sur site le 15/01/2002
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NOS PAUVRES CIMETIÈRES
PNHA N°20 novembre 1991

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------En ce début Novembre, le coeur des Pieds-Noirs saigne. Comme tous les méditerranéens, ils vouent un culte à leurs morts et sont dans l'impossibilité matérielle de se recueillir et prier sur leurs tombes. Il s'agit là de notre plus grand drame, aussi, nous sommes allés rencontrer Jean-Paul GAVINO, Président de l'Association de sauvegarde des cimetières d'Algérie afin qu'il nous présente l'état aujourd'hui de nos sépultures.
------Pieds-Noirs magazine : Tout d'abord, pourquoi l'A.S.C.A. ?
------Jean-Paul GAVINO : Fin 1986, suite à mon voyage en Algérie, j'ai décidé, après avoir vu le cimetière de Damiette ravagé (l'horreur), de créer cette Association pour sauvegarder ce patrimoine humain. Il n'y eu que peu de réactions, aussi bien au niveau gouvernemental, qu'associatif.
------Un travail de fourmi nous a permis de faire avancer le dossier qui, après plusieurs voyages, a montré le gigantisme du problème. En 1989, nous avons organisé l'opération "Cimetières fleuris" où nous avons symboliquement déposé 4 gerbes (Carré militaire et catholique à St Eugène, cimetière israélite de St Eugène et Bd Bru, devant la tombe de Savorgnan de Brazza) et plus de 300 bouquets dans les cimetières de l'Algérois, d'Orante et du Constantinois. Notre grande victoire fut d'inscrire ce contentieux dans le dialogue inter-gouvernemental entre la France et l'Algérie. Tout gouvernement maintenant ne peut ignorer un tel problème.
------PN.M. : En 1990, il y eut l'opération pétition, quels furent les résultats ?
------J.P.G. : Carpentras a été une sensibilisation importante pour notre communauté qui a réagi en pensant à ses propres cimetières. Devant l'impact national du drame de Carpentras, nous avons lancé notre pétition pour la sauvegarde des cimetières d'Algérie, drame 1.000 fois, 100.000 fois plus étendu que celui du Vaucluse. Les cimetières d'Algérie ont autans de valeurs symboliques, d'émotions que ceux de métropole.
------On a senti une large unité puisque 20.000 signatures sons remontées.
------On a souhaité les remettre au Chef de l'Etat qui a refusé de recevoir notre délégation et renvoya le problème à la Délégation aux Rapatriés qui n'a jamais porté le moindre intérêt à nos problèmes (voir les courriers ci-joints).
------PN.M. : Quel est, actuellement, l'état de nos cimetières ?
------J.P.G. : Comme je le prévoyais, il y a urgence. La situation se détériore très rapidement. Les profanations se multiplient Trois vagues peuvent être définies
---- La première, après l'indépendance: vengeance malsaine,
-----La deuxième vague : pillage pour la récupération des cercueils, pierres tombales (salles à manger en marbre) bijoux,
----- La troisième, beaucoup plus récente et plus grave, plus généralisée. Beaucoup de bras et moyens sont utilisés.
------Il y a là un problème idéologique, celui de supprimer tout trace de la civilisation Judéo-Chrétienne en Algérie, mai aussi un problème économique : les APC (Mairies) souhaitent récupérer les terrains généralement centre-ville pour palier à la crise générale du logement.
------P.N.M. : Quelles furent les positions des autorités algériennes et françaises sur place ?
------J.P.G. : Les autorités algériennes (Mairies, Ministères) comme les autorités françaises (Consuls et Ambassadeur) minimisent la situation. Un grave problème français est que nos diplomates ne restent que 2 ans en moyenne et à chaque fois, il faut reprendre le dialogue et les dossiers à la base. C'est une volonté nationale. L'Ambassadeur actuel nous a choqué par sa réponse publiée dans ce magazine et adressée à un député.
------La guerre du Golfe nous a empêché, l'année dernière, de médiatiser ce drame mais avec tous nos amis, nous espérons bien, prochainement, le faire.
------Nous avons écrit à tous les députés et sénateurs leur présentant ce problème. Tous nous ont répondu, comprenant notre drame, exceptés ceux du groupe socialiste qui nous expliquent que c'est à chaque famille d'entretenir sa propre tombe... (ils se réfèrent à la Loi française qui souligne que "seules les parties communes sont du ressort de l'Etat." c'est jouer avec la législation de manière ignoble sur un dossier aussi humain).
------L'A.S.C.A. n'a aucun moyen financier, nos voyages et Algérie sont payés avec nos propres deniers.
------PN.M. : Alors, aujourd'hui, quelles solutions
------J.P G. : Devant cette dégradation irréversible et généralisée devant ces profanations, il est impossible, matériellement, dc déplacer les corps enterrés dans le millier de cimetières algé riens.
------Autour d'Alger, les 3/4 des cimetières sont irrécupérables Aussi, de manière symbolique, nous souhaitons récupéré les ossements, casser les chapelles afin de rendre le terrain nu et transporter ces ossements dans les grands cimetière protégés des villes avec une stèle identique pour chaque vil lage : "Ici reposent les enfants de Fort de l'Eau", par exemple. St Eugène peut recevoir plus de 300 cimetières de cette façon Oran aussi.
Un mausolée peut être construit sur l'emplacement du cimetière ayant de la sorte disparu.
------N'ayant aucune subvention de l'Etat, c'est la communauté qui doit prendre en charge un tel problème avec le clerg local. Aidez-nous en répondant à notre appel par le coupon joint. Nous nous adresserons alors aux Mairies algérienne pour y trouver le matériel nécessaire.
------Nous souhaitons que tous nos amis Pieds-Noirs nous suivent pour, à nouveau, relever le défi.
------Quelle belle leçon nous donnerions à nos gouvernements si notre communauté réussissait, enfin unis, à régler ce problè me qui traîne depuis 5 ans.
------P.N.M. : Merci Jean-Paul pour ton courageux combat e celui de tous nos amis de l'A.S.C.A.



 

Paris, le 11 Janvier 1991
Monsieur le Président,
Par correspondance du 24 Octobre 1990, je vous informe que votre demande de subvention serait examinée en fin d'exercice budgétaire compte tenu des contraintes financières imposées à ce poste et dans l'hypothèse où je disposerais de crédits complémentaires.
Je suis au regret de vous informer que je ne puis réserver une suite favorable à votre requête, les crédits alloués au
subventionnement des associations étant totalement consommés.
Toutefois, votre requête sera étudiée attentivement dès début de 1991, dans le limite du budget qui sera mis à ma disposition.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l'assurance de mes sentiments les meilleurs.
Maurice BENASSAYag
Monsieur GAVINO
Président de l'A.S.C.A. B.P. 68
94440 VILLECRESNES

Paris le 13 Février 1991
Monsieur le Président,
Je suis chargé de répondre à la lettre que vous avez adressée le 29 Janvier à M. le Président de la République concernant les cimetières français d'Algérie.
Vous voudrez bien prendre contact avec M. Maurice BENASSAYAG, Délégué aux rapatriés - 96, Avenue de Suffren -75015 PARIS - Tél. : 45.67.35.19, qui est tout à fait au courant de ce problème et qui envisagera avec vous la solution à apporter.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l'assurance de mes sentiments distingués.
Paule DAYAN
Monsieur Jean-Paul GAVINO Président de l'A.S.C.A. Maison des Rapatriés 7, Rue Pierre Girard 75019 PARIS

Alger, le 8 juillet 1991

------Par lettre en date du 24 Juin 1991 vous me faites part de vos sentiments concernant la situation des cimetières français er Algérie et vous m'interrogez sur ce qui pourrait être tenté pou améliorer cet état de fait déplorable.
------Il est vrai qu'en ce qui concerne les cimetières qui se trouvent dans les grandes villes, Oran, Alger, Constantine, Skikda, Bejaia etc... les municipalités algériennes consentent de efforts importants et coûteux pour l'entretien de leurs enceintes et pour leur gardiennage. ------Par contre, dans des centaines de petites agglomérations souvent isolées, sans moyens financiers, les cimetières sont la plupart du temps abandonnés et les Consulats Généraux de France consacrent les ressource qui leur sont consenties à en remettre en état quelques-uns chaque année.
------D'après les recensements qui ont été faits, il existe environ six cents cimetières dont la moitié compte moins de cent tombes et qui sont très inégalement répartis sur le territoire algérien qui est, comme vous le savez, fort étendu.
------Ce qui me frappe le plus depuis deux ans et demi que je suis là, c'est le manque d'intérêt quasi total des familles établies en France depuis de longues années et la relative inefficacité des associations spécialisées. En particulier celle qui semble vous avoir contacté, l'A.S.C.A. ne se manifeste sur le terrain que par le voyage annuel que font en Algérie quelques-uns de ses représentants à l'occasion des cérémonies du 1er Novembre.
------J'ai attiré l'attention de ces associations, chaque fois que j'ai eu l'occasion de les rencontrer, sur le rôle actif qu'elles pourraient jouer dans l'amélioration de la situation actuelle. Il existe dans beaucoup de cimetières algériens des gardiens dévoués qui, pour une rémunération modique, entretiennent les tombes et les monuments funéraires. Ils sont malheureusement peu sollicités par les familles des défunts.
------J'ai constaté dans beaucoup de cas que l'état de dégradation
provient plus de l'abandon total des sépultures que des déprédations causées par des vandales.
------J'avais d'ailleurs proposé à l'A.S.C.A. de se faire l'initiatrice d'une opération de regroupement qui se réaliserait par étapes et pour laquelle elle aurait pu recevoir le soutien du Délégué aux rapatriés, M. BENASSAYAG. Je n'ai jamais reçu le moindre écho à cette proposition.
------Pour montrer la voie, le Consul Général d'Alger va tenter une première opération au village de Damous ex-Dupleix. Le cimetière de ce village comporte environ 200 tombes. L'Association pour la création d'un ossuaire des Dupleixiens que dirige Monsieur Travaillon a obtenu l'accord des familles concernées, condition préalable et indispensable. Il s'agirait donc de rassembler les restes mortels dans un ossuaire simple et de dégager le terrain qui serait remis à la disposition de la municipalité. L'opération qui devrait commencer en octobre coûterait environ 160.000 Dinars (1 franc = 3 Dinars algériens) dont 100.000 sont pris en charge par le Consulat et le reste par l'Association.
------Cette expérience pourrait s'étendre progressivement à d'autres villages pour peu que les associations de Pieds-Noirs se montrent actives, fassent preuve d'initiative et s'engagent financièrement.
------Voilà, Monsieur le Député, ce que je tenais à vous répondre. Ni l'Etat Français, ni l'Etat Algérien ne peuvent se substituer aux familles directement intéressées. Ils font déjà l'un et l'autre des efforts méritoires. Il est urgent que des initiatives soient prises par les associations de rapatriés, elles seront soutenues activement et elles permettront d'éviter une désastreuse et irréparable dégradation.
------Acceptez, Monsieur le Député, l'assurance de ma considération distinguée.
Jean AUDIBERT Ambassadeur de France à Alger