Alger, Algérie : documents algériens
Série économique

Construction de la ligne de chemin de fer Stil* - El Oued
mise sur site le 11-3-2011
* Document n° 20 de la série : Économique - Paru le 7 novembre 1946 - Rubrique TRANSPORTS
*note du déjanté : je n'ai trouvé que "Stile" sur la carte Michelin 172

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Construction de la ligne de chemin de fer Stil - El Oued

Le 4 février 1946, M. le Gouverneur Général Yves Chataigneau, après une étude minutieuse du problème, décidait de faire construire une voie ferrée de 0 m. 60 reliant l'oasis d'El-Oued à celle de Stil (Territoire de Touggourt), afin d'assurer dans des conditions avantageuses un trafic jusque-là soumis à des sujétions particulièrement défavorables.


Construction de la ligne de chemin de fer Stil* - El Oued
Carte de situation, initiative personnelle!


En août 1946, après une réalisation singulièrement rapide des travaux, les premiers trains circulaient entre Stil et El-Oued, et la ligne a été mise en exploitation en octobre 1946.

Le 7 novembre 1946, elle est inaugurée par M. le Gouverneur Général Yves Chataigneau.

LA REGION.

El-Oued, situé dans le Souf, est le chef-lieu d'une annexe des territoires de Touggourt groupant 100.000 habitants environ.

Région curieuse, isolée fort longtemps par suite de sa position géographique dans les dunes, le Souf a conservé son individualité, ses moeurs et ses coutumes intactes depuis 1885, époque où Charles Féraud écrivait :
" A mesure que l'on se rapproche du Souf proprement dit, la physionomie désertique du pays s'accentue de plus en plus, les dunes augmentent de dimensions et forment un enchevêtrement inextricable du milieu duquel les habitants du pays peuvent seuls sortir en se repérant sur certaines collines reconnaissables à leurs formes.

" C'est au milieu de ce désert de sable que se trouve l'agglomération d'oasis et de villages où les jardins s'échelonnent à droite et à gauche d'une dépression de terrain allant de Guémar à El-Oued.

" Les jardins sont disséminés par groupes isolés de 5 à 103 palmiers, suivant la configuration des dunes ; leur étendue augmente au fur et à mesure qu'on descend vers le Sud ; chaque groupe est caché au fond d'un entonnoir creusé de main d'homme jusqu'à ce que le sol artificiel ait été amené à un mètre au-dessus de la nappe d'eau abondante, cachée sous la croûte superficielle. Les racines des Palmiers y puisent l'humidité qui leur est nécessaire et n'ont pas besoin d'irrigation.

" La profondeur de ces entonnoirs varie de 6 à 12 mètres, souvent c'est à peine si la tête des palmiers dépasse leur bord.

" Tout est bizarre dans ce pays isolé ; les constructions elles-mêmes ne ressemblent en rien à ce qu'on peut voir dans les autres parties du Sahara. Comme pierres il n'existe que des cristaux de gypse qui présentent les formes les plus variées. Tantôt ce sont des fers de lance, tantôt des roses d'une structure régulière, d'autres fois des dessins d'une incroyable délicatesse. C'est avec ces matériaux que sont élevées les enceintes des villages et des jardins, ainsi que les murailles des maisons. En réunissant quelques-uns de ces cristaux, on obtient un plâtre d'excellente qualité qui sert à les agglutiner les uns aux autres.

" La rareté du bois rend très onéreuse les couvertures en plate forme, les terrasses sont donc assez rares et n'existent que dans les maisons riches. La majeure partie des habitations sont recouvertes par une série de coupoles serrées les unes contre les autres et qui ressemblent à distance à une succession de ruches d'abeilles. Le peu de solidité de ces dômes ne permet de donner qu'une portée très restreinte à la voute, il est donc rare que les chambres aient plus de 2 m. 50 de largeur, à moins qu'elles ne soient recouvertes par une double rangée de coupoles supportées à l'intérieur par des piliers
".

60 ans après les observations de Charles Féraud, El-Oued reste la ville aux coupoles, d'architecture -curieuse ; la richesse économique de la région est toujours attribuables à ses cultures, dattes, tabac, henné, mais l'asphyxie du pays due à sa ceinture de dunes disparaît : des voies de communications normales existent.

ELABORATION DU PROJET.

Le Souf peuplé d'habitants travailleurs et industrieux, s'est trouvé freiné dans son essor par sa situation dans les sables. Des pistes ont bien été établies dont une qui unit directement El Oued à Biskra, pour permettre les échanges escomptés, mais cette solution ne s'est pas révélée satisfaisante ; les transports-autos soumis à la rude épreuve de 150 kms d'une piste médiocre et d'un entretien difficile, n'arrivant pas, malgré le prix élevé du frêt, à assurer d'une façon régulière l'acheminement des denrées nécessaires à la vie du pays.

Aussi convenait-il d'établir une relation commerciale plus sérieuse susceptible de transporter sans aléas un trafic annuel évalué à 20.000 tonnes et de fournir, au besoin, des efforts saisonniers plus considérables.

Le chemin de fer répondait à ces conditions, mais les difficultés d'approvisionnement en matériel, les frais élevés de premier établissement et les sujétions d'entretien dans un terrain de dunes et de chott particulièrement défavorable ont, un certain temps, fait hésiter quant à sa réalisation.

Cependant, après étude du problème et compte tenu de l'important matériel de voie que l'armée voulait bien céder, M. le Gouverneur Général décidait, le 4 février 1946, de faire construire, dans les délais les plus réduits, une voie ferrée de 0 m. 60 dont les caractéristiques pourraient assurer un trafic relativement élevé.

LA REALISATION.

Courbes de grand rayon, rampes inférieures à 10 m./m. furent les normes imposées en vue de permettre aux tracteurs Diesel de 75 CV de remorquer des trains de wagons à boggies d'une charge totale de 80 T. Une surlargeur de plateforme devait être ménagée en vue de h mise éventuelle ultérieure à voie de 1 m.

Ces caractéristiques entraînaient l'exécution d'importants terrassements qu'il fallut entreprendre à -une cadence très accélérée pour respecter les délais fixés (4 mois).

Les études furent entreprises le 10 mars 1946. Dans ces régions à cartographie peu détaillée, l'avion - auxiliaire précieux - permit de jeter rapidement les bases de la polygonale du tracé.
Les équipes de piquetage furent ensuite lancées (le 15 mars) et avancèrent à la cadence moyenne de 2 km. par jour. En même temps, se poursuivaient l'acheminement et la mise en place du matériel nécessaire aux chantiers de terrassement (angledozers, roders, motorgraders )et l'organisation des campements mobiles (roulottes, citernes, camions).

Le 12 avril, les angledozers commencent les premiers terrassements à la cadence de 2.000 m3 par jour. Des remblais de 5 à 6 m. de hauteur s'échelonnent dans les zones de dunes où la plateforme, pour éviter les ensablements, doit se situer au-dessus du niveau des tifs.

Malgré des journées pénibles où la température dépasse 45" à l'ombre, l'avancement moyen a atteint 2 kms par jour et l'achèvement des terrassements a eu lieu vers le 25 juillet.

La pose soulevait, en premier lieu, le délicat problème de l'acheminement journalier de 3 kms de voie (120 T. environ). La rotation d'un nombre élevé de wagons et tracteurs, les nombreuses manutentions à la gare commune de Stil, ont exigé une organisation relativement importante de voies et d'ateliers de réparation d'un matériel déjà fatigué, qu'une utilisation intensive dans des conditions défavorables soumettent à rude épreuve (200 kms par jour, avec vent de sable et température excessive).

Néanmoins, la pose de voie a pu s'établir à la cadence voulue et les premiers trains entre Stil et El Oued ont circulé à la fin du mois d'août.

AVANTAGES DE CETTE CRÉATION.

Dès le mois de juillet, des trains de chantier ont acheminé tout le trafic destiné à El Oued, depuis la gare de Stil jusqu'au terminus actuel de la ligne, évitant ainsi aux transports automobiles une centaine de kms de piste. Les avantages s'en sont révélés très sensibles et le stock de marchandises en souffrance à Chegga s'est épuisé rapidement.

Ces premières constatations permettent de prévoir de considérables économies qui auront tôt fait d'amortir les frais d'établissement déjà réduits au minimum, par le choix du matériel à faible écartement et de caractéristiques favorables à des transports puissants et peu coûteux.

Initiative particulièrement heureuse, cette voie de 0 m. 60 permettra une construction rationnelle de la voie définitive. On peut également espérer que les échanges commerciaux, facilités, iront en s'accroissant, favorisant ainsi le développement d'une région riche et industrieuse, jusqu'ici paralysée par sa ceinture de sable.

Le Souf, jusqu'ici région mystérieuse et lointaine, devient partie intégrante d'une Algérie moderne et industrialisée
.