - Droguerie - Angle avenue BATTENDIER et rue Sadi CARNOT ;
LAGIER - Coopérative Entreprise de Bâtiment - Avenue BATTENDIER ;
LUBRANO (puis GRANDINETTI) - Courroies de transmission en cuir, balata, poils de chameau et cuirs emboutis pour l'industrie et l'agriculture - Avenue BATTENDIER ;
NOUGIER - Coiffeur hommes - Rue Sadi CARNOT ; Bureau de Tabac - Rue Sadi CARNOT ;
GUISONI - Pharmacie (puis SOBOLEWSKI) - Rue Sadi CARNOT ;
BERTHON - Brasserie Lyonnaise (puis SANGUINETTI) - Rue de Lyon ;
LLORCA - Epicerie ; SIBIEUDE - Agent des roulements à bille SKF et d'accessoires pour transmissions générales d'usine - Rue de Lyon ; TRANIELLO - Bar des Alliés - Rue de Lyon ; FERBER - Boulanger (puis LEMESTROFF) - Rue de Lyon ;
Cinéma - Mm' MÉTIVIER, propriétaire - Rue de Lyon ; Epicerie MOZABITE - Moutchou surnommé PHARAON, etc...
------Voilà tout ce que nous avions, que nous aimions et que nous avons perdu dans notre village où je suis né, à MUSTAPHA.

Mai 2001