Alger, Algérie : documents algériens
Série culturelle

La Céramique en Afrique du Nord
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mise sur site le 15-5-2011
* Document n° 8 de la série : Culturelle - Paru le 15 juillet 1946 - Rubrique ART

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La Céramique en Afrique du Nord
(A PROPOS D'UNE EXPOSITION)

Une exposition organisée au Cercle franco-musulman d'Alger par les élèves du cours M. céramique, que dirige à l'École des Beaux-arts M. Omar Ghammed, vient de prendre fin après avoir connu un légitime succès. On y a vu des pièces décorées, plats, vases, panneaux de revêtements et sculptures émaillées d'une fantaisie charmante et d'une excellente technique ; les plus remarquables étant - comme il va sans dire - celles qu'exécuta M. Ghammed lui-même. Venu pour l'inauguration, M. le Ministre plénipotentiaire Yves Chataigneau, Gouverneur Général, a voulu marquer l'intérêt qu'il portait à cette industrie renaissante et son désir de l'encourager. L'heure est particulièrement propice pour rendre ces encouragements souhaitables et efficaces. L'Algérie, sortie de la tourmente, songe à réorganiser son artisanat. Elle s'est avisée, durant les années d'épreuve, de la nécessité de se pourvoir, avec ses propres moyens, des objets ménagers que la Métropole ne lui fournissait plus. Nous avons mangé dans des assiettes et bu dans des tasses modelées avec la terre du pays. Le galbe et la couleur nous en ont semblé d'une rusticité plaisante. Cette fabrication peut-elle survivre et se développer ? Les jeunes gens et les jeunes filles de l'École des Beaux Arts viennent, avec des moyens forts réduits, de le démontrer de la manière à la fois la plus discrète et la plus éloquente. Pour compléter la leçon qu'ils nous donnent ainsi que le bel artiste, leur maître, il ne semble pas inutile de rappeler les titres de noblesse
de la céramique dans l'Afrique du Nord.

DES ORIGINES A L'ISLAM

Si, comme le dit Théophile Gautier, " le buste survit à la cité", le vase, ou tout au moins le tesson, lui survit plus sûrement encore. Il es:: parfois le seul vestige d'un établissement urbain disparu. Le mur s'écroule et les pierres, transportées ailleurs, trouvent un nouvel emploi. Les débris d'un vase, étant inutilisables, restent sur place et attestent que là des hommes ont vécu, ont fait cuire leurs aliments, ont conservé des liquides ou des grains. La poterie est même antérieure à la cité, au groupement des habitations les plus rudimentaires. On la trouve, avec les outils de pierre taillée ou polie et les os travaillés qui caractérisent l'âge néolithique, dans les grottes où l'homme s'abritait, et enfouies sous ces curieux monticules d'escargots qui, s'élevant sur la plaine, représentent de longues années de cuisine.

Dès cette aurore de l'industrie cramique, le vase prend souvent figure d'objet d'art il est parfois badigeonné de rouge, orné avec une ponte ou avec l'ongle, de points, de hachures ou de zigzags. Certains doivent les reliefs qui les couvrent au moule de vannerie à l'intérieur duquel la terre fut tassée ; le feu qui les cuisait a. brûléla paille tressée et durci l'argile.

Cette poterie primitive se perpétuera pendant bien des siècles. C'est elle que l'on rencontre dans les sépultures de peu antérieures à l'ère chrétienne, dans ces dolmens que l'Afrique du Nord a connus comme la Bretagne. En fait, elle n'a jamais disparu du pays. Les petits sanctuaires musulmans de la campagne contiennent encore des écuelles ou des lampes qui en dérivent, et dans toutes les maisons, les qanouns, ces braseros portatifs où la braise fait mijoter les sauces, se réclament à leur manière de la tradition néolithique.

Très vivante elle aussi et guère moins vénérable est la poterie berbère décorée au pinceau. Mais son origine ne laisse pas d'être énigmatique. Quand est-elle apparue ? Est-elle spécifiquement berbère ? M. Van Gennep a montré les analogies qu'elle présente avec les poteries qu'on fabriquait en Méditerranée orientale, notamment dans l'Ile de Chypre, au premier âge du bronze. quelque trois mille ans avant Jésus-Christ. Fut-elle un legs du monde égéen ? Stéphane Gsell était disposé à l'admettre Quand aborda-t-elle l'Afrique du Nord ? La trouvaille de pièces semblables dans un abri du rocher de Constantine autorise à affirmer son existence aux environs de l'ère chrétienne. Les recherches futures permettront peut être de remonter plus haut. Ce qui est certain, c'est que cet art rural s'affirme éton
namment archaïque, tant par sa technique que par son style, Travail de femmes, ne nécessitant ni le tour, ni le four de potier, le vase est modelé au boudin d'argile, séché, peint directement sur la terre ou sur un engobe qui en dissimule la couleur trop foncée, et il est cuit à. l'air libre. Parfois un vernis de résine donne à la pièce un éclat sombre et la rend moins poreuse.

Plus que la Tunisie et le Maroc, l'Algérie en produit encore d'une étonnante diversité. Elles attestent un sens décoratif inné chez les femmes berbères. Chaque région a ses formes et ses thèmes ornementaux. Il en est de très grand style ; d autres d'une richesse élégante et sans surcharge. Le musée du Bardo en conserve une collection unique et que l'on souhaiterait de voir sans retard de nouveau accessible aux ouvriers d'art et aux ethnographes.

Pendant que cette industrie familiale, cristallisée dans les villages berbères, traversait les siècles, le pays devenu punique, puis romain, recevait dans ses ports des pièces de céramique importées du monde méditerranéen. Les ateliers cl;s villes s'inspiraient de ces modèles et leurs oeuvres en différaient peu. Les fouilles en ont livré beaucoup et de fort belles, depuis les jarres énormes pour les céréales, les amphores pour l'huile ou le vin et les urnes funéraires, jusqu'aux lampes décorées de reliefs prophylactiques ou d'inscriptions, dont certaines nous disent qu'elles ne coûtent qu'un sou.

Cependant quelles que soient la pureté du galbe ou la finesse des empreintes, il manque à ces pièces antiques la magie de l'émail.

L'Égypte pharaonique possédait le merveilleux secret, mais elle ne semble l'avoir transmis ni à la Grèce, ni à Rome. Mieux d'ailleurs que l'Égypte, il eut l'Asie pour berceau. La Chine et :Iran furent ses vraies patries, et c'est de l'Iran qu'il rayonna sur le monde africain conquis par l'Islâm.

LE MOYEN-AGE NORD AFRICAIN

L'Iran, ou pour mieux dire la Mésopotamie, entre triomphalement dans l'histoire de notre céramique musulmane avec les faïences de la Grande Mosquée de Kairouan.

Alentour de la niche du mihrâb qui se creuse au fond de la salle de prière, cent trente neuf carreaux de faïence à reflets métalliques rayonnent de toute la richesse de leurs ors pâles ou sombres, amortis ou éclatants. Ils sont contemporains de la mosquée elle-même, c'est-à-dire du IXè siècle de l'ère chrétienne. Un vieux texte nous apprend qu'ils furent envoyés de Bagdad à l'Emir tunisien pour qu'il en décorât son palais. Une pieuse pensée les fit détourner de cet emploi profane et consacrer à la parure du lieu saint. L'auteur ajoute que le céramiste qui les apporta forma sur place des élèves qui complétèrent l'ouvrage. Quoi qu'il en soit, leur évidente parenté avec les faïences que l'on exhume en Irak dans les ruines des palais califiens du IX' siècle atteste l'ancienneté et l'origine orientale de cette somptueuse collection, que l'Afrique du. Nord a la gloire de posséder.

Les pays d'Orient, l'Iran ou l'Égypte, vont exercer leur influence sur l'art de la Tunisie et de la région algérienne qui l'avoisine pendant les trois siècles qui suivront, et la céramique en porte l'empreinte.

De très bonne heure, dès le XIè siècle et peut être plus tôt, la terre émaillée s'associe à l'architecture, avec ses incrustations décorant les façades, avec ses pavages, où des formes découpées se juxtaposent comme les éléments d'une marqueterie. Des vases et des plats sont fabriquées dans le pays même.

Certes nous n'aurons plus d'ensembles comparables à celui de la Grande Mosquée de Kairouan, mais les fouilles nous ont livré de précieux débris qui sont autant de miettes d'histoire. Outre les faïences à reflets métalliques, nous trouvons dus pièces peintes sur engobe ou sur émail stannifère d'une polychromie sobre ou n'interviennent d'abord que le brun de manganèse et le vert, parfois le jaune ocreux. N'oublions pas cette technique à coup sûr très ancienne (la Perse des Achémenides la connaissait déjà), où des couleurs fusibles sont circonscrites par un trait noir fixe, qui les cloisonne les empêche de se mélanger. Enfin, la poterie estampée, laissée nue ou émaillée de vert, tient une large place dans cette céramique nord-africaine.

Qu'il soit tracé au pinceau ou imprimé en relief dans l'argile encore molle, le décor est large et bien adapté à la forme. Les inscriptions coufiques y tiennent une place notable. Les représentations animales, voire la figure humaine, n'en sont pas absentes, ce qui ne nous surprend pas. On sait que l'art fatimite d'Égypte, avec lequel celui-ci s'apparente, s'en est abondamment servi.

On ne peut douter que cette industrie ait été des plus actives dans les cités berbères. Alfred Bel a exhumé aux portes de Tlemcen les restes d'un four qu'il croit pouvoir date du X' siècle. Le sol de la Qala des Beni-Hammâd, entre Sétif et Msila, cité maintenant en ruines qui fut capitale de royaume au XIè siècle, est jonché de tessons, et l'on y rencontre en assez grand nombre ces cylindres de terre cuite qui servaient à séparer les pièces empilées dans le four.

L'invasion des Arabes nomades vers 1050 compromit ce beau développement artistique. Les populations laborieuses se replièrent vers la côte. Tunis succède à Kairouan et Bougie hérite de la Qala. Bougie fut en particulier un centre d'art céramique dont nous suivons de siècle en siècle la floraison et le rayonnement. C'est vraisemblablement par Bougie que la Sicile des rois Normands reçut au XII' siècle son initiation à la faïence, attestée par les fragments du musée de Palerme Un heureux hasard nous permet d'affirmer que les faïences bougiotes étaient également exportées sur notre côte, provençale. Des fouilles entreprises dans le sol de Marseille ont mis au jour des tessons à décor bleu semblables à tout un groupe de ceux que l'on avait trouvés à Bougie. Ces faïences peuvent être datées du XIII' siècle. Au début du XIV', l'inventaire d'une pharmacie de Gênes mentionne des pots de faïence dorée de Bougie. Une autre série, où concourent le bleu et le lustre métallique, s'apparente aux faïences espagnoles que Valence fabriquait au XIVè et XVe siècle.

Ainsi l'Afrique du Nord joue son rôle dans cette histoire de la céramique au Moyen âge. Ainsi le secret merveilleux, légué par la Perse et transmis à travers les pays d'Islam, fait fleurir la beauté le long des côtes de Méditerranée, plusieurs siècles avant que le Saintongeois Bernard Palissy ait appliqué son effort général à le retrouver.

LES TEMPS MODERNES

Que devait-il survivre de cet âge d'or dans le pays même ? Nous en sommes ici presque réduits aux conjectures. Un jour viendra peut-être où nous pourrons jalonner de témoins bien datès les quatre ou cinq siècles qui séparent la ceramiqae du Moyen Age de celle de notre temps. On présume que le glorieux héritage fut en partie perdu, tout au moins en Algérie, mais que le Maroc et la Tunisie ne durent jamais cesser de faire de la Faïence.

La Tunisie reçut même l'appoint de céramistes musulmans chassés d'Espagne. On cornait à Tunis des azulejos - carreaux revêtus de couleurs cloisonnées - qu'un saint homme d'origine andalouse, Sidi Qassem El Jalizi, mort en 1497, fabriquait dans la ville où il avait trouvé refuge. Certains de ces carreaux ornent encore son tombeau. Us faïenciers immigrés ou autochtone purent continuer à décorer des plats et des vases. L'influence orientale propagée par les Turcs imposa la mode des panneaux de revêtement, où des bouquets s'encadrent dans un arc en fer à cheval ou festonné. Les maisons de Tunis en gardent de fort beaux et le musée tunisien du Bardo, comme le musée d'Alger, en possèdent d'une composition bien équilibrée et d'une couleur harmonieuse. On sait que cette industrie d'art survit à Nabeul, héritière de Tunis.

A l'autre bout de l'Afrique du Nord, la tradition s'est également maintenue. Le Maroc a conservé et même développé un peu abusivement l'usage des zelij - les marqueteries de terre émaillées. Ces revêtements n'ont pas la valeur de ceux du XIII' et XIV° siècles. Les combinaisons géométriques sont plus monotones et la palette moins riche. Les faïenciers de Fez savent toujours peindre des plats creux, des pots à couvercle et des tambours de poterie ; mais, là aussi, la décadence menace une industrie d'art encore florissante il y a moins d'un siècle. On cannait les précieuses collections du musée du Batha, dont certaines pièces, inspirées de modèles hispano-mauresques, soutiendraient la comparaison avec les faïences de Damas ou de Brousse. Dans un livre excellent, Alfred Bel les a étudiées, et il a signalé les dangers qui compromettaient ce legs des ancêtres. La recherche du profit facile et du travail rapide ont abâtardi le décor et appauvrit la matière des émaux. Le service des Arts indigènes s'applique à conjurer le mal. On souhaite qu'il y réussisse.

Comparée aux deux pays qui l'avoisinent, l'Algérie semble avoir tout oublié d'un art céramique qui ne fut pas sans gloire et l'on serait tenté de douter qu'elle l'ait jamais connu. L'ancien Maghreb central apparaît comme une grande région rurale où la civilisation citadine, sans racines profondes, ne pouvait résister aux vicissitudes que lui imposaient les quatre derniers siècles. L'accession fortuite d'Alger, ville sans tradition, au rang de capitale était peu propice au rayonnement de la culture artistique sur le pays, et ses maîtres levantins ne s'en préoccupaient guère. Certes, ces in-âtres appréciaient le confort et le luxe dans le décor de leur vie, mais leur origine même, l'étonnant mélange de
races qui composait la classe dominante, les rendait peu soucieux de la provenance de ce décor. A défaut de leur domaine, africain, l'Europe y pourvoyait. Prises de mer, achats, présents consulaires, redevances annuelles des États chrétiens, qui espéraient se garantir ainsi contre les pillages, alimentaient Alger en objets d'art, en marbres sculptés, en pendules, en tissus somptueux, en glaces de Venise et en céramiques. Les demeures urbaines et les villes de corsaires étaient pavées et lambrissées de carreaux de faïences importés. La fabrication tunisienne y était largement représentée. mais on y trouvait aussi les panneaux à fleurs et les paysages italiens ou espagnols, les bateaux et lx s moulins à vent hollandais. Comme Delft, Marseille et Moustiers concouraient à la parure de ces maisons barbaresques. Le Général Broussaud en a composé un précieux album ; pas une de toutes les pièces qu'il a reproduites ne se peut attribuer à l'industrie locale. Si les ateliers algériens produisaient des poteries sans décor à usage ménager, l'art céramique véritable y était complètement inconnu. Devait-on renoncer à le ressusciter pour mieux dire à le faire naître ? Des gens de courage et de goût venus de France le crurent possible.

Le premier, sauf erreur, venait de Touraine : il s'appelait Soupireau. En 1888, il fonda un atelier ou, mettant en œuvre la technique orientale de la peinture sous couverte vitreuse, il créait des pièces dont, l'Orient lui inspirait les modèles. Mais il fit mieux encore : il forma des élèves et transmit le noble " art de terre " à toute une équipe. De ce nombre furent Mlle Langlois, qui, avec son père, monta dans Alger un atelier nouveau, M. Lamali, qui porta son métier à Safi, sur la chie marocaine où il s'est acquis une notoriété légitime, enfin et surtout M. Omar Ghammed, qui devint le maître dont nous admirons les oeuvres et le fécond enseignement. Si nous ajoutons à ces noms celui de Delduc, que hantaient les beaux souvenirs d'un séjour en Iran et qui légua le métier à son fils, enfin celui de Mme de Vialar, a qui les miniatures persanes ont inspiré de somptueuses pages décoratives, nous aurons donné un aperçu de cette histoire de la céramique algérienne, histoire d'hier, pour laquelle l'exposition récente permet d'entrevoir les plus encourageants lendemains.