Alger, Algérie : documents algériens
Série économique : apiculture
Modernisation de l'apiculture algérienne

9 pages - n°127 - 28 octobre 1958

Dans les conjonctures économiques actuelles, où l'accroissement de la productivité fait l'objet d'une recherche constante, la nécessité de développer rapidement la production apicole du pays ne pouvait échapper à l'attention de l'Administration.

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----------L'apiculture algérienne est pratiquée dans de nombreuses et vastes régions où la flore mellifère est abondante et variée. Toutefois, en raison d'une exploitation insuffisante et routinière, elle n'arrive pas à satisfaire les besoins locaux ; aussi, la nécessité d'étendre, d'améliorer et de moderniser les mé­thodes apicoles a-t-elle conduit l'Administration à prendre l'initiative de procéder aux améliorations les plus urgentes suivant un programme dont les causes déterminantes et les buts essentiels font l'objet de cet exposé.

POSSIBILITES APICOLES DU PAYS

----------Les trois départements algériens sont incontestablement riches de possibilités apicoles. L'abeille d'Algérie, très proche de l'abeille noire d'Europe, est robuste et bien acclimatée. Elle dispose d'une abondante flore mellifère, subspontanée et cultivée. A l'exception des régions désertiques des Hauts-Plateaux et du Sud, l'apiculture est, en Algérie, largement pratiquée dans les régions montagneuses à population dense (Kabylie, Aurès), dans les plaines littorales (Mitidja), dans les plaines intérieu­res (Mascara), dans les vallées des grands oueds (Soummam).

----------Parmi les très nombreuses espèces végétales qui forment la flore spontanée algérienne, certai­nes se rencontrent en peuplements importants. Ce sont, en montagne, la bruyère rose (Erica muni-fiera L.), l'arbousier (Arbustus unedo L.), la lavande (Lavandula stoechas L.), le romarin (Rosmarinus officinalis L.), de nombreuses variétés de thym, de cistes, d'asphodèles, l'astragale (Astragalas monspessulanus L.), l'euphorbe (Euphorbia nicæensis ALL), la marrube vulgaire (Marrubium vulgare L.), ces deux dernières plus particulières au massif de l'Aurès, le Thuya (Callitris articulata), l'inule visqueuse (Inula viscosa Ait), etc...

----------Dans les régions prémontagneuses de Grande et Petite Kabylie, deux variétés de sainfoin (He­dysarum flexuosum L. et H. coronatum L.) couvrent de grandes superficies.

----------Dans les terres argileuses des Sahels et des vallées montagneuses, les ombellifères du genre Daucus, constituent des peuplements importants.

----------Dans les plaines fleurissent l'oxalis (Oxalis cernua Th.), les ravenelles (Sinapis, Diplotaxis, Si­symbrium, Rapistrum, Raphanus, etc...), la bourrache (Borrago officinalis), les vipérines (Echium sp.), les mélilots, les chardons (Onopordon, Silybum), les centaurées, etc...

----------La flore subspontanée est principalement représentée par l'eucalyptus importé d'Australie en 1863. La floraison estivale de cette essence, très mellifère, produit un miel d'excellente qualité. Il en existe actuellement un très grand nombre d'espèces plantées en bordure notamment des voies de communication, sur les berges des cours d'eau, dans les forêts reconstituées, dans les fermes.

----------Quant à la flore mellifère cultivée, il convient de citer les rosacées de vergers, communes à la France et à l'Algérie, ou particulière à celle-ci, le néflier du Japon (Eriobotrya japo:iica Lindl.) par exemple, dont la floraison automnale est précieuse, les agrumes (Citrus divers), qui produisent un miel renommé, les fourrages artificiels, tels que la luzerne, le trèfle d'Alexandrie (Trifolium alexan­drium L.), les plantes de grande culture, comme la lentille (lens esculenta L.), ou de culture indus­trielle, comme le cotonnier.

----------La diversité de la flore algérienne et la douceur relative du climat ménagent, dans certaines régions du littoral, des miellées successives s'étendant sur l'année entière, chaque saison se parant d'une floraison particulière.

----------Malgré ces conditions favorables, la productionalgérienne en miel, de l'ordre de 4.000 à 5.000 quin­taux par an, est inférieure aux besoins de la consommation locale, alors qu'elle devrait être supérieure et être à l'origine d'un courant d'exportation important.

CAUSE DE L'INSUFFISANCE ACTUELLE DE LA PRODUCTION APICOLE ALGERIENNE

----------Cette insuffisance de production procède de causes multiples. C'est, en premier lieu, le rendement insignifiant des quelque 150.000 colonies logées en ruches vulgaires. Le type de ces dernières varie selon la matière première utilisée pour sa construction : liège dans les montagnes du littoral, férule dans les plaines, alfa dans les Bibans et le Sud Constantinois. Elle affecte une forme allongée, d'un mètre environ, de section carrée pour la ruche en férule, cylindrique pour la ruche en alfa ou en liège : une exception est fournie par la ruche en alfa tressé de l'Aurès, dont la forme co­nique est une survivance des ruches romaines introduites dans ce massif par les vétérans de Lambèse et de Timgad. Quel qu'en soit le type, la ruche vulgaire, instrument d'élection de l'apiculture tradition­nelle, ne se prête en aucune façon à une production intensive, en raison de sa faible capacité. Bien plus, des procédés d'exploitation archaïques, tels que la taille, au moment de la récolte, de la totalité des rayons, amènent, chaque hiver, la perte de 50 % des colonies et contribuent à réduire un rendement déjà bien faible. En fait, la moyenne de production annuelle d'une ruche vulgaire est de 2 à 3 kilos.

----------Une seconde raison de l'insuffisance de l'apiculture algérienne est le nombre trop restreint de ruches à cadres en exploitation.

----------En 1904, moins de 1.000 apiculteurs, professionnels ou non, exploitaient 10.000 ruches à cadres, dont le rendement moyen était de 8 à 10 kilos. Ces chiffres n'ont guère varié, ainsi qu'en témoignent des statistiques récentes,

----------Ce petit nombre d'utilisateurs de la ruche à cadres, comparé à celui des exploitants de la ruche vulgaire, qui sont plusieurs dizaines de milliers, s'explique par le fait que les agriculteurs qui dis-posent des moyens financiers nécessaires à la création d'exploitations apicoles modernes dirigent, le plus souvent, des entreprises agricoles importantes et ne peuvent s'occuper personnellement de tra­vaux apicoles. Ils préfèrent s'adresser à des spécialistes. Or, ces derniers, ou bien font défaut, ou bien ne présentent pas des garanties de technicité suffisante.

----------C'est cette absence de spécialistes qualifiés qui, jusqu'à présent, a freiné le développement de l'apiculture dans le secteur agricole évolué.

----------Quant aux rendements des ruches à cadres, l'ignorance des méthodes modernes appliquées aux données particulières de l'apiculture algérienne fait qu'ils sont nettement inférieurs à ceux qui de­vraient être obtenus et que réalisent, il faut le signaler, quelques apiculteurs, malheureusement trop peu nombreux. Ceux-ci, en se tenant au courant de l'évolution de l'apiculture, ont perfectionné leurs méthodes, au lieu de se cantonner dans les procédés d'exploitation transmis, sans modification, depuis plusieurs générations. Pratiquant le remérage périodique de leurs ruches, utilisant judicieusement un matériel perfectionné, les grilles à reine, par exemple, tirant parti au maximum de la miellée par l'étude mellifère de leur région, se livrant à l'apiculture pastorale, ils obtiennent des rendements supé­rieurs à 50 kilos et prouvent ainsi les possibilités d'une exploitation rationnelle de l'apiculture algé­rienne.

----------En effet, plus que partout ailleurs, le terme rationnel appliqué à la pratique de l'apiculture trouve son expression exacte lorsqu'il s'agit de mettre au point des méthodes de production inten­sive en Algérie.

----------Les conditions d'exploitation doivent, en effet, tenir compte de certaines particularités du climat algérien. La douceur relative des hivers, la pluviométrie qui atteint généralement son maximum entre décembre et février, provoquent, dès le début mars, une miellée abondante qui se tarit brusquement au mois de mai. L'apparition de cette miellée favorise le développement des colonies, l'essaimage bat son plein, dès le début avril ; après l'essaimage, la période nécessaire aux colonies pour reconstituer leurs effectifs couvre et dépasse même celle pendant laquelle la miellée subsiste encore, si bien que les ruches, livrées à elles-mêmes, se présentent, au moment de la récolte de printemps, riches en popula­tion, mais vides de miel. C'est ainsi que, trop souvent, cette première récolte est perdue et qu'il faut attendre celle suivant la floraison estivale des eucalyptus, pour les régions où cette essence existe en peuplement suffisant.

----------La rentabilité de toute exploitation apicole en Algérie est donc subordonnée à l'application d'une technique appropriée aux conditions particulières du pays.

-VULGARISATION APICOLE

----------Dans les conjonctures économiques actuelles, où l'accroissement de la productivité fait l'objet d'une recherche constante, la nécessité de développer rapidement la production apicole du pays ne pouvait échapper à l'attention de l'Administration.

----------Le programme de vulgarisation arrêté par la Direction de l'Agriculture et des Forêts, programme appliqué depuis 1946, porte principalement sur les points suivants :
--
amélioration des conditions d'exploitation de la ruche arabe, qui représente les 8/10"" des ruches du pays ;
--
formation professionnelle apicole ;
--
vulgarisation des méthodes modernes de production intensive adaptées aux conditions particulières de l'apiculture algérienne.

 
AMELIORATION DE LA RUCHE VULGAIRE

----------Le remplacement, sans transition, de la ruche vulgaire par la ruche à cadres est apparu impossible immédiatement, en raison du prix élevé du matériel manufacturé et de l'ignorance absolue, chez les utilisateurs de la ruche vulgaire, des notions élémentaires d'apiculture, indispensables à la con-duite des ruches à cadres.

----------La nécessité de doter l'apiculture traditionne:le d'un instrument pratique de travail, d'un rendement nettement supérieur à celui de la ruche archaïque, a. conduit à la création d'une ruche de transition entre la ruche vulgaire et la ruche à cadre. Rappelant par sa forme extérieure la ruche vul­gaire horizontale, exploitée dans l'ensemble du pays, la ruche divisible comporte un plancher mobile, trois compartiments juxtaposables, aux plafonds rainurés pour permettre la pose de la cire gaufrée. Offrant la plupart des manipulations réservées aux seules ruches à cadres, sa conduite reste cependant suffisamment proche de celle de la ruche vulgaire ordinaire pour ne pas dérouter son utilisateur, qui s'initie progressivement aux opérations de l'apiculture moderne : examen du couvain, essaimage arti­ficiel, etc...

RUCHERS DE DEMONSTRATION

----------La vulgarisation de la ruche divisible s'effectue à partir de ruchers de démonstration, installés au sein même des populations à vocation apicole, le plus souvent dans le cadre d'un Secteur d'Amélio­ration Rurale. Une centaine de ruchers de démonstration répartis sur l'ensemble du territoire algérien dispensent un enseignement pratique élémentaire de .l'apiculture, en même temps qu'ils constituent des installations-pilotes, utilisées pour déterminer, par région, les moments favorables à l'exécution des principales opérations apicoles.

FORMATION APICOLE

----------La formation professionnelle apicole est assurée au cours de stages organisés depuis 1947 par la Direction de l'Agriculture et des Forêts à l'Ecole Nationale d'Agriculture d'Alger.

----------A ces stages, participent les agents de l'Administration chargés de la gestion d'un rucher de démonstration, ainsi que les particuliers désireux de s'initier à l'apiculture ou de perfectionner leurs connaissances. Le nombre d'apiculteurs formés par cas stages était de 539 au 31 mars 1958.

A P I C U LTU R E

Rucher de démonstration du S.A.R. AZAIL, SAP de Sebdou

Rucher de démonstration du S.A.R. AZAIL, SAP de Sebdou

VULGARISATION DES METHODES MODERNES DE PRODUCTION INTENSIVE

----------Les conditions particulières de l'apiculture algérienne, notamment la précocité de nombreuses floraisons constituant la miellée principale, ont conduit à la recherche d'une technique d'exploitation permettant d'utiliser au mieux les ressources mellifères du pays.

----------L'expérimentation a. ainsi déterminé les conditions d'application d'une méthode, qui utilise les procédés connus de nourrissement stimulant, blocage de ponte, reméragc périodique des colonies et qui rend possible, au printemps, une récolte de miels de qualité, comme le miel d'oranger.

----------Cette technique est vulgarisée :
---dans tous les Etablissements d'Enseignement Agricole d'Algérie ; au cours des stages de formation apicole ;
---au cours des démonstrations organisées par les Services Agricoles
---
dans les ruchers de démonstration et plus particulièrement ceux installés dans les Foyers Ru-Taux.

----------Cet exposé du programme poursuivi par l'Administration Algérienne serait incomplet s'il n'était fait mention des activités consacrées à la propagande, à l'expérimentation, à la recherche, à la lutte con­tre les maladies des abeilles, etc...

PROPAGANDE

----------La propagande utilise les moyens ordinaires tels que la diffusion de causeries radiophoniques, la publication de brochures et d'articles de presse, les conférences, etc... Les effets sont sensibles, non seulement en Algérie, où ils donnent lieu à l'échange d'une correspondance active, mais encore dans les pays voisins et dans la Métropole.

RECHERCHES TECHNIQUES ET DOCUMENTATION

----------Quant à l'étude des nombreux problèmes posés par l'Apiculture, elle retient également l'atten­tion des Services intéressés. C'est ainsi que l'utilisation en agriculture des insecticides organiques de synthèse à grande puissance d'action, ont donné lieu à une série d'essais, desquels il résulte que dans les conditions de la pratique courante la toxicité de ces produits, à l'égard des abeilles, est bien moins importante que ne le faisait supposer une nombreuse littérature publiée à ce sujet. Ont été également étudiées les possibilités d'emploi de matériel récent (rayon d'aluminium), de nouveaux produits (cire synthétique), etc...

----------L'étude des ennemis des abeilles est également entreprise dans le cadre local. Elle a déjà permis de démontrer la nocivité du guêpier (Merops apiaster L), communément appelé en Algérie a Chasseur d'Afrique », et de prendre des mesures de protection nécessaires.

----------En outre, des collections (miels, plantes mellifères) sont constituées ; une documentation impor­tante est réunie et s'augmente continuellement.

LUTTE CONTRE LES MALADIES DES ABEILLES ET CONTROLE SANITAIRE

----------Parallèlement, le contrôle sanitaire des ruchers a été organisé. A cet effet, l'Administration dispose d'un réseau déjà important­ de plus de cent ruchers-pilotes, disséminés sur tout le territoire algérien. Visités périodiquement plusieurs fois par an par les techniciens relevant du Service de la Production Végétale, ils renseignent sur l'état sanitaire apicole de la région. De plus, les moniteurs apicoles qui les entretiennent sont à même, par l'action de vulgarisation qu'ils exercent auprès des apiculteurs voisins de vérifier l'état des ruchers existant dans la régionTout cas douteux est immédiatement signalé au Service de la Production Animale chargé du contrôle sanitaire apicole et les prélèvements nécessaires effectués.

----------De nombreux apiculteurs contribuent également à cette action de dépistage, en demandant l'exa­men sanitaire de leur exploitation.

----------Cette action de protection du cheptel apicole algérien ne s'exerce pas seulement à l'intérieur du territoire. Un contrôle sévère est opéré aux frontières. Il porte sur l'examen bactériologique des miels et cires importés, ainsi que sur la mise en observation des abeilles introduites dans le pays.

o O o

----------Ainsi le programme appliqué en vue de développer et rénover l'apiculture algérienne s'adresse à la plupart des questions pour lesquelles l'intervention des Services Publics peut et doit être envisagée.

----------A cette action, les organisations professionnelles apportent une collaboration active, notamment dans le cadre de la formation apicole. Cet effort poursuivi en commun doit mener, dans un avenir prochain, à l'accroissement d'une richesse naturelle, à laquelle revient une place importante dans l'économie du pays.