Alger, Algérie : documents algériens
Série culturelle : archéologie
le tombeau de la Chrétienne
4 pages - n°64 - 25 juillet 1952

 
mise sur site le 3-04-2005
33 Ko /19 s
voir aussi : clic ici
retour
 

----------Entre Alger et Cherchell, près de Tipasa, à environ un kilomètre du rivage, sur une hauteur surplombant la Méditerranée, s'élève un curieux monument, communément connu sous le nom de Tombeau de la Chrétienne, traduction littérale du nom arabe : Kober Roumia. La hauteur de 291 mètres sur laquelle se dresse le Tombeau fait partie d'une petite chaîne de collines parallèle à la mer, qui sépare celle-ci de la plaine de la Mitidja ; si bien que le monument peut se voir de plusieurs kilomètres à la ronde.
----------C'est un immense cylindre à facettes de 61 mètres de diamètre et de 185 mètres de circonférence, coiffé d'un cône à gradins. L'ensemble à 35 mètres de haut. Lorsqu'il fut construit, le cylindre était orné de 60 colonnes engagées d'ordre ionique ancien à chapiteauxà palmettes et à bandeaux, et de 4 fausses portes de 6 m 20 de haut à moulures saillantes en forme de croix ; c'est peut-être de ces croix qu'est venu le nom indigène de Kober Roumia.
----------Le monument est posé sur un socle de pierre carré de 63 m 90 de côté que supporte un béton de petites pierres concassées avec, comme mortier, de la terre rouge recueillie sur les lieux.
----------La masse du monument est formée d'un amoncellement de moellons et de grossiers blocs de tuf recouverts de belles pierres de taille de grand appareil qui forment 33 degrés de 60 centimètres.
On a calculé que si le Tombeau était placé sur le place du Gouvernement à Alger, il en occuperait toute la largeur et s'y élèverait à une hauteur égale à celle de la colonne Vendôme à Paris.
----------Il est possible que la plate-forme du sommet ait porté primitivement une statue qui a disparu au cours des siècles et qui, d'après les proportions de l'ensemble, devait avoir une dizaine de mètres de haut.
----------Actuellement le Tombeau de la Chrétienne, quoique consolidé et partiellement relevé, est encore en mauvais état. Au cours des siècles, en effet, les plombs de scellement qui retenaient les éléments de revêtement de pierres de taille entre eux ont été arrachés par les soldats turcs qui en firent des balles. Les pierres, soumises aux dégradations atmosphériques jouèrent, faisant écrouler une grande partie de la base cylindrique qui entraîna l'affaissement des gradins. ----------De la base, il ne reste plus guère debout qu'une partie des colonnes et deux portes, dont une seule en bon état.
Si bien que l'aspect actuel du Tombeau de la Chrétienne, quoique conservant une incontestable majesté, surtout vu d'une certaine distance, ne rappelle plus que de loin ce qu'il dut être à l'origine.
----------Encore, faut-il rendre grâce au travail patient et méthodique de MM. CHRISTOPHE père et fils, architectes des monuments historiques, qui ont remis en place, autant qu'ils ont pu les retrouver, les éléments architecturaux écroulés.

************

----------Le Tombeau a été fouillé à plusieurs reprises, mais la première fouille scientifique eut lieu, en 1865 et fut effectuée par une mission française dirigée par Adrien BERBRUGGER, premier conservateur de la Bibliothèque nationale d'Alger et créateur du Musée des Antiquités.
----------Après plusieurs sondages, BERBRUGGER atteignit à l'intérieur de l'amoncellement de blocs, une longue galerie en spirale de 150 mètres de long, 2 mètres de large et 2 m 50 de haut, partant des soubassements de la fausse porte de l'Est.
----------On y pénètre actuellement par cette entrée unique à laquelle on accède par quelques marches. Cette entrée fermée par une dalle à glissière que BERBRUGGER trouva brisée. ----------Après un petit couloir très bas, on se trouve dans un caveau long de 5 m 29, large de 2 m 49, haut de 3 m 50, au fond duquel a été creusée, probablement à l'époque romaine, une excavation d'environ 7 mètres, sans doute avec l'espoir de trouver une issue secrète accédant directement au grand caveau central. A droite, s'ouvre une porte basse, sur le linteau de laquelle sont sculptés un lion et une lionne : les symboles du Juba II et de son épouse Cléopâtre Séléné, disent les partisans du Tombeau de Juba. Par cette porte, qui était également fermée d'une dalle, sept marches mènent à la galerie circulaire.
----------Celle-ci très bien conservée, pavée en losanges, à la façon des rues de Timgad par exemple, est pourvue tous les trois mètres de petites niches creusées en quart de sphères et destinées sans doute à contenir des lampes à huile, puisqu'on y remarque encore des traces de fumée.
----------La galerie a environ 150 mètres de long, est large de 2 mètres et haute de 2 m 40. Elle fait presque tout le tour du monument, mais, arrivée à hauteur de son point de départ, elle décrit un coude brusque, presque à angle droit, vers le centre.
----------Les caveaux auxquels elle aboutit sont fermés eux aussi par des portes-dalles qui s'ouvraient autrefois à volonté, comme dans les chapelles des tumuli égyptiens, mais qui semblent bien étroites pour avoir pu autrefois laisser passer des sarcophages. La première pièce a 4 mètres de long sur 1 m 50 de large ; on y a trouvé, au moment de l'ouverture, quelques petites perles en pierre rare et des morceaux de bijoux en pâte de verre. Après un couloir de 3 m 40, on arrive dans la seconde pièce de 4 mètres sur 3, avec une voûte en berceau, située juste dans l'axe du mausolée ; on y remarque trois niches destinées également à recevoir des lampes.
----------Berbrugger pensa que ces deux caveaux étaient les chambres sépulcrales où avaient dû être déposés les sarcophages.
----------Mais beaucoup de savants estiment, aujourd'hui, que ces chambres sont simplement des chapelles où les parents et les prêtres venaient, à certains jours anniversaires, procéder à des cérémonies religieuses, en l'honneur des défunts, probablement inhumés dans un caveau plus somptueux et plus vaste, ménagé sous le sol et dont l'issue secrète a échappé jusqu'ici, pensent-ils, à toutes les investigations.
----------L'avenir décidera peut-être qui a raison.
Il est généralement admis que ce Tombeau fut celui de Juba II. Rien ne permet cependant de l'affirmer ; il ne s'agit là que d'une déduction d'historiens, combattue par d'autres déductions d'historiens, notamment par Gsell qui pencherait plutôt pour Bocchus. Tout ce que l'on peut approximativement affirmer, c'est qu'il a été construit au premier siècle de l'ère chrétienne.

 

 

QUELQUES LÉGENDES.

----------La fille du Comte julien.
----------Evidemment, ce monument isolé, assez étrange, situé bien en vue près du littoral, a été signalé par de nombreux voyageurs. Certains l'avaient vu, d'autres en avaient entendu parler. Dans cette Afrique qui est le pays du merveilleux, il ne pouvait pas ne pas être l'objet de nombreuses légendes.
Une des plus anciennes, à notre connaissance, est celle que rapporte MARMOL dans sa Description générale de l'Afrique qui remonte à 1573.
----------Le Comte JULIEN, gouverneur de l'Andalousie au commencement du VIII"1p siècle, pour venger un attentat du Roi RODERIK contre la vertu de sa fille, la belle Florinde, livra aux Arabes le passage d'Afrique en Espagne, dans l'année 711.
----------Florinde, victime mais non complice du crime royal, fut pourtant et demeure flétrie jusqu'à nos jours de l'épithète de " Cava ", dérivé de l'arabe " Caaba " dont la signification n'est que trop connue.

----------Les Espagnols, ayant entendu les indigènes donner le nom de Kober Roumia ou monument qui nous intéresse, ont transformé cette appellation qu'ils ne comprenaient pas, en celle de "Cava " ou " Caaba Roumia ", et ils imaginèrent à son propos une histoire dont la belle Florinde était l'héroïne
méprisable ; ils donnèrent même au golfe qui s'étend sous le Tombeau le titre de " Bahia de la Mala Muyer ", " Baie de la Mauvaise Femme ".
----------Est-il utile de dire que cette histoire n'a aucun fondement historique puisqu'au premier siècle de l'ère chrétienne POMPONIUS MELA signalait déjà l'existence du Tombeau ?

----------Histoires de trésors.
----------L'Afrique, disions-nous plus haut, est la terre du merveilleux : les histoires de trésors cachés dans des ruines ne s'y comptent plus.
----------Les Constantinois, par exemple, connaissent de nombreuses traditions de richesses enfouies dans les grottes du Rhummel, dans les Jardins de Salluste, dans les cavernes des Bois de pins, que sais -Je !
----------Les habitants d'El-Goléa rapportent de même une tradition selon laquelle d'immenses trésors sont cachés sous les ruines du vieux Ksar de Taourirt.
----------Il en a été naturellement de même à propos du Tombeau.
----------Le " Kober Roumia ", disent les indigènes de la région, contient un trésor sur lequel veille la fée Halloula.
GSELL a recueilli une version de ce légendaire selon laquelle un berger du voisinage avait remarqué qu'une de ses vaches disparaissait toutes les nuits ; cependant, le lendemain matin il la retrouvait au milieu de son troupeau.
----------Un soir il l'épia, la suivit et la vit s'enfoncer dans le monument par une ouverture qui se referma aussitôt. Le jour suivant, il s'accrocha à la queue de sa bête au moment où celle-ci allait disparaître et put, ainsi, entrer avec elle. Il sortit à l'aube, toujours cramponné à sa vache mais avec tant d'or qu'il devint un des plus riches seigneurs du pays.
Autre légende de même inspiration : un Arabe de la Mitidja, tombé entre les mains des Chrétiens, avait été emmené en Europe et était devenu l'esclave d'un vieux savant espagnol fort expert en sorcellerie.
----------Un jour celui-ci lui rendit la liberté sous la condition qu'aussitôt revenu chez lui, il irait au Tombeau, y allumerait un feu, et, tourné vers l'Orient, y brûlerait un papier magique qu'il lui remit.
----------L'Algérien obéit. A peine le papier était-il consumé qu'il vit la muraille s'entrouvrir et livrer passage à une immense nuée de pièces d'or qui s'envolèrent dans la direction de l'Espagne où elles allèrent, sans aucun doute, rejoindre le sorcier.
----------Veut-on une recette magique pour bénéficier de cet inépuisable trésor ? Elle est tirée d'un vieux grimoire marocain :
----------" Endroit appelé Tombeau de la Chrétienne. Si tu t'y rends, tiens-toi debout à la tête du Tombeau faisant face au Sud ; puis regarde vers l'Est et tu verras deux pierres dressées comme un homme debout ; par une fouille, descends entre elles, et tu y rencontreras deux chaudrons après avoir immolé. "

*************

----------Naturellement, les maîtres de la Régence d'Alger ne manquèrent pas d'être impressionnés par des récits aussi merveilleux et alléchés par les magnifiques trésors qui devaient dormir sous cette montagne de pierres.
----------Au l6me siècle, le Pacha SALAH REIS fit canonner le Tombeau avec l'espoir de mettre au jour des caisses d'or et de pierreries. Mais les boulets de ses bombardes ne réussissent qu'à ouvrir une brèche large mais superficielle au-dessus de la fausse perte de l'Est.
----------SALAH RETS employa alors de nombreux esclaves chrétiens à faire une ouverture dans la muraille ; niais ses ouvriers furent mis en fuite, disent les narrateurs populaires, par des légions de gros frelons noirs ; probablement, interprète GSELL, s'agissait-il des moustiques qui pullulaient dans la région avant le dessèchement du lac Halloula.
----------Au XVIIIè siècle, un Dey employa des travailleurs marocains à de nouvelles fouilles, mais sans plus de succès. Ces fouilles-là, cependant, furent plus néfastes au monument que les bombardements de SALAH REIS, car les Marocains déchaussèrent les tenons de plomb qui liaient les blocs pour en faire des balles. Les blocs, n'étant plus scellés les uns aux autres, s'affaissèrent lentement et finirent par culbuter ; si bien que, depuis cette époque, le Tombeau s'est écroulé en partie.

**********

----------I1 y a certainement d'autres traditions merveilleuses relatives à cet énigmatique monument. Il serait souhaitable dans l'intérêt du folklore et même - sait-on jamais ? - de l'histoire, qu'elles fussent recueillies avant qu'il ne soit trop tard.