Alger, Algérie : documents algériens
Série économique : agriculture
Situation actuelle de l'oléiculture en Algérie
6 pages - n°46 - 30 avril 1948

-Grâce à l'olivier, l'Algérie pourra donc résoudre pour le secteur corps gras, le grave problème que pose pour elle un accroissement démographique dont nous devons à la fois nous réjouir et nous inquiéter.-

mise sur site le 2-03-2005
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SUPERFICIES EN CULTURES ET NOMBRE D'ARBRES

-------------Le recensement des oliviers algériens présente de grosses difficultés. Tout d'abord, près de la moitié des arbres sont plantés plus ou moins isolément à une densité inférieure à 5o sujets à l'hectare. Cet état dispersé n'est guère favorable à un inventaire précis. D'autre part, les 2/3 des plantations appartiennent à des paysans autochtones dont le caractère ne se prête pas beaucoup à l'établissement de statistiques. Aussi, ne doit-on pas rechercher dans celles-ci une exactitude à laquelle elles ne peuvent prétendre. Elles marquent simplement un ordre de grandeur, mais leur ensemble peut fournir, sur un certain nombre d'années, une image assez fidèle de la tendance.
-------------Sous ces réserves, on compte, pour l'ensemble de l'Algérie, une superficie comprise entre 85 et 100 mille hectares renfermant environ 10 millions d'arbres, dont 8.500.000 en production.
-------------Par rapport aux autres cultures fruitières algériennes, c'est beaucoup. L'olivier occupe, en effet, la première place avant le figuier (8 millions de pieds), le dattier et les agrumes (chacun 7 millions). En superficie, il s'étend sur le 1/3 de l'espace dévolu aux cultures fruitières arborescentes. En nombre, il compte pour 28 %, mais le tonnage des olives récoltées ne dépasse guère le quart de notre production fruitière.
-------------Si nos dix millions d'oliviers détiennent une large part dans notre activité arboricole, ils pèsent bien peu dans l'oléiculture mondiale. Par rapport à nos voisins immédiats, nous nous trouvons sensiblement à égalité avec le Maroc, mais nous possédons à peine la moitié des arbres qui font la richesse de la Tunisie, pays qui est sans doute, de toute l'Afrique du Nord, le plus petit, le plus déshérité, mais n'est pas le moins dynamique et devant lequel les oléiculteurs du monde entier doivent s'incliner, car il a su tirer un parti inespéré de conditions climatiques particulièrement rudes.
-------------Malgré la vitalité, qu'elle manifeste avec tant de bonheur dans de nombreux autres domaines de l'activité agricole, l'Algérie n'a pas, à l'égal des autres pays méditerranéens, tiré de l'arbre de Minerve tous les avantages que lui conférait un climat parfaitement adapté à ce genre de culture. L'Espagne possède 2o fois plus d'oliviers que nous, l'Italie i6 fois, la Grèce, 6 fois, le Portugal 2 fois. Nous rechercherons plus loin les causes d'une désaffectation pour le moins surprenante.

REPARTITION DES OLIVETTES DANS LE PAYS

-------------Un fait ne manque pas de frapper celui qui étudie la répartition géographique des plantations d'oliviers. A l'échelon mondial, on peut dire que, pratiquement, toutes les plantations d'oliviers sont groupées autour de la Méditerranée. Il existe, en effet, dans ce foyer de vieilles civilisations, plus de 530 millions d'arbres. Les États-Unis (qui constituent le plus gros noyau extra-méditerranéen, ne possédant que 1.600.000 arbres) n'offrent guère d'exemple aussi poussé d'une pareille concentration culturale.
-------------Si l'on excepte les péninsules embrassées par la mer, l'olivier ne s'enfonce pas à plus de 150 kilomètres à l'intérieur des continents. Cet arbre, cependant réputé par sa rusticité à toute épreuve, est très frileux et ne supporte pas les "abaissements de température continentaux.
-------------Mais, poussons l'analyse plus loin. Nous constatons, à une échelle inférieure, que chaque pays oléicole a ses plantations concentrées sur de faibles surfaces. -------------Que ce soit en Espagne, où dans un groupe de quatre provinces représentant 10 % de la superficie territoriale de la nation, on trouve près de la -moitié des oliviers ; que ce soit en Italie, ou le Sud-est de la région des Pouilles, dans le " talon de la Botte ", rassemble sur un territoire qui est le 1/25 de la superficie totale du pays, plus du 1/4 des oliviers italiens ; que ce soit, enfin, en Grèce, où les olivettes sont massées dans quelques îles et à la pointe sud du pays, partout, on constate une concentration très poussée des cultures.
-------------L'Algérie elle-même n'échappe pas à cette règle. Si l'on excepte les Territoires du Sud, avec leurs18.000 arbres seulement, on constate que les trois arrondissements contigus qui coiffent la Kabylie, représentant le 1/7 des départements du nord, totalisent plus de la moitié des oliviers algériens. -------------L'arrondissement de Bougie, à lui seul, groupe sur 2,6 % des Territoires du Nord, le quart des olivettes d'Algérie. Le massif kabyle est le plus grand noyau de notre production oléicole. Dans cette région, 9o % des, plantations appartiennent à une population berbère dont l'attachement à l'arbre est devenu légendaire.
-------------Cette zone oléicole est l'une des mieux arrosées de l'Algérie, c'est le pays de l'olivier sauvage, qui est à la base de la plus grande partie de la création des olivettes, soit par greffage sur place, soit par transplantation des semis naturels.
-------------Ainsi, la conjonction d'un milieu favorable à la végétation et d'un facteur prédisposé, a permis l'extension de la culture de l'olivier, mais nous pensons que la plus large part du succès revient à l'homme. L'olivette kabyle est le fruit du labeur des populations locales, tout comme la forêt sfaxienne représente, dans un milieu beaucoup moins propice, une victoire de l'élément humain sur une nature hostile.
-------------L'existence de deux grandes tâches oléicoles secondaires, l'une à Guelma, l'autre à Tlemcen, confirment cette coïncidence : pluviométrie généreuse et population berbère attachée à l'arbre.
-------------Les propriétés européennes, assez nombreuses, qui forment 40 % des olivettes algériennes, se trouvent donc en dehors de la Kabylie. Dans le département d'Alger, excepté l'arrondissement kabyle de Tizi-Ouzou, on les rencontre surtout, sous forme de plantations régulières, dans les centres de Maillot, la Mitidja, le Chélif (olivettes européennes 38 %). Dans le Constantinois, cette proportion s'élève de 63 à 70 %, pour les centres importants de Philippeville, Guelma et Bône. Mais c'est en Oranie, où la colonisation a pris le plus large développement, que le pourcentage des olivettes européennes est le plus fort. Dans l'arrondissement d'Oran, il atteint 90%, Mostaganem et Mascara en comptent plus de 80 % et Sidi-Bel-Abbès 98 %.
-------------Tandis que les plantations de l'Est algérien ont été créées par le greffage d'oléastres, et sont, pour beaucoup, assez mal entretenues, les oliviers oranais ont été propagé par boutures.
-------------Les arbres sont soigneusement cultivés, sauf en ce qui concerne la taille, qui évide trop brutalement l'intérieur de l'arbre, ce qui provoque de graves brûlures sur les branches de charpente.
-------------Un aspect particulier des plantations oraniennes est à signaler : beaucoup d'entre elles forment autour des parcelles de vignes de grands cordons argentés, l'arbre profitant à la fois des travaux du vignoble et de l'espace laissé libre par les chemins d'exploitation. Malheureusement, cette formule complique quelque peu les travaux de culture.
-------------D'apres les statistiques officielles, l'accroissement général des surfaces mises en valeur par l'olivier en Algérie s'effectue à un rythme assez constant. Durant les 5o dernières années, le nombre d'arbres aurait augmenté de moitié, à raison d'un demi-million par an. En admettant même que cette marche ascendante ne soit pas trop optimiste, elle est encore nettement au-dessous de l'accroissement démographique, la population ayant doublédans le dernier demi-siècle.

VARIETES CULTIVÉES

-------------La description des variétés d'olives cultivées en Algérie ayant déjà fait l'objet de nombreuses études, nous ne ferons que rappeler les noms de variétés de base des principales régions oléicoles,
-------------a) Variétés de Kabylie
Chemlal de Kabylie. - C'est l'une des plus estimées pour la fabrication de l'huile. Le fruit est moyen : 2 grammes 1/2. Le Docteur Trabut lui trouve des analogies avec Cavet de Provence. Nous pensons qu'elle se rapprocherait plutôt d'Olivière de l'Hérault.
Azeradj ou Adjeraz. - Cette olive à deux fins pèse environ 5 grammes. Elle est très estimée pour la conserve en vert, mais moins recommandable pour l'huilerie.
Aberkane, est une autre olive de conserve qui s'emploie à pleine maturité dans la région de Seddouk, mais peut également procurer des résultats satisfaisants en huilerie.
Limli donne un fruit, de 2 grammes, pour la fabrication de l'huile.

-------------Ces diverses variétés ont une répartition géographique assez tranchée. Larsen l'a étudiée pour la vallée de la Soummam, qu'il partage en quatre zones .distinctes ayant chacune sa variété propre. Sur le littoral, on cultive Abelout, puis, jusqu'à Sidi Aïch, à 4o kilomètres à l'intérieur des terres, c'est Limli qui domine. De Sidi Aïch, en remontant la vallée sur 2o kilomètres, on trouve Azeradj. Enfin, encore plus en amont, dans les régions de Tammalt et Maillot, c'est Chemlali qui est adoptée.
-------------On enregistre de sérieuses baisses de rendement dès que ces variétés quittent leur région de prédilection pour empiéter sur le territoire de la voisine. Un exemple du même genre nous est donné par Sévillane, qui, ainsi que l'a signalé M. Simonneau, donne d'excellents résultats dans la région de Relizane, mais ne procure que des mécomptes en dehors de cet habitat.
-------------On voit 'que cette curieuse localisation des olivettes, que nous avons constatée à l'échelon mondial, puis local, se poursuit jusqu'à l'intérieur des variétés, dont chacune paraît avoir une zone de prédilection souvent très limitée.
-------------b) Variétés du Constantinois
Rougette. - Variété à huile répandue est appréciée pour sa rusticité et sa précocité. Déborde jusque dans la Mitidja, où elle est la plus estimée.
Blanquette. - Tardive, tenant bien sur l'arbre, moins attaquée que les autres par les oiseaux, elle est le complément de la précédente pour l'huilerie.
-------------c) Variétés d'Oranie
Sigoise est de beaucoup la plus appréciée. Variété à deux fins, qui fournit la/majeure partie de nos olives de conserve pour l'exportation. Elle dérive de la Picholine française. Son aire d'adaptation s'étend sur tout le Maroc.

RENDEMENTS

-------------Si les statistiques concernant les surfaces cultivées et le nombre des arbres ne peuvent prétendre qu'à des approximations, il apparaît encore plus difficile d'apporter des précisions en ce qui concerne les rendements en olives et en huile. Le contrôle pratiqué depuis le début des hostilités par les services du Ravitaillement général n'a pas toujours pu s'exercer sur les procédés d'extraction familiaux qui, par leur multitude, échappent aux investigations. La consommation de sa propre récolte par le producteur lui-même a toujours été difficilement évaluable.
-------------Les statistiques officielles accusent une production moyenne de 166.ooo hectolitres d'huile de 1930 à 1940 - ce qui donne à l'Algérie la 7è place avec 2 % de la production mondiale. En ce qui concerne les olives de table, notre pays se classe 6è avec une production moyenne de 85.000 quintaux, soit 6,5 % du tonnage mondial.
-------------Au total, les 8.500.000 oliviers algériens, en rapport, produisent 1.300.000 quintaux d'olives, soit environ 15 kilogrammes par arbre. Le rendement moyen des olives en huile est de 13 % et celui d'un arbre de 2 litres d'huile, chiffre très bas, mais sensiblement égal à celui de la productivité moyenne des oliviers d'Europe.
-------------Par rapport au nombre des habitants, cette production oléicole ne représente guère que 2 1. 1/3 par tête et par an. A cette ration, il faudrait ajouter la différence entre les importations d'huiles de graines et les exportations d'huiles d'oliv'e's qui se sont montées, pour la période considérée 1930-40 à 296.000 quintaux pour les exportations et 127.000 quintaux pour les importations, soit une différence de 169.ooo quintaux ou 188.000 hectolitres qui viennent parfaire la consommation intérieure. Entre 193o et 1940, l'Algérie aurait donc consommé chaque année : 166.ooo + 188.000= 354.000 hectolitres d'huile soit 5 litres d'huile par habitant. Ce chiffre correspond à celui fourni par les enquêtes effectuées au Maroc par Hoffher et Morris et peut être considéré comme vraisemblable.
-------------Si l'on se reporte en arrière, entre 1900 et 1914, on constate qu'à cette époque, notre production oléicole était beaucoup plus importante qu'à présent, exactement le double, soit 330.000 hectolitres, malgré un nombre d'arbres en production nettement inférieur. Depuis 1918, on assiste à une baisse progressive des rendements de 5 litres à 2 litres par arbre, en même temps qu'à un accroissement de nos importations d'huiles de graines, qui passent insensiblement de 16o.ooo hectolitres entre 1921 et 1926, à 333.000 hectolitres en 1936-39.
-------------Cette baisse alarmante de la production oléicole n'est d'ailleurs pas spéciale à l'Algérie, on la constate dans la plupart des autres pays : les récoltes européennes qui se montaient, au début du siècle, à 10.000.000 quintaux, enregistrent une baisse de 20 %.

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PRODUCTION MAXIMA

'-------------De 1900 à ce jour, la production algérienne a marqué deux pointes essentielles : la première en 1907, l'année record, avec 550.000 hectolitres pour 6.750.000 arbres en rapport, soit un rendement moyen de7, 400 kg d'huile ou 5o kg. d'olives par pied. La seconde pointe concerne les années 1915 et 1916. Chose tout à fait exceptionnelle, durant deux années successives, la production a dépassé 5oo.ooo hectolitres, presque le double de la normale.
-------------On pourrait penser qu'il s'agit d'une influence de la pluviométrie, facteur considéré comme le plus limitatif de la production. Cette hypothèse n'est cependant pas confirmée par l'examen des documents du service météorologique. Il s'agit sans doute de la conjonction d'un ensemble de facteurs favorables.

Situation économique de l'oléiculture algérienne

-------------L'Algérie pourrait développer la culture de l'olivier dans des proportions beaucoup plus considérables qu'elle ne l'a fait. Il suffit de comparer notre production avec celle des autres pays méditerranéens pour s'en convaincre. -------------L'insécurité, la mauvaise administration qui ont sévi jusqu'à l'arrivée des Français, ne `favorisaient guère l'établissement de richesses dont le produit nécessitait une longue attente et qui se prêtaient mal à la dissimulation devant des impôts par trop arbitraires.
-------------Au moment où les planteurs purent bénéficier de la paix française, la concurrence des huiles de graines vint freiner l'élan donné par Bugeaud. Et l'Algérie n'a pas su trouver, comme sa voisine de l'Est .la formule qui lui eût permis de produire économiquement, par une combinaison ingénieuse du choix des conditions de milieu et des méthodes de culture.
-------------Non seulement l'Algérie n'a pas amélioré sa production, mais la baisse des rendements qu'elle enregistre ne manque pas d'être inquiétante : d'abord, par la' perte de richesse qu'elle provoque, dans un pays où les ressources agricoles s'accroissent moins rapidement que le chiffre de la population. Ensuite,'parce que le prix 'de revient au quintal devient vite prohibitif, lorsque la production par arbre diminue La récolte, notamment, s'avère très onéreuse (r/2 du produit) sur des arbres peu chargés. Avec la concurrence de l'huile de graines, notre oléiculture serait vite acculée à une situation critique si les mesures-nécessaires n'étaient prises rapidement. 'En Kabylie, on constate une désaffection de plus en plus marquée envers les olivettes, tandis que les figueraies sont encore régulièrement cultivées.
-------------M. Renaud, ingénieur des services agricoles à Constantine, indique dans une étude pertinente, les :causes 'qui' lui paraissent responsables de cette situation en Kabylie, principale région de production.
-------------1) L'olivette kabyle est atteinte de sénilité précoce. Certes, la longévité de l'olivier peut être considérée comme pratiquement indéfinie, mais, après un siècle, les récoltes lie peuvent -plus payer de frais d'entretien normaux. -------------A plus forte raison, on ne peut espérer grand-chose d'arbres vieillis prématurément, qui ne reçoivent que des - soins culturaux 'médiocres, pas de façons aratoires, pas de fumures, pas de taille, -qui sont placés dans des conditions de sol souvent médiocres et se trouvent très rapprochés les uns des autres, à une 'densité de beaucoup très Supérieure aux possibilités du milieu.
-------------Dans de nombreuses régions de Kabylie, l'olive tend à devenir plutôt un " produit de cueillette " -qu'une denrée culturale.
-------------On pouvait espérer que la rareté des corps gras et les cours très alléchants auraient une action "favorable sur notre production oléicole. Malheureusement, par suite des 'difficultés de transport, nées de la guerre et des mauvaises récoltes, les Kabyles -se sont vus contraints à produire à tout prix les céréales dont ils avaient besoin. Aussi, à la concurrence que se font les oliviers entre eux est venue s'ajouter celle des cultures sous-jacentes, et les chutes de fruits ont pris une "ampleur accrue.
-------------2°) Abandon de la culture par les meilleurs 'éléments ouvriers. = L'histoire de la création des olivettes kabyles va nous fournir une explication de cette inquiétante évolution. C'est par une sorte de vocation forcée que le pays s'est transformé en une grande olivette. Réfugiés -dans leurs montagnes, comme dans une forteresse naturelle, se refusant à toute soumission aux,-conquérants, le peuple kabyle s'est trouvé dans l'obligation de vivre en autarcie et de "tirer d'un sol ingrat le seul ,parti possible : la culture d'arbres fruitiers rustiques, capables de s'accrocher à des pentes abruptes.
-------------Aucune autre espèce végétale, en dehors des deux arbres kabyles : figuier et olivier, ne pouvait, dans des conditions dé terrain aussi précaire, procurer régulièrement une somme d'unités nutritives -aussi grande. Ce sont donc des raisons de sécurité qui ont présidé à la création des olivettes -kabyles. Aujourd'hui, ces raisons ont disparu, mais -les arbres demeurent. Les nouvelles :générations, attirées par les salaires élevés qu'on leur offre un peu partout, délaissent un travail pénible et qui paye d'autant moins que le perfectionnement des moyens de communication facilite davantage la pénétration des produits concurrents.
-------------Toutes les parcelles de culture difficile, à rendements réduits, sont abandonnées car leur rentabilité n'est plus en rapport avec le niveau de vie actuel.
-------------Ce qui se passe en Kabylie est sans doute moins prononcé dans les autres régions, niais, là aussi, on constate une évolution inquiétante.
-------------Il n'est pas douteux que lorsque les courants commerciaux habituels reprendront, la baisse de valeur de l'huile risquera de porter un coup sérieux à nos olivettes dont la productivité ne correspondra plus au nouveau standard de vie.
-------------Et c'est ainsi que se pose une très grave question pour l'économie algérienne.

HUILE D'OLIVE OU HUILE DE GRAINES
-------------Ce n'est pas la simple comparaison des prix qui peut permettre de résoudre le problème. Il ne suffit pas, en effet, de vouloir acheter, encore faut-il disposer de moyens de paiement. Or, le souci de l'équilibre de la balance du commerce extérieur de notre pays va nous amener à faire un choix parmi les produits importés. Il est évident que nous ferons passer en priorité ceux dont nous ne pouvons pas nous passer et qu'il n'est pas possible d'obtenir sur place.
Si nous descendons jusqu'à l'échelon individu, nous constatons que de nombreux habitants de l'Algérie ne disposent pas de moyens de paiement qui leur permettraient d'acheter clans le commerce.
-------------Si l'on ne peut acheter, il ne reste qu'une solution pour vivre : produire.
-------------L'Algérie et les Algériens ne disposent pas de ressources assez variées et étendues pour pouvoir se passer de leur production d'huile d'olive. Bien mieux, un accroissement démographique accéléré les engage à étendre leurs plantations, car il entraînerait rapidement une diminution du niveau de vie auquel deux remèdes peuvent être opposés : l'expatriation ou l'augmentation des ressources vivrières locales. On sait combien le premier de ces remèdes est de réalisation délicate, aussi est-il sage de ne pas négliger le second.

AVENIR DE LA CULTURE DE L'OLIVIER EN ALGERIE
-------------L'extension clé la culture de l'olivier, pour si souhaitable qu'elle soit, ne peut pas être envisagée sans certaines précautions. S'il paraît chimérique d'entamer une lutte directe avec l'huile de graines, du moins devons-nous chercher à limiter l'écart qui sépare les prix de revient. En outre, l'olivier doit s'ajouter à nos richesses agricoles existantes, et non se substituerà elles, même si cela paraissait " à priori ", c'est-à-dire d'un point de vue étroitement financier, avantageux. Nous devons chercher à tirer parti de la rusticité (le l'arbre, de sa faculté d'adaptation aux climats secs, pour lui faire occuper des terrains où les plantes annuelles ne donneraient que des résultats médiocres. Sur un sol rendu trop exigu par l'accroissement des populations, nous devons, après avoir exploité à fond toutes les bonnes terres avec nos cultures les plus exigeantes, mettre en valeur par l'arbre les parcelles qui ne conviennent qu'à cette spéculation. Cela ne veut pas dire que l'olivier peut être installé sur des sols quelconques. Pour s'assurer des rendements acceptables tout en réduisant les frais de culture, il faudra choisir les terrains plats, légers et profonds, qui facilitent les travaux tout en permettant l'emmagasinement et la conservation de l'eau.
-------------La Tunisie a pu ainsi constituer une magnifique forêt d'oliviers sans empiéter sur ses terres à céréales et procurer à sa population une ration d'huile sensiblement double de la consommation algérienne et entièrement tirée de son propre sol. C'est là un résultat des plus heureux pour l'économie nationale, sans parler des exportations qui permettent au pays de mener un train de vie analogue à celui des nations que la Nature a comblées.
-------------Il n'est pas douteux que l'Algérie aurait intérêt à suivre cet exemple.

Conclusions

-------------L'oléiculture, première richesse arboricole de l'Algérie, doit être maintenue à ce rang dans le cadre d'une sage et prévoyante politique d'accroissement des ressources vivrières du pays. La politique oléicole de l'Algérie doit s'inspirer des considérations suivantes :

-------------1) L'huile est un produit de luxe qu'un pays, à niveau de vie réduit, a intérêt à échanger contre des corps gras d'un prix de revient inférieur. Il faut donc favoriser les exportations, notamment par une production de qualité ainsi que cela est prévu au plan Monnet. L'accroissement de nos ventes à l'extérieur, constaté avant 1939, est un sérieux encouragement à persévérer dans cette voie.
-------------2) Il n'y a aucun avantage à conseiller l'oléiculture, lorsqu'il est possible de lui substituer des productions susceptibles d'un placement plus facile sur les marchés mondiaux.
-------------3) L'oléiculture doit être encouragée dans toutes les régions où il est impossible de tirer d'autres produits du sol et où il y a intérêt à fixer des populations déshéritées qui ne trouveraient pas d'autre emploi.

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L'application d'un programme d'extension de la production oléicole nécessite diverses mesures à prendre concurremment .
-------------1°) Importer par priorité les produits industriels complémentaires de notre économie, plutôt que des denrées agricoles concurrentes ;
-------------2°) Choisir soigneusement, en tenant compte à la fois des nécessités techniques, économiques, et de la répartition générale des productions, les terrains sur lesquels pourraient être installés les nouvelles olivettes
-------------3°) Améliorer notablement les soins d'entretien dont devraient bénéficier les plantations.

-------------Sous ces réserves, nous pensons qu'on ne sortirait pas des limites du raisonnable en prévoyant, dans un plan de 25 ans, la création d'olivettes comprenant 1o millions d'arbres à huile, ce qui doublerait le nombre actuel d'oliviers, mais pourrait procurer un potentiel de production beaucoup plus élevé. De plus, on peut escompter que 3 millions d'oliviers pour fruits de conserves pourraient être plantés sans risques de désorganisation du marché.
-------------Ce chiffre est basé sur la nécessité de nous libérer de nos importations d'huile, et de maintenir une ration convenable malgré l'accroissement démographique. Une production annuelle de 330.000 hectolitres compenserait les importations tandis que les 200.000 naissances qui viennent en excédent chaque année exigeraient, après 25 ans, 250.000 hectos en supplément.
-------------En admettant une production de 4 kilogrammes d'huile par pied (moyenne tunisienne) nos 10 millions d'oliviers nouveaux nous procureraient 400.000 hectolitres. Il resterait à trouver 180.000 hectolitres qui pourraient être fournis en partie par une meilleure conception des méthodes culturales appliquéesà celles de nos olivettes existantes, qui en valent la peine.
-------------Grâce à l'olivier, l'Algérie pourra donc résoudre pour le secteur corps gras, le grave problème que pose pour elle un accroissement démographique dont nous devons à la fois nous réjouir et nous inquiéter.

H. REBOUR,
Chef du Service de l'Arboriculture.