sur site le 14/01/2002
-CINEMA : les premières projections en Algérie
par J.Gandini
PNHA n°37, juin-luillet 1993

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------Les films courts-métrages Frères Lumière tournés pas Félix Mesguich en Algérie, furent probablement projetés, avec d'autres, à Alger et à Oran en automne 1896 lors de l'inauguration officielle de séances de cinématographe LUMIERE. Les amateurs de cinéma de ces deux ville étaient déjà au courant de l'évènement historique de la première projection mondiale au Grand Café à Paris en décembre 1895, grâce notamment à la presse. Il convient de souligner que la fameuse lanterne magique ancêtre du cinématographe était déjà d'un usage largement courant en ces deux métropoles. C'est surtout la Ligue de l'Enseignement qui utilisa la lanterne magique dans le dessein de moderniser les méthodes pédagogiques de l'époque en le rendant plus attrayantes.
------À Oran c'est un dénommé Renard, qui anima le plus souvent ce genre de manifestations.
------C'est semble-t-il, en novembre 1899 que le film de fiction fit son apparition en Algérie grâce à un certain professeur David, venu de métropole. Un journaliste de l'époque écrit à ce sujet : "Les membres de la Société Littéraire de la ville d'Oran et leurs invités ont passé une très agréable soirée, grâce au bienveillant concours de Monsieur le Professeur David qui a expliqué le mécanisme du cinématographe et du phonographe". L'engouement pour la machine de Lumière ne se situait pas seulement au niveau de ce qu'elle mon trait, mais encore à celui de son fonctionnement, lequel relevait exclusivement de la technique et de la science Outre cela, le démonstrateur offrit à son public des film d'une toute autre nature que ceux caractérisant les documentaires que certain avaient pu voir en 1896. Ces films étaient sans le moindre doute réalisés et produits pas Georges Melies. En effet à cette époque, il était le seul à s'occuper de cinéma avec scénario. Les lettrés d'Oran ayant fort apprécié ce spectacle original, il était normal qu'un public plus large souhaite en profiter. David quitta Oran pour effectuer une tournée de présentation du cinématographe dans la colonie. La presse consultée, le situe en mars 1900, d'abord à Sidi-Bel-Abbès, et ensuite dans des villes de moindre importance, alors que d'autres tourneurs circulent également en Oranie. Si David parcourut la province comme démarcheur de la société LUMIERE, désireux avant tout de convaincre l'assistance de l'avenir du cinématographe, les autres tourneurs se contentaient tout bonnement de montrer leurs films comme des forains.
------Le premier, Godard, accompagné de sa femme, se déplaçait en chariot, d'un bourg à l'autre, non seulement en projetant des films, mais également en offrant d'autres formes de spectacles. Le second marchand de divertissement de la région oranaise fut certainement le premier qui eut l'idée géniale de s'installer à demeure dans la ville de Saïda. Cet évènement fut annoncé dans la presse en avril 1900 et la salle ouverte au public fut dénommée tout simplement "lieu cinématographique".
------Il fallut entendre encore quelques années pour que les premières salles de cinéma ouvrent leurs portes dans toutes les villes d'Algérie, de même que dans les stations thermales et les centres d'hivernage du Sud-algérien, en excluant tout autre activité subsidiaire ou complémentaire, hormis le théâtre. Peu avant la Première Guerre mondiale, l'on dénombrait à Alger quelques sept théâtres-cinémas. Au théâtre " Olympia" , les placards publicitaires nous informant qu'il était donné tous les jours deux séances, l'une à dix-sept heures (où l'apéritif était servi), et l'autre (plus importante) à vingt-et-une heures. ------Au théâtre " Omnia Pathé" , on nous précise qu'il y avait "tous les soirs spectacles cinématographiques". Bien entendu ces salles n'offraient ni les mêmes programmes, ni le même confort. Il existait au moins trois types de salles de spectacles : pour un public riche et cultivé de gros propriétaires fonciers résidant la plupart du temps en ville ; les professions libérales, les hauts fonctionnaires, etc. ; pour un public aisé émanant de l'administration et de la petite bourgeoisie notamment ; enfin pour un public composé fondamentalement de petits employés, d'ouvriers, de jeunes et peut-être aussi de quelques Algériens. Les propriétaires de salles eux-mêmes rappelaient de temps en autre dans la presse cette hiérarchisation. En ce qui concerne le "Cinéma Mondain", par exemple, qui se trouvait 50, rue d'Isly, on pouvait lire en 1912 (Echo d'Alger) ce placard : " La salle aussi richement meublée que délicieusement décorée, représente une véritable bonbonnière où le public sélect et élégant se donne de plus en plus rendez-vous. La direction ne présente que des films d'art, entièrement inédits et exempts de banalités connues à ce jour.

 

Aucune imitation n'est possible affirme la direction, implicitement, mais de façon vigoureuse. Au " Cinéma Mondain", le spectateur ne sirote pas l'apéritif, tout en regardant nonchalamment et machinalement un film quelconque, souvent d'ailleurs rayé et flou, mais vient pour voir spécialement un oeuvre culturelle, donc digne de réflexion et d'attention. Seulement, lorsqu'on consulte la programmation que la salle propose, les titres de films prouvent qu'on était encore loin des oeuvres culturelles telles que nous les concevons de nos jours : V'la le tendron (scène comique) ; Mordu par sa belle-mère (reportage dramatique) ; Le roman d'un agent de police, etc.
------Parallèlement au Théâtre-Cinéma, Alger et Oran comptaient également des unités de projection, à caractère subsidiaire et périphérique, oeuvrant dans certains cafés ou restaurants et même dans des hôtels.
------Si dans les grandes villes les monopoles d'exploitation n'existaient pas, par contre en zone rurale, ceux-ci furent largement majoritaires, jusque dans les années trente. Le monopole exerçait son influence, non seulement à cause du nombre d'unités de projection détenues par tel ou tel exploitant, mais encore grâce à l'ancienneté du nom de ce dernier qui était, en quelque sorte, une garantie de sérieux... En Mitidja opéraient Coposami et Sabatier ; Lacoste dans le Chélif ; Weinich dans le Sahel ; Mothu à Cherchell ; Bousquet en Kabylie ; etc. La plupart des unités de projection fixe, exploitées en zone rurale, n'étaient point situées sur la place du village mais en un endroit plus ou moins discret. En fait, une telle implantation est parfaitement compréhensible dans la mesure où, jusqu'au début des années vingt, le cinéma étant un simple appoint aux loisirs des Européens, le théâtre faisant la loi dans les spectacles.
------C'est incontestablement seulement à partir de l'année 1922, que le cinéma réussit à acquérir ses lettres de noblesse en Algérie, en détrônant le théâtre ainsi, d'ailleurs que d'autres spectacles, tels que le music-hall et le cirque. Entre 1922 et 1932, si l'effectif du public pour le théâtre resta immuable, le chiffre des recettes déclaré fiscalement pour les séances de cinéma passa de 2,5 à 35 millions de francs (de l'époque).
------Cette étude a été écrite en partie grâce à des renseignements trouvés dans des ouvrages dont la liste est donnée dans le premier article sur le cinéma (n°28 de la revue).Si certains de nos lecteurs, retrouvent des personnes de leur famille citées dans nos textes sur le cinéma en Algérie et que leurs archives personnelles peuvent servir à les compléter, qu'elles n'hésitent pas à nous contacter, nous publierons les documents intéressants.

J. Gandini