sur site le 24-05-2003
--COLON en ALGÉRIE : DES PROMESSES A LA RÉALITÉ
Auteur : Christian TRUCHI

Extrait de la revue du gamt, n°73, 2001/1...adhérez !...

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(Au cours de mes recherches sur mon village natal d'ABBO, j'ai eu la chance de réunir une très importante documentation, grâce notamment au Cercle Généalogique de Roquebrune et du Mentonnais que je remercie. J'en extrais deux lettres qui montrent qu'en matière de colonisation, il y eu souvent fort loin de la coupe aux lèvres.

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Nous sommes donc au début de 1872. L'année précédente a été principalement marquée par deux événements : l'insurrection kabyle qui a abouti au séquestre de près de 500 000 ha de terres d'une part, la loi BELCASTEL qui tend à attribuer 100 000 ha aux Alsaciens-Lorrains désireux de fuir l'occupation allemande d'autre part).


------La première lettre est datée du 10 janvier 1872 et adressée par le Gouverneur Général de GUEYDON au Préfet d'ALGER "au sujet des villages à créer dans les environs de DELLYS ". Y sont cités deux rapports émanant de la commission de colonisation de DELLYS qui marquait sa préoccupation d'assurer la sécurité des deux routes qui relient DELLYS à ALGER et à TIZI-OUZOU "au moyen de la création d'une suite de villages se reliant les uns aux autres et pouvant se prêter au besoin un mutuel appui ".

------Le Gouverneur Général aborde l'étude du "premier de ces centres qui serait établi aux OULED-KADDACH, sur la route d'AGER à DELLYS à 14 km de cette ville, (qui) comprendrait un périmétre de 510 ha répartis en 30 concessions d'une moyenne de 15 ha et un communal de 60 ha. L' installation de ce village, qui aurait lieu sur un terrain actuellement affecté au bivouac des troupes de passage, n'exigerait qu' une dépense de 4 000 F. Mr le Général Commandant supérieur du Génie, ayant consenti à céder cet emplacement au Service de la Colonisation (..),je ne puis qu'approuver le choix de la Commission en ce qui concerne l'assiette du village.
------Quant à la répartition du territoire agricole, j' estime avec vous qu' il y a lieu de porter de 15 à 20 ha la moyenne des lots à attribuer, non pas en réduisant le nombre des feux, mais en augmentant le périmètre projeté, ce qui ne saurait souffrir aucune difficulté en raison de l'étendue des terres d'origine domaniale qui existent en ce point


------En conclusion de sa lettre, le Gouverneur Général précise: "Mais en attendantt la commission ayant insisté pour la création immédiate du centre de OULED-KADDACH dans l'intérêt de la sécurité des villages de REBEVAL et de BEN'CHOUD (N.B. l'un et l'autre à quelques kilomètres de part et d'autre du centre projeté), vous voudrez bien faire procéder de suite sur ce point aux travaux de lotissement et de nivellement ainsi qu'à la construction d'une fontaine et d'un lavoir':

------La seconde lettre émane du Lieutenant-Colonel MOINE, Administrateur de l'Arrondissement Cercle de TIZI-OUZOU. Elle est adressée au Préfet d'ALGER : c'est une lettre de huit pages datée du 13 octobre de la même année.

------L'Administrateur confirme, dans un premier temps, les termes d'un télégramme qu'il a adressé la veille au Préfet et ainsi libellé : "Alsaciens installés ce matin aux OULED-KADDACH. Gourbis tout à fait insuffisants. Nécessité absolue de délivrer une grande tente par famille. Prière faire envoyer d'ALGER, du magasin de campement, des couvertures hors de service et des ustensiles de campement en cours de durée que les immigrants réclament avec instance. Les couvertures sont de toute nécessité. Prière répondre pour les rations et m'autoriser à faire aux frais de la colonisation le transport de ces vivres, vu la distance qui sépare le village de DELLYS (13 km).
Le désespoir est grand chez quelques-uns des immigrants, chez les femmes surtout. J'ai remonté leur moral de mon mieux. Ils se disent sans ressources et dans l'impossibilité de construire leurs maisons à leurs frais, comme aussi de se procurer des bêtes et ustensiles nécessaires à la culture. ll y a urgence à régler ces questions"


------Le Lieutenant-Colonel MOINE développe ensuite ses "impression qui sont des plus pénibles". Très rapidement, il précise : "A cet égard vous savez Monsieur le Préfet ce qui m 'rrête (..) jattends que vous me mettiez à même de procéder au lotissement (..)" et il poursuit un peu plus loin : "Mais tout ne doit point se borner à de vaines promesses. L'autorité centrale est engagée moralement vis-à-vis de ces populations qu' elle a appelées pour coloniser, qu' elle sait sans ressources et qui se trouvent jetées sur une terre inconnue, sans posséder, actuellement du moins, les moyens de se tirer d'affaire. Ce serait comme je l'ai dit précédemment les vouer à la misère, aux maladies et les obliger à ne voir leur salut que dans le retour en France.Il faut donc se mettre à l'oeuvre aujourdhui'

------Le nouveau centre était prévu pour accueillir 30 familles. Ce pitoyable contingent de désespérés n'en comptait que... 18 et l'Administrateur d'évoquer les 12 concessions restantes pour proposer "de les donner immédiatement aux gens du pays, déjà acclimatés, possédant des ressources pécuniaires suffisantes, et qui s engageront à construire, dès demain, sur le plan d'alignement du village". Il estime en effet que "la présence de ces douze colons aguerris, parfaitement au courant des usages locaux et possédant une aisance suffisante pour fournir du travail aux nouveaux venus, sera dun grand secours pour ces Alsaciens dénués de toutes ressources et qui ignorent les premiers éléments de la culture algérienne':


 

------Il ajoute encore : "J'ose espérer, Monsieur le Préfet, que vous interviendrez de toute votre influence auprès de MM le Gouverneur Général, pour l'adoption d'une combinaison que je considère comme très importante au point de vue de l'installation définitive des familles alsaciennes que vous voulez implanter dans le pays et à qui il ne faut pas donner le regret d'être restés fidèles à la France" Pour conclure sa lettre sur ce point, notre Administrateur accuse réception d'un courrier du Préfet et en rappelle le contenu. II y est question de secours en argent. (N.B. 100 F par famille !) qu'il critique dans leur modestie tout en insistant pour l'envoi d'autres moyens déjà demandés (couvertures et ustensiles de campement).

------Le reste est beaucoup plus édifiant : "Quant aux tentes, vous me faites l'honneur de me dire que vous n'aurez recours à cette ressource extrême, qu'en cas de nécessité bien démontrée.

------Je regrette, Monsieur le Préfet, que vos occupations ne vous permettent pas de vous transporter sur les lieux, et de juger. par vous-même, une situation que vous paraissez mettre en doute, après les renseignements formels que je vous ai donnés : vous seriez le premier, à reconnaître, avec moi que la nécessité d'envoyer des tentes est plus que démontrée.
Vous me dites encore que les colons doivent s'ingenier un peu pour s'installer. vous m'invitez à les faire aider, et à leur faire délivrer des bois, etc, par qui ? et sur quels fonds ?"


------Enfin, après une série d'autres considérations sur d'autres préoccupations tout aussi terre à terre, le Lieutenant-Colonel MOINE conclut ainsi sa lettre : "Vous recommandez la patience, en attentant que l'autorité supérieure ait jugé dans quelles limites elle pourra venir en aide aux émigrants.
------Je crois de mon devoir de vous dire que la question est toute jugée. Nous avons appelé à coloniser des individus sans ressources d'aucun genre. Il faut. pour être conséquents avec nous-mêmes, leur venir en aide en tout et
pour tout.
------J'espère, Monsieur le Préfet, que cette longue dépêche vous convaincra de la nécessité de mettre sans retard à la disposition des administrateurs, les moyens indispensables qu'ils réclament pour une installation suffisante des émigrants, et pour la mise en culture des terres qui vont leur être attribuées.
------De nouveaux délais nous mettraient dans une situation que, pour ma part, j'hésiterais à accepter plus longtemps"


------En guise d'épilogue !

------Des colons des Alpes-Maritimes emmenés par Adraste ABBO s'installent sur le site de BOIS-SACRE, à quelques kilomètres de OULED-KHEDDACHE, un premier contingent en septembre 1872, le reste en janvier 1873. Diverses correspondances font apparaître les mêmes problèmes, les mêmes conditions précaires d'accueil et d'existence des colons appelés à venir peupler le village : aucune construction en dur, lotissement en cours, terres à partager avec les populations locales, lotissement remis en question après attribution des terres, conditions climatiques très dures (maladies, nombreux décès)... Cette fois tout de même, il y aura un bouc émissaire : Adraste ABBO, qui s'était fait fort d'amener 86 familles des Alpes Maritimes contre la promesse d'une concession d'environ 300 ha, sera destitué d'un poste d'adjoint à DELLYS, devra se contenter d'une concession réduite (avant d'être rétabli dans ses droits) et sera longuement contesté par ceux qui seront finalement ses administrés : mais c'est une autre histoire déjà racontée par Janine MARONI-REBORA dans la revue n° 24. Toutefois, habitués à. de rudes conditions d'existence dans leurs montagnes de l'arrière-pays mentonnais, les "Alpins" de M. ABBO ont, semble-t-il et tous comptes faits, mieux triomphé des difficultés que leurs homologues alsaciens-lorrains, puisque le village des OULED-KADDACH a fini par péricliter, avant de ne plus compter aucun colon français vers les années 1920.

Christian TRUCHI Adh. N° 358

N.B. - M. Christian TRUCHI se propose de coordonner vos témoignages relatant les difficultés rencontrées par vos aïeux lors de leur installation. Ceux-ci pourraient faire l'objet d'une publication spécifique par notre association.