Alger, Algérie : documents algériens
Série économique : propriété foncière
Le régime de la propriété foncière en Algérie

12 pages - n°119 - 26 juin 1956

-La loi musulmane, qui ne repose pas sur un texte codifié mais sur le livre saint, le Koran, et sur la tradition orale, juridique ou scolastique, ne contient aucune réglementation cohérente de la propriété foncière : on en déduit seulement diverses prescriptions, éparses et parfois contradictoires

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--------Chacun s'accorde à constater que le régime de la propriété foncière en Algérie est complexe. Mais seuls les initiés ou les spécialistes mesurent exactement cette complexité et en connaissent les véritables causes. Car à l'idée de complexité on est souvent tenté d'associer celle de responsabilité de l'Administration. Le but de cet exposé n'est d'ailleurs pas de plaider la cause de cette dernière et de démontrer que tout ce qu'elle a fait dans ce domaine reléve de la perfection. Il appartiendra au lecteur de faire objectivement la part des choses et de distinguer, au cours d'une pareille étude, parmi les causes de cette complexité, celles qui ne sont Pas imputables à la fiance.
---------Parlant des nations civilisées, André Gide n'a-t-il pas déjà dit :"La propriété foncière est de date relativement récente dans l'histoire, et, même, elle a beaucoup de peine à se constituer " ? On a pu soutenir également que "mises à part les conquêtes, l'histoire de la propriété marque le degré de l'évolution historique d'un pays et d'un peuple ".
---------Ces grandes vérités étant ainsi rappelées, il devient possible d'annoncer le plân qui va être suivi et qui comprendra deux grandes parties :
---------situation foncière de l'Algérie avant l'occupation, ------------situation actuelle,
---------la première partie comportant un aperçu de la législation musulmane auquel s'attache non seule-ment un intérêt historique mais aussi un intérêt actuel, puisque de nombreuses terres se trouvent encore placées sous le statut musulman.

CHAPITRE 1

---------Aperçu de la Législation musulmane
---------La loi musulmane, qui ne repose pas sur un texte codifié mais sur le livre saint, le Koran, et sur la tradition orale, juridique ou scolastique, ne contient aucune réglementation cohérente de la propriété foncière : on en déduit seulement diverses prescriptions, éparses et parfois contradictoires
---------L'un des plus célèbres commentateurs, Sidi Khalil, résume ces règles ainsi qu'il suit :
---------Les territoires des pays conquis deviennent ouakf ou habous, c'est-à-dire qu'il sont immobilisés. (Trad de Perron, tome II, p. 269).
---------Dans le cas de capitulation, les habitants sont maintenus en possession, sauf paiement du tribut ; ils peuvent vendre et disposer (Perron, tome p. 293 à 295).
---------Les terres qui n'ont subi de la part de personne le fait d'appropriation, sont terres mortes ; elles n'appartiennent à personne et sont acquises au premier occupant par leur vivification ou mise en valeur (Perron, tome V, p. 3 et suivantes).
---------La vivification entraine le droit de jouir d'une surface adjacente qui se prolonge jusqu'à une distante égale à celle que pourrait atteindre, par exemple, un bûcheron ou un pâtre qui, partant au point du jour, iraient l'un faire du bois, l'autre faire paître un ttpupeau et qui ayant rempli leur tâche, rentre-raient au pays avant le coucher du soleil.
---------La propriété s'établit encore au moyen de concessions faites par le Souverain. Mais les terres productives, dans les pays conquis de vive force, ne doivent être concédées qu'à titre d'usufruit par la raison que la conquête les immobilise immédiatement au profit de la communauté musulmane.
---------Pour vivifier une terre rapprochée d'autres terres déjà utilisées, on doit au préalable en obtenir l'autorisation du Souverain. Faute d'autorisation, l'occupant peut être expulsé par le Souverain.
---------Quant aux terres éloignées des terres habitées ou cultivées, elles peuvent être vivifiées sans aucune autorisation.
---------La propriété constituée peut être acquise par prescription en justifiant d'une possession exclusive de dix ans vis-à-vis d'un étranger et de quarante vis-à-vis d'un parent, allié ou associé.
---------Elle peut être transmise par vente, donation ou succession.
---------Elle peut être aussi immobilisée, autrement dit constituée habous dans une intention pieuse et désintéressée.
---------Le habous consiste à donner l'usufruit d'une chose, pour une durée égale à celle de la chose, (Perron, tome V, p. 24 et suivantes).
---------Les immeubles constitués habous sont inaliénables et imprescriptibles.
---------Le fondateur peut se réserver le droit d'en percevoir les fruits pour en faire la répartition entre les ayants droit.
---------Peu à peu, à la faveur de cette dernière disposition, le habous a été detourr.é de sa destination première et employé pour déroger au droit successoral institué par le Prophète.
---------D'après le Coran, les femmes sont héritières : or, les constitutions des habous. telles qu'elles sont pratiquées depuis longtemps, les excluent d'habitude de la succession en stipulant que l'usufruit des biens habousés appartiendra d'abord au fondateur, puis à sa postérité de mile en mile, à l'exclusion des filles.
---------Le droit de Chefaà, comme le habous, a pesé d'une influence cons. lérable sur la proprio é ; ce droit permet à tout indivisaire de contraindre un acquéreur étranger de lui rétrocéder, moyennant le remboursement du prix, la part qui lui a été vendue.
---------Le droit de chefaà doit être exercé dans un délai fort court, spécialement dans le cas où Pacquéreur met le copropriétaire en demeure de se prononcer immédiatement apres se contrat. Mais, le retrayant est à l'abri de toute déchéance et i1 peut faire valoir son droit à toute époque s'il était absent au moment de la vente ou s'il n'en a pas eu connaissance ; circonstance aggravante, dans le cas de contestation, s'il nie avoir eu connaissance de la vente, il est cru sur parole à la condition de prêter serment.
---------Enfin, parmi les contrats qui peuvent grever la propriété, sont la rahnia et la tsenia.
---------La rahnia est l'équivalent de l'antichrèse ; la tsenia correspondrait à la vente à réméré. N'étant soumises à aucune formalité de publicité, elles constituent des charges occultes. Au surplus, contraire-ment à ce qui se passe dans notre droit français, ce sont des contrats à durée illimitée.
---------Il convient d'ajouter que toute convention peut être prouvée par témoins, quelle que soit la valeur sur laquelle elle porte et quel que soit le bien, meuble ou immeuble, qu'elle ait pour objet.
---------Comme on le voit, la législation musulmane ne prévoit aucune précaution pour prémunir les tiers contre la fraude ; elle favorise l'immobilisation par le habous et l'indivision par la chefaà.

---------2. - Etat de la propriété en Algérie au montent de la conquête.
---------La situation de fait de la propriété algérienne au moment de la conquête française avait pour origine les Kanouns kabyles, le droit musulman tel qu'on l'a vu au paragraphe précédent, les coutumes variées provenant du mélange des lois musulmanes et des Kanouns kabyles, et les errements établis par le gouvernement turc.
---------Les diverses tribus qui constituaient des unités sociales et ethniques indépendantes n'étaient pas placées sous un régime identique ; elles pouvaient être divisées en quatre catégories, selon :
---------1)- quelles étaient établies en terrain beylik ou de l'Etat
---------2)- qu'elles étaient installées sur des territoires Maghzen ;
---------3) - qu'elles possédaient des territoires melk ;
---------4)- ou qu'elles occupaient des territoires arch ou sabega.
---------1/ - Territoires beylik.
---------Le gouvernement turc était propriétaire de vastes territoires, désignés dans le département de Cons-tantine sous le nom d'Azel, dont il disposait au mieux de ses intérêts : tantôt il percevait directement le revenu sous forme de fermage, tantôt il en faisait l'attribution à titre d'apanage à un prince, à un fonctionnaire ou même à un service public.
---------Les indigènes qui les occupaient étaient de simples métayers ; ils payaient un fermage (hokor), plus l'impôt , en outre, ils devaient un certain nombre de corvées et de prestations plus ou moins facultatives.
---------Le beylik avait, en outre, la disposition des terres mortes tant qu'elles n'étaient l'objet d'aucune vivification ; les bois et forêts lui appartenaient à titre privé ; il était maître également des mines et des carrières.
---------2/- Territoire. Maghzen.
---------Les forces militaires dont disposaient les Turcs pour maintenir le pays sous leur domination étaient peu nombreuses ; pour y suppléer, ils avaient constitué des colonies militaires désignées sous le nom de Maghzen. ---------Profitant des désordres régnant dans le pays, les favorisant même parfois pour les besoins de leur politique, ils s'emparaient du territoire des tribus rebelles ou qui refusaient de payer l'impôt, le confisquaient et l'attribuaient aux gens du Maghzen.
---------Un traité intervenait alors entre le représentant du gouvernement et les familles indigènes admises a entrer dans le Maghzen_ Chaque chef de famille recevait un lot de terre, des instruments de travail, des armes et un cheval. En échange, il s'engageait à fournir, à toute réquisition, un service militaire, organisé sous les ordres d'un caïd, consistant à assurer tant la répression des mouvements insurrectionnels que la perception des impôts.
---------Des tribus furent ainsi constituées dans toute l'Algérie, sur les points stratégiques les mieux choisis.
---------Les concessions territoriales faites aux gens du Maghzen, outre qu'elles étaient toujours résiliables, au gré du gouvernement, pour défaut d'exécution des conditions imposées, n'attribuaient pas à leurs bénéficiaires des droits partout uniformes : dans quelques tribus, les indigènes pouvaient disposer des terres reçues connue de leurs biens propres, les aliéner, les partager ; dans d'autres, au contraire, et c'était la généralité, ils étaient placés dans l'état de simples possesseurs, ne pouvant ni céder leur droit de jouissance à un étranger, ni les transmettre par décès â d'autres que leurs descendants mâles.
---------En un mot dans les tribus Maghzen, la possession du sol était essentiellement précaire.

---------3/ - Territoires melk.
---------Les terres melk appartenaient aux occupants en pl ne propree dans les conditions déterminées par la loi musulmane.
---------Elles étaient libres, aliénables à la volonté du possesseur, soumises au droit commun, donnant à ce-lui qui en est le propriétaire le droit d'en disposer et d'en jouir de la manière la plus absolue. Elles étaient fréquemment possédées à l'état d'indivision par une nombreuse famille, surtout dans les pays arabes, car en Kabylie, au contraire, le goùt de la possession privative va jusqu'à se manifester dans le partage, branche par branche, d'un seul arbre.
---------Par suite de l'état de guerre presque permanent qui existait dans les tribus et des difficultés que rencontrait leur conservation, les titres qui constataient la propriété de ces terres étaient peu nombreux. Dressés par des écrivains sans caractère officiel et toujours suspects de falsification, ils n'offraient aucune garantie ; en outre, faute d'indications précises, ils ne pouvaient être appliqués sur les lieux qu'avec la plus large tolérance.
---------D'ailleurs, que la propriété melk reposât sur un titre écrit ou sur la simple possession, ce qui était le cas le plus général, sa consistance était toujours mal définie.
---------Nota. - Il sera parlé à nouveau des caractéristiques des terres melk dans le chapitre II qui traite de la situation actuelle des terres.

---------4/ - Territoires arch ou sabega.
---------On a défini comme suite cette tenure particulière :
---------Le fonds (du bien arch ou sabega) était réputé appartenir au souverain qui en abandonnait la jouissance à la tribu. Celle-ci usait de cette jouissance comme elle l'entendait, mais sans pouvoir aliéner le
fonds. Chaque tribu était libre d'adopter un mode de jouissance particulier, suivant les besoins ou les nécessités de la communauté. Toutefois, la règle à peu près générale était que tout membre de la tribu avait droit à la jouissance des superficies qu'il était à même de mettre en valeur. Le premier occupant conservait cette jouissance de la terre, tant qu'il pouvait continuer à la vivifier, et il la transmettait dans les mêmes conditions à ses héritiers màles en ligne directe. Cette transmission s'opérait même parfois en ligne collatérale à défaut d'héritiers directs (Vignard, Conseil Supérieur, séance du 5 décembre 1882).
---------Nota. - Comme les terres melk, les terres arch et sabega réapparaîtront dans le chapitre II, pour le même motif.
---------Il y avait donc en Algérie, avant 1830, deux genres de propriété : d'un côté, le melk, bien possédé à titre privatif, régi par les statuts de la loi musulmane, de l'autre le blad el arch, la terre de tribu, bien impersonnel, possédé par des communautés et régi par les us et coutumes locaux, résultant de nécessités locales.
---------A cette nomenclature, il convient d'ajouter les terres du Sahara où tout système foncier n'est que fonction du régime des eaux.
---------Tel était, exposé aussi succinctement que possible l'état de la propriété en Algérie avant la conquète. Il est caractérisé par l'insécurité résultant des charges occultes (habens, rahnias et tsenias), par le dé-faut de toute précision dans la consistance des biens ruraux, par l'indivision des terres melk, par l'indécision des droits des détenteurs des terres maghzen, arch ou sabega, en un mot, par l'absence des éléments essentiels à la propriété et nécessaires à tout progrès.

CHAPITRE II

---------Situation juridique actuelle des terres
---------Avant de passer à l'examen de la situation actuelle des terres, il conviendrait d'évoquer et de suivre pas à pas depuis l'origine de notre installation, l'évolution et la transformation de l'état juridique de la propriété. C'est ce qu'on a coutume d'appeler l'histoire foncière de l'Algérie et qui consiste à analyser les différentes mesures intervenues tant dans le domaine réglementaire que législatif de 1830 à nos jours. Outre que cette analyse ne manque pas d'être longue et fastidieuse, il n'apparaît pas qu'elle soit vraiment nécessaire pour les besoins de cet exposé.
---------Trois textes revêtent une importance particulière :
---------- la loi du 16 juin 1851 qui a défini les domaines public et privé de l'Etat, des départements et des communes ;
---------- le sénatus-consulte du 22 avril 1863 qui a déclaré les tribus propriétaires des territoires dont elles avaient la jouissance permanente et traditionnelle à quelque titre que ce soit (terres arch) et prescrit la délimitation de leurs territoires, leur répartition entre les différents douars de chaque tribu, la détermination des biens communaux et la reconnaissance des biens domaniaux, puis l'établissement de la propriété individuelle ;
---------- la loi du 26 juillet 1873 dont le but peut être ainsi précisé :
---------mettre la propriété indigène sous le régime de la loi française, reconnaître et constater les droits individuels dans les territoires melk,
---------constituer la propriété individuelle dans les territoires collectifs,
---------dans l'un comme dans l'autre cas, délivrer aux ayants droit des titres formant le point de départ de la propriété.

---------Avec cette loi est née la théorie de la francisation selon laquelle toute terre francisée passe définitivement sous le statut réel français alors que jusqu'à 1873 elle pouvait retomber sous le statut musulman.
---------Précisons encore que la francisation de la terre reste sans effet sur le statut personnel du propriétaire lorsque celui-ci est musulman. Ce dernier conserve donc son statut personnel qui, on le sait, gouverne notamment l'état des personnes, la loi successorale, le régime matrimonial, etc...
---------D'autres textes seraient encore à connaître, en particulier les lois des 16 février 1897, 4 août 1926 et 16 juin 1951. Toutes trois encore partiellement ou totalement en vigueur. Leur étude n'est toutefois pas indispensable ( Il suffit de savoir que ces lois, du moins les deux premières, Instituent des processus d'enquête partielle et d'ensemble qui se sont substituées à celles de la loi de 1873 qui à l'expérience avaient révélé de nombreuses imperfections.) pour la compréhension de la nomenclature des terres actuelles qui va être maintenant donnée ci-après :
---------1. - TERRES DOMANIALES
---------II. - TERRES COMMUNALES
---------III. - TERRES DE PROPRIETE PRIVEE
---------Celles-ci se subdivisent en :
---------a) terres francisées
---------b) terres non francisées. (Terres soumises au statut mixte et terre melk).
---------IV - TERRES ARCH OU SABEGA

 

1. - LE DOMAINE DE L'ETAT dont la composition est indiquée par l'article 4 de la loi du 16 1951 ( Modifiée et complétée par l'ordonnance du 13 avril 1943) comprend :
- les biens que le Code Civil attribue, en France, à l'Etat,
- les biens provenant du Beylick,
- les biens sequestrés,
- les bois et forêts.
---------Les biens domaniaux peuvent être aliénés - concédés - donnés à bail ou affectés à des services publics.
---------Les baux peuvent être, suivant le cas, passés par le Préfet assisté du tribunal administratif -- par le Gouverneur Géneral - au par décret.

2- LE DOMAINE COMMUNAL comprend, en dehors des bâtiments affectés aux services, les biens déclarés biens communaux par la législation de France, ainsi que les dotations prélevées sur le domaine de l'Etat, qui leur sont faites gratuitement ou à prix réduit.
---------Un domaine très important est celui qui, à la suite des opérations du sénatus-consulte, a été attribué aux douars considérés par la législation algérienne comme des sections de commune ayant leur personnalité morale. Ces biens - constitués pour la très grande partie, par des terres de parcours - ne peuvent être aliénés que par les djemaas et sauf autorisations accordées par le Gouverneur Général ou par décret suivant la valeur de l'immeuble déterminée par exertise.
---------Ils peuvent également faire l'objet de locations.
---------Pratiquement la durée de ces locations n'excède pas 18 ans. Les baux les plus courants sont ceux d'une durée de 3, 6 ou 9 ans. Dans les douars où les communes sont d'une étendue restreinte, l'administration recourt fréquemment à la location de gré à gré pour éviter de favoriser les fellahs les plus fortunés.

III. - LES TERRES DE PROPRIETE PRIVEE, comprennent depuis la loi du 26 juillet 1873 deux grandes subdivisions : les terres francisées et les terres non francisées :
---------A) Les immeubles francisés sont sauf quelques réserves soumis à toutes les prescriptions de la loi française et les litiges auxquels ils peuvent donner lieu sont tranchés par les tribunaux français. Peu importe ic statut du propriétaire, français ou musulman. Le caractère de terre francisée est indélébile. Contrairement à ce qu'avait décidé le législateur du 16 juin 1851, ce caractère subsiste, quand bien même la terre passe des mains d'un propriétaire français dans celles d'un acquéreur resté soumis au statut musulman.
---------Mais parmi les terres francisées, une distinction est encore à faire.
---------Les unes, en effet, sont francisées et purgées ; les autres simplement francisées, rendant par suite possible le conflit entre la législation française, et la législation musulmane qui ignore le système de publicité des contrats en sorte que les droits antérieurs au titre continuent de subsister, sans autres conditions que celles exigées par la loi musulmane. Cette survivance est d'ailleurs plus théorique que pratique et on ne doit pas sen exagérer l'importance qui va en diminuant avec l'effet du temps. Une terre -- et elles sont nombreuses - acquise en totalité par la voie notariale est, au bout d'un certain nombre
années à l'abri de toute revendication basée sur un droit antérieur à sa francisation. Il est exact toutefois que des spéculateurs ou des ayants droit de bonne fois, conservent la possibilité de faire valoir de tels droits.
---------a) Les terres francisées et purgées sont
------------------1 - Les terres qui ont fait l'objet de titres délivrés en exécution de l'ordonnance de 1846 et par voie de conséquence, les terres situées dans les localités que l'article 1er de cette ordonnance dispense des mesures de vérification qu'elle ordonne ;
------------------2° - Les terres qui ont fait l'objet de titres délivrés en exécution des opérations de cantonnement ;
------------------3 - Les terres pour lesquelles existent des titres délivrés en exécution de la troisième opération du sénatus-consulte de 1863 (constitution de la propriété individuelle).
---------Ces trois catégories de terres ne sont données que pour mémoire car d'une part elles ne peuvent exister que sur des points bien déterminés du territoire de l'Algérie du Nord. D'autre part leur francisation appelle une réserve importante : elle n'est devenue définitive qu'après la loi de 1873 et à la condition qu'entre temps, la terre ne soit pas retombée sous le statut réel musulman.
------------------4- Les terres qui ont fait l'objet des procédures d'ensemble ou partielles orkanisécs pur les lois de 1873, 1897 et 1926.
---------Ce sont, de beaucoup, les plus importantes. Une carte foncière éditée en 1952 fait apparaître sous une teinte violette tous les douars qui ont été soumis aux enquêtes de la loi de 1873 et par une teinte verte ceux auxquels a été appliquée la loi de 1926.
---------Les enquêtes partielles qui n'embrassent pas l'ensemble d'un territoire n'ont pu évidemment y être représentées. Il existe toutefois un fichier des douars qui renseigne exactement sur le nombre d'enquêtes partielles ouvertes dans chacun d'eux et le pourcentage de leurs terres ainsi francisées par rapport aux superficies totales.
---------Ces pourcentages pourront être représentés par un quadrillage plus ou moins serré dans une prochaine édition de ladite carte.
---------Toutes ces terres sont à la fois francisées et purgées en ce sons que tous les droits réels antérieurs aux titres qui n'ont pas été révélés au cours de la procédure sont abolis alors que ceux qui ont été divulgués sont désormais soumis aux mêmes règles que les droits réels admis par la législation française.

---------b) Les terres francisées mais non purgées sont :
------------------1. - Les terres dont la propriété est établie par un acte administratif ou notarié à compter du jour où la loi de 1873 est devenue obligatoire, si l'acte est antérieur à la loi, et à partir du jour même de l'acte, si ce dernier est postérieur à la loi ;
------------------2. Les terres dont la propriété est établie par un jugement rendu, en matière française seulement, par les juridictions françaises.

---------B) Les terres de propriété privée soumises au statut mixte établi par la loi de 1851. Entre européens ou entre européens ou musulmans on suivait le code civil. Entre musulmans on appliquait le droit musulman. La terre pouvait ainsi passer successivement du statut français sous le statut musulman lors-qu'achetée à un musulman par un européen elle était ensuite aliénée par celui-ci à un musulman. Il s'agit là d'une catégorie bien particulière qui a cessé d'exister pour le Tell à partir de la loi de 1873 et pour les Territoires du Sud à compter du statut de l'Algérie.
---------Pour le Tell, le statut mixte ne peut intervenir encore que dans l'histoire d'une terre. Il se peut, en effet, que dans un procès des experts soient amenés à remonter très loin dans la filière des propriétaires et à rencontrer une situation juridique relevant du statut mixte pour la période antérieure à la loi de 1873. Dans les Territoires du Sud, les mêmes constatations sont possibles pour la période antérieure au statut de l'Algérie.
---------On voit donc que ce statut mixte ne peut plus jouer actuellement -- hormis tes incidences - . et n'a plus qu'un caractère historique.

---------C) La terre melk est la terre qui appartient à ses occupants, en pleine propriété, dans les conditions déterminées par la loi musulmane (voir définition donnée précédemment).

---------Les caractéristiques de cette forme de tenure ne se sont guère modifiées : identification physique et juridique toujours aussi imprécises avec une aggravation de l'indivision en pays arabe et du morcellement en Kabylie par suite de l'augmentation de la population.
---------On sait que l'indivision tient à plusieurs causes :à la loi successorale musulmane qui appelle un nombre considérable d'héritiers, à la constitution de la famille musulmane qui professe un grand respect pour l'autorité patriarcale de son chef, enfin aux dispositions des populations qui, en pratiquant une vie commune, peuvent se suffire plus aisément.
---------Cette situation est une des causes essentielles du sous-développement des terres melk. Elle n'est d'ailleurs pas spéciale à l'Algérie. On la retrouve au Maroc, en Tunisie et même en Afrique Noire. On peut dire que d'une façon générale les moyens imaginés pour la combattre, les uns visant à rompre complôtement l'indivision, les autres à la diminuer, n'ont pas abouti à des résultats bien appréciables. La rupture totale de l'indivision risque en effet d'aboutir à une pulvérisation du sol alors que son main-tien paralyse l'action des co-indivisaires. Entre ces solutions extrêmes, il y a une solution moyenne : le partage par famille ou par feu, préconisé par la loi de 1926 et pratiqué par les populations sous forme de partages provisionnels ou de jouissance. Un régime foncier de pays évolué ne saurait évidemment s'accommoder de tels partages. Or, les procédures d'enquête instituées par nos lois foncières et qui ont pour effet de franciser les terres melk n'apportent à cette situation qu'un remède temporaire. Clarifiée, souvent simplifiée par la purge attachée auxdites procédures, l'indivision ne tarde pas à renaître au bout d'un certain nombre d'années. On a môme prétendu qu'elle se trouvait aggravée par la francisation qui opère, par les titres de propriété, une manière de cristallisation des quote-parts révélées. Aussi le législateur a-t-il prévu la possibilité de soumettre à de nouvelles enquêtes, les terres anciennement francisées, pensant sans doute, que la seule solution au problème ne pourrait se trouver que dans des me-sures de révision et de purge périodiques.

IV. - TERRES ARCH OU SABEGA. -
---------Ce sont les terres dévolues aux tribus, en vertu du principe posé par le sénatus-consulte de 1863 suivant lequel ces collectivités étaient déclarées propriétaires incontestables des terres dont elles avaient la jouissance permanente et traditionnelle.
---------La tribu - ou plutôt le douar - en possède le domaine éminent ; les membres de la tribu en exercent l'usufruit, usufruit spécial qui peut conduire à l'appropriation privée en tenant compte des caractéristiques spéciales de la terre arch qui se résument ainsi :
---------1. - Inaliénabilité ;
---------2. - Obligation de vivifier le sol pour en conserver la jouissance ;
---------3. - Transmission de la terre de mâle à mâle en ligne directe ;
---------4. Interdiction de tout contrat impliquant le titre de propriétaire ;
---------5. - Compétence exclusive de l'autorité administrative dans le règlement des litiges portant sur cette catégorie de terres ;
---------6. - Indivision rare ou très réduite du fait du mode de dévolution.
---------La terre arch ne peut devenir propriété privée qu'à la suite d'une enquête partielle requise par son occupant ou par un acquéreur européen ou musulman, l'acquisition ne pouvant avoir lieu que sous condition suspensive.
---------Le titre de propriété délivré en suite de cette procédure francise et. forme le point de départ de la propriété.
---------L'administration peut également, lorsque un intérêt supérieur le justifie, procéder, en territoire collectif à des enquêtes d'ensemble aboutissant à la délivrance de titres de propriété de force identique à ceux délivrés en suite de procédures partielles.

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---------Les terres de l'Algérie du Nord (21 millions d'hectares en chiffres ronds) se répartissent en gros, de la façon suivante:
---------REPARTITION DE LA PROPRIETE FONCIERE EN ALGERIE à la date du 6-12-1954
Terres francisées : 4.969.102 ha

Terres melk non encore francisées : 4.406.356 ha
Terres arch non encore francisées : 2.071.582 ha
Domaine de l'État : 4.694.214
Communaux : 4.179.050
Domaine public 539.315 "
Total 20.859.619 ha

---------Il est possible d'indiquer en outre ci-après avec toutefois une approximation plus large, les sous- répartitions

ETAT
5.190.000 ha
domaine public : 539.315 ha
   
domaine privé : 4.694.214 ha
domaine ord.: 2.414.000 ha
bois et forêts 1.540.000
maquis
et broussailles 740.000
5.233.529 ha
domaine forestier : 2.280.000 ha
Communaux
4.179.050
Parcours
2.879.050
 
Forestiers : 1.300.000
bois et forêts : 250.000
maquis et broussailles 1.050.000
Propriété privée:
11.447.040 ha
Propriété européenne
2.247.040
 
Propriété musulmane
9.200.000
francisées 2.930.000
melk 4.000.356
areh 2.070.000

---------Tels sont les chiffres auxquels les travaux de délimitation du sénatus-consulte du 22 avril 1863 d'une part, les travaux d'enquête partielle ou d'ensemble d'autre part, effectués entièrement sous la conduite de l'administration en exécution des lois de 1873, 1897 et 1926. ont permis d'aboutir. Ces statistiques s'appuient exclusivement sur des données qui ont pu être contrôlées.
---------Pour être complet, il y aurait lieu d'y faire entrer en outre en ligne de compte d'autres données malheureusement à peu près in-contrôlables. Ce sont les terres d'origine melk dont la francisation ne résulte pas d'une enquête et qui sont passées, néanmoins, sous le statut réel français par l'effet d'un jugement ou d'un acte: notarié. Leurs superficies doivent normalement s'ajouter à celles des terres francisées et venir en diminution des terres melk.
---------II n'empêche que, si l'oeuvre accomplie est immense, la tache restant à réaliser demeure importante. Au surplus dans bien des régions les travaux initiaux ont beaucoup perdu de leur précision et il ne se-rait pas inutile de les réviser : avec l'effet du temps, les bornes ont disparu, les titres se sont égarés, les occupants se sont multipliés suivant une vraie progression arithmétique et n'ont pu échapper à la force des habitudes ancestrales. Perdant de vue les obligations résultant pour eux de la francisation ils ont laissé périmer leurs droits ou bien ont passé des acte: sans en respecter les formes. Des situations voisines de l'anarchie initiale se sont ainsi recréées.
---------Voilà bien un domaine où inc action tutélaire aurait à s'exercer utilement : éclairer le fellah sur ses droits et ses obligations, le mettre en garde contre ses négligences ou ses manquernents à la loi, lui apprendre que lorslue sa terre a été francisée elle échappe à la coutume d'ailleurs plus ou moins mal définie pour être soumise aux exigences du code civil, lui apprendre enfin ces notions élémentaires que sa domiciliation, son état civil, conditionnent la reconnaissance ou l'exercice de ses droits, l'identification de la propriété restant subordonnée à celle de la personne.

Michel COCHET, Administrateur Civil, Chef du Service Central de la Topographie et de l'organisation foncière".


---------NOTA. - En se plaçant au point de vue, non pas du caractère ???????? mais de l'utilisation du sol, on peut, grosso modo, admettre que la ré partition des ??????? suivante
(en culture 4.000.000
(en repos 2.500.000
soit 6.500.000
---------Terres non cultivées
(privées, forêts, maquis) 8.400.000
---------Terres improductives
(friches, parcours, ruchers, terres inutilisables) 4.000.000
---------Terrains urbains et industriels 2.000.000

---------
La proportion dus terres consacrées aux cultures représenterait environ le 1/3 de la surface de l'Algérie du Nord ; 2/5 seraient le lot du parcours. Le reste (1/4) représenterait la propriété de l'Etat (domaniaux ordinaires et forestiers).