Alger, Algérie : documents algériens
Série monographies : Sahara
Le Souf
6 pages - n°9 - 10 mars 1951

--------------«J'ai vécu des mois dans ce pays... Je puis en parler... Ma première vision d'El-Oued me fut une révélation complète, définitive, de ce pays âpre et splendide qu'est le SOUF, de sa beauté étrange étrange et de son immense tristesse aussi... » ISABELLE EBERHARDT, dans l'Ombre chaude de l'Islam

mise sur site en août 2005
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EL-OUED. - 'La ville aux mille coupoles, vue du haut de la mosquée. -Photo OFALAC.
EL-OUED. - 'La ville aux mille coupoles, vue du haut de la mosquée. -Photo OFALAC.

-----------Le Souf n'est plus aujourd'hui un pays inconnu.
-----------De plus en plus nombreux les touristes peuvent s'y rendre avec leurs voitures personnelles, poux peu que ces voitures soient puissantes et bien conduites. Ils ont aussi la faculté de prendre place dans les cars qui assurent un service quotidien entre Biskra et El-Oued, malgré le mauvais état de la piste
-----------A une époque relativement récente, le voyage était beaucoup plus difficile et il fallait plusieurs étapes à chameau ou à cheval pour terminer le parcours, à partir de Biskra ou de Touggourt.
-----------C'est à cheval qu'en 1899 Isabelle Eberhardt parvint dans le Souf où elle fit la connaissance du sous-officier de spahis qui plus tard l'épousa. Au cours d'un séjour qu'elle fit â Behima, petite palmeraie proche d'El-Oued, elle reçut d'un fanatique un coup de sabre qui ne la blessa que légèrement. La " Bonne Nomade" fut très vivement impressionnée par le flamboiement des dunes et des coupoles et plusieurs pages de ses écrits sont imprégnées de ses sensations.
-----------André Gide, lui, vint à El-Oued à chameau et il se plaisait, lorsqu'il y revint en avril 1942.. cette fois en automobile, à évoquer devant nous ses méharées de l'époque héroïque.
-----------Outre la très remarquable monographie du Souf, publiée en 1947 par le commandant Cauvet, un certain nombre de descriptions ont été faites du pays, en particulier par des officiers des Affaires Indigènes. M. Dermenghern, bibliothécaire du Gouvernement Général, signa dans la revue Sciences el Voyages de mars 1949 un article intitulé " Le Souf pays étrange et magnifique ".
-----------Quand nous aurons rappelé que les Documents Algériens ont consacré un de leurs numéros aux " Réalisations dans l'Annexe d'El-Oued " (série économie n°21) nous croirons avoir suffisamment démontré que le Souf n'est plus maintenant un pays inconnu.
-----------Au Sud de Biskra, à l'Est de Touggourt, à l'Ouest de Nefta, l'Annexe d'El-Oued que les Musulmans appellent le Souf, étale ses 80.000 kilomètres carrés en bordure de la frontière tunisienne jusqu'aux environs de Ghadamès, sur plus de 500 kilomètres de longueur.
-----------Elle comprend dans sa partie septentrionale une zone pierreuse, couverte d'une maigre végétation de touffes clairsemées et poussiéreuses qui ne s'interrompt qu'aux abords des chotts désolés et arides. dont le Melghir est le plus vaste.
-----------Commencent alors les dunes de l'Erg Oriental, d'abord enchevêtrées, basses, pressées les unes contre les autres, puis plus hautes, séparées par des couloirs de plus en plus profonds et larges au fur et à mesure qu'on s'avance vers le Sud. C'est le Sahara classique des cartes postales, qui ne déçoit pas les touristes : ciel bleu, soleil brûlant, chameaux dont le pas lent s'harmonise avec le mol contour des masses de sable clair sculptées par le vent.
-----------Les Oasis sont représentées sur la carte, dans le tiers supérieur du territoire de l'Annexe par des taches vertes qui marquent le tracé du cours sous-lacent de l'Oued Souf. qui a donné son nom à la région.
-----------C'est un pays original.
-----------Original par ses palmeraies qui se gardent d'exhiber leur orgueilleuse luxuriance comme elles savent le faire dans d'autres oasis, mais qui au contraire se cachent au fond de vastes entonnoirs creusés dans le sable jusqu'au niveau de la nappe phréatique. Les palmiers ont ainsi leurs racines dans l'eau, ce qui supprime l'irrigation, mais ce qui impose un travail permanent d'entretien. Par couffins transportés à dos d'homme ou chargés sur des ânes, les fellahs sont contraints de remonter sans cesse du tond de leurs jardins la poudre jaune pâle que le vent ne tarde pas à y faire redescendre. Sempiternel combat sans issue, contre un adversaire insidieux, tenace, jamais lassé, combat de fourmis, travail de Sisyphe.
-----------A peu près invisibles à la surface du sol, on découvre en les survolant en avion les quelques 400.000 palmiers cultivés ainsi au prix d'une somme considérable d'efforts.
-----------Original par ses habitations que, près des palmeraies, les Souafa ont construits avec un rare sens architectural. Les matériaux existaient sur place :
- cristaux de gypse plus ou moins pur, qu'on baptise roses de sable quand leurs formes sont régulières et qui sont les pierres à bâtir.
- plâtre d'excellente qualité, utilisé comme liant et obtenu par la cuisson de blocs blanchâtres extraits de carrières peu profondes et qu'on trouve un peu partout, le combustible, longues racines ligneuses d'arbustes, étant amené du Sahara par des nomades.
-----------L'absence de bois de charpente et l'astuce des maçons ont déterminé le typique procédé de construction des voûtes et des coupoles. Des ficelles de la longueur du rayon des hémisphères ou des demi-cercles et attachées à la tête de clou qui matérialise le centre géométrique, savamment calculé, permettent d'éviter l'emploi des coffrages utilisés ailleurs.
-----------Et c'est en procédant de cette façon qu'à partir des plus anciens centres, El-Oued, Guémar, Taghzout. Z'Goum, les Souafa ont essaimé comme abeilles au printemps et ont bâti les nouveaux villages de Reguiba, Magrane, Ourmès, Béhima, Bayada, pour ne citer que les plus importants. où les mosquées dominent de leurs élégants minarets la masse compacte des maisons aux murs aveugles.
-----------C'est un pays pauvre.
-----------L'élevage d'environ 10.000 chameaux, 40.000 moutons et 40.000 chèvres permet aux nomades de subsister et même de jouir d'une relative aisance quand les pluies tombent à des périodes favorables à la croissance des pâturages. Leur évolution vers la sédentarisation. phénomène social permanent s'accélère lors des années de sécheresse.
-----------La culture d'un excellent tabac à priser fait vivre un millier de fellahs dans la région de Guémar. Les femmes tissent partout des haïks et quelques artisans fabriquent des tapis. Ce qui accroît les revenus d'un certain nombre de familles.
-----------Mais la ressource essentielle provient de la vente des dattes. Les deglet nour du Souf jouissent à juste titre d'une excellente réputation et font prime sur les marchés. C'est toutefois une ressource insuffisante pour une population qui sans cesse s'accroît. Aussi un grand nombre d'hommes en âge de travailler (30% environ) doivent émigrer, soit vers les mines de Tunisie, soit vers les villes du Tell, Bône et Constantine en particulier.
-----------On évaluait à 23.000 en 1887 le chiffre de la population. Il dépasse 100.000 en 1950. Retrouver l'origine des Souafa n'est pas chose aisée. Aux vieilles populations autochtones, aux chrétiens que les Vandales ont déportés dans le Souf et dont parlent encore les légendes, sont venus s'ajouter les Adouane, qui seraient des Arabes, dont certains sédentaires se proclament descendants et surtout les Troud, fraction des Beni Soleim qui seraient arrivés au 13è siècle et dont la plupart des nomades disent qu'ils sont leurs ancêtres.
-----------Quelle est la part de chacun de ces éléments dans la population actuelle ? Ne nous laissons pas arrêter par cette question qui eût accablé des disciples de Gobineau -- ou de Hitler - et bornons-nous à constater que le brassage a donné naissance à un type humain assez caractérisé pour qu'on puisse aisément le distinguer, presque aussi aisément que le type mozabite, un type très peu marqué par des apports négroïdes et qui semble plus purement arabe chez les éléments nomades. Ceux-ci représentent maintenant approximativement le tiers de la population.
-----------Les derniers venus sont les Chaamba, rattachés à la tribu des Messaba, les Rebaia, et les Guettatia dépendant du caïd des Achèche.
-----------Les Chaamba d'El-Oued, qui parcourent la zone Sud-Ouest de l'Annexe se répartissent en
------------- Ouled-Guédir, descendants d'un certain nombre d'Ouled Fredj d'El-Goléa venus au 17è siècle chercher dans l'Erg Oriental des pâturages, plusieurs années consécutives de sécheresse ayant fait disparaître à cette époque ceux de l'Erg Occidental.
------------ Ouled Amrane, qui vinrent se réfugier dans le Sud au 19è siècle, à la suite d'un combat au cours duquel leur ancêtre Amrane aurait tué son rival El-Mir, les deux adversaires appartenant à la fraction des Ouled Bou Saïd d'Ouargla.

 

-----------Ils possèdent des palmiers dans la région d'Amiche et d'Oued el Allenda. Ils ne résident guère dans leurs maisons qu'au moment de la récolte des dattes et demeurent des éleveurs de chameaux pour qui le Sahara conserve son attrait.
-----------C'est parmi eux que se recrutent les meilleurs et les plus nombreux des Méharistes de la Compagnie de l'Erg Oriental basée à El-Oued.
-----------Le noyau central des Rebaia est originaire du Sud tunisien, d'une région proche de la frontière tripolitaine. Ils ont encore des parents dans la région de Nalout. Arrivés d'abord à Témacine près de Touggourt, ils en furent chassés par les Tidjania qui ieur imposèrent ensuite de quitter Taïbet el Gueblia où ils venaient d'étendre leur influence.
-----------La plus grande partie d'entre eux aurait pris la direction de Laghouat en remontant le lit de l'Oued Djedi. Ce sont les Larbaa. Les autres seraient venus dans le Souf au 19è siècle. A leur petit groupe se seraient agglomérés des éléments d'origines diverses, mais en provenance de l'Est pour la plupart.
-----------Actuellement, la fraction des Rébaïa représente environ 14.000 individus. Ils possèdent des palmiers et ont tendance à se sédentariser à la lisière de 1a zone occupée par les sédentaires. On en trouve à Reguiba, Hassi Khalifa, Magrane. mais surtout à Amiche et Bayada. Leurs terrains de parcours sont vastes. Ils se déplacent dans toute la partie orientale de l'Annexe et campent fréquemment en territoire tunisien.
-----------Les Guettatia venus récemment de Libye partagent les terrains de parcours des Rebaïa dans la région Sud-Est de l'Erg Oriental. Ils tiennent à conserver leur indépendance.
-----------Ces trois fractions Chaamba, Rebaïa et Guettatia, les dernières venues dans le Souf, sont aussi les plus irréductiblement attachées à leurs traditions de nomades. Elles ont amené dans le pays, parmi d'autres coutumes marquées d'influences orientales, la danse des chevaux qui surprend en milieux islamique. Lors de certaines fêtes, les jeunes filles ou les jeunes veuves, dévoilées, font voltiger leurs cheveux dénoués en imprimant à leur buste un balancement rythmé, devant l'assemblée des hommes, tandis que des poètes chanteurs exaltent les charmes de leur bien-aimée ou les souffrances de leur amour ( Commandant Ferry. La danse des cheveux (Travaux de l'Institut de recherches sahariennes - Tome VI. 1950.:).
-----------Les Troud sont les plus anciens nomades de l'Annexe d'El-Oued. Ils représentent l'essentiel de la population des deux grandes tribus administratives, Achèche et Messaaba. Ils descendraient d'une fraction des Beni Soleim arrivés en Algérie au IIè siècle. C'est du moins ce qu'ils prétendent, mais il semble bien que leur race n'est pas pure. Les habitants du pays au moment de l'invasion hilalienne n'ont vraisemblablement pas complètement disparu et ils ont dû, convertis à l'Islam, être peu à peu assimilés par leurs vainqueurs.
-----------Les Troud comprennent :
------------Les Ouled Djamaa
------------ Les Ouled Ahmed et les Ferdjane dépendant du Caïdat des Achèche
------------ Les Chebabta Les Azezla dépendant du Caidat des Messaaba.
-----------Quand les Français arrivèrent dans le Souf, un grand nombre de ces nomades avaient déjà abandonné leur vie sous la tente et dans la petite ville d'El-Oued existaient, à côté du quartier des Azezla, celui des Ouled Ahmed et celui des Ouled Djamaa. Le mouvement de sédentarisation s'est accentué, mais dans . chacune des cinq fractions subsistent des familles farouchement attachées à leur existence au Sahara. Leur zone de parcours dans l'Erg s'est peu à peu restreinte et ils ont pris l'habitude d'installer leurs campements près des villages pendant une bonne partie de l'année. Ils restent en relations avec leurs frères sédentarisés qui exercent sur eux une grande influence.
-----------A l'exception des groupes Chaamba et Gettatia, restés à peu près intacts, des Rébaia qui résistent, mais qui sont entraînés par la loi d'évolution sociale inexorable, le bloc nomade des Messaaba et des Achèche s'effrite de jour en jour. On peut évaluer ce " dernier carré " à 30.000 âmes. Il grossit de ses dissidents la masse des sédentaires fixés dans la zone des palmeraies.
-----------Cette masse comprend. outre les Achèches et Messaaba sédentarisés, les Ouled-Saoud et les ressortissants de la tribu de Guémar qui seraient d'une manière plus nette les descendants des anciennes populations sédentaires du Souf. Au total. 60 à 70.000 individus dont la principale ressource provient de la récolte des dattes.
-----------La plupart des Souafa sont de rudes travailleurs. De l'aube à la nuit occupés à remonter le sable envahissant les palmeraies, à tirer l'eau des puits pour irriguer les minuscules carrés où ils cultivent des légumes et dont il faut tous les ans changer le sol sur une profondeur de vingt centimètres, ils mènent une vie sévère. Ils se nourrissent essentiellement .d e dattes et de galettes de blé ou d'orge, se vêtent l'été d'une chemise de coton serrée par une ceinture et l'hiver d'une gandoura de laine tissée par leur femme.
-----------On ne peut qu'éprouver pour eux une profonde sympathie lorsqu'on visite leurs jardins entretenus avec tant de peine et tant de soins et qu'on remarque, comme n'eut pas manqué de le souligner mon brave instituteur, au cours d'une leçon de morale, combien leur vie laborieuse développe leurs qualités morales. Dans le petit village d'Ourmès, en particulier, on est frappé par l'aménité des gens et la douceur de leurs moeurs paisibles qui auraient enthousiasmé J.-J. Rousseau. Honnêtes, ouverts, hospitaliers, ces cultivateurs pauvres savent pratiquer la charité. On le vit bien, lorsqu'en 1946, vingt mille Nementcha, chassés de la région de Tebessa par la misère vinrent chercher refuge dans le Souf.

-----------Moins sympathiques peut-être, les habitants des centres les plus importants que par opposition et non sans emphase nous appellerons les bourgeois. ont une existence moins difficile.
-----------Parfois propriétaires de jardins qu'ils font entretenir par des Khamès ils tirent surtout leurs revenus du commerce. Ils s'y montrent habiles et astucieux.
-----------Près de leurs boutiques dont l'aspect minable ne correspond pas a leur relative opulence, une faune de commissionnaires, de débardeurs, de travailleurs intermittents souhaite que la chance lui procure la pitance journalière.
-----------Tout un monde aux ressources mal définies, ceux qu'on appelle les chemassa " parce qu'on les voit ta plupart du temps se prélasser au soleil, attendent l'incident ou l'altercation qui sera leur distraction de badauds impénitents.
-----------De nombreux enfants, turbulents comme des moineaux, évoluent entre les groupus, écoutent se chamaillent et sont prêts à joindre leurs cris espiègles à toute manifestation de foule.
-----------Dans le grandiose décor des dunes de l'Erg Oriental, dans ses maisons à coupoles, domaines des etei nelles recluses, des femmes aux vêtements noirs, parées de bijoux d'argent. la population d'El-Oued va vers ses destinées.
-----------Et ceux qui ont vécu dans ce pays attachant ne peuvent sans nostalgie évoquer le souvenir des Souafas, si travailleurs et si affables, et celui de la ville aux mille coupoles dont le charme prenant est si bien décrit par Isabelle, " la ville grise perdue dans le désert gris, participant tout entière de ses flamboiements et de ses pâleurs, comme lui et en lui, rose et dorée aux matins enchantés, blanche et aveuglante aux midis enflammés, pourpre et violette aux soirs irradiés... et grise. grise comme le sable dont elle est née. sous les ciels blafards de l'hiver "

Commandant FERRY.