Alger, Algérie : documents algériens
Série politique : hors série
Le Congrès de l'Association du Corps Préfectoral et des Administrateurs civils du Ministère de l'Intérieur
s'est tenu à Alger, du 3 au 7 mai 1954
14 pages - hs - 10-5-1954

Les " DOCUMENTS ALGERIENS " publient le discours de M. Roger LEONARD, Gouverneur Général de l'Algérie, et l'exposé de M. Maurice CUTTOLI, Secrétaire Général du Gouvernemt Général, prononcés au cours de la séance inaugurale de ce Congrès.

mise sur site le 13-02-2005...correction non réalisée.J'ai inclus ce document. Il prend une résonance particulière en ce mai 54...pas loin du 1er novembre...
75 ko / 17 s
 
retour
 


DISCOURS
prononcé par M. le Gouverneur Général de l'Algérie Roger LÉONARD, au Congrès.


Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président,
Mesdames,
Messieurs,
Mes Chers Collègues,

--------Le salut que j'apporte en cet instant aux Membres de votre Congrès ne répond pas simplement au devoir d'une protocolaire politesse et d'une confraternelle amitié ; il s'inspire d'un sentiment plus général et plus profond.
--------De même, en effet, que l'an dernier l'Algérie avait été heureuse d'accueillir l'Association des Présidents des Conseils Généraux et de voir dans sa venue, à l'adr;.sse de nos jeunes départements, l'affirmation de la solidarité nationale, de même la décision que vous avez prise cette année d'abandonner Paris pour tenir à Alger votre Congrès, nous apparaît comme une affirmation dont nous mesurons tout le prix. Elle marque, en effet, que vous avez voulu à la fois reconnaître l'originalité des problèmes qui se posent à nous, en même temps que leur importance nationale et leur caractère spécifiquement français.
--------Sans doute aussi avez-vous pensé qu'en cette année, dixième anniversaire de la Libération de la France, Alger qui, aux heures sombres, fut la capitale de la liberté, l'Algérie, où se reforma l'armée de la Victoire, étaient particulièrement dignes du choix d'hommes, dont la carrière est par essence vouée à la grandeur de la République, à l'intégrité, à l'unité de la Patrie.
--------Et maintenant, Messieurs, qu'attendez-vous de moi sinon que je vous parle de cette Algérie même qui se présente à vous dans l'éclat de sa lumière et le charme de son printemps ? Mais l'entreprise est difficile, ceux d'entre vous qui déjà l3 connaissent le savent bien, que d'expliquer en quelques mots ce pays, dont le trait le plus distinctif est peut-être la diversité. Ici les contrastes s'opposent avec une force qu'ignore notre vieux pays, contrastes dans les sols, dans le climat, contrastes entre les hommes. Voici auprès des côtes quelques plaines" qui sont l'image même de la fertilité Mitidja, Plaine du Chélif, Plaine de Bône. Ici et sur les coteaux voisins s'étale la vigne cultivée avec des soins admirables ; il est des orangeraies qui semblent des jardins du Paradis, les primeurs s'y pressent et le coton y fait éclater ses touffes blanches. Mais, les enserrant étroitement, aussitôt, voici les montagnes, qui presque partout prolongent leurs escarpements jusque dans la mer et dont les pentes sévères sont souvent dénudées par les érosions. Sur leurs flancs qu'escaladent les chèvres, quelques figuiers, quelques oliviers, quelques maigres champs ; au fond, autour des oueds tantôt desséchés et tantôt torrentueux, d'étroites prairies, quelques cultures. L'Atlas franchi, s'étalent les hautes plaines; dans le Nord, où la pluviométrie malgré son insuffisance et ses caprices permet encore la culture, ce sont de vastes étendues mamelonnées où le blé dur et l'orge poussent modestement et puis vers le Sud, dès que l'on approche des cuvettes des chotts, ce n'est plus que le pays du mouton et des steppes d'alfa, qu'anime le lent cheminement des troupeaux à la recherche de maigres pâturages et sous l'incandescence du ciel, le jeu décevant des mirages. Et tout ceci est cantonné, cloisonné par des reliefs aux passages difficiles. Enfin, derrière le versant de l'Atlas Saharien dévoré par le soleil c'est l'immensité du grand désert, sable et pierre d'où émergent quelques chapelets d'oasis et, vers le Sud, les reliefs tragiques du Tassili et du Hoggar.
--------Les écarts des saisons et les sautes du temps ajoutent à ces contrastes : de longues sécheresses souvent dévastatrices sont coupées de pluies violentes, imprévues qui font reverdir les moissons et les prés, qui sont la source de la vie, mais qui souvent aussi causent de graves ravages, roulant vers la mer dans le flot grondant des oueds des hectares de terre, submergeant les champs, emportant les ponts et les routes. Mais là-dessus resplendit le plus souvent l'adorable lumière que vous savez et dont ne peuvent se déprendre ceux qui l'ont connue.
--------Entre les hommes il n'est pas de moindres contrastes. Sans doute, la grande majorité de la population est de souche berbère, mais les avatars de l'histoire l'ont fortement diversifiée. Dans les montagnes, et spécialement en Kabylie, elle a conservé sa langue et ses coutumes, si fortement marquées de traditions méditerranéennes ; ses villages compacts, si jaloux de leur personnalité, ont toute la rigueur de petites républiques antiques. Ailleurs, le flot de la conquête arabe a rendu les populations, que Rome avait fixées, à leurs anciennes traditions pastorales et tribales : la paix française fait aujourd'hui ce que fit la paix romaine, encore que vers le Sud l'immensité, la pauvreté des grands espaces appellent toujours les transhumances et limitent les enracinements. Enfin, et c'est là un fait nouveau dans l'histoire de l'Algérie où jusqu'au siècle dernier les villes ne jouèrent qu'un rôle très modeste, où dans ce pays cloisonné aucun centre n'eut un grand pouvoir de rayonnement, les grandes cités de la côte attirent à elles une population toujours plus dense, provoquent la constitution de nouvelles élites mais celle aussi d'un prolétariat trop souvent misérable, désencadré et coupé de ses traditions. '
--------L'Islam, enfin, qui de son empreinte profonde marque les esprits et les âmes, n'est pas lui-même sans présenter des aspects divers sous lesquels parfois transparaissent des traditions plus anciennes. Surtout dans les campagnes le mouvement maraboutique et les grandes confréries animent la vie religieuse, cependant que d'autres croyants trouvent l'aliment de leur foi dans les courants plus dépouillés du réformisme arabe.
--------Dans les centres urbains, les communautés israélites riches de 300.000 adeptes, acquis par le prosélytisme antérieurement à la conquête arabe, ou venus par les voies diverses de l'émigration, gardent intactes leurs traditions et leur solidarité, cependant que la chrétienté, qui retrouve les traces de ses anciennes églises a fait renaître ici la vie de l'Occident et la latinité. Descendants des premiers colons, dont ils gardent avec une fierté légitime le souvenir, émigrants venus de nos vieux départements, d'Italie, d'Espagne ou de Malte, et maintenant confondus dans une vocation commune, ils sont ici près d'un million, profondément enracinés dans un terroir valorisé par plusieurs de leurs générations.
--------Séparées par leurs dissemblances, ces diverses sociétés humaines ne se pénètrent d'une manière générale qu'assez peu et vivent de leur vie propre, sans toujours assez rechercher le fond commun d'humanité, de spiritualité qui peut les réunir.
--------Messieurs, c'est sur ces bases difficiles que depuis un siècle ia France a entrepris de construire une collectivité commune où, sous les mêmes lois, s'harmonisent les particularités et qui trouve sa place dans l'unité de la Patrie.
--------Audace singulière, en vérité, et que seuls sans doute pouvaient concevoir l'universalisme, l'humanisme français. L'entreprise est ancienne, en effet, et c'est sans doute bien plus parce qu'elle correspondait à l'instinctif génie de notre pays qu'à un propos délibéré qu'elle n'a cessé depuis l'origine de s'affirmer avec une force croissante. Les profondes réformes qui ont marqué les années qui ont immédiatement suivi la guerre et ont appelé tous les habitants de ce pays à la citoyenneté française, le Statut de l'Algérie qui représente un équilibre qui s'est révélé heureux entre les nécessités d'un certain particularisme et notre désir d'intégration, en marquent la dernière étape.
--------Cette coeur a. d'autre part été servie, pourquoi n'aurions-nous pas quelque fierté à le reconnaître, par le fait que presque dès les premiers temps on a voulu, tout en maintenant à Alger de nécessaires relais de représentation et de gestion et en ménageant des singularités qu'il est impossible de méconnaître, donner à ce pays nos structures administratives traditionnelles et les placer sous l'égide du Ministère de l'Intérieur, dont la vocation même est de rassembler tous les terroirs spécifiquement français.
--------Nos grands services publics et avant tous autres le vôtre, dont la mission est de les animer, de les coordonner, s'y sont attachés de tout leur pouvoir et M. le Secrétaire Général du Gouvernement, dans le rapport qu'il doit présenter ne manquera pas de souli^ner devant vous la complexité et la grandeur exaltante de leur mission.
--------En fait, œuvre monte et s'édifie sous nos yeux, avec ses imperfections certes et ses insuffisances, mais elle s'affirme déjà avec assez de force pour que nul, de bonne foi, ne puisse la nier et en contester la signification.
--------Sans doute il est des éléments qui veulent s'exclure de cette action commune, les uns de bonne foi parce qu'ils sont plus sensibles à certaines lacunes, voire à certaines injustices qui demeurent, qu'à ce qui déjà a été entrepris pour y parer, les autres par aveugle passion, et il nous faut contenir ceuxci et convaincre ceux-là. Sans doute aussi -- et dans un sens opposé - est-il des hommes qui comprennent mal qu'il est des évolutions nécessaires et peut-être parce qu'elles leur sont trop familières, ne ressentent-ils pas suffisamment les excès de certaines inégalités. Mais, dans l'ensemble, en milieu européen, comme en milieu musulman, on trouve compréhension et bon vouloir. Et l'on éprouve cette grande vérité que c'est en construisant qu'une Société se construit elle-même et que c'est en conviant les hommes à travailler à une œuvre commune que l'on fonde leur fraternité.
--------Ce n'est pas qu'il n'y ait de graves difficultés à vaincre et que dans la lutte contre le temps, où nous sommes engagés, nous n'ayons souvent le sentiment de n'aller ni assez vite, ni assez fort. Le surpeuplement de l'Algérie, où la population s'accroît d'un million d'habitants tous les quatre ans, nous est notamment, je l'avoue, un très grave souci. --------Sans cesse il réduit dangereusement les progrès que nous réalisons : il rend les écoles toujours trop étroites, les hôpitaux toujours insuffisants ; l'agriculture, l'industrie ne peuvent employer tous les bras qui s'offrent à elles, en beaucoup d'endroits le chômage développe ses désastres matériels et moraux.
--------Malgré l'appui de la Métropole, d'autre part, nos moyens financiers sont cruellement insuffisants et nos charges s'accroissent plus vite que nos ressources, ainsi d'ailleurs qu'il est normal dans un pays dont on veut poursuivre à la fois l'équipement économique et le développement culturel et social. Sans doute n'y a-t-il là qu'un décalage dans le temps, mais il risque de briser notre élan si l'aide qui nous est consentie ne prend pas plus d'ampleur.
--------Et certes, nous savons que les finances françaises sont lourdement obérées, mais dans l'ordre des préoccupations nationales, alors que nul ne peut ignorer ce que l'Algérie représente pour la France, sans doute certains ordres de priorité gagneraient à être révisés. Il faut que les problèmes vitaux de l'Algérie puissent être résolus, si l'on ne veut pas que naisse le problème algérien.
--------Jusqu'à ce jour, d'ailleurs, nous avons pu aller de l'avant, non point sans doute assez vite au gré de nos impatiences, mais d'un train soutenu, et ceux qui, ayant quitté l'Algérie il y a simplen, ent dix ans, y reviennent aujourd'hui, ont peine à la reconnaître. Depuis la fin de la guerre, dans les divers ordres d'enseignement, les effectifs scolaires ont sensiblement doublé : l'enseignement du premier degré scolarise maintenant 450.000 enfants et nous construisons plus de 600 nouvelles classes par an, aussi bien dans les villes que dans les campagnes les plus lointaines.
--------Au cours des sept dernières années, le nombre des lits d'hôpitaux est passé de 12 à 25.000. Le problème de l'habitat est maintenant partout attaquéavec vigueur, ainsi que vous pourrez notamment à Alger en voir la marque éclatante. L'industrie se développe avec une lenteur qu'expliquent malheureusement la pauvreté de notre énergétique et la charge des transports, mais avec une régularité que justifient d'ailleurs le développement de notre marché extérieur et la qualification croissante de notre main-d'oeuvre.
--------L'agriculture, étroitement liée au marché métropolitain, connaît certes un malaise qui est essentiellement le reflet de celui qu'éprouve l'ensemble des producteurs français, mais elle est conduite par des hommes passionnés de leur état et ouverts à tous les progrès. Dans les régions exploités selon les procédés traditionnels et qui d'ailleurs ne sont généralement justiciables que de méthodes extensives de cultures, nos oeuvres du paysannat permettent de tirer du sol un meilleur parti. Nos périmètres d'irrigation se développent et s'équipent. Dans le pays du mouton, trop souvent ruiné par la sécheresse, nous multiplions les points d'eau. Le Service de défense et de restauration des sols qui traite maintenant par an plus de 30.000 hectares, s'attaque ave. une efficacité croissante au fléau des érosions.
--------Enfin à l'horizon, Messieurs, luisent de grandes espérances : ce sont celles que nous ouvrent les prospections minières dans les régions sahariennes et surtout, dans ces mêmes immensités, les recherches pétrolières, qui depuis un an ont démarré avec une exceptionnelle ampleur et une extrême rapidité. Elles se poursuivent de façon systématique, sur des superficies qui dès à présent, excèdent celles de la France tout entière : c'est une dizaine de milliards qui y sont maintenant consacrés chaque année. A la phase des études générales a succédé celle des forages. Déjà des indices très prometteurs ont été décelés ; si comme on est en droit de l'espérer ils étaient confirmés, ce pourrait être pour la. France et spécialement pour l'Algérie, une exceptionnelle bonne fortune.
--------Parallèlement nous assistons à un éveil et à une évolution des esprits : s'il en peut naître parfois des impatiences trop promptes, que nous avons d'ailleurs le devoir de comprendre, d'orienter et de satisfaire autant qu'il se peut pour qu'elles ne soient pas exploitées, comme il en est trop souvent ainsi, à des fins politiques dangereuses, nous pouvons dans l'ensemble en tirer un motif de confiance et de fierté. C'est par notre culture et selon ces lois générales que les progrès se manifestent ; par eux souvent inconsciemment les divergences s'estompent et se réalise dans les faits cette communauté franco-musulmane que nous avons assignée pour but à nos efforts.
--------Mais, Messieurs, l'avenir de l'Algérie, son présent même ce n'est pas seulement en Algérie qu'ils s'édifient, c'est aussi dans la Métropole que jour après jour ils se construisent. Votre venue marque que vous le savez et que vous en avez souci. Déjà, en effet, quelques-uns de nos grands problèmes ont passé l'eau et s'étalent dans nos vieux départements dans leur réalité trop souvent douloureuse. L'Algérie, dont la population s'accroît plus vite que les ressources, ne peut nous l'avons dit, nourrir tous ses enfants. De ceux-ci, pour que l'Algérie soit la France, nous avons choisi de faire des Français ; dans les oeuvrais de paix, sur les champs de bataille les plus proches comme les plus lointains, ils ont magnifiquement souscrit à ce choix. Quand le travail est rare et que la misère frappe à leur porte, et nombreux sont ici ceux qui ont faim, ils partent pour la Mère Patrie et ils sont maintenant quelque 250.000 sur les chantiers, dans les usines et dans les mines du vieux pays.
--------Et certes parfois ils détonnent par leur instinctif regroupement, par leurs habitudes et aussi, il faut le dire, par leur dénuement, car ils doivent envoyer à ceux qu'ils ont laissés dans leur village ou dans leur douar lointain, le plus clair de leur salaire. Mais il faut bien concevoir qu'ils ont droit à notre sollicitude fraternelle, je dirai même à notre respect, car presque tous ne font qu'obéir à une grande loi, à un devoir qu'ils tiennent justement pour sacré. Il faut qu'ils éprouvent que la solidarité nationale n'est pas une vaine formule et qu'elle doit jouer d'abord pour les plus démunis. Messieurs, dans vos Départements, vous représentez la France, la France toute entière, dans tous ses horizons, dans tous ses lointains. Ces hommes, je voudrais vous les confier. Ici, nous cherchons bien à les former, à les préparer à leur tâche, mais l'Algérie est grande, elle a peu de moyens et ils sont si dispersés que notre œuvre, j'en conviens, est très imparfaite. Il faut la poursuivre au lieu de leur travail et chercher sous toutes ses formes à améliorer leurs conditions de vie. Depuis quelques années des efforts importants ont été entrepris par les pouvoirs publics, par des chefs d'entreprises, soucieux de leur devoir comme d'ailleurs de leur intérêt bien compris, par des hommes et des femmes de cœur qui ont appris à les connaître et à les estimer. Beaucoup d'entre vous et spécialement M. le Gouverneur Général LE BEAU, se sont faits les animateurs de cette œuvre et je les en remercie, car les exigences du cœur rejoignent, comme il en est ainsi bien souvent, celles de l'intérêt public.
--------Et si, Messieurs, votre venue vous avait rendus plus sensibles à nos réalités algériennes, plus conscients de la grandeur et de la complexité de 1'cûvre exaltante qui se poursuit ici, plus convaincus encore de la part que vous y pouvez prendre en éclairant autour de vous les esprits et en vous associant à nos efforts, ce serait, n'en doutez pas, une conséquence heureuse, qu'en plus de toutes les autres, nous inscririons joyeusement au crédit de notre Congrès.

 

EXPOSE
présenté par M. Maurice CUTTOLI, Secrétaire Général du Gouvernement Général de l'Algérie

Le Rôle du Corps préfectoral dans l'Administration algérienne

Monsieur le Ministre, Monsieur le Président, Mesdames,
Messieurs,
Mes Chers Collègues,

--------Lorsque le Conseil d'Administration de notre Association me demanda d'exposer le "Rôle du Corps Préfectoral en Algérie ", je fus d'abord sensible au plaisir d'aborder devant vous, et surtout devant mes collègues métropolitains, non pas une de ces études arides qui sont, si j'ose dire, la rançon des Congrès, mais le sujet le plus vivant, le plus prenant qu'il soit donné d'évoquer à un fonctionnaire préfectoral qui a l'honneur de servir dans ce pays.
--------Cette satisfaction se nuança bientôt d'inquiétude : la matière en effet était vaste et complexe. Il était indispensable, au-delà des développements habituels qu'appelle la réalité à la fois diverse et mouvante de ce pays, de dégager assez hautement l'oeuvre accomplie depuis un siècle par notre Corps et la grandeur de la tâche qui lui incombe dans une époque de transition où s'élabore un destin lourd d'incertitude, mais plus riche encore de promesses.
--------Et tout d'abord, comment parler du Préfet ou du Sous-Préfet en Algérie sans parler des vergers odorants et des aloès, des vignobles modèles et des absinthes sauvages, de l'appel des prières et des migrations prolétariennes, des neiges et du sable, des plateaux sans fin tantôt bruissants d'or et tantôt durs, martelés et sans espoir. Comment, en un mot, en parler si l'on ne situe pas tout d'abord le pays rude et divers, ses populations à la fois graves et passionnées ?
Le pays ? Il est immense et varié. Sur un espace qui couvre, avec les Territoires du Sud, quatre fois la superficie de la France, dans ces trois départements, dont chacun en moyenne est aussi étendu que douze départements métropolitains, apparaît la diversité des sites, des climats et des cultures.
--------Mais, au-delà de cet aspect multiple et contrasté, se dégage pourtant une unité profonde : isolée du Sud par l'un des plus grands déserts du monde, baignant dans cette mer qui marque d'une empreinte commune les pourtours méditerranéens, l'Algérie est pratiquement soudée à l'Europe et à la France.
--------A 1.300 kilomètres seulement de Paris, aux portes mêmes de la Provence, sur un méridien qui, jusqu'au Dahomey ne quitte pas sur 3.500 kms le territoire français, Alger apparaît comme le véritable point de rencontre de l'Afrique et de l'Occident.
--------Mais, si par sa structure et sa géologie, l'Algérie révèle ses affinités européennes, son histoire nous éclaire, par contre, sur son originalité profonde.
--------Sur cette terre, en effet, plusieurs civilisations se sont relayées. Après des contacts commerciaux restreints avec les Phéniciens, Carthage, durant sept siècles, domine le Constantinois. Puis, c'est l'occupation de Rome pendant six siècles, avec sa familiarité des Dieux et des hommes, avec sa hiérarchie des cités : latines, pérégrines et romaines. Voici, enfin, à partir du 7"'a siècle, partant des pays arabes, la grande flambée de l'Islam. Le Maghreb, à sa chaleur, prend son nouveau visage. Ce n'est pas le lieu de retracer l'histoire de ces siècles intenses, mais c'est elle qui a laissé à notre grande province africaine les assises de sa foi.
--------Cette constatation prend tout son sens lorsqu'on sait qu'en pays d'Islam la religion marque profondément de son empreinte la vie domestique aussi bien que la vie sociale.
Cette foi, comme tous les élans de l'âme, a connu ses déchirements mais elle a su, hormis le bloc dissident du M'Zab, conserver son unité.
--------Celle-ci, au demeurant, n'a pas entraîné l'unité linguistique. L'arabe qui, de l'Inde au Maroc, est la langue sacrée, celle du Coran, n'a pas, en effet, prévalu dans les massifs élevés de Kabylie et de l'Aurès.

o O o

--------Sur cette terre, dont la position appelait, certes, le contact avec l'Occident, mais où vivait une société au passé tourmenté et prestigieux, si étrangère à nos moeurs et à nos modes de pensée, la France vint avec son idéal, sa civilisation, son appareil administratif.
--------Tout était à apprendre, tout était à créer. Les traces de l'occupation de Rome et des royaumes successifs s'étaient estompées. L'autorité de la Porte ne s'étendait qu'au sixième de l'Algérie actuelle, les montagnards vivaient dans un état d'indépendance et d'hostilité ouverte, Le champ était libre à l'influence française. L'Occident musulman, coupé du grand courant de la civilisation arabe orientale, allait retrouver le destin de l'Occident européen.
--------Alors, les premiers contacts, les premiers échanges se nouent et, comme pour toute naissance, la douleur n'en est pas exempte.
--------Rude et exaltante aventure que celle des pionniers et des colons suivant la marche des soldats. Etrange et noble aventure aussi que celle des p, miers fonctionnaires car il fallait bien s'organiser et doter ce pays d'un système administratif.
--------En fait, l'on reproduisit assez rapidement dans ses grandes lignes la physionomie de nos cadres métropolitains. Cette méthode portait la marque du génie français. Elle était à la fois le gage le plus valable de notre bonne volonté et le témoignage précis et émouvant de la mentalité nationale, mentalité que Lawrence a défini de façon si colorée en l'opposant aux conceptions britanniques.
--------Cette installation, cependant, a été progressive et a suivi les fluctuations des contingences politiques.
--------C'est en 1848 seulement que les sous-préfectures de France ouvrent leurs succursales en Berbérie.
Pendant cette phase initiale, l'histoire de l'Administration algérienne est fort déconcertante. ;II est impossible d'y découvrir un fil conducteur et des principes généraux. Suivant les événements et surtout suivant les vicissitudes politiques de la Métropole, unité de commandement, assimilation, royaume arabe, rattachement, se sont succédés avec plus ou moins de bonheur.
--------Dans ce perpétuel mouvement, le Corps préfectoral a été mis à rude épreuve. Tantôt subordonné à l'Autorité militaire, tantôt abandonné à lui-même, il lui a fallu, pour se plier aux circonstances, faire preuve d'une extrême souplesse mais aussi d'un goût exceptionnel des responsabilités. Et c'est cependant grâce à ces pionniers que furent, en Algérie, nos devanciers du 19"'- siècle, que malgré tous les soubresauts s'est formé lentement le cadre de ces immenses départements algériens et que les franchises communales ont pu naître et s'épanouir.

 

--------Nos actuels Collègues ont un rôle sinon plus facile, du moins libéré de cette allure quasi-héroïque du < sous-préfet à cheval " qui a, bien entendu, succombé sous l'offensive combinée de l'auto, du téléphone et de la radio. Ils n'en sont pas moins tenus à un certain effort d'adaptation du fait des caractéristiques particulières tenant à la structure géographique, au milieu humain et à l'organisation administrative des territoires qu'ils sont chargé d'administrer.
--------Quelle est, tout d'abord, la structure de nos trois départements ?
--------Ils ont, en moyenne, une superficie de 70.000 km2 (le 1/8 de la France) et ils sont peuplés, chacun, de trois millions d'habitants (le 1/12 de la population métropolitaine). Fait curieux : la division en est perpendiculaire à la mer, alors que la géographie physique présente quatre zones naturelles parallèles à la côte : le Littoral, le Tell, les Hauts-Plateaux et les Territoires Présahariens. Le département algérien comprend donc des pays divers, ayant des intérêts différents et il arrive que des régions naturelles se trouvent coupées par cette délimitation arbitraire. La Kabylie est ainsi divisée entre les départements d'Alger et de Constantine et la vallée du Chéliff entre ceux d'Alger et d'Oran.
--------Les distances que doit parcourir un Préfet pour rendre visite à ses administrés sont énormes. Et comme la politique de la présence est plus nécessaire ici qu'ailleurs, il est heureusement relayé par le Sous-Préfet et l'Administrateur des Services civils, dont je parlerai tout à l'heure. Les arrondissements, au nombre de vingt, présentent pour la plupart une certaine unité géographique et ethnique. Mais, quelques-uns, au contraire, s'allongent de ja Méditerranée au désert, selon la formule du découpage perpendiculaire. C'est ainsi que la distance du Nord au Sud de l'arrondissement chef-lieu de Constantine atteint 500 kms. Un arrondissement algérien moyen a une superficie double et une population égale à celle d'un département métropolitain de moyenne importance.
--------C'est dire que, pour le Préfet et le Sous-Préfet, la charge de telles circonscriptions est lourde, et l'on souhaite la création de nouveaux départements et arrondissements. Mais une réforme de cette importance se heurte, vous vous en doutez, à de nombreuses difficultés.
--------Parlons maintenant brièvement des populations que nos collègues ont à administrer. En Métropole, les différences de caractères et d'usages entre nos provinces du Nord, du Sud, de l'Est ou de l'Ouest, se manifestent dans le cadre de l'Unité Nationale lentement forgée par les siècles. Ici, il en va différemment, car les deux groupes élémentaires d'habitants qui peuplent l'Algérie, les musulmans e les européens, présentent eux-mêmes des particularités nombreuses.
--------Les musulmans autochtones, j'ai évoqué tout à l'heure dans un raccourci de l'histoire de ce pays, leur unité religieuse et leur dualité linguistique mais,, en fait, leur diversité est plus grande. Au "substratum " berbère, se sont superposés d'autres éléments venant de l'extérieur. De toute façon, les modes de vie varient considérablement du Nord au Sud, de la plaine à la montagne, de la ville à la campagne et exigent de l'Administration un effort d'adaptation considérable.
--------Voici le pasteur du Sud, vivant encore sous a tente, nourri de dattes et de lait, et déplaçant, au gré des saisons, sa famille et ses troupeaux en quête de pâturages. Il relève d'une société patriarcale et aristocratique.
--------Au contraire, le Kabyle montagnard est fixé au sol. Il a conservé sa langue et son organisation traditionnelle de village. Mais la propriété est très morcelée et la terre n'arrivant plus à assurer la nourriture de familles à forte natalité, beaucoup doivent aller chercher dans les usines de France un travail rémunérateur.
--------Dans les villes de la côte, c'est le mélange traditionnel de toutes les races qui sont venues échouer en Berbérie au long des siècles.
--------Toutes ces populations, par leur conception propre de la vie et des valeurs humaines, témoignent d'une civilisation fondée sur une foi commune. Or, cette grande religion de l'Islam, qui se signale par la primauté intransigeante du spirituel, a marqué si profondément ses adeptes que leur évolution ne serait pas concevable sans son aveu et sans son aide.
--------L'influence qu'elle exerce, les moeurs qu'elle détermine, ne vont pas toujours de pair avec nos conceptions cartésiennes, et vous concevrez combien il est indispensable, pour le Préfet ou le SousPréfet, d'en pénétrer la philosophie pour mieux comprendre l'âme musulmane et sa sensibilité. Entre les ordres religieux nés de la croyance populaire et les sectes des réformistes qui prêchent le retour aux sources primitives de l'Islam, ils doivent jouer un rôle infiniment délicat qui exige beaucoup de clairvoyance, de doigté et de souci de l'équité.
--------Mais, nos fonctionnaires préfectoraux fraîchement débarqués ont également à s'adapter à l'autre élément de la population constitué par les " Européens " . Ceux-ci, au nombre de un million (le 1/9 de la population totale) sont représentés par les descendants des premiers colons français, auxquels se sont joints des étrangers venus d'Espagne, d'Italie et des Iles méditerranéennes oui ont fait souche et qui ont acquis, pour la plupart, la nationalité française.
--------Cette " francisation " qui a été aussi complète que l' " américanisation " des émigrants européens aux Etats-Unis, n'a pas été sans répercussion sur les caractères généraux du peuplement européen qui ajoutait aux vieilles qualités paysannes de notre terroir un esprit d'initiative, un goût du risque, une volonté de progrès technique plus poussés.
--------Certes, l'atmosphère sociale et politique de l'fs lgérie française est celle d'un pays latin. On y trouve surtout les vertus sociales et les défauts collectifs de l'Europe du Sud. --------Mais, viennent s'y ajouter, sur une terre nouvelle où l'énergie de l'homme s'est déployée librement, un remarquable esprit d'entreprise, un grand courage physique, une incontestable habileté dans l'action et aussi, peut-être, une certaine instabilité politique qui s'explique par l'absence de traditions.
--------Le Préfet ou le Sous-Préfet nouveau venu ai ra quelque peine à saisir de plain-pied cette mentalité nouvelle. Puis, il s'enorgueillira de cette fusion de tant d'éléments disparates dans le creuset français, qui fait de l'Algérie une nouvelle province ayant, comme toutes les vieilles provinces françaises, ses réactions propres face aux problèmes de l'heure, mais demeurant profondément attachée à la Patrie commune pour laquelle on verse son sang quand elle est en danger, et à laquelle on rend de plus en plus fidèlement visite.

o O o

--------Et maintenant que nous avons tenté de camper le Préfet ou le Sous-Préfet algérien dans le cadre naturel et humain où il doit vivre, voyons comment s'articule la fonction préfectorale, dans l'organisation administrative et politique du pays, et plus précisément entre le Gouvernement Général; d'une part, et les collectivités locales, d'autre part.
--------Le Préfet est placé sous l'autorité du Gouverneur Général qui représente le Gouvernement de la République Française dans toute l'étendue de l'Algérie.
--------Qu'il me soit permis, en passant, de noter qua les Gouverneurs Généraux ont été souvent choisis parmi les Préfets et qu'aujourd'hui, tout notre corps se réjouit de la présence à cette cérémonie de deux d'entre eux dont la réussite est pour nous tous un grand motif de fierté : M. le Gouverneur Général Le Beau qui, dans les années difficiles d'avant-guerre, fit montre d'une autorité éprouvée et d'un sens aigu des réalités algériennes et M. le Gouverneur Général Léonard qui, depuis trois ans, conduit les destinées de ce pays avec une hauteur de vues et une sûreté de main dont il ne m'en voudra pas de dire qu'elles entraînent l'adhésion unanime.
--------Le Gouverneur Général représente donc le Gouvernement sous le contrôle particulier du Ministre de l'Intérieur. Il trace, d'après les instructions qu'il reçoit, les grandes lignes de la politique algérienne. Il en est responsable. Le Préfet doit s'en pénétrer et en assurer l'application. A ce sujet, notons qu'une tendance s'est manifestée pour que les Préfets recouvrent leur entière liberté d'action, notamment dans leurs relations avec les divers services ministériels de la Métropole.
--------Ce serait le retour au régime des rattachements justifié par les progrès scientifiques réalisés dans le domaine des liaisons et communications.
--------Cette tendance, qui eût ses défenseurs lors de la discussion du Statut de l'Algérie au Parlement, n'a pas prévalu, puisque c'est au contraire vers un renforcement de la personnalité algérienne que s'est prononcée la loi du 20 septembre 1947.
--------L'Assemblée Algérienne a reçu de ce texte le droit de légiférer sur certaines matières, sous réserve de l'homologation de ses décisions par Décret Pour gérer en accord avec elle, les intérêts propres à l'Algérie, le Gouverneur Général a besoin d'importantes prérogatives. Il lui est indispensable de disposer d'une autorité complète et incontestée sur les hauts fonctionnaires qui travaillent à ses côtés et notamment sur les Préfets dont l'action est primordiale.
--------Les avantages de cette formule paraissent compenser largement les inconvénients incontestables de la concentration à Alger de services très importants, auxquels peuvent être faits tous les griefs que l'on a l'habitude de formuler à l'égard d'administrations trop centralisées.
--------Cependant, des atténuations ont pu être apportées par de larges délégations aux Préfets et aux Sous-Préfets et, tout récemment encore, par l'extension à l'Algérie du texte métropolitain sur la déconcentration administrative et les pouvoirs des Préfets.
--------Quant au Sous-Préfet algérien, dont les attributions étaient, au début, sensiblement les mêmes que dans la Métropole, son rôle, traditionnel fut fixé en 1900 par une circulaire restée fameuse du Gouverneur Général Jonnart qui lui assignait le rôle " d'inspecteur permanent de la vie sociale, économique et politique de son arrondissement ". En fait, il supplée l'imprécision des textes par une action directe, d'autant plus efficace et attachante qu'elle s'adresse souvent à des populations frustes et désorientées par une évolution économique et sociale qui, de toute part, tend à rompre ses modes d'existence traditionnels.
--------Il lui faut infiniment de tact, car le moindre geste inconsidéré de sa part ou simplement inopportun risque d'avoir, dans ce payse des répercussions imprévisibles, qui peuvent dépasser parfois le cadre national. Il lui faut mettre en oeuvre toutes ses connaissances d'histoire, de sociologie, de psychologie et d'économie politique et il perdra quelquefois de vue la loi de 84 pour tenter de percevoir l'évolution de tant d'éléments divers et pour orienter son action locale sans oublier qu'on en parlera peut être au Caire ou à l'O.N.U.

o O o

--------Ainsi donc, le rôle essentiel du Préfet et du Sous-Préfet est d'harmoniser, de faciliter et de stimuler l'évolution des populations. Le but est fixé : il faut l'atteindre et je voudrais simplement souligner la grandeur que ce raccourci comporte.
--------J'ai tenté, plus haut, de marquer la diversité du milieu social. Cette diversité se complique de celle des institutions qui doivent aussi évoluer. A l'intérieur de chaque département, il y a la commune de plein exercice que vous connaissez, avec ses deux collèges, mais administrée comme dans la Métropole. Il y a aussi la Commune Mixte dirigée par un fonctionnaire : l'Administrateur des Services civils, assisté d'une Commission municipale.
--------La Commune mixte s'étend sur un territoire aussi grand qu'un arrondissement, parfois même qu'un département métropolitain. Elle ne mérite donc guère le nom de commune : elle est bien plutôt une pépinière de communes destinée à faire éclore des communes véritables qui y feront enclave et seront sacrées " communes de plein exercice " lorsquelles auront pris un développement suffisant.
--------Autrement dit, la Commune mixte a toujours été une formule de transition et il s'est de tout temps trouvé des hommes et des partis pour estimer que la transition s'éternisait. Elle ne durait cependant - et elle ne dure encore - que parce que les masses rurales auxquelles elle sert de cadre évoluent lentement.
--------Il y a aussi, mais inégalement répartis, les Centres municipaux, également organismes d'évolution, dont la structure est, en fait, calquée sur celle de la commune.
C'est donc au sein de ce " complexe " d'hommes, d'intérêts et d'organismes que le Sous-Préfet et le Préfet, " ensembliers gouvernementaux ", peuvent, par leur exacte science de l'humain, accélérer ou freiner tel ou tel mouvement de l'appareil public parfois si impersonnel.
--------Cette science a d'ailleurs son argumentation. Une enquête très complète a été menée, dès 1946, sous le nom de " Plan d'Action Communal ", afin de dresser, pour chaque commune, un état des réalisations déjà acquises ou à poursuivre pour que les collectivités locales atteignent le niveau politique, social ou économique souhaité par le Gouvernement.
--------C'est le Préfet, le Sous-Préfet qui sont appelés à guider les étapes de cette évolution, mais ils ne peuvent pas limiter à cette appréciation politique leur intervention.
S'il m'était permis de dérober à la littérature un mot qui lui est cher, je dirais qu'ils sont bien plus " engagés ".
--------Car, peut-on envisager une promotion politique sans sous-entendre une promotion économique et sociale. Vous connaissez les difficultés économiques de notre grande province ; vous savez les efforts d'équipement accomplis pour élever le standing de vie de ses habitants. Je voudrais seulement évoquer en terminant ces écoles de vie qui animent tout le bled algérien : la Société Agricole de Prévoyance et son arme le Secteur d'Amélioration Rurale ainsi que les Travaux d'initiative communale.
--------La " Société Agricole de Prévoyance " est la fille moderne de ces modestes sociétés de secours créées vers 1870 pour sauver les petits paysans de l'usure ou de la disette. Elle est maintenant une institution permettant l'éducation et l'intégration progressive de la petite agriculture musulmane dans les groupements professionnels normaux de crédit et de coopération agricole. Elle a de puissants moyens et elle permet d'animer l'ensemble des secteurs du paysannat dont l'action tend à former les " fellahs" aux méthodes modernes de culture et, par là-même, à améliorer les rendements.
--------Au sein des Commissions départementales des Sociétés Agricoles de Prévoyance et du Paysannat, le Préfet est directement associé à la mise au point des programmes.
Quant aux " Travaux d'Initiative Communale ", ils sont nés de l'expérience d'un de nos collègues Sous-Préfet qui a imaginé un plan pour la réalisation rapide, dans les douars de son arrondissement, de certains travaux d'intérêt local. Ce plan laissait aux Chefs de communes la plus grande liberté d'exécution dans les projets et faisait appel à une participation des bénéficiaires des travaux. Ce fut une belle réussite et l'initiative individuelle devint action généralisée sur l'ensemble de l'Algérie. Les modes de financement ont évolué mais le principe même de l'initiative a subsisté et le corps préfectoral tout entier est maintenant associé à cette promotion matérielle.

o O o

--------Mes Chers Collègues,
--------J'espère, par ce rapide exposé, vous avoir donné une idée de l'importance et de la complexité du rôle de notre corps en Algérie. Beaucoup d'entre vous ignoraient, je pensa, cet aspect de leur métier, comme ils ignorent les autres aspects de ce pays où ils viennent pour la première fois.
--------Par ailleurs, si la presse et la littérature offrent depuis quelque temps à la curiosité de tous les Français une documentation abondante et renouvelée sur les problèmes de l'Afrique du Nord, l'Algérie seule paraît témoigner de quelque discrétion dans cette information parfois bruyante. Ici aussi, cependant, le cadre longtemps inchangé où, pendant des siècles vécurent les hommes, est aujourd'hui ébranlé par les exigences de l'âge moderne.
--------Il apparaît seulement que l'évolution politique et sociale de notre terre algérienne se fait dans une voie qui, en définitive, doit l'amener à s'intégrer complètement parmi nos vieilles provinces de France.
--------Les hommes raisonnables de ce pays - musulmans ou européens - pensent qu'il n'est maintenant pas d'autre destinée possible pour elle. D'abord parce qu'il n'est pas question pour la France d'abandonner en cours de route des peuples qui se cherchent encore, et de livrer leur inexpérience à tous les périls du monde moderne en les replongeant dans le désordre et la misère. Ensuite, parce que notre Patrie doit prendre conscience de la force que représente son établissement dans un pays dont la situation géographique et les richesses potentielles lui assignent un rôle important dans le inonde de demain.
--------Dans ce pays où l'homme des villes défile aux slogans de nos grandes centrales syndicales, mais où l'on peut voir dans le " bled ", aux jours de marchés, descendant des douars une théorie de cavaliers blancs qui relèvent de la description biblique, nous avons assisté à l'un des grands télescopages de l'histoire, à un emboîtement de plusieurs siècles.
--------L'honneur de la France est d'y faire face honnêtement, courageusement, avec les moyens de sa haute conscience.
--------La réussite sera le fait de ses serviteurs et j'espère qu'au premier rang de ceux-là, seront nos collègues du Corps préfectoral.

--------Il leur faudra certes, plus encore qu'à leurs prédécesseurs, beaucoup d'ardeur pour participer avc fruit à une oeuvre aussi délicate de promotion humaine, mais que de satisfactions aussi pour ceux qi voudront servir au-delà des solutions traditionnelles et des sentiers battus, pour ceux qui auront l'es prit curieux de nouveautés et l'âme indépendante et généreuse.

--------Mes Chers Collègues, il m'est donné, après 25 années de séjour dans ce pays où je suis né, et après 25 autres années passées dans la carrière préfectorale, d'avoir l'insigne honneur de parler de c pays et de cette carrière que j'aime également, devant un auditoire qui me pardonnera, je pense, et la fierté que j'en éprouve et l'émotion qui m'étreint.

--------Ma satisfaction sera complète si, parmi les jeunes qui m'écoutent, quelques-uns sont tentés c servir sur cette terre à la fois âpre et séduisante. Ils y participeront à une expérience exceptionnel dans l'ordre humain et social qui, en plus de la mise en couver d'un plan largement doté, exigera sui tout l'action de centaines d'hommes de foi et de volonté puisés parmi les éléments les meilleurs g les plus divers de notre jeunesse. C'est là la vraie richesse dont dispose la France, mais elle vaut tot tes les autres !

--------Rien ne sera vraiment changé demain, quelles que soient les lois nouvelles, si nous n'apportons pz dans l'action cet élément de renouveau.

--------Pour rapprocher les deux civilisations qui cohabitent dans ce pays, pour réunir les élites, pot entraîner, dans la même voie, les générations montantes, il faut de jeunes hommes ayant autant c coeur que de raison, il faut des apôtres plutôt que des habiles, des croyants dont la foi peut franch les obstacles dressés par l'égoïsme et l'inertie.

--------Le souhait ultime et fervent que je forme est que nos jeunes collègues du Corps préfectoral, soient au premier rang de ceux-là.

****************************

Gouverneur Général de l'Algérie : M. Roger LEONARD

Directeur des Cabinets Civil et Militaire M. Joseph GAND
Directeur du Cabinet Civil M. Francis GRAEVE
Directeur Adjoint du Cabinet Civil M. Maurice LAMBERT
Chef du Cabinet Civil M. Marc GORSE
Chef Adjoint du Cabinet Civil M. Abdelkader STAMBOULI

Secrétaire Général du Gouvernement Général M. Maurice CUTTOLI
Directeur du Cabinet M. Paul LATOURNERIE
Secrétaire Général Adjoint M. Jean THOMASSIN
Chef du Cabinet M. Jacques JUILHARD
Secrétaire Général adjoint chargé des Affaires économiques M. Henri URBANI
Inspecteurs généraux M. Roger WUILLAUME
M. François LE GRAND

PREFECTURE D'ALGER

Préfet d'Alger M. André TREMEAUD
Directeur du Cabinet M. Jacques LEGRAND
Chef de Cabinet M. Yves VACQUIER
Secrétaires généraux M. Paul LAVAYSSE
M. Tony ROCHE
Sous-Préfet de Miliana M. Jean ROUFFIAC
Sous-Préfet de Blida M. Pierre DELAHAUT
Sous-Préfet de Tizi-Ouzou M. Albert BYR
Sous-Préfet d'Aumale M. Roland DEROUBAIX
Sous-Préf1'; d'Orléansville M. René DEBIA
Sous-Préfet de Médna M. Clivier RICAUD

PREFECTURE D'ORAN

Préfet d'Oran M. Pierre LAMBERT
Directeur du Cabinet M. André PERREAU
Secrétaires généraux M. Jean LE BISSONNAIS
M. Auguste SOULIER
Sous-Préfet d'Oran M. Georges LE SIDANER
Sous-Préfet de Tlemcen M. Albert BONHOMME
Sous-Préfet de Tiaret M. Marcel MESNARD
Sous-Préfet de Mascara M. Roland DISSLER
Sous-Préfet de Sidi-bel-Abbès M. Paul MERLE
Sous-Préfet de Mostaganem o M. Pierre HOSTEING

PREFECTURE DE CONSTANTINE

Préfet de Constantine M. Iienri LECORNU
Directeur du Cabinet M. Henri MOURER
Secrétaires généraux "T. T( ,n FAUSSEMAGNE
M. Pierre CAZEJUST
Sous-Préfet de Constantine M. David MASSONI
Sous-Préfet de Bougie M. Edmond WATRIN
Sous-Préfet de Bône M. Marius LEJOUX
Sous-Préfet de Batna M. Jean DELEPLANQUE
Sous-Préfet de Guelma M. Henri HAMONIC
Sous-Préfet de Philippeville M. Roger FRIDRICI
Sous-Préfet de Sétif M. Jacques LENOIR