Alger, Algérie : documents algériens
Série économique :finances
Évolution de la situation financière de l'Algérie
8 pages - n°51 - 15 septembre 1948

Compte tenu des capacités de placement de l'Algérie, c'est une franche réussite qui permet de mieux augurer de l'avenir et notamment des possibilités qui s'ouvriront en octobre, après la rentrée des récoltes. C'est en tout cas une marque de renaissance de la confiance des Algériens dans les destinées de leur monnaie et un indice encourageant.
---------Il n'est pas douteux cependant que la situation du marché financier demeurera précaire aussi longtemps que subsisteront les incertitudes politiques et que ne sera pas réalisée une stabilisation des facteurs économiques sans laquelle les budgets perdent tout véritable sens.

mise sur site le 11-03-2005
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----------S'il constitue l'acte gouvernemental le plus important et s'il doit traduire fidèlement les aspirations du pays, exprimées par ses représentants élus, le budget de l'Algérie n'est évidemment ni une fin en soi, ni un document isolé.
----------Le budget n'est ici, comme dans les autres pays du monde, que le reflet de la vie de la nation et, résultante de tous ceux qui l'ont précédé, il ne se conçoit que dans la mesure où il prépare ceux de l'Avenir.

LE BILAN BUDGÉTAIRE ALGÉRIEN

----------Le volume du budget général de l'Algérie, qui a été de 2.400 millions pour la moyenne des deux années 1938-1939, s'élève aujourd'hui à 37 milliards, mais cette augmentation, si elle est dans son ensemble légèrement inférieure à celle du niveau général des prix est loin d'être uniforme entre les divers postes et notamment entre les deux grandes divisions fondamentales du budget général : le budget ordinaire et le budget extraordinaire .
----------Les différences relevées dans la part qui a été réservée au cours de ces dernières années à chacun de ces cieux budgets marquent, mieux qu'un long commentaire, quelle a été la politique des Délégations Financières, puis de l'Assemblée Financière : le budget ordinaire, en effet, avec 23 milliards, n'est pas encore au coefficient 13, grâce à une sage politique d'équilibre et de sévérité, tandis que le budget extraordinaire, voisin de 14 milliards, a été porté au coefficient 22 pour intensifier l'effort d'équipement de l'Algérie.

LE BUDGET ORDINAIRE. - LA POLITIQUE D'ÉQUILIBRE ET LA CAISSE. DE RÉSERVE
----------Si l'on met à part la période de crise de 1932 à 1936, les Assemblées qui se sont succédées ont toujours mis leur point d'honneur à assurer l'équilibre réel du budget ordinaire et cette politique de sagesse permet aujourd'hui de dresser de la situation budgétaire un bilan éminemment favorable, matérialisé par l'importance des excédents versés à la Caisse de réserve.
----------Les causes des résultats bénéficiaires des exercices de guerre de 1940 à 1945 inclus, budgets réglés par l'Administration seule ou avec le concours des Délégations Financières réinstallées en 1943, sont multiples ; les unes sont en quelque sorte négatives : économies sévères rejetant toute dépense qui ne concourait pas directement à l'effort de guerre, stabilisation relative des émoluments des fonctionnaires. allégement des charges de la dette, annulations de crédits nombreuses, surtout dans les chapitres de matériel et de travaux que l'absence de matières premières empêchait de réaliser au rythme cependant déjà réduit qui avait été prévu.
----------Tandis que ces restrictions agissaient sur les dépenses, il apparaissait dans le même temps indispensable d'éponger par la voie de l'impôt une part, la plus grande possible, des quelques 20 milliards de disponibilité que l'inflation, due au financement de la guerre, injectait dans le circuit économique ; et c'est volontairement que, pendant cette même période de guerre, une fiscalité sévère a été instituée, moins pour couvrir les besoins financiers proprement dits que pour agir sur l'économie en jugulant l'inflation.
----------Cette double action conjuguée sur les dépenses et les recettes a eu comme conséquence une suite d'excédents réguliers et confortables
----------1940 : 409 millions
----------1941 : 1.002 millions
----------1942 : 344 millions
----------1943 : 811 millions
----------1944 : 1.590 millions
----------1945 : 1.760 millions
chiffres qui ne prennent leur signification que si on les rapproche de la masse totale des budgets de l'époque comprise entre 2 milliards et 6.800 millions.
----------Lorsque l'Assemblée Financière a succédé aux Délégations, la guerre venait de s'achever dans la victoire et la politique financière devait changer d'orientation : pour assurer la reprise de l'économie algérienne, les prélèvements fiscaux ont été réduits et les contraintes économiques relâchées. La fiscalité de guerre a été supprimée dès la fin de 1941, les taux des impôts ont été réduits et l'Algérie a abandonné des ressources fiscales très importantes aux collectivités locales. départements et communes.
----------Cette sage politique a porté ses fruits : la reprise économique a été vigoureuse en Algérie dès le début de 1946 et si un ralentissement a pu être observé ensuite dans certains secteurs, et même un fléchissement général au début de cette année, l'activité reste grande dans l'ensemble, favorisée par la hausse des prix. D'autre part, la démobilisation d u personnel a permis de reprendre l'exercice du contrôle fiscal pratiquement interrompu depuis 1942 ; les résultats obtenus par le dévouement (les Régies Financières sont remarquables et ils expliquent en grande partie les plus values de ces dernières années qui paraissent devoir être de l'ordre de 1.200 millions pour l'exercice 1946 et 1.300 millions pour 1947.
----------Du côté des dépenses, les vacances très nombreuses qui existent dans le personnel, le retard (les approvisionnements réels sur les crédits demandés, l'impossibilité pratique d'emprunter les sommes prévues dans le plan. enfin la récente réforme de la comptabilité publique réalisée par le décret du 31 décembre 1946 ont concouru à augmenter les annulations de crédits et à les porter à 700 millions net en 1946 et à près (le 1.200 millions en 1947.
----------Ces résultats ne sont encore que provisoires et ils sont susceptibles d'assez larges variations : lorsque la comptabilité en aura été arrêtée, ils viendront renforcer la Caisse de réserve. Quoi qu'il en soit, et sans anticiper sur l'avenir. il faut noter, pour clore ce rapide bilan du budget ordinaire, que depuis le début des hostilités jusqu'en 1947 la Caisse de réserve a reçu effectivement 6 milliards d'excédents ceux-ci ont d'ailleurs été d'ores et déjà utilisés à concurrence de 5.850 millions à la couverture du budget extraordinaire tant il est vrai. et il convient (le le souligner avec une particulière netteté, que l'équilibre (lu budget ordinaire. prudemment assuré par les Assemblées de l'Algérie, a seul rendu possible, sans un alourdissement excessif de la dette publique. la politique d'expansion économique et d'investissement exprimée par le budget extraordinaire.


LE BUDGET. EXTRAORDINAIRE. - LA POLITIQUE D'INVESTISSEMENT ET LA DETTE DE L'ALGÉRIE-=.
----------Limité. en raison même des circonstances, a un chiffre moyen inférieur à 900 millions pendant les années (le guerre, le budget extraordinaire (le l'Algérie a été porté à 4.400 millions en 1946. .
----------1946 qui, un peu partout dans le monde a été l'année de la reconversion, a été pour l'Algérie une année (le démarrage et (le transition et c'est en fait, en 1947 seulement, que sesitue la première année d'exécution d'un plan complet d'équipement économique et social. Avec ses 10 milliards de crédits en 1947 et ses 13.500 millions en 1948, ce plan rappelle par son ampleur, sinon dans sa répartition interne, le programme de grands travaux conçu et mis en œuvre au lendemain (le la précédente guerre mondiale par les Délégations Financières.
----------A cette époque, où les Charges administratives et la fiscalité étaient moins lourdes, les Délégations ont pu financer la quasi totalité de ce " programme de 1920 " sur les excédents budgétaires et sans recourir, pendant près de 10 ans, à l'emprunt. Sans doute n'est-il plus possible aujourd'hui d'en faire autant. mais du moins les conditions de financement (lu plan se présentent-elles. dans l'absolu d'une manière particulièrement favorable grâce à l'allégement des charges de la dette.
----------Alors qu'en 1939 le capital de la dette amortissable atteignait 5.569 millions après de 3 fois le volume du budget ordinaire de l'époque) et que les annuités, avec leurs 510 millions, absorbaient 27 % des crédits, au 1er janvier 1948 le capital restant dû ne représente même plus 40 % du budget ordinaire (8.355 m.) et la charge des annuités ne figure plus que pour 40% des dépenses (1.049 millions). C'est évidemment là une situation particulièrement favorable pour la poursuite d'un plan d'investissement.
----------Cet allégement a été obtenu principalement entre 1940 et 1945, d'une part, grâce aux conversions réalisées en 1942 et 1944 et qui ont permis de rembourser les emprunts particulièrement onéreux contractés entre 1936 et 1938 et aussi parce que, systématiquement, l'Algérie s'est abstenue d'emprunter pour son compte afin de laisser le marché des capitaux à la disposition du seul Gouvernement Provisoire de la République siégeant à Alger pour la poursuite (le l'effort de guerre. Les excédents de la Caisse de réserve ont alors financé la totalité des budgets extraordinaires, ou leur majeure partie, et à la fin de 1945, c'est-à-dire au début de l'année (le démarrage du plan. la situation était digne de remarque puisque avec un découvert (le trésorerie minime (700 millions environ) l'Algérie n'était alors endettée que (le 6.700 millions environ.
----------I1 ne faut pas se dissimuler toutefois que si depuis cette époque l'endettement de l'Algérie ne s'est pas accru davantage. c'est moins le fruit d'une politique concertée que la conséquence d'une conjoncture générale dont la persistance pourrait devenir inquiétante.
----------En effet, malgré les excédents de la Caisse de réserve dont il a été signalé plus haut l'emploi quasi total et bien que ces excédents aient concouru pour 2 milliards 1/2 au financement des travaux de 1948, l'emprunt demeure. et de loin, la principale ressource (lu budget extraordinaire.
----------ll eut fallu emprunter 3 milliards 1/2 en 1946.1.700 en 1947 et le budget de 1948 prévoit une tranche nouvelle (le 7.200 millions.
----------Or. la situation du marché est telle qu'au 31 décembre 1947 seul un emprunt de 2 milliards avait pu être émis 20 mois plus tôt. A cette date, la majeure partie des grands travaux avait été financée sur les disponibilités générales de la Trésorerie et les découverts du 'trésor algérien. substitués aux emprunts qui n'avaient pu être placés. s'élevaient à 8.600 millions.
----------Le financement provisoire a donc dû être assuré par le Trésor algérien dont la création en 1943 a parfait l'oeuvre du législateur (le 1900 en donnant à l'Algérie la libre disposition de ses ressources locales. La Métropole a montré alors sa confiance dans la maturité financière de l'Algérie car si l'existence d'une Trésorerie autonome donne des facilités passagères. elle peut être aussi la source de difficultés à long terme et périodiquement l'objet de sérieuses préoccupations. Tel est d'ailleurs le cas de la situation actuelle du Trésor algérien : elle est aisée en apparence puisque l'actif disponible atteint près de 20milliards, permettait; ainsi d'assurer. sauf imprévu, l'exécution sans coup (lu budget de 1948. même en l'absence de toute consolidation. En fait, elle mérite d'être suivie avec la plus grande attention car les exigibilités à vue dépassent 8 milliards 1/2, réduisant ainsi en fait la masse de manœuvreà un peu plus de 1 milliards et ne laissant qu'une faible marge de sécurité.
----------Image de la situation économique et financière du moment, la trésorerie de l'Algérie est aussi vulnérable qu'elle et c'est pourquoi, afin d'expliquer cette conclusion nuancée d'un bilan des finances publiques, au demeurant très favorable, il convient d'examiner comment se présente actuellement là conjoncture financièreet monétaire de l'A1gérie.

LA CONJONCTURE MONÉTAIRE ET FINANCIÈRE

----------Des disponibilités excessives coexistant avec ses besoins plus considérables encore et insatisfaits, voilà sans doute comment on peut, en une phrase, définir la conjoncture actuelle : comment en pourrait-il être autrement après les années (le bouleversement que le monde vient (le vivre, après la guerre étrangère et la défaite momentanée, au milieu de l'évolution accélérée des institutions nationales et dans le trouble (les esprits et des coeurs qui a jusqu'ici empêché la France d'y voir clair et d'avoir le courage, sans doute difficile de remettre vraiment en ordre ses finances et son économie.
----------L'équilibre des besoins et (les ressources se rencontre plus souvent dans les traités d'économie politique que dans la réalité des faits et ne se conçoit qu'après une longue période de paix extérieure et intérieure et si la guerre pour son financement, puis la hausse désordonnée des prix et (les salaires ont créé puis entretenu une abondance sans précédent des disponibilités, la reconstruction et la mise en route (le l'économie puis le sentiment d'insécurité engendré par l'instabilité économique ont fait naître puis multiplié les difficultés actuelles du crédit.

L'ABONDANCE DES DISPONIBILITÉS. - ATTÉNUATION PROGRESSIVE DE L'INFLATION
----------Le volume des disponibilités totales, et l'on désigne sous ce terme, en sus des billets de banque en circulation, les C /C. à vue ou à très court terme des établissements de crédit qui constituent la monnaie scripturale, c'est-à-dire des billets de banque en puissance, ainsi que les Bons du Trésor et les Livrets de Caisse, d'Epargne, eux-mêmes facilement mobilisables, le volume de ces disponibilités n'a à aucun moment cessé de croître depuis 1939. Au risque d'alourdir cet exposé, quelques chiffres sont ici nécessaires pour marquer les étapes d'une progression qui, partant de 1o milliards en septembre 1939 et de 26 milliards en novembre 1942, s'est stabilisée quelque temps entre 56 milliards en septembre 1944 et 61 milliards en septembre 1945, pour atteindre 73 milliards en septembre 1946, 86 milliards en septembre 1947 et plafonner enfin à 95 milliards au 31 décembre 1947 et à 97 milliards au 31 mars 1948, dernière situation connue exactement

 
1-9-39
1-1-43
30-9-45
30-9-46
30-9-47
31-3-48
Circulation
3.200
11.6oo
25.570
26.990
33.939
33.6o4
Dépôts: Banques
4.000
9.649
18.562
27.053
30.497
37.772
Dépôts: C/C. Postaux
275
1.202
3.024
4.097
4.377
5.760
Crédit Agricole
6oo
1.913
2.827
4.229
5.047
6.132
Bons du Trésor
925
2.775
6.012
3.054
4.675
6.o18
Caisse d'Epargne

1.000
1.845
5.790
6.632
7.218
7.856
TOTAL
10.000
28.994
61.785
72.055
85.753
97.142
INDICE
100
290
618
720
858
971

---------Ce chiffre total est sans doute élevé, mais on peut tout de suite affirmer qu'il ne doit pas être considéré comme inquiétant car l'indice des disponibilités totales n'est en définitive que de 970 par rapport au 1er septembre 1939 alors que celui des prix est voisin de 1.500. C'est là un fait majeur et qui permet de penser qu'en Algérie la situation monétaire n'est pas inquiétante et que loin d'être en elle-même un élément perturbateur, elle dépend en définitive,, pour son évolution future, de la plus ou moins grande fermeté de l'action gouvernementale pour le maintien et la stabilisation des prix et des salaires et, disons-le aussi, du sens plus ou moins aigu avec lequel, dans les mois ou même les semaines qui viennent, chacun saura faire passer l'intérêt supérieur de la collectivité avant les intérêts professionnels.

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- --------11 n'y a pas, il n'y a plus en Algérie de problème proprement monétaire ou financier, mais une question d'équilibre et de sagesse économique et il faut appuyer cette démonstration sur l'examen rapide des phases de gonflement monétaire et de la situation des divers facteurs qui composent les disponibilités totales.
---------Si de novembre 1942 à septembre 1944 le financement de la guerre par le jeu des avances de la Banque de l'Algérie a été la cause unique d'une inflation pure et simple, cette cause a brusquement pris fin à la libération de Paris avec la relève de notre Institut d'émission par la Banque de France et, de fait, le volume des disponibilités a immédiatement cessé d'augmenter et la situation financière de l'Algérie a présenté pendant 18 mois une stabilité quasi absolue ; elle a tendu vers un nouvel équilibre aussi longtemps que cette inflation de guerre n'a pas été en quelque sorte digérée par l'économie et que les indices des prix n'ont pas rejoint et dépassé les indices monétaires.
---------L'inflation d'Etat n'a pas reparu depuis septembre 1944
---------En effet, et il convient d'insister sur ce point, les dépenses engagées de l'Algérie n'interviennent en rien dans le développement ultérieur des disponibilités monétaires ; grâce à la politique de sagesse des Assemblées, les budgets, ainsi que nous l'avons signalé au début de cet exposé, se sont jusqu'ici soldés par des excédents et les billets que la Banque de l'Algérie émet sont l'image des faits économiques et non un voile jeté sur des déficits budgétaires.
---------Sans doute peut-on faire remarquer qu'il serait plus exact de tenir compte des dépenses effectuées par le budget métropolitain en Algérie, dépenses qui atteignent, notamment pour l'entretien de l'Armée, une quinzaine de milliards par an et qui, n'ayant pas leur contrepartie dans des impôts prélevés sur le territoire, agissent sur la monnaie comme le ferait un déficit budgétaire. Mais en fait cet élément intervient surtout dans la balance des comptes de l'Algérie, c'est-à-dire dans l'équilibre de ses règlements extérieurs avec les autres territoires, français ou étrangers.
---------Or, depuis bientôt 3 ans, cette balance est à peu de chose près en équilibre et si, en 1945 et au début de 194&, elle a subi une profonde dépression due à la fois au rapatriement des capitaux métropolitains réfugiés en Algérie depuis 1939 à l'exode de capitaux algériens vers le Maroc dont certains espéraient que le franc n'aurait pas les faiblesses du franc métropolitain et au règlement d'importations massives de blé, au début de 1947, les exportations de vin et d'autres produits du sol sur la Métropole avaient rétabli le solde créditeur antérieur.
---------Depuis lors, la balance des comptes de l'Algérie présente d'une maison à l'autre de larges fluctuations, mais ces oscillations se produisent autour d'un nouveau moyen qui ne s'élève que lentement les dépenses de la Métropole sur ce territoire sont un des éléments positifs les plus importants et le crédit dont dispose ainsi l'Algérie lui permet de compenser l'insuffisance de son commerce extérieur avec l'étranger, où les importations l'emportent de plus de 6oo millions chaque mois sur les exportations, et aussi de pallier les sorties de capitaux vers le Maroc, conséquence de mouvements spéculatifs qui ont revêtu au début de cette année, comme en 1946, une certaine ampleur, mais qui sont suivis de brusques -repentirs et de retours progressifs.
---------Quoi qu'il en soit, devant cette stabilité des facteurs budgétaires ou extérieurs, c'est bien dans la seule évolution de la conjoncture économique générale et dans les variations des prix et salaires qu'il faut rechercher les origines de l'accroissement continu depuis deux ans du volume total des disponibilités, abandonnant les chiffres globaux pour pénétrer dans le détail des composantes ; l'examen renforce encore ces conclusions.
---------La circulation monétaire, c'est-à-dire le montant des billets émis par la Banque de l'Algérie, est sans doute l'élément le plus spectaculaire et aussi celui qui traduit le mieux les résultats de l'action économique et financière des pouvoirs publics. Stable depuis septembre 1944 jusqu'en juillet 1946 aux environs de 25 milliards, la circulation s'enfle à la suite de la néfaste conférence du Palais Royal et avec la montée en flèche des salaires et des prix agricoles et industriels qui en fut le plus clair résultat : en décembre 1946, elle atteint 30 milliards ; l'expérience Blum stoppe cette hausse pendant six mois, hais en août 1947 les événements de 1946 se répètent, le nouveau bond en avant des salaires et (les prix agricoles, notamment le prix du blé, porte la circulation de 30 milliards en juillet à 37 en décembre. Le plan Mayer agit à son tour - par résonance du moins en Algérie - et l'échange des billets de 5.ooo dans la Métropole provoque une chute de 3.500 millions en février et mars, mais les billets rentrés ressortent peu à peu des caisses de la Banque pour le paiement des nouveaux salaires et la circulation s'établit actuellement aux environs de 35 milliards.
---------Les dépôts dans les Banques et en chèques postaux ont suivi avec le moindre à-coup la même courbe générale : moins sensible que la circulation elle-même au volume des salaires proprement dits et aux hausses brusques de prix, leur augmentation dépend pour une large part du fonds de roulement nécessaire des industriels et elle traduit la haussé globale des prix : elle est particulièrement sensible depuis 8 mois (43 milliards 1/2 au 3f mars contre 33 milliards au 31 juillet 1947).
---------Quant aux dépôts dans les Caisses de crédit agricole, il va de soi que leur montant se calque sur celui (les récoltes commerciales et il est rassurant de constater qu'il passe de 3 milliards en mai 1946 à milliards en décembre et de 4.400 en juin 1947 à 6.300 en février 1948.
---------Notons enfin, comme indice réconfortant, qu'après des variations bien aberrantes les 3 éléments dont nous venons de parler - Circulation, C/C bancaires, C/C agricoles - tendent à revenir entre eux à un équilibre relatif très voisin de celui qui existait en 1939. On serait alors assez tenté de penser que les efforts du Gouvernement vers une harmonisation et une stabilisation relative des salaires, des prix agricoles et des prix industriels pourraient bien être couronnés de succès avec la rentrée des récoltes encourageantes de cette année et à condition qu'aucune faute ne soit commise en matière (le prix ou (le salaires : la situation monétaire permet en tout cas d'y croire.
---------Elle présente cependant une certaine ombre : si les éléments énumérés ci-dessus sont par rapport à 1939 à un indice légèrement supérieur à 1.000, par contre les disponibilités les plus stables (bons du Trésor détenus par les particuliers et livrets de Caisse d'Epargne) ne sont guère qu'au coefficient 7 et, sur l'ensemble, elles ne représentent plus que 14 % au lieu de 19 %.
---------Ce fait regrettable, car il dénote bien la précarité de la situation actuelle, est sans doute la manifestation de l'incertitude du public et de son défaut de confiance dans la monnaie ; il révèle aussi les difficultés majeures qui subsistent dans le domaine du crédit malgré l'abondance des signes monétaires.

LES DIFFICULTES DU CRÉDIT
---------En effet, autant les disponibilités sont grandes, autant les besoins sont élevé; dans une période où d'une part les destructions de la guerre, ou simplement le défaut de façons culturales on d'entretien, exigent la reconstruction ou une remise en état (le toute une partie (le l'appareil économique et où, d'autre part. la hausse constante des prix entraîne pour le simple maintien des fonds (le roulement, pour le remplacement des stocks et des matériels, des dépenses supérieures aux recettes. Dans une telle période. au surplus, les disponibilités sont niai réparties et il est rare que ',es détenteurs de liquidités importantes soient précisément ceux-là mêmes qui ont le plus d'investissements à réaliser.
---------Et c'est pourquoi les engagements commerciaux des Banques, après avoir stagné à moins de 7 milliards jusqu'en 1943 et les prêts du crédit agricole à moins d'un Milliard 200 jusqu'en juillet 1946 se sont brutalement accrus et. d'une manière continue, au point de tripler et d'atteindre respectivement 21 milliards et et 3 milliards 1/2 en décembre 1946. Ilest alors apparu au Gouvernement, car le même processus se développait en France, que les établissements (le crédit. faute d'avoir pris peut-être toutes les garanties préalable risquaient (le se trouver, un jour, dangereusement immobilisés : en effet, en Algérie, les prêts et engagements ont atteint dès ce moment 70 % des dépôts (au lieu des 35% en 1945) sans que la liquidité des opérations soit véritablement certaine. Si l'on ajoute à cela que le portefeuille de bons du Trésor détenu par les établissements de crédit a subi une diminution corrélative, on comprendra mieux les restrictions et les mesures (le contrôle édictées au début de 1947 par le Conseil national du Crédit. Ces directives ont été suivies en Algérie, avec quelques assouplissements toutefois, pour tenir compte, de la situation particulière de ce territoire dont on a pu dire justement que sa prospérité avait été fondée sur un crédit libéralement dispensé.
---------Depuis cette époque. les crédits d'achats, valeurs et refuges ou de stockages sont particulièrement contrôlés et toutes les fiches importantes doivent faire l'objet d'un examen préalable par l'institut d'émission. Les appels n'ont ont pas moins continué à être pressants et actuellement le même rapport, vraiment considérable de 70% subsiste entre les dépôts et les prêts qui atteignent 4 milliards 500 millions de francs au crédit agricole et 27 milliards 500 millions (le francs dans les banques. En outre, devant les difficultés plus grandes du recours au crédit normal, l'Algérie a dû intervenir pour faciliter la trésorerie des entreprises essentielles à l'activité du pays.
---------Les papiers de crédit qui circulent sous la garantie de l'Algérie. à peu près inexistants en 1945 (134 millions), atteignent aujourd'hui près de 4.900 millions, chiffre sur lequel il convient de s'arrêter un instant.
---------En effet, dans ce montant. les véritables opérations à court terme matérialisées pain les lettres d'agrément et certains prêts au Fonds commun des S.I.P. n'atteignent pas 1.200 millions. Pour le surplus, il s'agit de mécanismes que l'Administration algérienne a dû mettre au point pour suppléer à la carence des prêteurs à long terme et éviter que faute de pouvoir emprunter les fonds nécessaires auprès des épargnants individuels ou groupes dans les établissements traditionnels (Crédit Foncier de France. Caisse des Dépôts) les grands travaux effectués par les collectivités publiques ne soient stoppés et l'industrialisation de l'Algérie compromise.
---------Car c'est dans ce domaine du long terme que se marque le plus la crise de confiance que traverse actuellement le marché financier. Cette crise se traduit tout d'abord par une tension du taux de l'intérêt et une baisse du cours de bourse des obligations et autres valeurs de revenus fixes, notamment des emprunts d'Etat ; le taux moyen de capitalisation des emprunts algériens atteint maintenant le même niveau qu'en 1930, soit 5.2 % alors qu'il s'était abaissé en dessous de 3,40 % en 1943. évolution strictement parallèle à celle du 3 % perpétuel en France et qui entraîne fatalement la hausse générale du loyer de l'argent à long terme.
---------Mais comme la baisse entraîne la baisse, l'épargne refuse de s'investir, l'insuccès des émissions d'obligations. voire même des augmentations de capital et, par voie de conséquence, la faiblesse des réalisations effectives est le fait le plus saillant des années 1947 et 1948. Alors que les facultés d'épargne de la Métropole étaient évaluées à près de 250 milliards par an, il est difficile actuellement d'émettre à Paris plus de 2 à 3 milliards de titres par mois.
---------En Algérie, il en va de même et la comparaison des résultats obtenus en 1947 avec ceux des années précédentes est fâcheusement éloquente:
1943
1944/45
1946
1947
Placements publics
2.612
3.488
2.430
28
Placements privés
105
71
63
120
Total
2717
3550
2493
148


 

 


---------Elle fait d'ailleurs ressortir que la désaffection du public ne s'adresse pas seulement aux emprunts d'État. mais aux investissements mobiliers de quelque nature qu'ils soient.
---------Cette situation est lourde de conséquences sur lesquelles il n'est pas besoin d'insister tant elles sont évidentes : la bonne exécution (lu budget extraordinaire risque d'être entravée. Le plan des investissements du secteur prioritaire qui englobe les besoins impérieux des collectivités locales (Chambres de Commerce, Départements, Communes), des entreprises nationalisées (Électricité, Houillères), ceux de l'Agriculture (prêts à long et moyen terme du crédit agricole), ceux enfin des industries agréées dans le plan d'industrialisation : ce plan général de crédit, tel qu'il a été agréé par M. le Ministre des Finances, s'élève pour la seule année 1948 à une vingtaine de milliards : c'est dire l'importance de l'enjeu.
---------Devant l'urgence et la nécessité de solutions au moins partielles, des formules nouvelles plus attrayantes pour l'épargne, ont été recherchées. L'Algérie vient de faire l'épreuve d'un emprunt à moyen ternie à intérêt payé d'avance et mobilisable comme un bon du Trésor : le succès en a d'ailleurs été complet. La tranche vient dêtre close après avoir dépassé 1.200 millions. alors que la première avait atteint le milliard.
---------Compte tenu des capacités de placement de l'Algérie, c'est une franche réussite qui permet de mieux augurer de l'avenir et notamment des possibilités qui s'ouvriront en octobre, après la rentrée des récoltes. C'est en tout cas une marque de renaissance de la confiance des Algériens dans les destinées de leur monnaie et un indice encourageant.
---------Il n'est pas douteux cependant que la situation du marché financier demeurera précaire aussi longtemps que subsisteront les incertitudes politiques et que ne sera pas réalisée une stabilisation des facteurs économiques sans laquelle les budgets perdent tout véritable sens.