Constantine
à travers vingt siècles de littéraire
Le silence de SALLUSTE et des poètes

CONSTANTINE
à travers vingt siècles de littéraire
Le silence de SALLUSTE et des poètes

Dans cette dernière chronique consacrée à Constantine, j'ai voulu colliger ce que les écrivains, de l'antiquité à nos jours, ont pensé et écrit de la ville de Syphax et de Constantin le Grand, qui, depuis l'aurore de l'époque historique, a connu tant d'occupants et subi tant d'épreuves. En tête de ce spicilège lacunaire, j'aurais voulu citer Salluste, dont le " Bellum Jugurthinum " est une œuvre maîtresse de la littérature latine et |'on peut dire universelle.

Mais Salluste, s'il nomme souvent Cirta, n'en fait aucune description. Ce qui, " a prior ", semble donner raison à M. André Berthier, qui prétend (je l'ai dit récemment) que la Cirta de " La Guerre de Jugurtha " n'est pas la nôtre, mais Le Kef, dans le Sud tunisien.
Une autre déception : je n'ai pas rencontré un poète qui ait parlé de Constantine : ce site, unique par son pittoresque de nature et son histoire, n'inspira aucun porte-lyre ! Cela, je le dis vite, ne doit pas signifier que les poétes qui passèrent sont restés impavides devant ce décor grandiose, mais plutôt, semble-t-il, qu'ils ont été paralysés, inhibés, par la grandeur - comme moi-même. Je l'écrivais dans ma première chronique, pour chanter décemment ce paysage titanesque, il faudrait un Titan, c'est-à-dire Victor Hugo. Mais le poète de " Toute la Lyre " n'a pas connu l'Algérie !

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Echo d'Alger du 25-11-1952 - Transmis par Francis Rambert

mars 2024

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BACAX, dieu CIRTA capitale de l'antique Numidie
Constantine la farouch


à travers vingt siècles de littéraireCONSTANTINE
à travers vingt siècles de littéraire
Le silence de SALLUSTE et des poètes

Dans cette dernière chronique consacrée à Constantine, j'ai voulu colliger ce que les écrivains, de l'antiquité à nos jours, ont pensé et écrit de la ville de Syphax et de Constantin le Grand, qui, depuis l'aurore de l'époque historique, a connu tant d'occupants et subi tant d'épreuves. En tête de ce spicilège lacunaire, j'aurais voulu citer Salluste, dont le " Bellum Jugurthinum " est une œuvre maîtresse de la littérature latine et |'on peut dire universelle.
Mais Salluste, s'il nomme souvent Cirta, n'en fait aucune description. Ce qui, " a prior ", semble donner raison à M. André Berthier, qui prétend (je l'ai dit récemment) que la Cirta de " La Guerre de Jugurtha " n'est pas la nôtre, mais Le Kef, dans le Sud tunisien.
Une autre déception : je n'ai pas rencontré un poète qui ait parlé de Constantine : ce site, unique par son pittoresque de nature et son histoire, n'inspira aucun porte-lyre ! Cela, je le dis vite, ne doit pas signifier que les poétes qui passèrent sont restés impavides devant ce décor grandiose, mais plutôt, semble-t-il, qu'ils ont été paralysés, inhibés, par la grandeur - comme moi-même. Je l'écrivais dans ma première chronique, pour chanter décemment ce paysage titanesque, il faudrait un Titan, c'est-à-dire Victor Hugo. Mais le poète de " Toute la Lyre " n'a pas connu l'Algérie !

Il faut jouer à Constantine le " Sophonisbe " de Corneille
On pourrait croire que Corneille, auteur de " Sophonisbe ", a situé sa tragédie dans son cadre historique. Là encore, nous sommes décus ! C'est que l'art de la mise en scène, qui ambitionne aujourd'hui, de se subordonner le texte du dramaturge était inexistant au temps de Pierre Corneille, comme au temps de Shakespeare.
N'importe ! L'intensité dramatique et la beauté formelle, suffisant à faire d'elle une œuvre digne d'intérêt, on serait heureux de voir représenter " Sophonisbe " au lieu de son action. Serait-il impossible à l'Académie locale, en collaboration avec l'Université populaire, - et, s'il le faut, avec la participation du C.R.A.D. - de monter ce spectacle qui révélerait aux Constantinois l'une des plus poignantes aventures politiques et sentimentales de l'antiquité classique, dont leur pays fut le théâtre ? Si " Sophonisbe " n'est pas la plus belle pièce de Corneille, les beaux vers y surabondent. Je n'en citerai que trois, où tout le pathétique de l'action se résume :
Esclavage aux grands cœurs n'est point à redouter,

Alors qu'on sait mourir, on sait tout éviter
Et enfin :
L'hymen des rois doit être au-dessus de l'amour.

Ce que les rois modernes, plus raclnlens que cornéliens, s'appliquent d'ailleurs à démentir.

Constantine avant Rome et après Rome
Je vais maintenant reproduire les témoignages les plus typiques des écrivains sur Constantine, d'aujourd'hui, jadis et naguère. Faute de place, je les publie sans commentaire, et ct succincts pour la même cause.
Pomponius Mela, qui écrivait en latin au Ier siècle avant J.-C., signale sa prospérité : Cirta était très opulente sous le règne de Syphax. Ce que Strabon confirme au Ier siècle après J.-C. : Cette ville a été très bien fortifiée et abondamment pourvue de toutes choses, principalement par Micipsa, qui y fit venir une colonie de Grecs et la rendit si puissante qu'elle put mettre sur pied 10.000 chevaux et 20.000 fantassins.

D'El Békri, géographe arabe, 1068 :
Constantine est une grande et ancienne ville renfermant une nombreuse population et d'un accès tellement difficile qu'aucune forteresse au monde ne saurait lui etre comparée ; elle est située sur trois grandes rivières portant bateau qui l'entourent de toutes parts (?) Ces rivières proviennent de sources nommées " les Sources Noires " et passent dans un ravin d'une profondeur énorme. Dans la partie avale de ce dernier, on a construit un pont de quatre arches, lequel soutient un second pont qui en supporte un troisième de trois arches. Sur la partie supérieure de ces arcades, se trouve une chambre qui est de niveau avec les deux bords du ravin et qui forme le passage par lequel on entre en ville. Vue de cette chambre, l'eau qui est au fond du torrent a l'aspect d'une petite étoile tant le précipice est profond. Cette chambre s'appelle " l'et0ile Sirius ", parce qu'elle est pour ainsi dire suspendue au ciel.
Bien plus qu'un géographe. El Békri est un poète, et qui mieux est oriental !

D'Edrisi, " Description de l'Afrique et de l'Espagne, XIIe siècle :
Dans toute la ville de Constantine, il n'est pas de porte de maison. grande ou petite, dont le seuil ne soit formé d'une seule pierre ; en général aussi les piliers des portes se composent soit d'une, soit de deux, soit de quatre pierres (empruntées aux ruines antiques). Ces maisons sont construites en terre et le rez-de-chaussée est toujours dallé. Il existe dans toutes les maisons, deux, trois ou quatre souterrains creusés dans le roc. Constantine est l'une des places les plus fortes du monde. Elle
domine des plaines étendues et de vastes campagnes ensemencées de blé et d'orge,

Le figuier oraculaire et le fleuve Sufégémar

Du " Kitab el Adouani " :
Autour du rocher où s'élève la ville, il y avait, autrefois, beaucoup d'habitations et, au sommet du roc, se trouvait un figuier qui rendait des oracles (comme le chêne de Dodone ?) et vers lequel les gens des environs allaient en pèlerinage pour connaître l'avenir.

De Léon l'Africain, " Description de l'Afrique ", XVIe siècle :
Le coté de la ville qui fait face au midi est placé sur une montagne élevée. Constantine est entourée de rochers abrupts. Le fleuve " Sufégémar " (?) la contourne et la rive extérieure est aussi couronnée de rochers, de telle sorte que sa vallée très encaissée forme un immense fossé qui défend la ville. La population est de 8.000 familles, et il s'y trouve des édifices très somptueux, notamment la Grande Mosquée, deux medersas et trois ou quatre zaouïas.

De Shaw, voyageur anglais, 1743 :
Ce sont les Romains qui ont fondé Constantine, on n'en peut douter lorsqu'on examine ses murs solides, élevés et trés anciens, construits en pierres noires parfaitement taillées. L'étendue de ces ruines nous montre encore qu'elle était fort grande et sa situation devait être forte.

Un cheikh accuse " l'iniquité totale "
Du cheikh Belkacem er Rahmouni, vers 1800 :
Notre religion faiblit. Chaque jour elle est insultée et sophistiquée. Cela, c'est l'état du siècle, le traître. Quiconque a connu l'ancien temps, voit de ses propres yeux l'iniquité totale et ne peut la changer. Quiconque n'était qu'une mince lame de stylet est devenu yatagan,. et s'est dépouillé de la rouille qui le couvrait. C'est un temps favorable aux femmes : le voisin trahit le voisin. Cette époque n'est belle et bonne que pour l'étourdi qui ne voit rien. Tous les jeunes gens se produisent comme de vieux savants ; sans connaissance, ils veulent enseigner ! La science, la connaissance du Coran ont fui les esprits, c'est prouvé ! Le cours des denrées est surfait. Tu veux que j'embellisse ce que j'ai vu ? Je l'ai exprimé suivant les conditions de vie actuelles,

Du capitaine Rozet, " Voyage dans la Régence d'Alger " (1833) :
On est obligé de descendre beaucoup pour aller jusqu'à la rivière sur laquelle il y a un très beau pont construit par les Romains. Il n'y a pas une seule fontaine dans l'intérieur de la ville : toute l'eau qu'on y consomme vient de la rivière où l'on est obligé d'aller la chercher dans des outres que l'on apporte à dos de mulets ; ceux qui vont chercher l'eau la vendent dans les rues.

Gustave Flaubert
La seule chose importante que j'aie vue jusqu'à présent, c'est Constantine ; le pays de Jugurtha. Il
y a un ravin démesuré qui entoure la ville. C'est une chose formidable et qui donne le vertige. (Pourquoi dire un " ravin ", alors ?) Je me suis promené an-dessus, a pied, et dedans, à cheval. Des gypaètes tournoyaient dans le ciel.
(Gustave Flaubert, 1858.)

Guy de Maupassant
Dans " Au Soleil ", 1890 :
Et voici Constantine, la cité - phénomène, Constantine l'étrange, gardée, comme par un serpent qui se roulerait à ses pieds, par le " Roumel ", fleuve d'enfer coulant au fond d'un abîme rouge comme si les flammes éternelles, l'avaient brûlé. Il fait une île de sa ville, ce fleuve jaloux surprenant ; il l'entoure d'un gouffre terrible et tortueux. aux rocs eclatantls et bizarres, aux murailles droites et dentelées...
Salut aux Juives ! Elles sont ici d'une superbe sévère et charmante. Elles passent drapées plutôt qu'habillées, drapées en des étoffes éclatantes, avec une incomparable science des effets, des nuances, de ce qu'il faut pour les rendre belles. Elles vont les bras nus depuis l'épaule, des bras de statues, qu'elles exposent hardiment au soleil ainsi que leur calme visage aux lignes pures et droites. E le soleil semble impuissant à mordre cette chair polie.

Louis Bertrand
Dans " Le Jardin de la Mort ", 1904 :
Je ne conçois point Cirta sans Sophonisbe. C'est la silhouette de cette jeune femme que j'aperçois
toujours à la pointe de la Casba, dans l'ombre noire des cyprès, penchée sur la frêle balustrade qui la sépare du gouffre, et attendant, toute tremblante, l'issue de la bataille où se joue sa vie avec le sort de Carthage...
Cette histoire romanesque qui inspira tant de dramaturges depuis les temps héroïques de la Renaissance et qui fit verser tant de larmes à nos aïeules, - elle est encore dans toutes les mémoires. La princesse carthaginoise qui, après la défaite de son mari Syphax. roi de Cirta, se donne au vainqueur. àce Massinissa qui d'abord avait été son fiancé ; celui-ci obligé par les Romains, ses alliés de leur livrer sa femme ; Sophonisbe suppliant son nouvel époux de la tuer pour lui épargner cette honte et, peut-être, les pires supplices ; enfin, Massinissa, dans un coup de désespoir amoureux, se décidant à lui envoyer par un esclave la coupe de poison - toutes les péripéties de ce drame barbare ont été cent fois traitées au théâtre, Mais comme on le comprend mieux ici !

L'abîme fascinateur
Cette belle page de l'auteur des " Villes d'Or " nous ramène à Sophonisbe, dont le souvenir est inséparable de Cirta. Et je finis par où j'ai commencé ;il faut représenter ici la tragédie de Corneille, car si cette évocation de l'histoire tumultuaire de la Vieille Berbérie etait belle même à Concarneau, comme on la comprend mieux ici, où le drame s'est consommé !
Une remarque pour finir. Placés dans la situation de Sophonisbe et de Massinissa, des amants modernes feraient fi du poison suicidaire. Ils se précipiteraient dans l'abîme fascinateur dont ii est impossible, me disait un Constantinois, de dénombrer les victimes volontaires.

Plaidoyer pour le Rhumel
Au cours de ces neuf chroniques consacrées à Constantine, tel Philinte, je fus prodigue de louanges. Et mon cœur, faut-il le dire ? est d'accord avec ma plume. Mais je trahirais ma mission d'informateur objectif si je taisais les doléances que nous avons reçues relativement à l'abandon actuel (et déjà ancien) du chemin touristique du Rhumel. Aussi je me repose sur " l'esprit " des Constantinois pour dire avec Figaro : " Sans la liberté de blâmer il n'est point d'éloges flatteurs. "
Pour tous les touristes, le Rhumel est l'attraction majeure de Constantine, sa merveille n° 1. Il importe donc de la rendre accessible sans échasses ni masque a gaz, engins actuellement nécessaires nous écrivit un peintre, à celui qui s'y risque.

Qu'il en soit ainsi et Constantine sera digne du titre de capitale touristique que je lui donne, et au lieu d'y passer " une journée " (ce que le " Guide bleu " considère suffisant), on s'y attardera des semaines, comme je le fis moi-même.

Pèlerinage ultime
Avant de quitter Cirta, puisqu'il me faut partir, j'ai tenu à revoir le Monument aux_Morts, ex-voto des Vivants à ceux-qui-ne-sont-plus, temple de la Concorde et de la Reconnaissance.
C'est le soir et je suis seul. Dans l'axe d'une arche, ostensoir gigantesque, le soleil décline sur la plaine du Hamma enflammant ciel et terre. Et le vent des sommets fait un bruit d'orgues et de marée. Là-haut, couronnant l'Arc, la Victoire de Cirta s'essore en plein azur Ce chef-d'œuvre d'architecture sur ce chef-d'œuvre géologique face à ces horizons sublimes, dans l'immense flamboiement et le grand vent sonore, suspendu et comme flottant entre le ciel et la terre il n'est rien qui réponde mieux à ma conception du haut lieu - pas même le Parthénon d'Athènes sur l'Acropole trop encombrée.

Longtemps je reste là, jusqu'à l'heure où la pénombre succède aux rutilances et aux fanfares du crépuscule. Je regarde et j'écoute... Et finalement je ne sais plus si ce tumulte aérien vient du fracas du vent dans l'Arche aux quatre baies, ou si c'est la Victoire de bronze qui bat des ailes...

Et maintenant. épique et poignante Cirta,
Ville de Sophonisbe et de Massinissa,
De Juba, Jugurtha, Constantin et Syphax.
PAX !