Alger, Algérie : documents algériens
Série monographies : Sahara
Le pays de Laghouat et des Larbaâ
12 pages - n° 21 - 10 mai 1957

---------Jusqu'au XVIII' siècle, Laghouat (qui serait un pluriel de Ghaouth, maison dans un jardin, en arabe du sud) n'était qu'un ensemble de petits villages disséminés dans la palmeraie : Ben Bouta, d'abord, fondé par divers sédentarisés, puis Bou Mendala, Nedjal, Sidi-Mimoun, Bedla, Qaçba ben Fetah. La concorde ne régnait pas toujours. Des Arabes Youssef quittèrent Bedla pour fonder Tadjmout, là où se trouve aujourd'hui le barrage inféro-flux, en 1666. Un saint personnage de Ben Bouta, Sidi Nacer, avait une fille très belle qu'il refusa au fils du Cheikh de Qaçba ben Fetah et donna à un homme de Ben Bouta. Le jour des noces, le jeune homme évincé l'enleva et la tua plutôt que de la rendre. Le saint jeta dans le vent une poignée de sable et dispersa de même les habitants du village maudit, qui se retrouvèrent... à Ghadamès.

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----------Après avoir longé toute une série de petites montagnes pierreuses couleur de miel, la route arrive à la vallée du Mzi, d'une largeur impressionnante où coule, tantôt un filet d'eau, tantôt un fleuve déchaîné. L'oued est enjambé par un pont à tablier métallique de 230 mètres, qui date d'une trentaine d'années. Au fond, la palmeraie et les rochers de Laghouat. C'est de cet endroit que Fromentin découvrit l'oasis et fit cette description digne de son pinceau (1) :
----------" Je sentais qu'El-Aghouat était là, et qu'il ne me restait que quelques pas à faire pour le découvrir. Je n'avais plus autour de moi que du sable; il y avait des pas nombreux et des traces toutes récentes imprimées à l'endroit où nous marchions. Le ciel était d'un bleu le cobalt pur; l'éclat de ce paysage stérile et enflammé le rendait encore plus extraordinaire. Enfin, le terrain s'abaissa, et devant moi, mais fort loin encore, je vis apparaître, au-desus d'une plaine frappée de lumière, d'abord un monticule isolé de rochers blancs, avec une multitude de points obscurs, figurant en noir violet les contours supérieurs d'une ville armée de tours; au bas s'alignait un fourré d'un vert froid, compacte, légèrement hérissé comme la surface barbue d'un champ d'épis. Une barre violette, et qui me parut sombre, se mon-trait à gauche, presque au niveau de la ville, reparaissait à droite, toujours aussi roide, et fermait l'horizon. Cette barre tranchait crûment sur un fond de ciel couleur d'argent mat, et ressemblait, moins le ton, à une mer sans limites. Dans l'intervalle qui me séparait encore de la ville, il y avait une étendue sablonneuse, et quelque chose d'un gris plus bleuâtre, comme le lit abandonné d'une rivière aussi large deux fois que la Seine... " -
----------Moins picturale, mais nuancée et sensible, technique et précise, voici la description qu'à la même époque faisait Du Barail (1) pour expliquer la prise de la ville en 1852 :
----------" Laghouat est bâtie sur deux rochers qui émergent d'une plaine s'étendant au loin vers le Sud et sur la rive droite de l'Oued Mzi. Un canal, dérivé de la rivière, passe entre les deux rochers et, après avoir arrosé les jardins du nord, va arroser les jardins du sud, séparant ainsi la ville en deux quartiers : le quartier de l'Est, habité par les Oulad-Seghines, et le quartier de l'Ouest habité par les Hallaf... Le rocher de l'est est taillé à pic et descend brusquement à la rivière (2). Celui de l'ouest s'étend dans la plaine, par un moutonnement de sommets décroissants et séparés par des cols assez larges. Ces rochers sont d'une aridité absolue. Ils ne portent pas un atome de terre végétale et leur aspect désolé contraste avec le vert intense de l'oasis qu'ils coupent en deux. Les jardins de cette oasis sont plus beaux et plus nombreux au nord qu'au sud, parce que ceux du nord sont servis les premiers par les eaux du canal, qui arrivent en moins grande quantité au sud. "
----------" L'aspect général du pays est d'une tristesse grandiose. En dehors de l'oasis, aussi loin que la vue peut s'étendre on n'aperçoit pas un brin d'herbe. Partout des pierres calcinées, partout du sable. Dans les profondeurs du sud, le désert apparaît stérile et nu. Du côté du nord, le regard est arrêté par une ligne de rochers qu'un sable jaune, rutilant, plaqué dans leurs anfractuosités fait paraître plus noirs et plus brûlés. Dans les grandes chaleurs de l'été, alors que l'air vibre autour du sol, on dirait voir des flammes léchant du charbon. En 1853, lorsque le peintre Fromentin vint en Afrique, il me raconta que ce sable et ces rochers faisaient son désespoir, et qu'il ne pouvait pas rendre ces effets de lumière intense et aveuglante. e Les plus vives couleurs de ma palette me paraissent, disait-il, de la boue sans reflet. "

Les origines de Laghouat :

----------Jusqu'au XVIII' siècle, Laghouat (qui serait un pluriel de Ghaouth, maison dans un jardin, en arabe du sud) n'était qu'un ensemble de petits villages disséminés dans la palmeraie : Ben Bouta, d'abord, fondé par divers sédentarisés, puis Bou Mendala, Nedjal, Sidi-Mimoun, Bedla, Qaçba ben Fetah. La concorde ne régnait pas toujours. Des Arabes Youssef quittèrent Bedla pour fonder Tadjmout, là où se trouve aujourd'hui le barrage inféro-flux, en 1666. Un saint personnage de Ben Bouta, Sidi Nacer, avait une fille très belle qu'il refusa au fils du Cheikh de Qaçba ben Fetah et donna à un homme de Ben Bouta. Le jour des noces, le jeune homme évincé l'enleva et la tua plutôt que de la rendre. Le saint jeta dans le vent une poignée de sable et dispersa de même les habitants du village maudit, qui se retrouvèrent... à Ghadamès.
----------Vers 1698, l'on vit arriver un Tlemcénien, moqaddem de la confrérie Naciria, qui venait de passer, sans s'y plaire assez pour s'y arrêter, par le Djebel Amour et par El Haouitha. Bien accueilli dans ce qui devait être Laghouat, il se fixa à Ben Bouta et s'y maria. Il devait y mourir en 1737, et il est enterré sur le rocher central dans une qoubba qui joua un rôle capital dans le siège de 1852. Sidi Hadj Aïssa peut être considéré comme le fondateur de Laghouat. C'est lui qui fit construire une ville fortifiée s'étageant sur les rochers, au-dessus de la palmeraie. Dès 1709, le voyageur Naciri appelle Laghouat une ville considérable, alors qu'en 1663, El Ayachi n'en disait pas un mot. C'est vers la même époque qu'arrivèrent dans la région les Larbâa, chassés du Zab par les Ouled Djellal et qu'ils s'y installèrent après avoir repoussé vers l'Ouest les Ouled Yaqoub et les Zenakhra.
----------Très vénéré aujourd'hui, le saint dut éprouver de son vivant quelques mécomptes, notamment dans une dispute entre Laghouat et le qçar d'El Assafia. Estimant que ses concitoyens n'avaient pas tenu leurs engagements à son égard, il fit de sombres prédictions parmi lesquelles la conquête du pays par les Français. Il semblait goûter une joie amère à prédire l'arrivée des roumis.
----------" Préparez pour les Chrétiens leurs repas du matin et du soir... Leurs soldats allument leurs feux sur nos rochers... Levez-vous et voyez dans un nuage de poussière briller mille étendards : ce sont les Chrétiens sortis d'Alger et qui se dirigent vers l'Oued El Ahmar. Vous qui entendez mes paroles, ne dites pas : " Nous ne sommes pas près de voir ces choses ". Car je les ai vues, je les vois de mes yeux. Alger devient la plus magnifique des cités. Elle rejette de son sein les fidèles, et se remplit de Chrétiens qui arrivent en foule de l'autre côté de la mer... Le sommeil du Turc a été troublé; il est vaincu, son règne est passé. Il a comblé la mesure de ses injustices... Une armée de Chrétiens protégée de Dieu s'avance vers nous. Ils sont partout vainqueurs; rien ne peut les arrêter... "
----------Ces prédictions, qu'à la vérité certains jugent apocryphes, furent mises par écrit. Le général Marey-Monge vit le manuscrit au cours de son expédition de 1844, bien avant la prise de Laghouat, et en rapporta des fragments qui furent étudiés à Alger par le professeur d'arabe Bresnier. La plupart des pièces sont écrites en prose rimée et rythmée faite pour être chantée sur les places publiques. Bresnier a aussi peu de considération pour le fond que pour la forme. Il estime que l'auteur pensait à une lutte des Espagnols à Oran en 1732, et que des noms ont dû être modifiés ou interpolés par des copistes.
----------La ville de Laghouat, accrochée à ses rochers comprend désormais deux quartiers bien distincts et naturellement rivaux, celui des Ahlaf à l'Est et cel ui des Ouled Seghin (plus les Ouled Sidi el Hadj Aïssa) à l'Ouest. Chacun avait son marché et sa mosquée. On se battait de temps en temps, mais toujours en dehors de la ville, à un jour convenu, dans les jardins.
----------Pour ce qui est des nomades, les Larbaâ, arrivés au Zab avec l'invasion hilalienne, quittèrent cette région au XVII" siècle. Ils étaient à l'origine quatre tribus, les Maâmra, Hadjdjadj, Ouled Zid et Ouled Salah, d'où leur nom des Quatre, E1 Arbaâ. Chassés du Zab par les Ouled Djellal, ils passèrent par le Djebel Boukahil, s'allièrent aux Rahman, refoulèrent vers l'Ouest, dans le Djebel Amour, les Ouled
Yagoûb Zerâra et s'installèrent dans l'actuelle annexe de Laghouat où ils s'aggrégèrent des groupes maraboutiques comme les Ouled Sidi Athallah de Tadjemout, et les Harazlia dont l'ancêtre est enterré à Messaâd. Les Ouled Zid étaient restés au Zab.
----------Aujourd'hui, l'annexe compte administrativement neuf tribus Larbaâ : Ouled Sidi Slimane et Ouled Ben Chaâ (Harazlia) Maâmra, Hadjdjadj, Zekaska, Ouled Salah, Ouled Sidi Athallah, Ouled Ziane, Ababda Sofiane. Cette confédération de plus de 20.000 âmes dépend du bachagha sénateur Mahroun, petit-fils du khalifa Djelloul, arrière petit-fils du bachagha Lakhdar, de la grande famille des Ferhat. Ce système se rapproche un peu du protectorat et ne posait jusqu'à ces temps derniers pas de très grands problèmes. Les grandes questions pour ces nomades restent la pluie, la santé des moutons, le nombre et l'état des points d'eau, l'accès au Tell pendant l'été. Les Mekhalif sont administrés à part. Les villages de Qçar el Hirane, El Assafia, Delaâ, Aïn el Hamara et Haouitha sont dans le sillage des Larbaâ. Tadjemout, capitale des Ouled Sidi Abdallah est devenue célèbre par son barrage inféro-flux. Aïn Madhi l'est depuis longtemps par sa zaouïa tidjania.
----------Sagement les Turcs demandaient peu d'impôts, et ceux-ci étaient rarement payés. En 1796, Mustafa bey de Médéa fut plus exigeant, vint lui-même les recueillir et fut battu sous les murs de Laghouat. En 1797 et en 1798, le bey d'Oran, qui avait recueilli d'Alger cette succession difficile, infligea un sanglant échec aux Ouled Serghin qui se réfugièrent quelque temps à Tadjemout. En 1802 le bey Osman opéra de même avec les Hallaf.

La curieuse figure d'Ahmed Bensalem

----------Ces Hallaf, en mauvais termes avec le qçar d'Assafia, ami des Ouled Serghin, fondèrent contre lui avec des Rahman, en 1801, Qçar et Hiran. Leur grande famille était les Ben Zanoun. Le chef de celle-ci, Ahmed Bensalem (que Marey-Monge comparaît à un prince italien de la Renaissance) épousa la fille de Ahmed ben Lakhdar, des Ouled Serghin, et réussit à prendre tout le pouvoir en 1828, non sans avoir eu, dit-on, à assassiner son beau-père. Il s'ensuivit une période de paix et de prospérité. Mais Bensalem se trouva entraîné dans les remous des guerres d'Abdelkader et des Français.

----------En 1837 Abdelkader nomma khalifa de Laghouat Hadj Larbi, un petit-fils de Sidi Aïssa. L'année suivante il fit sa fameuse 'expédition contre la zaouïa d'Aïn Madhi et repartit pour le Tell. Bensalem et Tidjani, le marabout d'Aïn Madhi, en profitèrent pour évincer Hadj Larbi qui se réfugia à Qçar el Hiran où les Laghouatis et Bensalem vinrent le tuer après avoir pris le village, en 1839.
----------C'est à ce siège que se place un épisode fameux. Une jeune fille de quinze ans, Aïcha bent Mihoub (Messaouda selon d'autres), voyant avancer les assiégeants, descendit du mur à l'aide de sa ceinture, rejoignit volontairement l'ennemi, criant aux siens de venir la rechercher s'ils n'étaient pas des lâches. Trente jeunes gens, galvanisés, sortirent de la ville, dégagèrent l'héroïne et repoussèrent l'ennemi qui avait déjà planté sur le rempart l'étendard de Tidjani. Des poèmes furent chantés sur cet exploit par les bardes. J'ai essayé en vain de les recueillir. On m'a même dit, l'air étonné, que ce n'était pas la place d'une femme bien élevée de se précipiter ainsi dansla bataille. Pourtant Aïcha (ou Messaouda) n'était pas seulement dans la lignée des héroïnes berbères de Kabylie ou des Aurès, mais dans la tradition arabe la plus pure. Le dévoilement du visage et des cheveux, l'exposition au danger, étaient des gestes presque rituels chez les femmes pour exciter l'ardeur guerrière des hommes. Lamartine, dans son voyage en Orient nous décrit le palanquin renfermant la plus belle jeune fille de la tribu et servant pour ainsi dire d'étendard posté aux endroits les plus critiques, dont la perte entacherait irrémédiablement l'honneur.

----------La politique de Bensalem, comme celle de la couronne d'Autriche, était appuyée sur des mariages. Ben Nacer ben Chehora, du parti d'Abdelkader et de Hadj Larbi, nommé agha des Larbaâ par les Français, épousa la fille de Bensalem et sa soeur épousa le fils de ce dernier. Bensalem, quand Marey- Monge vint à Zakkar, chez les Ouled Naïl en mars 1844, alla le voir et se fit nommer khalifa pour tout le Sud. C'était un coup de maître, mais Marey-Monge estimait non sans raison, que ce protectorat indirect sur un pays non occupé était un sérieux avantage.

----------En Mai les troupes de Marey-Monge firent dans le Sud une expédition pacifique, passant par Taguine et Tadjemout. Saint-Arnaud, qui en faisait partie, se fit recevoir quelques instants à Aïn-Madhi sans avoir à user de violence. A Laghouat, la troupe fut reçue en musique. Puis elle se rendit chez les Ouled Naïl du sud-est, revint à Laghouat le 1e' Juin et se retrouva le 11 à Tiaret, poussant peut-être quelques soupirs de soulagement, mais n'ayant eu aucune perte et sans avoir fait l'objet d'aucune plainte.
Bensalem resta fidèle pendant l'insurrection de 1845. Il ne tarda pas à se brouiller avec son gendre.
----------A la suite d'une dispute d'achaba, Ben Chehora, se sentant menacé de disgrâce, se rendit à Rouissat, près de. Ouargla. Bensalem, convoqué à Médéa mourut en route, à Boghar. Il fut remplacé par fils Ben Naceur Bensalem qui eut des difficultés avec les Laghouatis.
----------Quand Laghouat accueillit le chérif révolté et refusa de le livrer, le gouverneur général Randon décida l'expédition qui devait aboutir à la prise de la palmeraie et du qçar. Celui-ci fut emporté d'as-saut par Pélissier, Yusuf et Pein le 4 décembre 1852. Le chérif réussit à s'enfuir. Le capitaine du Barail resta comme commandant du poste puis du cercle. Il pansa les blessures de la guerre et rétablit la situation avec une intelligence, une générosité et une énergie qui font de lui un précurseur de Lyautey.

La population et les ressources de l'annexe :

----------Entre les recensements de 1948 et 1954; la population municipale de l'annexe de Laghouat est passée de 41.165 à 43.001 habitants. Pendant cette période, la ville de Laghouat est passée de 11.010 à 11.058 habitants. Les sédentaires des qçour sont passés de 5.312 à 5.579 (soit 5,02 % d'augmentation) ; les nomades, de 24.843 à 26.364 (soit 6,12 %). On voit que les nomades ont augmenté un peu plus que les sédentaires, contrairement à ce que l'on pense habituellement. Mais il faut tenir compte du fait que le recensement des nomades est moins précis et, d'autre part, de ce que ces six années furent relative-ment prospères, n'entraînèrent donc pas la sédentarisation par misère, par " naufrage ". La poussée démographique est assez irrégulière et, dans l'ensemble, modérée. C'est entre 1931 et 1948 que la population avait plus que doublé (augmentation des ressources, progrès de l'hygiène et sans doute aussi du recensement).
----------L'annexe comprend, avec la population comptée à part, 43.220 habitants, dont 922 français non-musulmans, 42.101 français-musulmans, 197 étrangers; soit un peu plus de deux habitants au kilomètre carré. La ville de Laghouat a 11.058 habitants dont 842 européens et 29 étrangers. Les qçour en ont 5.579; les tribus nomades 26.364, dont un peu plus de 20.000 pour les Larbaâ.
----------Le seul important de ces qçour est Qçar el Hirane (2.800 habitants), gros bourg agricole. El Assafia, Delaâ, Aïn el Hamara, El Haouitha ont de 200 à 700 habitants. Aïn Mâdhi (926) vit de sa zaouïa, d'un peu d'agriculture et d'artisanat. Tadjemout (950) profite de sa luzernière, des plantations récentes et du fameux barrage inféro-flux.
----------La population de Laghouat vit surtout des jardins, et un peu de tourisme, du transit, de l'artisanat. Sa particularité est de comporter une bourgeoisie relativement importante et intellectuelle. Il y a quelques années, l'administrateur, M. Hirtz, avait relet é parmi les Laghouatis un avocat à la Cour d'appel de Paris, un interne des hôpitaux parisiens, cinq professeurs de Lycée en Afrique du Nord, deux professeurs de médersa à Alger, un directeur de médersa en A.O.F., trois interprêtes au Maroc, quinze officiers d'active et de réserve, dont trois supérieurs, seize instituteurs, un libraire-éditeur à Alger.
----------L'instruction, en français et en arabe, est en effet répandue à Laghouat. De beaux bâtiments scolaires ont été récemment construits.
----------Les Laghouatis sont pieux : neuf mosquées avec des imams pour toutes les tendances; la grande a été construite sur une position bien dégagée, imposante, par l'Administration, aux débuts du XXe siècle. Bien que fortement combattues par les réformistes, les confréries conservent de l'importance, mais peut-être plus chez les nomades et les autres gçouriens que chez les Laghouatis proprement dits.
----------Pour importer des céréales, café, thé, sucre, huile, cotonnades, quincaillerie et même des dattes, les
Laghouatis exportent du cheptel, de la laine, du beurre, des tissages et de la dinanderie. Le commerce est peu considérable. Le gros élément est le cheptel ovin, et il est, comme dans l'annexe de Djelfa, périodiquement éprouvé par des crises de sèchereE.se qui saignent à blanc l'économie du pays. L'immigration est quasi nulle : quelques marocains et soudanais viennent encore, temporairement, à Aïn Mâ-
dhi. L'émigration est encore plus faible que dans l'annexe de Djelfa : 200 à 400 travailleurs à Paris et à Roanne, 200 à 400 dans le Tell. Nous parlerons tout à l'heure du nomadisme. L'artisanat produit en dinanderie des cuivres roses étamés assez originaux. Le tissage concerne surtout les flidjes de tentes, des haïks de femmes et des burnous d'hommes. Les dessins, d'un style sobre et noble se font surtout sur la triga, la bande étroite posée, au sommet de la tente, entre son toit et ses piquets centraux, sur Je melgoût, long tapis de tente, sur le haïl, tenture qui sépare les deux moitiés de la tente, sur les autres tentures ou couvertures, tajerbit, hambal, zerbiya, sur les coussins carrés, dits gata'. A -noter les jolies couvertures,ve rtes et roses, dites djerbi, d'El-Assafia. Le frech est le tapis de haute laine sur lequel on dort. Pour améliorer la qualité des colorants, si importante pour les tapis et tissages de style traditionnel, un atelier-pilote de teinturerie a été créé à Laghouat.

----------A Laghouat et à Djelfa le tissage est un travail exclusivement féminin. Dans le Djebel Amour au contraire, nous verrons un homme spécialiste, véritable créateur et compositeur, le reggâm, concevoir l'ornementation du tapis et diriger le travail des femmes. A Laghouat, les femmes aussi sont des artistes, mais avec moins de spécialisation. Elles aiment travailler selon leur inspiration, " leur proposer un modèle, dit à ce sujet Marcelle Bridier, chef du Centre artisanal, est presque considéré comme une insulte qu'elles soulignent d'un geste dédaigneux, un doigt sur le front, indiquant que leur art et leur science sont " là ", prêts à répondre. "

----------M. Henry Merlet, administrateur des services civils, a procédé à une enquête très minutieuse sur les revenus et le niveau de vie de la population musulmane de l'annexe. Cette enquête a eu lieu n 1954-1955 pendant une période de pluviométrie normale. Pour l'ensemble des familles de 4.013 individus étudiés, parmi les citadins de Laghouat, les ruraux des qçour et les nomades, on trouvé un revenu annuel moyen de 129.843 francs par famille, 23.587 par in dividu. 1 % des familles ont un revenu nul et vivent de charité; 4 % ont moins de 15.000; 10 % de 15.000 à 30.000; 43 % de 30.000 à 100.000; 28 % de 100.000 à 200.000; 10 % de 200.000 à 500.000 ; 4 % plus de 500.000.

----------Les nomades ne sont pas riches et leurs familles sont nombreuses, mais les cas d'extrême pauvreté sont plus rares chez eux que chez les Laghouatis et les qçouriens. Aucune famille n'y a de revenus inférieurs à 30.000 francs. C'est que la vie nomade est terriblement rude: il y faut un minimum de cheptel et de tissus ; ceux qui sont complètement ruinés se sédentarisent, comme nous l'avons vu, ou s'agglomèrent à un autre groupe familial.

----------Peut-on améliorer cette situation ? des avis les plus autorisés, il résulte que la marge est assez mince. Les chantiers de chômage (déjà utilisés par Du Barail) sont un palliatif. On peut développer encore un peu le tissage. On peut faire de la formation professionnelle, accélérée ou non. L'industrialisation ne semble pas en vue; mais le pétrole pourrait être une donnée nouvelle aux conséquences imprévisibles. On peut améliorer dans une petite mesure les méthodes de culture. - Les surfaces emblavées varient actuellement de 5.000 à 60.000 hectares, selon les années; on ne saurait les augmenter qu'avec des barrages fort chers, d'un débit hasardeux, rapidement envasés.

----------C'est sur le cheptel que doit porter le gros effort, en cherchant à le préserver de la maladie, de la soif et de la faim. L'utilisation des remèdes préventifs et curatifs est surtout une affaire d'éducation. Les S.A.R. d'élevage, avec leurs moniteurs, leurs troupeaux modèles et leurs piscines s'y emploient.. Le barrage inféro-flux de Tadjemout a été établi, selon les méthodes américaines les plus modernes, sur un fleuve souterrain, pour permettre une luzernière et des jardins. Il & donné de beaux résultats, mais peut-être disproportionnés aux frais.
----------Il n'est pas moins difficile de conserver rationnellement les réserves. Les intéressés sont routiniers et réticents, malgré l'intérêt évident. Les prix des ovins vont de 7.000 francs en bonne période (par exemple en octobre 1955) à 500 francs en mauvaise période (par exemple en décembre 1953). Avec de tels écarts il y a donc un intérêt vital à consacrer les disponibilités des années grasses à la constitution d'un capital luzerne stocké par les Sociétés Algériennes de Prévoyance (S.A.P.). Sans doute les disponibilités d'une part, la prévoyance de l'autre, n'ont-elles jamais un niveau très élevé. Mais, comme, malgré sa réticence, la population est assez docile et suggestionnable, on peut espérer que l'éducation adéquate se fera à la longue.

----------Les moutons boivent très peu : deux fois par semaine trois ou quatre litres... Encore faut-il trouver cette eau sans trop longs déplacements. Lorsque le niveau des puits est bas et que les citernes remplies par les pluies des oueds sont à sec, il faut transporter de l'eau en camions-citernes, parfois à une centaine de kilomètres... C'est un expédient ruineux pour éviter la catastrophe. Le seul point d'eau inépuisable est à Laghouat. Il faudrait multiplier les points d'eau dans la région des dayas, où les pâturages verts sont très riches quand il a plu, et les p` turages secs encore bons, si l'on peut abreuver les bêtes. Mais la nappe phréatique sera-t-elle généreuse ?

Le nomadisme et son avenir :

----------Le nomade est loin d'être comme on a parfois tendance à le présenter, un destructeur, un homme de razzia, un génie purement négatif.
----------Ses conquêtes, ses invasions, ses passages, ont parfois bouleversé, secoué, détruit et refait des civilisations. Il a été < fléau de Dieu ", mais aussi colporteur d'idées, de richesses et de techniques. Il est rarement médiocre et vil. Don Quichotte se fait nomade quand naît sa vocation; et l'Arabie antique avait ses chevaliers-errants. Un de mes amis, qui avait été longtemps administrateur dans les hautes plaines du Sud, me disait que c'était là qu'il avait connu des hommes de la plus rare noblesse.
----------On doit saluer, du point de vue pratique, le nomade qui fut longtemps seul à pouvoir vivre au désert, y élever les troupeaux dont le monde a besoin, y conduire des caravanes souvent impatiemment attendues dans les villes.
Il faut se méfier des généralisations schématiques, du " désert monothéiste ", de l'agriculteur matérialiste, du nomade dévastateur, du nomade philosophe, etc... Mais on peut avancer, sans abuser de l'esprit de système, que les agriculteurs sédentaires ont développé les institutions politiques (selon l'étymologie même), les lois, la prévoyance, les sciences expérimentales, les instruments et les machines - que les nomades pasteurs sont plutôt rêveurs, contemplatifs, fatalistes, poètes, musiciens, mathématiciens, astronomes.
----------Dans la région qui nous intéresse, et où le monde change beaucoup plus qu'il n'en a l'air, les sédentaires ont contre-attaqué. Leurs empires n'ont plus à contenir, tronçonner, restreindre leurs nomades. Ils les ont parqués, organisés, réduits à merci. Ils leur imposent des conditions de vie nouvelles, inévitables sans doute et sans doute en définitive pour leur bien, mais qui peuvent être transitoirement douloureuses.

 

----------Le nomade, éprouvé par les sécheresses périodiques, est mieux secouru, et, de façon permanente, ses troupeaux et pâturages peuvent être améliorés par 1 a technique. Mais ses terrains de parcours sont restreints ; les frontières du nord s'entrouvent parcimonieusement. Le nomade n'exploite plus les populations haratines des oasis, ne fait plus de razzias. Le rail et la route lui enlèvent le monopole du grand commerce caravanier. Le nomade se sent vaguement traqué, indésirable, condamné à la mort lente.

----------Ce serait sans doute méconnaître à la fois les .ressources de la civilisation et les facultés d'adaptation de la nature. humaine. Le temps fournira de nouvelles synthèses et de nouvelles symbioses. Déjà apparaissent, même sans mirage, les possibilités ouvertes par le pétrole et les mines. Il faudra tenir compte des réalités humaines et non des calculs théoriques. Les sédentaires sous-alimentés ne sont pas très vigoureux ; les nomades sont mal préparés au travail industriel. Mais déjà des résultats apparaissent. Les salaires ont augmenté dans les oasis, non seulement pour les techniciens du nord, mais pour la maindeeuvre locale. Les Pères Blancs se sont lancés avec succès dans la formation professionnelle accélérée de quelques-uns de leurs élèves.
En attendant, la migration traditionnelle des Larbaâ se poursuit tout le long de l'année avec la régularité, aux amplitudes pourtant variables, du cours des fleuves et du rythme des saisons.
----------Le capitaine du Barail décrivait ce mouvement perpétuel, qui n'était confus qu'en apparence. Dans leurs pérégrinations entre le Sahara et le Tell, les Larbaâ traversaient les campements d'autres tribus aux migrations moins étendues. " C'est un chassé-croisé perpétuel pendant lequel se font les échanges indispensables, les nomades venant vendre des dattes, des laines, des moutons, des chameaux, et acheter des céréales, des tissus, des objets fabriqués. Il se tient là des marchés qu'on pourrait comparer à nos foires d'autrefois. Les intérêts entre le nord et le sud sont enchevêtrés de telle sorte que les passages de nomades sont considérés non comme une servitude mus comme un contact avantageux qui donne lieu à des relations fécondes ". Autre exemple de symbiose et d'entraide : Les nomades pour s'éviter le transport des denrées et marchandises qu'ils ont acquises, les déposent dans les villages sahariens qui leur servent d'entrepôts et de magasins où ils viennent puiser. Et chaque nomade a dans les qçour un correspondant qui lui sert d'homme d'affaires et de magasinier.

----------Marey-Monge avait observé, lors de son expédition de 1844, le commerce des Larbaâ. " Ces tribus ont non seulement les avantages dus à l'élevage des bestiaux, mais elles sont encore comme de grandes maisons de commerce qui réaliseraient d'immenses bénéfices si les maîtres du Tell ne leur faisaient payer des droits considérables pendant l'été, si elle ne se déchiraient pas entre elles et si la guerre qu'elles font de tous côtés ne leur occasionnait pas parfois de grandes pertes. Elles sont néanmoins fort riches ". Les qçoûr des sédentaires servent d'entrepôts. Les marabouts d'Aïn-Mâdhi, de Sidi-Bouzid, de Charef protègent les déplacements. " Les Ksars ne peuvent pas plus se passer des tribus que les tribus des Ksars ". Les bonnes années, on peut à la rigueur se passer du Tell, mais l'exode estival est indispensable en période de sécheresse. Le Tell fournit d'ailleurs en temps normal le sucre, le café, le thé, le fer ; certaines années c'est la vie même des hommes et des bêtes qui est en jeu. Les Arabes nomades envient secrètement les Telliens pour leur vie plus. facile, mais les jugent abatardis et sont fiers de leur propre vie libre, noble, hasardeuse.

----------C'est en juin que les Arabes risquaient de se souvenir qu'ils étaient les descendants des terribles Banoû Hilal. La moisson est alors finie dans le sud, elle se fait dans le nord en juillet ; juin restait vacant pour les aventures, et la tentation d'aller saisir le blé encore sur pieds. La tentation surmontée, l'été se passait dans le Tell à vendre les marchandises du sud, à acheter des grains. En automne, les Larbaâ rentraient chez eux et attendaient l'hiver pour aller au Mzab et à Touggourt vendre leurs laines, bêtes, beurre, grains rapportés du Tell, marchandises d'Europe, et y acheter des dattes et des étoffes de laine. Au printemps, ils revenaient par le Mzab, achetaient des esclaves, de la poudre d'or, des plumes d'autruche importées du grand sud, et se reposaient dans leur territoire autour de Laghouat. avant de repartir en été pour le nord, ayant fait dans l'année quelque 2.000 kilomètres.

L'achaba de nos jours :

----------Et de nos jours ? L'achaba (de a'châb, verdure printanière) devient nécessaire dès que le soleil a desséché les pâturages et les points d'eau ; mais l'amplitude des oscillations est moindre. Si de grands nomades, comme les Touaregs et les Chaambas, restent purement sahariens, se contentent des ressources de l'erg et de la hamada, étant donné leur petit nombre et la vastitude des étendues, l'accès au Tell est normalement nécessaire et traditionnellement permis aux Larbaâ de Laghouat, aux Saïd Otba d'Ouargla, aux Ouled-Zekri de Touggourt. Des ententes verbales, des mariages, des alliances, des redevances, des indemnités, régularisaient la servitude. Quelques fractions des Larbaâ firent même souche dans le Sersou. Sous le Second Empire, à la suite du sénatus-consulte de 1863 sur la propriété, les droits acquis furent admis, mais à titre de tolérance provisoire. Les centres de colonisation de Vialar, Burdeau, Victor-Hugo, etc..., et la sédentarisation des semi-nomades des Hautes Plaines créèrent une situation nouvelle. Les colons comprirent d'ailleurs qùe les Larbaâ pouvaient leur rendre des services, fournir de la main-d'oeuvre, des bêtes de transport ; mais les droits des nomades étaient de plus en plus précaires et con-testés ; jusqu'à être presque complètement niés, à mesure que les cultures se développaient et que les troupeaux locaux augmentaient. La lutte la plus g ave est peut-être entre l'élevage transhumant et l'élevage local. Les montagnards des Ouled-Naïl viennent sans leurs troupeaux, et presque uniquement pour travailler à la moisson et à la récolte des lentilles. Pour les troupeaux larbaâ, la lutte pour l'herbe est vitale. Mais l'équilibre traditionnel, avec la réciprocité des droits et des servitudes, est rompu depuis que les anciens terrains de parcours sont devenus propriétés privées. En 1953 même, les propriétaires du Sersou refusèrent le règlement préfec toral d'achaba, prétendirent faire payer la location des chaumes, acceptant toutefois de payer une taxe pour envoyer leurs propres troupeaux l'hiver dans le sud. La situation s'est encore aggravée du fait des méthodes modernes de culture qui préfèrent éviter la pollution des terres par les bêtes, brûler ou en fouir les chaumes. Comment rétablir l'équilibre ? Comment sauver les Larbaâ étranglés entre l'aridité du désert et la prospérité du Tell qui ne veut plus d'eux ? On peut essayer un échange de servitudes, réglementer l'accès des troupeaux d'une part, la location des chaumes de l'autre. Mais beaucoup pensent, et c'était l'avis de M. Lehuraux, que la seuls solution complète et durable serait de supprimer l'a chaba des troupeaux dans le Sersou, et de leur per-mettre de se suffire dans leur pays, en valorisant leurs pâturages, ce qui implique toute une politique de grands travaux ou plutôt de multiples petits travaux : points d'eau, puits, éoliennes, plantes nouvelles pour améliorer les pâturages, mise en défense de certaines parties. La résistance du mouton saharien tient du prodige, mais il lui faut un minimum d'eau. La petite et moyenne hydraulique peut seule sauver le mouton et les centaines de milliers d'hommes qui vivent de lui. Les soins vétérinaires ont aussi une grande importance, car le mouton meurt rarement de la seule faim ; celle-ci l'a sensibilisé.
----------Aujourd'hui et en temps normal, une partie des Larbaâ estivent sur place, les autres partent, à la fin de mai pour le nord, par petites caravanes de cinq à six familles, avec quelque deux cents moutons et un petit nombre de chameaux. Ils traversent l'Atlas saharien par la dépression Tadjemout-Zenina-Taguine, qui sépare les monts des Ouled-Naïl des monts Amour. Ils campent, dispersés dans les steppes des communes mixtes de Chellala et du Djebel-Nad( r, spécialement dans la région d'El-Ousseukh, riche en points d'eau récents, grâce aux éoliennes. Ils y rencontrent les Saïd Otba de Ouargla, venus par Ghardaïa Tadjerouna, Taouiala. Ne pouvant plus mener leurs troupeaux dans le Sersou avant la mois-son et les premiers jours d'août, ils séjournent dans cette région intermédiaire, envoyant toutefois en avant des moissonneurs et quelques bêtes de transport et de travail (qu'on est parfois fort heureux d'avoir, par exemple en période de pénurie d'essence). En août, leurs troupeaux arrivent et cherchent leur vie dans les chaumes et les friches. De leur côté, les Saïd Otba arrivent à Waldeck-Rousseau et y séjournent jusqu'à la mi-septembre, puis repartent vers Ouargla où ils arrivent en octobre, pour les dattes. Les Larbaâ, moins pressés, s'attardent dans le Sersou jusqu'en octobre.
----------Le mouvement pendulaire et quasi-cosmique de ces migrations a quelque chose de saisissant ; leur aspect harmonieux et étrange à la fois se retrouve même sur les cartes et les graphiques qui les enregistrent.
----------Le cadre assez rigide laisse place à des variations en ce qui concerne l'ampleur, la date et les chiffres ; c'est la pluie qui décide. Pendant la bonne année 1951, le mouvement des Larbaâ a porté sur 10.000 chameaux et 42.000 ovins ou caprins. A ces grandes oscillations s'ajoutent, comme aux mouvements des planètes et des pôles, des mouvements secondaires, les zones d'attirance variant parfois pour chaque catégorie de bétail. Il arrive qu'en hiver les Larbaâ gardent leurs moutons dans la région des dayas et envoient leurs chameaux dans le Mzab.
----------On constate une tendance à augmenter les emblavures, malgré leur rendement aléatoire, et bien que les vieux nomades regrettent cet usage qui restreint les meilleures pâtures. Les Larbaâ sèment surtout au passage dans le couloir de Zenina sur les dayas et les petites plaines. Cette tradition de culture itinérante remonte sans doute aux temps lointains où les hommes ne savaient pas tirer tout le parti possible de l'agriculture. Elle correspond aujourd'hui au désir assez ancré chez certains terriens de ne pas se fier complètement à la division du travail. Nous connaissons en France des paysans qui tiennent à pratiquer plusieurs cultures, même dans des conditions peu favorables, à faire eux-même leur vin, à semer du blé, tout près des pâturages de montagne, à ne pas mettre tous leurs oeufs dans le même panier. Cela diminue sans doute la productivité, mais freine les dangers de la monoculture. Plutôt qu'un accélérateur, le monde nomade constitue un balancier.
----------La sédentarisation n'est pas très importante. Elle peut tenir à deux causes : à la prospérité d'un propriétaire qui prend ses aises, s'installe dans une oasis et confie ses moutons à des bergers ; ou, beaucoup plus souvent, à l'excès de misère, à la perte du cheptel : sans moutons, à quoi bon nomadiser ? Il faut deux ou trois chameaux pour porter la tente et faire caravane. Les effets de la sédentarisation peuvent être bons, amener une hausse du niveau de vie, surtout si l'on conserve une part d'un trou-peau, une instruction plus poussée, etc... Mais bien souvent, les sédentarisés sont des gens ruinés, in-capables de s'adapter, vivant de mendicité, de petits travaux, de la cueillette peu rémunérée de l'alfa, logeant autour des villes dans des tentes loqueteuses ou des gourbis plus que sommaires. A côté des me-sures pour améliorer les pâturages, coordonner les transports, prendre des précautions pour les mauvaises périodes, il faudra trouver quelque chose pour que la sédentarisation - dont on s'est fait bien à tort un idéal - soit autre chose qu'une déchéance ; pour que la civilisation moderne fasse autre chose qu'ai-der les nomades à bien mourir.


Les crises périodiques :

----------Les crises périodiques (7 ou 8 ans, mais sans qu'on puisse affirmer la régularité) arrivent à faire perdre jusqu'à 90 % du troupeau ovin. On observe un démarrage lent de la courbe après le retour de la bonne période, puis une accélération rapide due à un accroissement trop optimiste du troupeau, puis un freinage et une chute verticale. Le troupeau peut passer de 200.000 pendant les très bonnes années, à 20.000 comme il le fit en 1945. Tout s'en était mêlé. On avait mal réparé les suites de la crise 1921-1922. La guerre gênait le ravitaillement. Les sauterelles avaient fait des ravages en 1943. Le désastre dépassait celui de l'année 1921 connue sous le nom d'année du malheur, 'âmech-cheur.

----------La société nomade fut profondément ébranlée. Sans parler des morts, les gens ruinés vendaient leurs bijoux, leurs armes, leurs selles, leurs tapis, leurs burnous, jusqu'aux flidjes de leurs tentes." Chassés de leurs terrains de parcours ravagés, ne trouvant pas de ressources en ville, dix mille Larbaâ partirent mendier ou chercher un peu de travail dans les départements d'Oran et d'Alger.

----------On pouvait croire qu'un coup mortel avait été porté au nomadisme et à la communauté nomade désagrégée. Mais la vie a repris le dessus. Le cheptel s'est reconstitué. Les hommes ont repris courage. Le cycle de l'achaba, le mouvement des caravanes, le rythme des agnelages et des morts a recommencé. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faille pas accorder toujours la plus grande attention à l'aspect communautaire du problème nomade, l'unité sociale par excellence, la cellule vivante n'étant pas la famille isolée, ni la tribu trop étendue, mais le douar, groupe de quelques familles patriarcales, nomadisant en-semble, ayant des intérêts communs, des droits d'usufruit sur tels parcours, tels puits, tels lieux d'estivage, voire telles activités spécialisées comme la cueillette de l'alfa sur tel territoire, des alliances triditionnelles avec tels groupes du Tell. C'est en partant de l'intérieur et des réalités vivantes, des conditions concrètes, qu'on peut vivifier ; c'est en adaptant l'administration, le travail, l'école, le ravitaille-ment, l'assistance médicale, à ces conditions, non en semblant poser comme conditions préliminaire à tout progrès la sédentarisation, ce qui laisserait le nomadisme mourir peu à peu figé dans son archaïsme.

Emile DERMENGHEM.

(1) Eté au Sahara, p. 105, 3 juin 1853.
(1) Mes souvenirs, 1896, T. Ii, p. 35.
(2) C'est aujourd'hui le " Point de vue Fromentin "

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