Construction de
la ligne de chemin de fer Stil - El Oued
Le 4 février 1946, M. le Gouverneur
Général Yves Chataigneau, après une étude
minutieuse du problème, décidait de faire construire une
voie ferrée de 0 m. 60 reliant l'oasis d'El-Oued à celle
de Stil (Territoire de Touggourt), afin d'assurer dans des conditions
avantageuses un trafic jusque-là soumis à des sujétions
particulièrement défavorables.

Carte de situation, initiative personnelle!
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En août 1946, après une réalisation singulièrement
rapide des travaux, les premiers trains circulaient entre Stil et El-Oued,
et la ligne a été mise en exploitation en octobre 1946.
Le 7 novembre 1946, elle est inaugurée par M. le Gouverneur Général
Yves Chataigneau.
LA REGION.
El-Oued, situé dans le Souf, est le chef-lieu d'une annexe des
territoires de Touggourt groupant 100.000 habitants environ.
Région curieuse, isolée fort longtemps par suite de sa position
géographique dans les dunes, le Souf a conservé son individualité,
ses moeurs et ses coutumes intactes depuis 1885, époque où
Charles Féraud écrivait :
" A mesure que l'on se rapproche du Souf proprement dit, la physionomie
désertique du pays s'accentue de plus en plus, les dunes augmentent
de dimensions et forment un enchevêtrement inextricable du milieu
duquel les habitants du pays peuvent seuls sortir en se repérant
sur certaines collines reconnaissables à leurs formes.
" C'est au milieu de ce désert de sable que se trouve l'agglomération
d'oasis et de villages où les jardins s'échelonnent à
droite et à gauche d'une dépression de terrain allant de
Guémar à El-Oued.
" Les jardins sont disséminés par groupes isolés
de 5 à 103 palmiers, suivant la configuration des dunes ; leur
étendue augmente au fur et à mesure qu'on descend vers le
Sud ; chaque groupe est caché au fond d'un entonnoir creusé
de main d'homme jusqu'à ce que le sol artificiel ait été
amené à un mètre au-dessus de la nappe d'eau abondante,
cachée sous la croûte superficielle. Les racines des Palmiers
y puisent l'humidité qui leur est nécessaire et n'ont pas
besoin d'irrigation.
" La profondeur de ces entonnoirs varie de 6 à 12 mètres,
souvent c'est à peine si la tête des palmiers dépasse
leur bord.
" Tout est bizarre dans ce pays isolé ; les constructions
elles-mêmes ne ressemblent en rien à ce qu'on peut voir dans
les autres parties du Sahara. Comme pierres il n'existe que des cristaux
de gypse qui présentent les formes les plus variées. Tantôt
ce sont des fers de lance, tantôt des roses d'une structure régulière,
d'autres fois des dessins d'une incroyable délicatesse. C'est avec
ces matériaux que sont élevées les enceintes des
villages et des jardins, ainsi que les murailles des maisons. En réunissant
quelques-uns de ces cristaux, on obtient un plâtre d'excellente
qualité qui sert à les agglutiner les uns aux autres.
" La rareté du bois rend très onéreuse les couvertures
en plate forme, les terrasses sont donc assez rares et n'existent que
dans les maisons riches. La majeure partie des habitations sont recouvertes
par une série de coupoles serrées les unes contre les autres
et qui ressemblent à distance à une succession de ruches
d'abeilles. Le peu de solidité de ces dômes ne permet de
donner qu'une portée très restreinte à la voute,
il est donc rare que les chambres aient plus de 2 m. 50 de largeur, à
moins qu'elles ne soient recouvertes par une double rangée de coupoles
supportées à l'intérieur par des piliers ".
60 ans après les observations de Charles Féraud, El-Oued
reste la ville aux coupoles, d'architecture -curieuse ; la richesse économique
de la région est toujours attribuables à ses cultures, dattes,
tabac, henné, mais l'asphyxie du pays due à sa ceinture
de dunes disparaît : des voies de communications normales existent.
ELABORATION DU PROJET.
Le Souf peuplé d'habitants travailleurs et industrieux, s'est trouvé
freiné dans son essor par sa situation dans les sables. Des pistes
ont bien été établies dont une qui unit directement
El Oued à Biskra, pour permettre les échanges escomptés,
mais cette solution ne s'est pas révélée satisfaisante
; les transports-autos soumis à la rude épreuve de 150 kms
d'une piste médiocre et d'un entretien difficile, n'arrivant pas,
malgré le prix élevé du frêt, à assurer
d'une façon régulière l'acheminement des denrées
nécessaires à la vie du pays.
Aussi convenait-il d'établir une relation commerciale plus sérieuse
susceptible de transporter sans aléas un trafic annuel évalué
à 20.000 tonnes et de fournir, au besoin, des efforts saisonniers
plus considérables.
Le chemin de fer répondait à ces conditions, mais les difficultés
d'approvisionnement en matériel, les frais élevés
de premier établissement et les sujétions d'entretien dans
un terrain de dunes et de chott particulièrement défavorable
ont, un certain temps, fait hésiter quant à sa réalisation.
Cependant, après étude du problème et compte tenu
de l'important matériel de voie que l'armée voulait bien
céder, M. le Gouverneur Général décidait,
le 4 février 1946, de faire construire, dans les délais
les plus réduits, une voie ferrée de 0 m. 60 dont les caractéristiques
pourraient assurer un trafic relativement élevé.
LA REALISATION.
Courbes de grand rayon, rampes inférieures à 10 m./m. furent
les normes imposées en vue de permettre aux tracteurs Diesel de
75 CV de remorquer des trains de wagons à boggies d'une charge
totale de 80 T. Une surlargeur de plateforme devait être ménagée
en vue de h mise éventuelle ultérieure à voie de
1 m.
Ces caractéristiques entraînaient l'exécution d'importants
terrassements qu'il fallut entreprendre à -une cadence très
accélérée pour respecter les délais fixés
(4 mois).
Les études furent entreprises le 10 mars 1946. Dans ces régions
à cartographie peu détaillée, l'avion - auxiliaire
précieux - permit de jeter rapidement les bases de la polygonale
du tracé.
Les équipes de piquetage furent ensuite lancées (le 15 mars)
et avancèrent à la cadence moyenne de 2 km. par jour. En
même temps, se poursuivaient l'acheminement et la mise en place
du matériel nécessaire aux chantiers de terrassement (angledozers,
roders, motorgraders )et l'organisation des campements mobiles (roulottes,
citernes, camions).
Le 12 avril, les angledozers commencent les premiers terrassements à
la cadence de 2.000 m3 par jour. Des remblais de 5 à 6 m. de hauteur
s'échelonnent dans les zones de dunes où la plateforme,
pour éviter les ensablements, doit se situer au-dessus du niveau
des tifs.
Malgré des journées pénibles où la température
dépasse 45" à l'ombre, l'avancement moyen a atteint
2 kms par jour et l'achèvement des terrassements a eu lieu vers
le 25 juillet.
La pose soulevait, en premier lieu, le délicat problème
de l'acheminement journalier de 3 kms de voie (120 T. environ). La rotation
d'un nombre élevé de wagons et tracteurs, les nombreuses
manutentions à la gare commune de Stil, ont exigé une organisation
relativement importante de voies et d'ateliers de réparation d'un
matériel déjà fatigué, qu'une utilisation
intensive dans des conditions défavorables soumettent à
rude épreuve (200 kms par jour, avec vent de sable et température
excessive).
Néanmoins, la pose de voie a pu s'établir à la cadence
voulue et les premiers trains entre Stil et El Oued ont circulé
à la fin du mois d'août.
AVANTAGES DE CETTE CRÉATION.
Dès le mois de juillet, des trains de chantier ont acheminé
tout le trafic destiné à El Oued, depuis la gare de Stil
jusqu'au terminus actuel de la ligne, évitant ainsi aux transports
automobiles une centaine de kms de piste. Les avantages s'en sont révélés
très sensibles et le stock de marchandises en souffrance à
Chegga s'est épuisé rapidement.
Ces premières constatations permettent de prévoir de considérables
économies qui auront tôt fait d'amortir les frais d'établissement
déjà réduits au minimum, par le choix du matériel
à faible écartement et de caractéristiques favorables
à des transports puissants et peu coûteux.
Initiative particulièrement heureuse, cette voie de 0 m. 60 permettra
une construction rationnelle de la voie définitive. On peut également
espérer que les échanges commerciaux, facilités,
iront en s'accroissant, favorisant ainsi le développement d'une
région riche et industrieuse, jusqu'ici paralysée par sa
ceinture de sable.
Le Souf, jusqu'ici région mystérieuse et lointaine, devient
partie intégrante d'une Algérie moderne et industrialisée.
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