Alger, Algérie : documents algériens
Série culturelle : villes d'Algérie
Honaïn
4 pages - n°35 - 10 avril 1949

Enrichissant le précieux enseignement que nous fournissent Honain. son port, sa citadelle et ses remparts, cette dernière ruine confère à ce beau paysage de la côte algérienne un charme mélancolique. Elle évoque le souvenir d'une aventure héroïque et stérile.

mise sur site le 18-02 - 2005
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--------Sur la côte d'Oranie. à 52 kilomètres de la frontière marocaine, se creuse une baie, à laquelle des hauteurs escarpées donnent des allures de fjord. Une plage en occupe le fond et, derrière la plage, l'enceinte d'une ville se dessine, escaladant les pentes de la montagne. Cette ville, ou plutôt cette coquille de ville, vidée de son contenu, c'est Honaïn, dont le nom figure à maintes reprises chez les ,chroniqueurs et les géographes du moyen âge.

--------Nul centre antique ne parait l'avoir précédée. Elle sort de l'ombre au XIè siècle et fait d'abord figure de forteresse parmi celles qui jalonnaient le littoral et protégeaient la terre d'islam contre les attaques éventuelles des flottes chrétiennes. Simple tour de guet, sans doute, mais qui, ajoute le géographe El-Bekri. " domine un bon mouillage très fréquenté par les navires ". Au milieu du XIIè siècle, Idrisi, dans le livre qu'il composa pour son maître Roger 11, le roi normand de Sicile, la décrit comme une cité florissante, ceinte d'un solide rempart et dont les bazars sont le siège d'un commerce actif.

--------La région était entrée dans la grande histoire avec l'accession d'un de ses fils, Abd-el-Moûmin, au commandement des Almohades, avec la fondation de sa dynastie et grâce au rôle que ce chef d'empire attribua aux gens de sa tribu, les Koûmiya. Toutefois ce fut le XIIIè siècle qui vit Honaïn prendre son plein développement économique et qu lui conféra une valeur stratégique de premier plan, par le fait qu'elle devint le port de Tlemcen. capital des Abd-el-Wâdides.

--------Deux jours de navigation suftisaient pour se rendre au port d'Alméria, alors une des villes les plus riches d'Andalousie, fière de ses chantiers de construction navale et de ses ateliers d'industrie textile. Honain, où abordaient les voyageurs et où se débarquaient les précieuses cargaisons, était le point (le départ d'une des principales routes de pénétration africaine. Cette route Nord-Sud, passant par Tlemcen, gagnait le Tafilalet et aboutissait au Soudan, à ce fabuleux pays des Noirs, où les pacotilles d'outre-mer s'échangeaient contre les denrées les plus convoitées, l'or, les gommes odorantes et les beaux esclaves.

La possession d'llonain et (lu chemin qui, traversant les hauteurs, l'unissait à Tlemcen, bien qu'aucun travail d'art n'en marquât le tracé, présentait un intérêt aisément concevable. Les rois de Fez, dont l'annexion (le Tlemcen fut la constante préoccupation, avant même d'assiéger la capitale ennemie, occupaient la ville maritime par où les Tlemceniens pouvaient recevoir renfort., et ravitaillement. C'est même à l'un de ces sultans marocains, le puissant Abou'l-Flassan, que l'on est tenté d'attribuer tout ou partie des remparts et la mosquée dont un fragment du minaret signalait naguère l'emplacement.

--------La décadence de Tlemcen, capitale berbère, devait compromettre l'importance stratégique d'Honaïn. Elle gardait toutefois son rôle économique. Sa fortune trouva mème un aliment nouveau, quand la prise d'Oran par les Espagnols eut fait dériver vers son port la venue périodique (les bateaux vénitiens. Elle était fort accueillante aux marchands d'Europe. Au début du XVI' siècle, Léon l'Africain, dans le texte italien que nous avons conservé la déclare " assai gentile e adonne di civilita ". Il a encore vu les citadins s'activant au tissage de la toile de chanvre et de coton. Il y a visité des demeures plaisantes aux chambres décorées de faïence et dont une treille ombrage la cour.

-------C'étaient la les derniers beaux jours d'une vie paisible. Honain suivant la destinée qui entrainait toutes les cités maritimes de l'Algérie turque vers les profits rémunérateurs et méritoires de la piraterie. était devenue elle aussi un nid de corsaires barbaresques.

--------Cette nouvelle menace qui pesait sur le libre usage de la mer devait provoquer des réactions de l'Espagne. Deux attaques dirigées contre Alger en 1516 et en 1519 avaient échoué. Le Penon, le fort bâti sur un îlot devant la capitale de la Régence, avait capitulé en 1529. Les Espagnols furent plus heureux à Honaïn ; ils s'en emparaient par surprise en 1531, et l'archevêque de Tolède pouvait célébrer cette victoire de la chrétienté dans une lettre écrite à Charles Quint. La prise de la ville donnait (le l'air à la garnison d'Oran. Il en coûterait peu pour conserver cette conquête avantageuse. Il en coûtait encore trop. Le corps d'occupation, abandonné à lui-même, ne recevait ni solde ni secours. Les gens du pays ne voulaient rien vendre, et l'on ne trouvait pas une sardine à acheter. "bien qu'elle abondât dans le pays".En 1534, Honaïn fut évacuée et elle connut dès lors une longue décadence sans histoire.


Ruine de la Porte de la Mer

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--------Celle qu'elle avait vécue durant le moyen âge et jusqu'au début des temps modernes s'inscrit encore dans le site ennobli de ruines. Non loin (le la plage s'élève un plateau rocheux haut d'une trentaine (le mètres, que couronnent les robustes remparts de la citadelle. Une seule entrée coudée et voûtée donne accès dans l'enceinte (le cette casba. Une citerne aménagée dans le roc assurait l'alimentation (les défenseurs.

--------En avant du plateau. au pied (le l'escarpement se creuse le port. Son bassin rectangulaire, dont le périmètre est très reconnaissable avec les quais qui le bordaient, mesure environ 5o mètres sur 85. La mer, dont il est maintenant séparé par la plage, venait sans doute battre jadis les murs qui le protégeaient, à moins qu'un canal ne permit d'arriver aux navires, qui y entraient en passant, mâts dressés et voiles tendues, sous la grande arche de sa porte.

--------La terre a rempli le bassin, qui est devenu le jardinier du garde-forestier. Le carrés de salades verdissent entre les quais de béton où venaient, aux beaux jours, s'amarrer les felouques et les galères. Mais la Porte de la Mer dressait encore, il y a quelques années, un de ses pieds droits et l'amorce de sa haie. que brodaient des entrelacs de galons et un beau décor floral sculpté dans la pierre rose.

--------L'Afrique du Nord ne conserve, sauf erreur, que trois autres vestiges de ces ports fermés du moyen âge berbère : en Tunisie, celui de Mahdiya, dont l'arche d'entrée s'est effondrée dans le chenal ; en Algérie, celui de Bougie, dont on connaît la Porte dite Sarrazine ; au Maroc, celui de Salé, dont la porte encore intacte compte parmi les plus beaux monuments de l'architecture hispano-mauresque. Celui d'Honaïn est à peu près contemporain de ce dernier et ne devait pas lui être inférieur.

--------La ville, elle-même, s'étendait en arrière de cet élément vital que constituait le port. Les remparts de pisé se développent, assez bien conservés, avec leur chemin de ronde, flanqués de sept grosses tour, carrées sur le front de nier, escaladant en ligne droite la hauteur, qui, du rivage, s'élève vers le Sud, barrant le ravin qui se creuse à l'Ouest. Chacune des faces était percée d'une porte. Celle (le l'Est a gardé ses pieds droits décorés d'entrelacs et le départ de son arc (le briques. A l'intérieur de la place, dans ce qui fut la basse-ville, subsistent des ruines que l'on désigne avec vraisemblance comme titi hamniâm. Non loin (le là la Grande Mosquée du XIVè siècle a perdu le noyau du minaret qui en fut le dernier vestige.

--------A ces restes du passé berbère (le la cité s' ajoute un témoin éloquent de son occupation éphémère par les Espagnols. A proximité (le la face Ouest de l'enceinte, dont un large fossé creusé (le main d'homme la. sépare. s'élève la base d'une tour en pierre de taille et le départ de son escalier en colimaçon. Elle protégeait la place contre les attaques des montagnards, dont le sombre pays s'étage et occupe-le fond du tableau. Elle dit l'insécurité où vécurent pendant quatre années d'alerte, et de misère, les Chrétiens campés sur la terre hostile.

--------Enrichissant le précieux enseignement que nous fournissent Honain. son port, sa citadelle et ses remparts, cette dernière ruine confère à ce beau paysage de la côte algérienne un charme mélancolique. Elle évoque le souvenir d'une aventure héroïque et stérile.

Georges MARÇAIS.