Alger, Algérie : documents algériens
Série culturelle : villes d'Algérie
Djemila-Cuicul
7 pages + helio + plan - n°34 - 20 mars 1949

Les fouilles de Djemila nous rendent le cadre de la vie d'une de ces petites cités provinciales où les Berbères s'adaptaient aux moeurs romaines. Ils y trouvaient les conditions d'une bonne hygiène grâce à la construction de nombreux établissements de bains, à l'aménagement d'une distribution d'eau potable et d'un réseau d'égouts. Ils pouvaient se procurer dans les marchés les denrées alimentaires et les vêtements qui leur étaient nécessaires. Es apprenaient â parler latin, ils prenaient l'habitude de se réunir au Forum, aux Thermes, ils se divertissaient aux représentations théâtrales, ils sacrifiaient aux dieux de Rome. Ils participaient à toutes les manifestations de cette vie municipale qui dans l'antiquité paraissait le symbole même de la civilisation

mise sur site le 18-02 - 2005...+ le 14-11-2010
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---------A 50 kilomètres au Nord-Est de Sétif et à 3o kilomètres de Saint-Arnaud, s'ouvre dans les montagnes une sorte d'amphithéâtre dominé par des croupes arides. Au centre, sur une plate-forme située à 85o mètres d'altitude et bordée de profonds ravins, se dressent des arcs, des colonnades, un temple au pignon élevé ; un bosquet de verdure se détache sur les terres noirâtres d'alentour : c'est Djemila ("la jolie ", en arabe), fraîche oasis dans un pays dénudé.

I. - HISTOIRE DE LA VILLE ANTIQUE

---------FONDATION DE LA COLONIE ROMAINE
---------Les inscriptions latines trouvées sur place ont révélé le nom de l'ancienne ville, Cuicul, nom évidemment berbère qui, après avoir désigné sans doute un village indigène, passa à la colonie militaire établie probablement par l'empereur Nerva, en 96 ou 97 après J.-C. La raison essentielle de cette fondation fut d'ordre stratégique : les Romains voulurent occuper solidement le point où la grande route de Constantine à Sétif, qui assurait les communications Est-Ouest entre Numidie et Maurétanie, croisait une voie Nord-Sud reliant le port de Djidjelli à Lambèse, chef-lieu de la province numide, à travers le massif tourmenté de petite Kabylie ; les vétérans installés comme colons à ce carrefour reçurent la mission de surveiller les tribus belliqueuses de la montagne.
---------La proximité de la limite occidentale de la Numidie amena en outre l'Administration romaine à établir là un bureau de douane provinciale.

---------ORGANISATION ET PEUPLEMENT
---------Soumise à l'autorité du légat impérial qui exerçait en Numidie le pouvoir civil en même temps que le commandement (les troupes, la Colonie fut organisée en commune romaine, dotée d'une assemblée municipale et de magistrats élus chaque année. Les premiers habitants étaient d'anciens soldats, originaires d'Europe Centrale, de Syrie ou même d'Afrique ; ils avaient reçu les droits de citoyens en entrant dans l'armée et leurs vingt ans de service les avaient gagnés à la civilisation romaine. De riches bourgeois venus de villes plus anciennes - Carthage, Cirta - apportèrent à la nouvelle cité leur expérience des affaires publiques et lui fournirent ses dirigeants : décurions, prêtres et magistrats ; Cuicul dut à leur générosité quelques-uns (le ses plus beaux monuments comme le marché, la basilique judiciaire.
1,a population urbaine s'augmenta peu à peu de Berbères attirés par les avantages matériels et juridiques réservés aux citadins. Elle ne fut pourtant jamais très nombreuse, semble-t-il : dix mille habitants peut-être.

---------VIE ÉCONOMIQUE
---------Les colons à qui l'Administration impériale avait distribué des terres et les riches notables qui en avaient acheté aux indigènes furent avant tout des agriculteurs. Le sol assez marneux, le climat humide convenaient aux céréales et aux arbres fruitiers ; on cultivait même l'olivier, qui a aujourd'hui complètement disparu de la région. L'élevage (les moutons, des chèvres, des ânes et des bovins devait être pratiqué comme de nos jours. L'abondance des sources permettait d'arroser les jardins et d'abreuver les troupeaux.
---------Quelques industries - huileries, tissages - transformaient les produits agricoles ; de petits ateliers fabriquaient les poteries, la verrerie. les ustensiles en fer et en bronze nécessaires à la vie domestique.
---------Le commerce se développa grâce aux routes qui reliaient Cuicul à des régions de productions diverses et devint unélément essentiel de sa prospérité.

---------PLAN DE LA VILLE
---------Fondée sur un étroit plateau qu'enserraient de trois côtés des ravins creusés par les torrents, la ville s'étendait davantage du Nord au Sud que de l'Est à l'Ouest ; elle était entourée d'une enceinte qui épousait la forme triangulaire du site. Le Forum, établi au croisement des routes, se trouvait au centre de l'agglomération, à l'endroit où se rencontraient les deux axes du plan initial, cardo et decumanus, Le cardo, grande rue Nord-Sud, était coupé par le Forum en deux secteurs qui ne se prolongeaient pas en ligne droite : celui du Sud aboutissait à la porte centrale de la place publique, tandis que le tronçon Nord était rejeté à l'Ouest (une disposition analogue se remarque à Timgad). Des rues dallées séparaient les pâtés (le maisons, des portiques bordaient les artères principales ; des canalisations amenaient l'eau (le la montagne aux fontaines publiques et aux habitations privées.

---------DEVELOPPEMENT DE LA VILLE AUX IIè IIIè SIÈCLES
---------Les principaux édifices religieux et administratifs furent bâtis au IIè siècle autour du Forum Capitole, Curie, Basilique judiciaire ; dans les quartiers avoisinants s'élevèrent le marché, des Thermes et d'autres temples. De l'époque (les Antonins datent aussi le Théâtre, construit vers 160 au flanc de la colline qui dominait la ville au Sud, puis les grands Thermes (183) édifiés également au delà (les murs.
---------Au début du 111è siècle l'enceinte était devenue, trop étroite, les maisons la débordaient de toutes parts, descendaient le long des ravins, escaladaient les pentes (le la colline Sud. Sous le règne de Caracalla s'opère une importante transformation : la démolition (lu rempart méridional, l'aménagement d'un nouveau Forum au contact de la vieille ville et (les quartiers neufs. La municipalité consacre (les monuments grandioses à la gloire des Empereurs Sévères : arc de triomphe en l'honneur (le l'empereur C'aracalla et (le ses parents en 215, temple dédié à toute la dynastie, la " gens septimia ",. en 229.
---------Pour Cuicul, comme pour beaucoup de cités africaines, l'époque des Sévères marque l'apogée d'une prospérité qui décline vers le milieu du siècle par suite d'une crise générale dans l'Empire, crise économique, sociale et politique. Une série de mauvaises récoltes ruine les petits propriétaires, des troubles fréquents coupent les communications, l'insécurité paralyse le commerce. L'appauvrissement de la cité arrête le développement urbain : pas une construction nouvelle pendant cinquante ans.

---------LE IVè ET LE Vè SIÈCLES
---------Le IVè siècle amène une renaissance dont témoignent des travaux d'utilité publique : réfection de l'aqueduc alimentant la ville en eau potable, construction (le fontaines, restauration de divers édifices. A la fin du siècle, un gouverneur de Numidie inaugure au forum (les Sévères un marché et une nouvelle basilique judiciaire.
---------Mais le IVè siècle est avant tout l'époque où triomphe le Christianisme. Une communauté chrétienne existait à Cuicul dès le 111è siècle, elle avait eu ses martyrs, elle s'était développée malgré les persécutions. Libérée par les édits (le Constantin, elle fait bâtir sur la colline Sud. à la limite (le l'agglomération, un ensemble d'édifices consacrés au culte et à ses desservants : église, baptistère, maisons de l'évêque et (lu clergé. 1.e schisme donatiste divise prêtres et fidèles jusqu'au jour où l'évêque Cresconius rétablit l'unité, après la conférence de Carthage de 411; il célèbre l'événement par la construction d'une basilique assez vaste pour réunir " toute la foule chrétienne ", il fait transférer des tombes de martyrs ; lui-même y fut plus tard enseveli.
---------Des inscriptions funéraires (le la fin (lu siècle prouvent que la ville subsistait à l'époque V vandale ; très diminuée sans doute, la population se groupait autour des sanctuaires chrétiens, sous la protection de son évêque.

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HYPOTHESE SUR LA DESTRUCTION DE LA VILLE
---------On n'a retrouvé aucun vestige certain d'une occupation byzantine.
---------Aucun document ne fournit (le renseignements sur la destruction de la ville. Notons cependant que des traces d'incendie se retrouvent dans tous les quartiers, que la plupart des statues et objets exhumés sont brisés, que les trouvailles de métaux précieux sont extrêmement rares. Il est vraisemblable qu'incendie et pillage furent l'oeuvre des montagnards des Babor ; ces tribus remuantes avaient échappé à l'empreinte romaine et s'étaient même révoltées à plusieurs reprises contre l'autorité impériale ; une fois l'organisation administrative et militaire de l'Empire anéantie, leurs incursions ne rencontrèrent aucune résistance sérieuse ; saccageant les villes, massacrant les habitants, elles rendirent à la vie sauvage ces terres où Rome avait fait régner pendant quatre siècles la civilisation.

II. - L'OCCUPATION FRANÇAISE. - LES FOUILLES

---------Nos troupes occupèrent Djemila en décembre 1838 ; un détachement, cerné par les montagnards, y soutint de rudes combats, après quoi l'autorité militaire y établit un poste qui fut maintenu pendant six ans. Le duc d'Orléans y, campa en octobre 1839, lors de l'expédition des Portes de Fer ; il admira, nous dit son journal de route, " un espace immense couvert de fûts de colonnes, de chapiteaux, de sculptures, de mosaïques " ; l'arc de triomphe en particulier provoqua son enthousiasme à tel point qu'il décida de le faire démonter et transporter à Paris. L'architecte Ravoisié, chargé de cette mission l'année suivante, reçut heureusement contre-ordre ; il séjourna pourtant à Djemila, fouilla en partie une église chrétienne et rédigea la première description des ruines. Il signalait les monuments visibles avant toutes recherches - le théâtre, un mausolée, l'arc de triomphe, deux temples, des vestiges de portes - plus ou moins enfouis dans la végétation des jardins indigènes.
---------En 1909 seulement, après la construction d'une route permettant d'atteindre facilement les ruines, commencèrent les fouilles entreprises par le Service des Monuments Historiques et poursuivies régulièrement depuis lors, sous le contrôle de la Direction des Antiquités de l'Algérie.

III . - LES RUINES

---------LA VIEILLE VILLE
---------Une grande artère à pente rapide (l'ancien " cardo " Nord raccordé à une autre rue) traverse les quartiers anciens du Nord au Sud, entre la porte qui s'ouvrait sur la route de Djidjelli et celle, beaucoup mieux conservée, où aboutissait au IIè siècle la route de Sétif. A peu près à mi-chemin entre les deux portes s'étend le Forum du Capitole, vaste place rectangulaire (48 m. sur 44) qui a conservé intact son dallage parfaitement régulier ; de nombreux piédestaux sont alignés sur trois côtés de la place, mais les statues qu'ils portaient ont disparu. Des portiques disposés au Sud et à l'Est, il ne reste que la belle colonnade du côté Sud.
---------Au Nord, devant l'escalier qui montait au Capitole, subsiste l'autel de Jupiter orné de bas-reliefs dont l'un représente avec réalisme une scène de sacrifice. Le temple lui-même est détruit ; les fragments de ses énormes colonnes (14 m. de haut, comme au Capitole de Timgad) ont roulé sur le Forum et dans une cour située en contrebas. On peut cependant admirer les puissantes substructions qui soutenaient le triple sanctuaire consacré à Jupiter, Junon, Minerve ; , les murs et les arcs en pierre de taille, supports de voûtes aujourd'hui effondrées, nous donnent un magnifique exemple d'architecture classique.

 

grande rue
La grande rue

---------A côté du Capitole, une inscription a permis d'identifier la Curie où se réunissait le Conseil municipal ; quelques vestiges de la décoration de la salle témoignent du luxe de cet hôtel de ville le sol était pavé de marbre rouge, des placages d'onyx revêtaient les murs.
---------Le côté Ouest de la place, le long de la Grande Rue, était occupé par une basilique civile, salle de 38 m. sur 14 qui servait de palais de justice et de bourse de commerce. Les bases des statues impériales qui l'ornaient sont encore rangées au pied des murs écroulés, l'estrade réservée aux juges domine de haut l'espace où s'agitait la foule.
---------A l'angle Sud-ouest de la salle, une porte s'ouvrait sur la rue, au pied d'un arc monumental qui marquait primitivement la rencontre du cardo Nord et du decumanus ; cette dernière rue fut coupée plus tard par la construction du temple de Vénus Genetrix. Le sanctuaire de petites dimensions, a conservé ses élégantes colonnes de granit ; leur groupe harmonieux, encadré par la large baie qui donne accès à la cour du temple, forme un des tableaux les plus pittoresques de Djemila.
------Au Nord de la basilique, un escalier de quinze marches descend du Forum vers la Grande Rue ; au-dessous se dissimulent deux caveaux dont l'un a conservé sa voute d'arête en blocage : c'était la prison municipale.
---------Un peu plus loin, en descendant la rue, voici l'entrée du marché, monument dont l'état (le conservation est remarquable. Une colonnade en marbre gris du Filfila encadre une cour presque carrée ; sur les quatre côtés étaient distribués seize boutiques ; à l'entrée de chacune, une table de pierre massive, aux supports sculptés, servait d'étal. Une large dalle, placée sur le mur (le fond entre deux boutiques, porte le nom du donateur, L. Cosinius Primus ; elle est percée de dix trous où devaient être fixés des crochets pour suspendre les balances. Une table de mesures présente à côté (le la coudée, mesure de longueur, trois cavités destinées à mesurer le blé, l'orge et les liquides.
---------Une porte secondaire mène aux sous-sols du Capitole et à un établissement de bains. Dans ces Thermes, comme au marché, on voit combien le souci d'un décor artistique intervenait dans la construction des édifices utilitaires. La, salle de bains froids a conservé un reste (le peinture murale - des poissons rouges et verts -, (les colonnes cannelées et surtout (le beaux chapiteaux de pilastresoù l'acanthe épineuse est découpée avec une rare finesse.
---------Quelques grandes maisons, bâties clans ce quartier central pour les notables de la cité, s'intercalent entre les monuments publics. Dans ces riche demeures, les pièces étaient disposées autour d'une cour à péristyle ; (les fontaines et (les bassins y entretenaient la fraîcheur ; l'eau bienfaisante alimentait aussi les piscines (les salles (le bains. Les pièces (le réception, plus Bandes que les autres, étaient pavées de marbre et (le mosaïques aux couleurs chatoyante.
---------La plus vaste (le ces habitations, surnommée la maison d'Europe parce qu'une mosaïque représentant l'Enlèvement d'Europe y fut trouvée, donne sur la Grande rue, au Nord du marché. L'entrée monumentale, la façade en pierre de taille, le grand nombre (les pièces (une vingtaine), let" décoration luxueuse, tout indique la demeure d'un personnage important. Une autre maison possédait un salon d'été où l'eau de trois petites fontaines ruisselait sur le sol couvert d'une mosaïque à scènes marines ; dans la salle (le bains froids, une mosaïque divisée en nombreux médaillons ornés d'animaux ou de personnages humains représentait peut-être un jeu analogue au jeu de l'oie, mais dont le but était figuré par un âne accompagné des mots Asinus nica : " Ane, sois vainqueur ".
---------Dans une autre, le nom du propriétaire, Castorius, a été révélé par une inscription en mosaïque trouvée clans un couloir. Des habitations modestes se voient le long des rues secondaires ; leurs quatre ou cinq pièces prenaient jour sur une étroite courette ou sur nu simple corridor à ciel ouvert ; on a parfois trouvé en place une fenêtre, dalle depierre ajourée qui laissait passer une faible quantité d'air et (le lumière. La plupart de ces maisons ont une écurie pour loger un aile, animal précieux qui (le tout temps a du jouer un rôle essentiel dans l'économie du pays.

---------LE QUARTIER DU NOUVEAU FORUM
---------Une vaste esplanade à forte pente dessinant un quadrilatère irrégulier : tel est l'aspect du 1,01-uni des Sévères. A l'Ouest, au sommet de la pente, l'arc de triomphe dédié à l'empereur Caracalla et à ses parents se détache sur un fond de montagnes sombres. Au-dessus de l'arcade majestueuse, l'inscription dédicatoire est restée à sa place, surmontée des trois dés en pierre qui portaient jadis les statues de Caracalla, (le Septime Sévère et (le 1ulia Domna. De part et d'autre de l'arc se voient un petit temple, dont le perron a pu servir de tribune aux harangues, et les restes d'un château d'eau. Un peu en arrière s'ouvre une grande salle à abside : le marché aux vêtements.

---------Au Nord, une belle colonnade est le seul vestige des portiques qui régnaient sur les côtés Nord et Est de la place.
---------Au Sud, le temple Septimien domine de très haut le niveau du Forum : ses murs intacts à la patine dorée, ses robustes colonnes corinthiennes se dressent au-dessus d'une terrasse, bordée par d'autres colonnes, où l'on accède par un escalier de vingt-six marches. Une multitude de pigeons emplit (le ses roucoulements le sanctuaire où trônaient autrefois les statues colossales de Septime Sévère et (le Julia Domna, réduites aujourd'hui à quelques débris.
---------A côté de ce temple grandiose, une basilique judiciaire, construite vers la fin du IVè siècle, a remplacé un sanctuaire de Frugifer-Saturne, dieu de la végétation, dont le culte tint une place prépondérante clans la vie religieuse de l'Afrique romaine,pays essentiellement agricole.
---------Du nouveau Forum partent cinq rues . deux desservaient la vieille ville ; une troisième passait sous l'arc de Caracalla et se continuait sans doute vers l'Ouest par la route de Sétif ; une autre sort de la place au Sud-est pour mener au théâtre ; la plus large, qui prolongeait le cardo vers le Sud. conduit aux grands Thermes et au quartier chrétien

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Théâtre et une partie de la vieille ville
Théâtre et une partie de la vieille ville


---------Le Théâtre, un des plus complets de l'Afrique du Nord, pouvait contenir 3.000 spectateurs environ. Le demi-cercle des gradins, creusé dans la colline, se termine par un mur de couronnement qu'il a été possible de reconstituer presque entièrement. Le mur de fond de la scène subsiste en grande partie, avec les trois portes par où les acteurs faisaient leur entrée ; la murette qui soutenait la scène a conservé son élégante décoration : niches, colonnettes, corniche à feuilles d'acanthe.
---------De l'autre côté de la colline, les Grands Thermes couvrent une superficie de 2.600 mètres carrés. Ce monument, très bien conservé, est particulièrement intéressant par la clarté de son plan - palestre, vestiaires, étuves, salles de bains chauds et froids séparées par des pièces tempérées, se succèdent suivant une distribution parfaitement symétrique -, puis par la variété des procédés de construction qu'on y relève : murs où les pierres de taille sont associées aux briques et aux petits moellons, arcs en grand appareil supportant des voûtes en blocage, doubles parois des salles chauffées entre lesquelles circulait l'air chaud montant des hypocaustes. Les vestiges de la , décoration révèlent sa magnificence : les murs étaient revêtus de marbre, le sol couvert de mosaïques très soignées ; de nombreuses statues animaient les salles ; c'est de là que proviennent les plus beaux fragments de sculpture exhumés à Djemila.
---------Au nord du bâtiment s'étendait une vaste cour dallée ; privée de ses portiques ruinés, elle présente aujourd'hui l'aspect d'une terrasse d'où se découvre un admirable panorama des ruines et de la campagne environnante. En contrebas, une série de grandes citernes, alimentées par l'aqueduc municipal, emmagasinaient une réserve d'eau potable pour la ville basse.

---------LE QUARTIER CHRÉTIEN
---------Au delà d'un bâtiment consacré (au moins en partie) au culte de Bacchus, la grande rue aboutit à l'entrée du quartier où sont groupés les principaux édifices chrétiens. Une avenue bordée de colonnades monte vers le sommet de la colline, occupé par le baptistère et deux églises. La plus ancienne, construite sans doute au IV- siècle en même temps que le baptistère, présente le plan classique d'une basilique à trois nefs. La cathédrale, élevée au début du Vè siècle par l'évêque Cresconius (une inscription insérée dans la mosaïque du choeur nous l'apprend), est de proportions plus vastes (40 m. de long au lieu (le 35 et 28 in. de large au lieu de t,) et comprend cinq nefs. Dans les deux églises, l'existence d'une crypte a causé l'effondreraient de l'abside.Ces cryptes devaient renfermer des tombeaux de martyrs ; elles étaient reliées par un couloir vers lequel descendaient plusieurs escaliers, disposition qui facilitait les allées et venues des pélerins. Les colonnes des églises proviennent des temples démolis qui servirent de carrières, une fois les cultes païens proscrits.
---------Le monument le plus évocateur de la période chrétienne c'est le baptistère, construit sur plan circulaire; auquel une heureuse restauration a rendu sa coupole. Au centre, la cuve baptismale est surmontée d'un dais en pierre porté par quatre colonnes corinthiennes ; deux fontaines fournissaient l'eau nécessaire aux aspersions. Autour de la rotonde centrale, une galerie bordée de niches servait de vestiaire ; les cathécumènes assis dans les niches y attendaient leur tour d'être admis à l'immersion sacrée. Cette galerie s'interrompt à l'Ouest, devant la porte d'entrée, et à l'Est devant une grande niche qui abritait sans doute le siège de l'évêque ; de ce côté, deux portes menaient, l'une à l'église, l'autre à une chapelle utilisée peut-être pour la confirmation.
---------Toutes les mosaïques trouvées dans les ruines ont dit être transportées au musée pour éviter leur dégradation par les gelées d'hiver, sauf celles du baptistère protégées par la restauration -des voûtes. Sur le pavement parfaitement conservé qui entoure la cuve baptismale, on voit évoluer toute `.a faune de la Méditerranée autour de grands vases, symboles de l'Eucharistie ; au fond de la cuve, de petits poissons figurent les aspirants au baptême qui s'élancent vers le salut. 1)u baptistère dépendent des bains où les néophytes abandonnaient les souillures du corps avant de purifier leur âme.
---------En face de la cathédrale. un bâtiment comprenant (le nombreuses pièces et une chapelle était probablement la demeure de l'évêque ; des locaux voisins ont pu servir au logement des prêtres et des pélerins.
---------Sur les pentes Ouest et Nord de la colline s'étagent des maisons, de construction souvent médiocre, qui furent sans doute habitées jusqu'à une époque tardive. Quelques ateliers de forgerons, de bronziers, de potiers nous ont livré un matériel intéressant.
---------Un cimetière occupait la pente Est, comme en témoignent les tombes et les reste., de mausolées découverts de ce côté. Les nécropoles les plus anciennes s'étendaient plus à l'Est, au delà du ravin ; elles ont en grande partie disparu, emportées par les eaux de ruissellement.


---------Les fouilles de Djemila nous rendent le cadre de la vie d'une de ces petites cités provinciales où les Berbères s'adaptaient aux moeurs romaines. Ils y trouvaient les conditions d'une bonne hygiène grâce à la construction de nombreux établissements de bains, à l'aménagement d'une distribution d'eau potable et d'un réseau d'égouts. Ils pouvaient se procurer dans les marchés les denrées alimentaires et les vêtements qui leur étaient nécessaires. Es apprenaient â parler latin, ils prenaient l'habitude de se réunir au Forum, aux Thermes, ils se divertissaient aux représentations théâtrales, ils sacrifiaient aux dieux de Rome. Ils participaient à toutes les manifestations de cette vie municipale qui dans l'antiquité paraissait le symbole même de la civilisation. Ils mettaient leur point d'honneur à embellir leur ville , à y édifier des monuments somptueux, dignes de rivaliser avec ceux du chef-lieu de la province : ils y élevaient des statues, de marbre ou de bronze en hommage aux dieux et aux empereurs. La multiplication des agglomérations urbaines fut un des moyens essentiels employés par Rome pour assimiler les africains.

Y. ALLAIS
Directrice des fouilles de Djemila.