sur site le 2-03-2003
-Les Juifs d'Algérie avant la conquête française.
par Richard Ayoun
-Le sujet de mon exposé est : "les juifs d'Algérie avant la conquête française" c'est à dire avant 1830. Généralement, l 'histoire des juifs d'Algérie, ou même l'histoire des juifs d'Afrique du Nord est assez bien connue depuis l'occupation Française mais elle posséde de nombreuses ombres avant 1830 (1).Nous allons esssyer de voir très rapidement la condition de ces juifs.
gamt n°5, printemps 1984 et gamt n°7, automne 84...adhérez !

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-----Le sujet de mon exposé est : "les juifs d'Algérie avant la conquête française" c'est à dire avant 1830. Généralement, l 'histoire des juifs d'Algérie, ou même l'histoire des juifs d'Afrique du Nord est assez bien connue depuis l'occupation Française mais elle posséde de nombreuses ombres avant 1830 (1).Nous allons esssayer de voir très rapidement la condition de ces juifs.
-----Tout d'abord, une idée importante, il faut dire que les juifs d'Algérie sont partie intégrante du judaïsme Nord-africain.
-----Ces juifs ne constituent ni une entité ethnique ni une race homogène. Au hasard des courants migratoires et également des fluctuations commerciales ou des persécutions, les ancêtres des juifs d'Algérie ou d'Afrique du Nord viennent de différents horizons.
géographiques. Ils s'y fixent depuis des temps très anciens, on pense, depuis le VIè siècle avant J.C. où nous retrouvons des traces de juifs en Algérie. Bien entendu, cela a commencé par la Tunisie et le Constantinois. Ce judaïsme a connu avant la conquête française bien des vicissitudes et il a été particulièrement éprouvé notamment au XIIe siècle avec les Almohades qui sont des intégristes. En ce même siècle,il y a eu plusieurs massacres de juifs et une partie est allée se réfugier en Espagne ou en Provence.
-----En 1142, les agglomérations juives sont anéanties et les rescapésdes nombreuses tribus juives se sont converties à l'Islam, puisqu'onn'acceptait pas les gens d'une autre religion. Toujours au XIIe sièclenous savons que les juifs de Tlemcen aussi furent massacrés ; par lasuite il y a eu de nouveaux juifs venus en Algérie, par exemple en1342 d'Italie, en 1350 des Pays-Bas, en 1403 d'Angleterre, en 1422des juifs vinrent de France et aussi d'Angleterre.. Dans l'origine decertains noms de personnes tels LEVY PROVENCAL au SERFATTI qui traduit de l'hébreu veut dire français, la provenance est évidente. Ceux qui s'appellent NARBONI sont de la région de Narbonne. Mais en fait, c'est au XVe siècle que lie judaïsme d'Algérie s'est revivifié, grâce à l'immigration des juifs venus de la péninsule Ibérique, c'est dire après les fameux grands "pogroms" de toute l'Andalousie de 1391et de 1391 à 1492,(1492 étant la date de l'expulsion des juifs d'Espagne).Sur près de cent ans de nombreux juifs quittent l'Espagne,un certain nombre va s'installer au Portugal, d'autres vont à traverstoute la Méditérranée et parmi ces gens, une partie s'établit enAlgérie. Ces juifs introduisent toutes les idées européennes et vont diriger ces communautés juives avec parfois des querelles entre elles.
-----En résumé, avant la conquête française, l'Algérie est sous la régence turque depuis 1516; et les juifs comme les chrétiens font partie du statut de Dhimmis c'est à dire qu 'ils sont soumis à une sorte de contrat dit dhimma régissant tous les gens du livre qui ne sont pas musulmans. Ce contrat est indéfiniment reconduit il accorde à la communauté musulmane l'hospitalité et 1a protection aux membres des autres religions révélées. Ce statut de dhimmi touche principalement les juifs parce que les chrétiens, notamment, à la suite des fameux massacres des Almohades, se sont réfugiés en pays chrétien ; ils vont y rester car ils ont beaucoup plus d'avantages et surtout ils peuvent vivre correctement sans être soumis à ce statut infamant.
-----La protection accordée aux juifs a pour condition qu'ils respectent la domination de l'Islam. En tous cas, avant 1830, et cela est l'application du statut de la dhimma, les juifs.sont reconnaissables par le costume qui leur est imposé. Il est interdit aux juifs de porter des vêtements de couleur verte,(réservé aux descendants du prophète Mahomet) ou rouge (couleur de l'étendard turc). De même la chéchia, le turban blanc et le burnous blanc leur sont défendus. On ne leur laisse que l'usage des vêtements sombres aux manches démesurées. Les juifs ne peuvent être chaussés que de savates, elles doivent être beaucoup plus courtes que le pied afin que le talon puisse être en entier, continuellement, sur le pavé. Nous possédons un texte disant que le 13 décembre 1788,on arrête tous les juifs d'Alger qui ont enfreint cet interdit et qu'ils reçurent 300 coups de bâton sur la plante des pieds. Dans la rue, les juifs ne peuvent pas porter d'armes ni sortir le nuit avec un falot allumé. Le seul luminaire toléré est une bougie allumée à la main et que le vent éteint souvent.Après six heures du soir, les juifs ont le droit de circuler que s'ils possèdent une autorisation émanant de l'autorité supérieure. Ils n'ont le droit d'avoir que des ânes ou des mulets pour montures, mais dépourvus de selle, le cheval leur est interdit puisqu'il est un animal noble. Lorsque les juifs rencontrent un musulman, ils doivent lui céder la droite et aller à gauche en signe de respect. Devant une mosquée ou une école religieuse musulmane, ils sont obligés de se déchausser et si la porte est ouverte, ils détournent la tête afin de ne pas regarder les fidèles en prière, sous peine d'être rossés. Il faut ajouter que parfois ils sont même massacrés par la population. Les juifs sont exclus de tous les lieux publics fréquentés par les musulmans à l'exception des bazars où ils possèdent des commerces. Aux fontaines, les juifs sont assujettis à laisser passer les musulmans, même s'ils sont arrivés après eux. Le témoignage du consul américain SHALER, qui était à ce poste avant l'occupation française, dans les années 1820-1830 montre le sort des Juifs en Algérie : "Les juifs ont à souffrir d'une affreuse oppression. Il leur est défendu d'opposer de la résistance. Quand ils sont maltraités, par un musulman, quelle que soit la nature de la violence, ils n'ont pas le droit de porter une arme quelconque, pas même une canne. Ils ne peuvent sortir de la ville sans en demander la permission que le mercredi ou le samedi. Bien entendu, le samedi est le jour du repos, c'est à dire le sabbat, il leur est interdit ce jour là de voyager autrement qu'à pieds.

Merci à Richard Ayoun
à suivre...
NOTE
1) Voir Richard AYOUN et Bernard COHEN:
"les juifs d'Algérie,deux mille ans d'histoire"
Paris, J.C. Lattés, 1982.
LES JUIFS D'ALGERIE AVANT LA CONQUETE FRANCAISE (Suite)

------En ce qui concerne les contestations entre juifs et Musulmans, elles sont du ressort du Cadi dont ils doivent baiser la main.
------En justice la parole du juif est considérée comme nulle lorsque un Musulman en nie la véracité.
------Pour les litiges relatifs aux mariages, aux divorces ou aux héritages, la justice est rendue par les Rabbins qui siègent publiquement sur le parvis de la synagogue. Les pouvoirs du tribunal rabbinique pour les juifs sont les mêmes que ceux du Cadi pour les Musulmans. Il juge aussi bien "au criminel qu'au civil", et, ses décision sont sans appel. Il a à sa disposition une force spéciale de police qui lui permet de faire exécuter ses sentences : amendes, coup de fouet, emprisonnement ainsi que la mise au ban de la société (1).
------A la tête de la magistrature se trouve dans chaque ville un chef de la Nation, désigné par le Dey d'Alger ou par le Bey de Constantine ou le Bey d'Oran, qui se nomme le Mokadem,c'est à dire le préposé. Son rôle est d'administrer la minorité juive au nom du Dey, par exemple à Alger. Le Mokadem perçoit les taxes, les impôts selon la richesse de chacun et il doit les offrir "avec humiliation", je cite là les textes de l'époque. Au moment de la remise du tribut, le Mokadem reçoit un soufflet ou un coup de poing sur le crâne, pour montrer l'esprit d'obéissance aux prescriptions du Coran.


------Les juifs paient aussi des avanies, et des droits commerciaux (2). Ils sont obligés d'enterrer les condamnés à mort, de porter sur leurs épaules les maures qui débarquent dans les eaux basses, de nourrir les animaux du sérail (3).
------Les maisons juives, avant 1830 sont quelquefois constituées d'une seule petite chambre où selon certains textes, vivent le père, la mère et parfois plus de cinq enfants... Les soldats turcs y entrent souvent et maltraitent les femmes sans qu'ils puissent s'y opposer, car tout juif qui lève la main sur un Musulman est condamné à 1'amputation de celle-ci.
------Dans le même ordre d'idées, tout juif qui fait banqueroute est pendu si des musulmans sont parmi ses créanciers ! (4).
------Cependant il faut noter que certaines familles juives jouissent de certains privilèges, notamment les juifs d'origine livournaise, Juifs d'Italie qui ont un statut particulier, c'est à dire le statut Toscan. Mais à part ces quelques familles on peut dire généralement que les Juifs dépérissent dans la misère et 1'oppression.
------Souvant pour apaiser une révolte de la milice, le Dey lui livre à discrétion les biens et les personnes des juifs. Par exemple à Alger en 1806, à la suite d'un pogrom, trois cent Juifs sont massacrés et les valeurs enlevées sont estimées à 30 millions de francs .(5).A la suite de ce pogrom, une partie de la communauté juive d'Alger va s'établir à Marseille, ou en Italie, et beaucoup reviendront en tant qu'interprètres avec l'armée française, en 1830.
------Avant cette date, ce sont les juifs qui doivent assumer les travaux pénibles et inattendus. Par exemple, pendant l'été 1815, la région d'Alger est couverte par une nuée de sauterelles qui détruit
tout sur sonpassage. Pour protéger ses jardins, le Pacha ordonne à plusieurs centaines de juifs de les protéger jour et nuit, il leur faut veiller tant que dure cette invasion.
------Shaler, le Consul américain relate : "Le cours de leur vie n'est qu'un mélange affreux de bassesses, d'oppressions et d'outrages... Je crois qu'aujourd'hui les juifs d'Alger sont peut-être les restes les plus malheureux d'Israël" (6).
------En fait, ces juifs d'Algérie étaient établis depuis plusieurs siècles. Certains pouvaient être les descendants de ceux qui ont vécu au VI° siècle avant J.C. A l'époque turque, sous la domination des Deys d'Alger, ils ont eu des périodes de persécution mais aussi de tranquillité.
------Certains par leur activité ont acquis une prospérité commerciale, citons les Busnach,les Cohen Bacri ou les Bouchara.
------Cette conquête marque pour la communauté juive d'Algérie, le début d'une aventure à peu près sans précédent dans l'histoire, puisque la minorité juive va être happée dans l'orbite culturelle, économique et politique du conquérant français ; la classe dirigeante des juifs d'Algérie, en accord avec les Israélites français et les Grands rabbins obtiennent la naturalisation collective en octobre 1870, c'est le fameux décret Crémieux.
------Avec l'arrivée des Français en Algérie, en 1830, le culte israélite va être dirigé par des rabbins soit Alsaciens, soit du Sud-Ouest de la France ou du Comtat Venaissin et l'on peut dire que pendant toute la présence française jusqu'en 1960, tous les Grands rabbins des grandes villes d'Algérie étaient des métropolitains comme il est dit dans les textes : "pour civiliser ces gens-là". Les juifs d'Algérie passent du statut de colonisés à celui de colons, grâce à la France. Profitant de l'essor prodigieux de la colonie française, ils vont avec l'aide de la classe dirigeante qui est maîtresse de l'administration des Consistoires juifs et des organisations qui en dépendent, s'intégrer en quelques décades à la civilisation française, compte tenu du fait, que l'ensemble des personnes d'Algérie vit en dehors de l'idée d'une intégration à la métropole.
------Les juifs d'Algérie, favorisés par les structures sociologiques de l'Algérie française, vont connaître une promotion sociale rapide. Mais ce changement a déraciné ces juifs de leurs sources hébraïques, ils vont sur un certain plan perdre certaines valeurs juives, moins reconnues. Quelques-uns des dirigeants juifs d'Algérie ont essayé de combattre la tendance à une francisation totale, non par hostilité envers la France, mais par crainte de la déjudaisation.
------Plusieurs grandes familles ont formé une "intelligentsia juive" désireuse de s'assimiler à la civilisation française tout en essayant de maintenir leurs traditions propres. Le choix a été fait en 1962, la très grande majorité des juifs d'Algérie est venue s'installer en France et n'a pas choisi Israél pour se. fixer. C'est ce que l'on peut appeler un colonialisme réussi. Les juifs d'Algérie ont un amour profond pour la France et c'est pour eux un honneur d'avoir servi dans l'armée française. Ce phénomène profond d'attachement à la France vient de ce qu'ils se souviennent dans quel état ils étaient avant 1830. D'ailleurs pour les grandes familles juives d'Alger, d'Oran ou d'ailleurs, la culture c'est le Français. Ils parlent français à la maison, bien avant 1830, s'habillent à "la chrétienne" comme le soulignent le voyageur Shaw ou d'autres.
Le décret Crémieux n'est pas venu du jour au lendemain; de 1830 à 1870 de nombreux juifs d'Algérie veulent devenir français. Le Sénatus Consulte de Napoléon III de 1865, leur permet de devenir français par naturalisation individuelle.. Ainsi, les juifs d'Algérie vont passer avec l'occupation française des années 1830, du Moyen àge à l'époque contemporaine!

RICHARD AYOUN

NOTES
(1). Laurence, Rapport à la Chambre des pairs sur l'organisation et l'administration de la justice dans les possessions françaises sur la côte septentrionale d'Afrique, Paris 1834, p. 9.
(2). Les droits d'entrée étaient fixés à 5 1/2 ad valorem pour les chrétiens et les Maures et à 12 % pour les juifs.
(3). Genty de Bussy, Conseiller d'Etat, il fut intendant civil de la régence d'Alger, De l'établissement des Français dans la Régence d'Alger, Paris 1835, 2 vol., p. 230.
(4); Pananti, littérateur toscan, Relation d'un séjour à Alger, traduction française, Paris 1920, p. 229.
(5). Edmond Pellissier de Raynaud, officier d'état-major attaché à l'expédition d'Alger, puis directeur des affaires arabes et par la suite Consul de France à Malte, Tripoli et Bagdad, Annales Algériennes, Résumé de l'histoire d'Algérie jusqu'en 1854, Paris 1854, 3 volumes, t. 1, p. 78.
(6). William Shaler, Esquisse de l'Etat d'Alger, traduit de l'Anglais par X. Bianchi, Paris 1830, p. 87.

Merci à Richard AYOUN