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-CAUSES DU COURANT MIGRATOIRE AU DEPART DE MARSEILLE

"Marseille a été de tout temps, un port de transit et un point de passage - que le développement du mouvement migratoire soit lié à la croissance portuaire, cela n'a sans doute rien d'original - ce qui l'est plus assurément, c'est l'accélération foudroyante de ce trafic au cours du XIX ° siècle en fonction à la fois des progrès réalisés dans les techniques et communications et des nouvelles liaisons intercontinentales qui se mettent en place".n

paru dans GAMT p.10, n°42 , 4è trimestre 1993...adhérez !...

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-----------------"Marseille a été de tout temps, un port de transit et un point de passage - que le développement du mouvement migratoire soit lié à la croissance portuaire, cela n'a sans doute rien d'original - ce qui l'est plus assurément, c'est l'accélération foudroyante de ce trafic au cours du XIX ° siècle en fonction à la fois des progrès réalisés dans les techniques et communications et des nouvelles liaisons intercontinentales qui se mettent en place".

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La conquête de l'Algérie ne marque pas un tournant immédiat. Les négociants marseillais en approuvant l'expédition de 1830 espéraient tirer des avantages rapides. Mais les bénéfices escomptés se feront attendre. Les conditions difficiles d'installation et les hésitations de la politique française ne sont pas faites pour favoriser les départs en masse des colons.

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Dans les premières années du Second Empire, une véritable opération officielle va s'organiser sous le contrôle des commissariats à l'émigration, des fonctionnaires du gouvernement en Algérie et des responsables des agences d'Emigration. Des textes publicitaires largement distribués soulignent la relative facilité du voyage, ils parlent des possibilités d'emploi, de l'abondance des terres libres et des hauts salaires. Combien de colons ont-ils été réellement attirés par cette propagande publicitaire ? Il est difficile d'en fixer exactement le chiffre. Les conditions du voyage et la place que joue Marseille comme plaque tournante de cette migration sont mieux connues.

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La colonisation de l'Algérie est le moyen le plus puissant d'accroître la prospérité de Marseille et du Midi de la France.
Dans la première année de la conquête, le rôle de Marseille est indiscutable ; Marseille y trouvera son compte. Marseille a des ressources économiques à employer et voit dans la prise d'Alger le point de départ de fructueuses affaires.

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La Révolution Française a fait perdre à Marseille le commerce du Levant et l'Algérie sera pour certains Marseillais une compensation à ce commerce perdu. Qui sait même si la présence française à Alger ne rétablirait pas son prestige dans le Proche-Orient ?

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En 1830, l'opinion marseillaise est unanimement favorable à l'expédition d'Alger.

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Dans le monde paysan, les gels successifs qui s'abattent sur le Sud-Est de 1820 à 1830 ont des résultats désastreux, il faudra de longues années pour réparer de si grandes et cruelles pertes successives. Les oliviers furent gelés sur tout le littoral du Var à Marseille ainsi qu'à l'intérieur, Martigues, Istres et la plaine de Salon. La misère s'abat sur la Provence agricole. On constatera une recrudescence de mendicité et de délits. Lorsque les Français prendront pied en Algérie, certains verront là, la possibilité de cultures d'oliviers échappant aux gelées.

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La production de vin est excédentaire, la mévente s'aggrave considérablement sur le marché national d'où la perspective d'écouler le vin sur le marché algérien. Le midi
succombe sous le poids de la production.
------"Tout sera mis en oeuvre pour vanter ce pays à conquérir : la chaleur est plus prolongée qu'en Provence mais pas plus forte dirait-on, l'air est sain et l'eau y serait même abondante !! Le pays d'Alger garanti par l'Atlas des vents du midi, jouit de la plus douce température et de la plus grande salubrité."

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L'Afrique du Nord ne pouvait laisser les Marseillais indifférents. Le souvenir de la place tenue par l'Algérie dans le commerce marseillais jusqu'à Bonaparte suffisait à intéresser Marseille à l'Algérie.

------Au XVIIIè siècle deux commerces existaient avec l'Algérie
- Celui des particuliers tel la Maison Gimon qui fut reprise par Joseph Paret.
- Celui de la Compagnie Royale d'Afrique dont le quart des actions étaient souscrites par la Chambre de Commerce de Marseille qui devait exercer son activité de 1741 à 1794.

------En 1793 tout commerce était arrêté. Abandonnée par les Français la place était prise par les Espagnols.

------Le Comité de salut public du 7.2.1794 remplaçait la Compagnie d'Afrique par l'Agence Nationale d'Afrique, c'était la même entreprise sous un autre nom : les Marseillais y restaient l'élément prépondérant.

------Marseille restera avec Livourne le centre d'un commerce très vaste jusqu'au moment où la politique napoléonienne l'arrêtera à nouveau.

------En 1814, le ministre des affaires étrangères désignera un Marseillais Gazel pour diriger les travaux de l'arsenal d'Alger.

------Cest très difficilement que les établissements français ou plutôt marseillais réouvrent leurs portes. L'insécurité s'installe petit à petit tant sur terre que sur mer. La maison de commerce fondée en 1817 à Alger par le marseillais Joseph Paret était la seule à avoir tenu. Malheureusement Paret fut mal payé de ses efforts, il fut ruiné par la tension francoalgérienne et mourut sans fortune.

------Si en effet l'idée d'une expédition fût adoptée tardivement par le gouvernement de Polignac, elle avait trouvé beaucoup plus tôt des défenseurs à Marseille. Certains Marseillais envisageaient avec ferveur une conquête.

------Les craintes marseillaises se précisent ; le 23 juillet 1827, 18 négociants marseillais signalent le danger qu'encourent les 80 navires chargés d'huile et de laine, ancrés en rade de Tunis. Ces navires sont en péril même à l'ancre, car les rades du royaume de Tunis sont sans défense. On comprend que le commerce marseillais ait souhaité en finir avec une situation particulièrement désavantageuse pour lui le 25 mai 1828 le député marseillais Pierre Honoré de Roux demande une action contre Alger.

------A droite comme à gauche, les Marseillais voulaient qu'on en finisse avec ceux que le "Sémaphore" appelait "les cannibales".

------Enfin les 25 et 26 avril 1830, 357 transports furent réunis à Marseille. A la date prévue, ce fut le départ pour Alger.

------237 transports avaient été fournis par les ports italiens et de la méditerranée,

------120 par le commerce français, essentiellement marseillais. C'était là pour Marseille une première source de bénéfices, il est naturel que l'armement marseillais ait entendu exploiter la situation.

------Parmi les premiers colons marseillais ou provençaux, des hommes d'un mérite certain, mais peu nombreux : ils fondent à Alger des établissements de commerce : Guende arrive en 1831, il installe une papeterie, Marin essaya d'établir un moulin à blé, Meunier, jeune négociant, sera assassiné en 1836, Jean-Marie Choppin, négociant et adjoint au Maire de Marseille et son fils Théodule, l'un et l'autre achètent des terres, Marius Ventre fût un colon important et défenseur des indigènes.

------En 1831, l'Aixois Montagne, Maire d'Aix pendant les 100 jours, achète des propriétés mais perd tout son argent. Il est renfloué par des amis avec lesquels il s'associe pour acquérir de grands domaines mais hélas, ils furent ruinés lors de l'invasion de la Mitidja en 1839. Montagne après un échec politique ira s'installer à Blida où il s'occupera de la
gestion de nombreuses propriétés. Voilà alors ce qu'il écrivait : "il est difficile de se figurer la quantité innombrable de maisons de campagne qui couvrent ce beau pays ; il y en a par milliers et c'est un coup oeil pittoresque et curieux que l'on ne retrouve en France dans aucune de ses parties, si ce n'est dans les environs de Marseille, qui sont beaucoup moins étendus, moins agréables à la vue et qui sous le rapport de la fertilité, ne supportent pas la comparaison."

------La main d'oeuvre manque. On constate l'absence d'ouvriers qualifiés, de paysans expérimentés, il y a pénurie de maçons, de serruriers, de peintres et de forgerons. Les 9/10° des arrivants ouvrent des cafés, restaurants et chambres garnies.

------Aucune émigration massive au départ de la Provence, et cela se comprend, car on trouve du travail pour tous et elle est même un foyer d'appel. Les émigrants seront surtout des cadres commerçants. Des paysans ou de grands propriétaires fonciers eussent été plus utiles : Marseille ne pouvait donner ce qu'elle ne possédait pas !!

------En 1834 on pouvait lire : "jamais à aucune époque, Marseille ne montra comme aujourd'hui autant d'aisance dans sa population. Nos magasins regorgent de richesse. Si l'intérieur de la France ressemblait à notre cité, l'époque actuelle reproduirait le siècle d'Or."

------Elisée Reynard, député de Marseille, né en 1799 de père raffineur de sucre, représentant d'une ville qui n'a pas hésité un instant à associer sa fortune au succès des armes, intervenait à la chambre en ces termes : "le Midi de la France, a senti le premier, l'importance de cette colonisation. La Provence a mis l'espoir d'un grand commerce dans les établissements français sur la côte d'Afrique et pour le réaliser, elle a fait des avances considérables."

 

------Reynard croit à des possibilités commerciales de la culture du coton, qui tôt ou tard, doit remplacer toutes les autres matières végétales textiles et en celle de l'olivier dont les riches produits semblent menacer d'abandonner le Midi.

------Trois sortes de clientèles seront désormais touchées
1° La population européenne appelée à augmenter,
2° Les populations maure et arabe qui ne sont pas
aussi ennemies des produits fiançais,
3° La population de l'intérieur de l'Afrique que notre
occupation rendra accessible au commerce européen.

------De cette occupation algérienne, Marseille n'est pas appelée à recueillir seule les fruits
- Lyon, Avignon, Nîmes, auraient à mettre en oeuvre
les soies de l'Algérie,
- Rouen et l'Alsace, les cotons,
- Le Languedoc, la Picardie et la Champagne, les
laines.

------"Ainsi s'amorçait une oeuvre de grand prolongement pour intéresser à la cause algérienne et marseillaise, la France presque entière."


------En 1835, on pourrait déjà constater qu'un grand nombre d'indigènes de la classe inférieure, à Alger, boivent du vin et participent à cette consommation pour 1/3 des quantités importées. Us consomment aussi du pain fait à l'européenne et recherchent les tissus français. Devant ces résultats, la chambre s'abandonne à l'espérance : "que ne doit-on espérer de cette fusion des habitudes africaines dans les nôtres et de l'action de notre civilisation, de nos usages, de nos travaux sur des populations nombreuses que leurs besoins rendent les tributaires obligés de notre commerce et de notre industrie."

------Le principal mérite de l'Algérie, c'est sa proximité de la France.

----- Dans le "sémaphore" du 12 mars 1836, on pouvait lire : "depuis plus de trois mois, plus de 2 000 colons sont arrivés à Alger et se sont répandus non seulement sur le massif d'Alger, mais aussi sur la Mitidja. Plusieurs centaines
de charrues arabes ou européennes sillonnent cette vaste plaine."


----- Le Marseillais Adolphe Thiers, Président du conseil et Ministre des affaires étrangères depuis le 22 février 1836, intervient en faveur de la colonisation et demande qu'on ne frappât point "d'un anathème honteux ceux qui quittaient leur pays pour apporter sur cette terre leurs sueurs et leurs bras."

----- En 1837, la récolte du fourrage devient insuffisante dans ce terroir marseillais où elle est généralement abondante. le développement des équipages de luxe, le passage des convois sur Toulon, et aussi les approvisionnements destinés à l'Algérie, en sont la cause.

----- Les Algériens voient toujours dans les Marseillais des médiateurs et défenseurs.

----- Les droits de douane sur les cotons en provenance d'Alger ont diminué.

----- La colonisation poursuit son chemin : Constantine tombe le 28.10.1837.

----- 1838 verra à Marseille la création de la Compagnie Chrétienne pour la civilisation de l'Afrique ; le but principal de la société créée par Monseigneur de Mazenod était d'attirer en Afrique le plus grand nombre possible de colons par les avantages et le bien-être qu'an leur procurait.

----- Les hommes s'expatrient dans l'espoir d'une vie facile et Clément Duvernois de dire :"il est vrai et nous ne songeons pas à le contester, que dans les premières années qui suivirent la conquête, les Européens qui débarquèrent n'étaient pas précisément purs. l'Algéne était alors une caserne et tous ceux qui suivaient l'armée étaient des cantiniers."

----- Le 11.4.1840, les électeurs du Collège Nord de Marseille envoient à leur député Monsieur Berryer, signée par plusieurs centaines de personnes la lettre suivante : "Alger est le joyau de la France. Là est l'avenir, le doublement de sa puissance et de ses richesses. Oh ! que vous avez remué fortement les sympathies nationales quand vous avez demandé compte de cette lutte qui ne cesse pas et dont le fruit ne se présente pas même en fleur sur l'arbre qui depuis 1830 est arrosé de tant de sang. Contribuez s'il est possible, à faire cesser le mauvais vouloir qui pèse sur la France africaine, notre France d'Europe vous en rendra dans la postérité la plus reculée, d'unanimes actions de grâce."

----- Le commerce algérien est défini comme "un appendice du marché de Marseille.". Cest le Sud-Est qui soutient la conquête et surtout Marseille qui en tire le plus grand profit.

----- Lors du passage à Marseille en 1840 du Duc d'Aumale, reçu à l'Académie de Marseille, Joseph Néry avait chanté les "Français en Algérie", affirmant que grâce à l'Afrique, la France ne dégénérait pas.

----- En 1841, Alexandre Dumas affirme : "Marseille depuis la prise d'Alger est devenue une Capitale".

----- La population de Marseille a presque doublé depuis la prise d'Alger. Débarquant à Alger au début de l'année 1842, le Marseillais Aumerat n'a pas le sentiment d'être dépaysé. Le haut commerce dAlger est prétend-il, presque entièrement marseillais. "Les commerçants français de 1° ou de 2° classe, ainsi que les industriels étaient en grande partie, originaires des ports de la Méditerranée. Les chefs des grandes maisons de commerce de l'époque étaient presque tous Marseillais. le commerce si peu important qu'il fût, était tout entier dans les mains de quelques négociants commandités ou représentants de grandes maisons de commerce."

----- Les Marseillais ont fait valoir la place qu'Alger tenait dans leur commerce, affirmant qu'abandonner Alger, c'était atteindre leur prospérité. l'apport des capitaux marseillais en Algérie semble réduit. Comme le note Montagne, les émigrants étaient pauvres et ils étaient venus pour faire fortune et n'en avaient point apporté. "Marseille a cependant considérablement aidé l'Algérie, elle a participé activement à l'expédition de Bourmont et à la lente et difficile conquête qui a suivi. De par sa position géographique, elle a servi de relais, de magasin, d' hôpital, de prison ; elle a reçu les soldats, elle a hébergé les prisonniers et naturellement généreuse, leur a réservé un accueil qui a servi les intérêts français."

----- La chambre de commerce a fait plus encore : elle n'a pas seulement entretenu avec la chambre d'Alger des rapports les plus amicaux, elle a alerté toutes les chambres de commerce de France en faveur d'une cause qui lui était chère, elle a pris part avec décision et fermeté à cette difficile conquête.

----- Les classes populaires sont restées fidèles à une expédition qu'elles avaient saluée de leurs acclamations et en général la conquête de rAlgérie fut bien vue des éléments pauvres qui trouvaient là une chance d'évasion.

----- En juin 1836, on pouvait lire dans le "Journal des débats" : "s'il est une portion de la France qui souffre depuis 40 ans, c'est le Midi. Nos révolutions, nos guerres, nos découvertes industrielles, ont porté le centre de la vie au Nord et ont laissé une grande partie du Midi dans la langueur et l'inaction."

----- L'ancienne barrière entre le Nord et le Midi, l'était donc pas tout à fait effacée en France. "Donnez au Midi le voisinage d'une colonie française en Afrique et cette barrière tombera."

----- Le commerce de Marseille avec l'Algérie ne cessera de croître ; en 1831, il était de 8 millions de francs, il passera en 1845 à 110 millions. Cest par Marseille que passeront en 1848 les malheureux émigrants qui gagnent l'Algérie.

----- Sous le second Empire, de nombreux Marseillais solliciteront des concessions ou investiront des capitaux dans les entreprises minières en Algérie.

----- Certains continueront même de croire à un peuplement algérien à prédominance marseillaise.

----- "Une correspondance de 1857 apprend qu'à Alger les siffleurs sont appelés "Mistraou", parce que ce sont en général des Marseillais qui ont apporté de leur ville un goût artistique difficile, les pratiques de la cabale, l'accent du terroir et toute la violence du vent local qui nettoie de temps en temps la Canebière."

----- Des liens stables ont été établis avec l'Algérie, comme le voulaient le passé de Marseille et la proximité géographique. Il est certain que tôt ou tard, ces entreprises lointaines qui longtemps piétineront et qui ne répondront pas toujours aux idées initiales, ouvriront à Marseille et à la France, la voie de prospérités et de grandeurs nouvelles.

----- Je remercie Monsieur Claude DELAYE de m'avoir permis de redécouvrir cette période importante de notre Histoire de France que j'avais, il est vrai, un peu oubliée.

Eliane BEGOUIN
Présidente du C.G.M.P.
Sources : - Migrance de Pierre Echinard et Emile Témine - Marseille et l' Algérie de Pierre Guiral

----- Nous rensercions à nouveau très vivement Mme BEGOUIN d'avoir eu l'amabilité de nouss communiquer ce texte qu'elle avait développé lors des "Rencontres généalogiques" organisées pour les 10 ans de notre Association.