Alger, Algérie : documents algériens
Série monographies : Algérie
Présentation de l'Algérie
5 pages - n° 13 - 10 mai 1954

-------Le soixante-dix-neuvième Congrès National des sociétés savantes s'est tenu à Alger du 14 au 21 avril 1954.
-------Au cours de la séance inaugurale de ce Congrès, M. DESPOIS, Professeur à la Faculté des Lettres d'Alger, a rapidement présenté l'Algérie aux congressistes. C'est le texte de son al'ocution, texte remarquable par sa clarté, son objectivité et sa concision, que les " Documents Algériens " publient aujourd'hui dans leur série " Monographies ".

mise sur site en août 2005
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----------------Monsieur le Gouverneur général, Mesdames, Messieurs"
----------------Les séances inaugurales des Congrès des Sociétés savantes ne sont pas destinées à renseigner les congressistes sur la région où ils arrivent et qu'ils vont voir. Il n'y a pas de pays, en France, qui ait besoin d'être expliqué à ceux qui le viennent visiter. Il n'en est peut-être pas de même pour l'Algérie. Et c'est pour répondre à un désir exprimé par M. Guillaume Grandidier, - Président de la Section de géographie du Comité des Travaux historiques et scientifiques qui aurait dû, n'eût été son état de santé, présider ce congrès, - que je vais essayer de vous présenter brièvement cette terre d'Afrique que beaucoup d'entre vous abordent pour la première fois.

----------------Vous allez y voir des choses souvent nouvelles et très variées : des paysages fort divers qui se succèdent de la Méditerranée au Sahara ; des témoins des civilisations si différentes qui y ont fleuri et que vous offriront les musées, les ruines et les monuments que nous vous ferons visiter ; des villes dont certains quartiers n'ont rien à envier aux plus modernes d'Europe, dont d'autres vous séduiront par leur " couleur locale ", tandis que d'autres poseront à vos yeux, par leur aspect délabré, le difficile problème du prolétariat algérien ; des campagnes qui évoquent, par leur modernisme et leur richesse, des paysages californiens, mais d'autres aussi qui traduisent trop visiblement la pauvreté des terres et des gens, ou encore l'insuffisance, souvent dramatique, des pluies. Je n'ai pas d'autre ambition que de vous aider un peu à comprendre ce que vous verrez, à préparer des cadres où vous pourrez classer vos impressions et vos observations.
----------------Tandis que les péninsules ibérique, italienne etbalkanique et les régions méditerranéennes de France ne sont que le prolongement d'une Europe tempérée, océanique ou à demi-continentale, dans une zone de climat plus lumineux, plus tiède en hiver, chaud et sec en été, que limite assez bien l'extension de l'olivier - l'Afrique du Nord, et l'Algérie en particulier, déroulent leurs paysages méditerranéens en bordure du Sahara. Traversez les 100 kilomètres de montagnes méditerranéennes de l'Atlas tellien et déjà vous arrivez à de hautes plaines plus ou moins sèches et nues où l'influence du désert commence à se faire sentir. Faites encore 100 ou 150 kilomètres et franchissez l'Atlas saharien : vous voilà à l'orée du désert le pus tristement parfait et le plus vaste du monde.

----------------L'Atlas tellien, comme la plupart des pays méditerranéens, vous frappera par ses contrastes. Il a de riches plaines, comme la Mitidja, où se pressent de denses cultures maraîchères, où les orangeraies s'abritent derrière des rideaux de cyprès, où s'alignent, en une géométrie rationnelle, des millions de pieds de vigne, où se multiplient les agglomérations prospères et vivantes. Mais il a surtout ses montagnes aux sols pauvres, écorchées par l'érosion, aux forêts clairsemées, aux maigres cultures de céréales ; dans les Kabylies cependant figuiers et oliviers retiennent les sols et égayent le paysage. Partout une population nombreuse qui tantôt se groupe en villages, et tantôt se disperse en hameaux de modestes chaumières qu'on appelle gourbis et qui se distinguent mal d'un sol ou d'un couvert végétal dont elles sont faites. Le paysage rural, souvent nu et flou, et la rareté des cultures en terras-ses, - en dehors des récentes banquettes aménagées par les services de la Restauration des sols, - frapperont les regards des moins observateurs.
----------------Puis voici de Hautes plaines, - qu'on a la fâcheuse habitude d'appeler ici Hauts Plateaux - aux vastes horizons dénudés mais parsemés de massifs montagneux. Les unes, à l'Est surtout, dans le département de Constantine, sont encore suffisamment pluvieuses et portent d'immenses champs de blé et d'orge, dont les chaumes, en été, servent de pâture aux troupeaux de moutons des nomades sahariens : des villages de colonisation, des centres administratifs y sont nés. Les autres, au Sud des départements d'Alger et d'Oran, sont des steppes parsemées de touffes d'alfa et d'armoises : c'est le " pays du mouton " : les gourbis qui maintenant se mêlent aux tentes, montrent que les anciens pasteurs nomades s'intéressent de plus en plus à la culture des céréales et qu'ils sont devenus des semi-nomades. Mais la culture n'est possible qu'avec l'irrigation ou avec ce que j'ai appelé l'inondation dirigée, c'est-à-dire la dérivation sur les champs des eaux de ruissellement et des eaux de crue des oueds. Autour des sebkhas, fonds de cuvettes nus et salés propices aux mirages, les terres chott servent de pâturages aux chameaux, animaux porteurs des nomades et des semi-nomades.
Les itinéraires des voyages vous permettront de voir ces deux types de régions. Les environs de Bou-Saâda et de Biskra marquent déjà, par leur aridité, l'extrême avancée du désert.

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----------------Les paysages algériens ne résultent pas uniquement des conditions géographiques : ils portent aussi l'empreinte d'une histoire singulièrement variée et intéressante.

----------------La préhistoire, encore bien incertaine, dont le Musée du Bardo vous montrera de belles collections, n'a pas complètement résolu le problème de l'origine des habitants de l'Afrique du Nord, les Berbères, bien que M. Balout ait récemment écrit qu"on a tout lieu de penser que les Berbères actuels sont la lignée des Méditerranéens porteurs, il y a 10.000 ans, de la civilisation capsienne. " Le mot même de Berbères dérive du latin " barbari ", les étrangers, et a survécu aussi bien dans certains noms propres du pays que, sous le nom de Barbaresques, dans les écrits des Européens.

----------------Les Phéniciens, venus des côtes de Syrie au début du ter millénaire avant J.C., les ont fait passer directement du Néolithique à l'Histoire et ont fait progresser leurs procédés agricoles. Les nombreuses stèles puniques récemment trouvées à Constantine et que vous verrez confirment que l'action des Phéniciens et de leurs héritiers, les Carthaginois, fut plus profonde qu'on le pensait en dehors de leur territoire tunisien.

----------------Beaucoup d'entre vous ont été attirés sur ces rives de l'Afrique par les vestiges de l'Antiquité romaine. Vous serez à cet égard royalement servis. Plus. encore que les musées d'Alger, de Cherchel et de Constantine, ce sont les ruines des villes qui évoqueront pour vous la vie antique, et nous sommes particulièrement heureux de pouvoir vous montrer des ensembles tels que Tipasa, Djemila, Tiddis et Timgad, Nous aurions voulu y joindre Hippone, la ville de Saint Augustin ; son éloignement seul nous en a empêchés, mon collègue Leschi et moi-même, lorsque je lui ai soumis le programme des voyages. Permettez-moi d'évoquer en passant la mémoire de ce cher ami, de cet incomparable connaisseur de l'Algérie antique qui se réjouissait tant de votre venue ici et qui aurait été si heureux et si fier de vous montrer lui-même l'oeuvre à laquelle il avait consacré sa vie.

----------------Cette Afrique romaine, qui n'a jamais couvert que la moitié à peine de notre Afrique du Nord, n'a été que partiellement et provisoirement reconstituée' - après la conquête et la domination des Vandales, - par les Byzantins : vou§ verrez à Timgad un fort byzantin et tout ce que des fouilles récentes ont révélé dans ses fondations.

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Mais voici, au VII" siècle de notre ère, les conquérants arabes. L'Afrique, latine et en majorité chrétienne, va devenir peu à peu arabe et musulmane et se transformer en une lointaine annexe de l'Orient. Il ne faut pas confondre les conquêtes des VII' et VIII' siècles qui, après 150 ans de résistance berbère, ont amené, dans l'Est de l'Afrique du Nord surtout, dans cette Ifrikiya dont le nom dérive du latin Africa, une véritable renaissance de la prospérité antique - vous verrez en passant Bougie, capitale refuge d'une dynastie - il ne faut pas confondre, disais-je, les conquêtes des VII' et VIII' siècles avec les invasions des nomades arabes du XI' dont les effets n'ont guère été que funestes.

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Les premières conquêtes ont d'abord amené l'Islam, qui est devenu le principal élément d'unité entre les populations et qui les a rattachées à la grande communauté musulmane dont on compte plus de 300 millions d'adeptes. Or, on l'a souvent dit, l'Islam n'est pas qu'une religion : il imprègne toute la vie sociale, le droit privé et le droit public. Sauf quelques noyaux d'Israélites, dans les villes surtout mais aussi dans certaines campagnes, tous les Berbères d'Afrique du Nord sont devenus musulmans.

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L'arabisation, elle, s'est faite surtout par la langue, mais elle n'a pas été complète. En Algérie 29 % des habitants, en particulier les Kabyles de l'Ouest et les Chaouïa de l'Aurès et de son pourtour, ont conservé leurs anciens parlers berbères et, avec eux, bien des coutumes préislamiques. Les autres ont été si bien arabisés, non seulement par la langue, mais aussi, dans les villes, par la civilisation arabe, qu'ils en sont venus, malgré l'apport assez réduit d'immigrants orientaux, à se dire Arabes et à se considérer comme tels. L'empreinte orientale, musulmane et arabe, a fortement marqué le paysage et la vie des cités avec leurs mosquées hérissées de minarets, leurs kasbas fortifiées et leurs remparts, leurs boutiques groupées par métiers dans les souks, leurs bains dérivés des thermes antiques, leurs quartiers de résidence aux maisons prenant le jour sur des cours intérieures, où la vie féminine et familiale est soustraite à l'indiscrétion des passants; les femmes obligées de sortir se voilent la figure. L'Algérie a toujours été pauvre en vie urbaine, du moins depuis quinze siècles : on n'y trouve pas d'aussi belles " medina " qu'en Tunisie et au Maroc. Les vieux quartiers de ses agglomérations ont été transformés ou noyés dans de nombreux ensembles urbains.
--------------Quant aux invasions des nomades arabes du XI' siècle, celles des Beni Hilal et des Beni Solaym, elles n'ont pas, bien au contraire, arrêté l'extension de l'Islam et de l'arabisation. Mais, en renforçant les turbulentes tribus nomades du désert et des steppes et leur mainmise sur les pays de nature méditerranéenne, elles ont contribué à faire peu à peu disparaître, par la demi-anarchie qu'elles y ont entretenue, ces cultures arbustives et ces agglomérations rurales des plaines que nous signalent encore les géographes arabes des XI' ,et XII' siècles. Les anciens paysans se sont peu à peu assimilés aux pasteurs vainqueurs dont ils ont pris les qualités et les défauts. La véritable vie paysanne s'est seule-ment conservée ou a trouvé refuge dans certains massifs montagneux comme les Kabylies. D'où ces paysages ruraux souvent nus et flous que vous verrez encore souvent malgré les progrès de la colonisation, malgré, aussi, l'effort récent des " fellahs ", de ces paysans qui retrouvent peu à peu, sous la pression de l'exemple et de la nécessité, un sens de la terre et du terroir qui s'était estompé pendant des centaines d'années.

 

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----------------Au XVI' siècle les Turcs, en lutte avec les Espagnols en Méditerranée, ont été amenés à se rendre maîtres des pays qui forment actuellement l'Algérie et la Tunisie. Malgré les corsaires qui ont troublé les relations de l'Afrique et de l'Europe, malgré une domination à peu près exclusivement fiscale et militaire, d'ailleurs incomplète, l'époque turque a été relativement calme. Les Turcs ont inconsciemment préparé les cadres de l'Afrique française du Nord en contenant les Marocains restés indépendants au-delà d'une frontière fixée, comme aujourd'hui, à l'Est d'Oudjda, en distinguant une Régence d'Alger et une Régence de Tunis, - séparant en deux les régions orientales longtemps groupées sous le nom d'Ifrikiya - en divisant l'Algérie en trois beyliks qui sont à l'origine des trois départements algériens actuels et en faisant d'Alger leur capitale.

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----------------L'Algérie française est donc peuplée en majorité par les descendants de ces Berbères qui, chrétiens et romanisés dans l'Antiquité, ont été ensuite islamisés et en grande partie arabisés. Jusqu'au XIXè siècle les immigrants n'ont jamais été bien nombreux, même les nomades du XI' siècle qui se sont dispersés de la Cyrénaïque au Maroc atlantique ; les ports seuls ont toujours eu une population bigarrée par l'apport de marins, de commerçants ou d'esclaves venus de tous les coins de la Méditerranée. Les Musulmans d'Algérie sont actuellement au nombre de 8.200.000 d'après les statistiques du ler janvier 1953. Avec eux vivent plus d'un million d'Européens, pour la plupart Français nés dans la Métro-pole ou de familles qui en sont originaires ; en Oranie surtout de nombreux Espagnols ont été naturalisés.

----------------Plus d'un siècle de cohabitation, de bonne entente et de travail coude à coude, deux grandes guerres qui ont témoigné d'une véritable fraternité en face des mêmes dangers et des mêmes épreuves ont amené le Gouvernement de la IV' République à reconnaître à l'Algérie un statut particulier, statut qui a été voté le 20 septembre 1947, dans le cadre de l'Union française.
----------------L'Algérie forme, selon l'article 1" " un groupe de départements doté de la personnalité civile, de l'autonomie financière et d'une organisation particulière... ". Les trois départements, créés dès 1848,. se sont peu à peu étendus aux dépens des Territoires militaires du Sud. La présence, sur cette estrade, de M. le Gouverneur général, qui représente le Gouvernement de la République française, montre bien qu'il n'y a pas assimilation administrative complète avec la Métropole. Celle de M. le président Farès, au premier rang de cette salle, témoigne qu'il existe une assemblée représentative élue, qui a des pouvoirs financiers et " une part non négligeable dans l'initiative et l'adaptation des lois au pays ", et que son président est, un an sur deux, un Musulman. Du reste, il n'y a plus en Algérie que des citoyens français, non-musulmans ou musulmans, ces derniers pouvant seulement conserver leur statut personnel d'origine coranique. Les populations de l'Algérie sont en outre représentées, vous le savez, à l'Assemblée nationale, au Conseil de la République et à l'Assemblée de l'Union française : plusieurs de ces représentants nous ont fait l'honneur d'assister à cette séance.

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---------------Le rappel de ces quelques faits était, je crois, utile, sinon nécessaire, pour aider ceux qui arrivent pour la première fois en Algérie à comprendre ce qu'ils sont appelés à voir et à juger. Je demanderai à ceux qui ne viennent pas seulement en touristes ou en simples spécialistes des disciplines représentées dans ce congrès, mais aussi en voyageurs curieux de la vie et de l'actualité algérienne, de ne pas porter de jugements trop rapides et trop définitifs sur un pays complexe qu'ils ne feront qu'entrevoir, sur un pays où l'on a beaucoup travaillé, mais où il reste beaucoup à faire, dans des conditions générale-ment difficiles.

----------------L'oeuvre des agriculteurs et des ingénieurs est souvent spectaculaire. Bien des plaines autrefois peu cultivées et localement marécageuses et malsaines portent aujourd'hui des cultures faites selon les techniques les plus modernes et les plus délicates. Leur mise en valeur y a créé de nombreuses agglomérations que dominent ou avoisinent de vastes caves souvent collectives, de puissants silos, des usines de conditionnement, de conserves ou de transformation. Des centres miniers sont nés des richesses nouvelles extraites du sous-sol dans des contrées autrefois presque vides ; les grandes villes et leurs banlieues voient se multiplier des industries récentes, sans que le pays puisse encore prétendre à la grande industrie. L'équipement portuaire sur un littoral souvent dangereux, la construction et l'entretien de routes et de voies ferrées dans un pays montagneux aux roches sans consistance, ébouleuses et glissantes, l'édification de grands barrages dans des conditions difficiles ont demandé et demandent toujours de gros efforts financiers et techniques. De nombreuses villes sont des créations françaises tandis que les plus grandes cités se sont développées à partir de modestes " medina " musulmanes, les quartiers nouveaux transposant sur cette terre d'Afrique les aspects les plus modernes de l'Europe ou même du Nouveau Monde.

----------------Moins spectaculaire mais plus profonde peut-être a été l'action des établissements d'enseignement et d'assistance hospitalière et médicale. Nous sommes heureux de vous recevoir ici dans une Université qui compte plus de 5.000 étudiants dont de nombreux Musulmans. L'Ecole nationale d'Agriculture et l'Institut industriel de Maison-Carrée forment de jeunes ingénieurs. Il n'est pas de ville qui n'ait au moins un ou deux établissements d'enseignement secondaire ou professionnel. Près de 13.600 classes distribuent l'instruction primaire à un nombre encore insuffisant d'enfants. Vous pourrez visiter l'Institut Pasteur d'où sont sorties tant de belles découvertes vous apercevrez au passage, durant vos voyages, les hôpitaux construits dans les villes et les principaux centres ; quant à l'assistance médicale, elle a ses ramifications jusqu'aux régions les plus reculées.

----------------C'est à l'effort de nos maîtres que l'on doit l'extension de notre langue et l'assimilation, si remarquable souvent, de notre culture par les élites musulmanes, lesquelles comptent Plusieurs écrivains qui honorent la littérature française. C'est à l'assistance médicale et hospitalière que l'on doit, en grande partie, le triplement en un siècle de la population musulmane et la disparition ou le recul des grandes épidémies qui la décimaient autrefois.

----------------Il y a naturellement, à ce tableau haut en couleur, des ombres, des ombres que vous verrez, qu'on ne saurait masquer mais qu'il s'agit de comprendre, en particuier ce paupérisme qu'affichent les nombreux mendiants, les foules mal habillées, les bidonvilles qui s'accolent aux cités, les pauvres gourbis de certaines régions rurales. Sans doute est-il nécessaire de s'en prendre à une trop inégale répartition des richesses. Mais on doit aussi souligner d'abord les difficultés dues à une augmentation que l'on serait tenté de dire trop rapide de la population : il ne faut pas seulement que la production et les moyens de travail s'accroissent proportionnellement, mais encore qu'ils puissent assurer une amélioration des ni-veaux de vie : c'est là un problème qui préoccupe au plus haut point ceux qui ont la charge de ce pays, l'émigration spontanée des travailleurs que vous rencontrez dans les usines et sur les chantiers de la métropole n'étant qu'une solution partielle qui n'est pas dépourvue d'inconvénients.

----------------Malgré la richesse créée dans certaines régions, l'Algérie est un pays pauvre. Il ne sert à rien de dire qu'elle couvre 2.205.000 km2 puisque le désert, le plus terrible des déserts, en occupe 1.880.000. Même sur les 325.000 km2 qui s'étendent jusqu'à lui,, jusqu'au pied méridional de l'Atlas saharien, il n'y en a pas plus de 65.000 de surface cultivable. D'immenses étendues ne sont que de maigres pâtures ; de vastes surfaces montagneuses sont en plein Tell et sont couvertes de forêts ou d'un maigre maquis. Et la trop inégale pluviosité pèse fâcheusement, certaines années, sur l'économie d'un pays qui reste essentiellement agricole.

----------------Ajoutez les difficultés que rencontrent les pouvoirs publics pour entraîner dans le progrès des mas-ses rurales trop souvent passives qui ont vécu pendant des siècles dans la crainte du pillage et hors de l'influence des villes, pour faire évoluer des campagnes qui se trouvent de plus en plus en retard par rapport aux agglomérations urbaines, pour faire progresser une agriculture trop souvent paralysée par le manque de moyens et par l'indivision familiale. Il n'en faut que plus admirer les efforts des Sociétés algériennes de prévoyance, des Secteurs d'amélioration rurale, du Service de la défense et de la restauration des sols qui cherchent à encadrer, à aider et à faire progresser la culture et l'élevage de la mas-se des ruraux attardés.
----------------Il n'est pas jusqu'à l'industrie qui ne se développe dans des conditions difficiles avec une énergie coûteuse, une main-d'oeuvre nombreuse mais malhabile, une clientèle intérieure insuffisante en nombre et en pouvoir d'achat.

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----------------Au terme de cet exposé à la fois trop rapide et trop dense, j'ai conscience d'avoir négligé bien des aspects de l'Algérie, bien des problèmes qui s'y posent. Aussi bien n'êtes-vous pas venus ici pour les étudier. Vous avez traversé la mer à la fois pour discuter des questions de vos spécialités réciproques et pour découvrir ou revoir des paysages inhabituels. Mais, savants à certaines heures et touristes à d'autres, vous saurez aussi vous intéresser à un pays dont l'évolution récente est une belle oeuvre française, qui tient une grande place dans la vie française et qui mérite largement qu'on s'y intéresse de toutes les manières. Je n'ai eu d'autre prétention que de vous aider, bien modestement, à le comprendre et à l'aimer.