Nelly Paté
Grand prix artistique de l'Algérie
Le 23 novembre 1946, le jury constitué pour attribuer
le Grand Prix Artistique de l'Algérie fixait, par vote, au premier
tour, son choix sur Nelly Paté. Ur .e vingtaine de concurrents
s'étaient portés candidats pour ce prix, dotée d'une
somme de vingt mille francs, et c'est à la salle Pierre Bordes
que les oeuvres furent jugées. M. l'Ambassadeur Yves Chataigneau,
Gouverneur Général de l'Algérie, ratifia cet heureux
choix.
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Je me trouve en terrain bien délicat pour parler
de Nelly Paté, de son oeuvre, sans offrir quelque surface à
la critique ; et je dois m'efforcer de mériter l'honneur qui m'est
fait d'avoir à relater, avec pertinence et sans partialité,
une oeuvre située parmi tant d'autres, quelques-unes remarquables,
de roll-liftés sérieuses et de vertus bien personnelles,
justifiant cette compétition, sur un plan élevé de
rart et qui pouvaient faire hésiter le jury.
Nous avons pu goûter les fruits de cette expérience qui,
sur le plan des harmonies colorées et de a poésie pure,
donne à ce Grand Prix Artistique toute sa signification en dehors
d'un encouragement êeessaire.
LE PROBLEME PICTURAL.
Expliquer l'art d'un quelconque peintre, avec ou sans esthétique
bien déterminée, placée instinctivement ou philosophiquement
sur une voie plastique d'harmonies colorées, mathématique
ou poétique, avec ou sans confusion de la statique et du mouvant
dans un ensemble : unité du réel apparent ou construction
de songes, c'est ouvrir cette même porte qui, pour tous les chercheurs
et poètes constructeurs de " formes ", nous place devant
les horizons infinis de la peinture, nous libère d'un passé
rigide et borné que les règles de l'harmonie conditionnaient
sur un plan unique : celui des accords préconçus. C'est
entamer le chapitre toujours nouveau des problèmes délicats
de la lumière et de la couleur. Faire une introduction à
tout le domaine pictural par lequel se classent les valeurs, où
le cas singulier de chacun, en faisant jouer les généralités,
se prononce en formes inédites sur la toile, pour avoir seulement
et visuellement soumis ces générosités aux ordres
d'une passion. Une majoration toute poétique des aspects naturels
pose la condition humaine dans le monde des harmonies révélatrices.
Révélatrices du mouvant (mobiles secrets) et d'inerties
substantielles (la matière).
VIE ET DEBUTS D'UNE CARRIERE D'ARTISTE.
Nelly Paté est née à Reims. De vieille souche champenoise,
elle vint en Alger à l'âge de dix ans. Heureux contact. Les
Champenois, on le sait, sont solides, pleins de robuste bon sens ; de
leur terroir nous vient un vin merveilleux, source de gaîté
fine et légère révélant un esprit auquel on
peut associer sans nul doute notre héroïne.
Ainsi placée sous le ciel d'Algérie, vouée au spectacle
des effets prodigieux de sa lumière, les goûts artistiques
que Nelly Paté prit au contact d'Algériens cultivés
et inspirés l'orientaient, quelques années plus tard, dans
la voie de la peinture.
Elle suivit, élevé studieuse, les cours de l'Ecole Nationale
des Beaux-Arts d'Alger, sous la direction de Léon Cauvy. Ses premiers
pas dans la voie difficile de la peinture se firent sous l'influence de
peintres algérois, disparus depuis, qui surent imprimer des marques,
pleines d'intérêt, de leur tempérament 'Personnel.
Plus tard, avec la sensation d'un domaine pictural plus étendu
que ne lui révélait son propre et seul exercice, elle vint
près de moi chercher des conseils que je ne ménageais pas
devant la généreuse sensibilité
dont elle disposait pour son art. Elle prit aussi les conseils d'André
Lhote, esthéticien notoire, autre climat et des plus passionnants.
Enfin l'heure vint où elle dut se déterminer à choisir
en des lieux où son coeur débordant posait les accents poétiques
ou " majeurs ", les valeurs d'une nouvelle unité. Sa
sensibilité fit s'épanouir des dons innés qui prirent,
à cette époque de sa vie, le sens d'un drame intérieur
mais aussi d'une vocation. Il semblait qu'une force impérieuse
déclenchât chez elle de nouveaux ressorts. Ses hardiesses
ne furent 'pas toujours convaincantes, mais je devais, par la suite, de
contrastes en contrastes, lui découvrir un caractère plus
net et une fonction plus certaine que de simples intentions cachées
dans la couleur.
Elle dut composer avec un monde extérieur, enivrant, ici, faisant
vivre les apparences plus par la lumière qu'ailleurs, spectacle
jamais indigent. Elle eut à choisir entre une conscience du réel
durable et fugitif qui fixait son goût et ses " apparences
propres " ,lesquelles devaient se traduire en synthèses plastiques
pour gagner la poésie nécessaire et marquer le dépôt
d'un peu d'esprit de France dans le climat algérien de son oeuvre.
Diverses conditions, par ailleurs, contribuèrent à son évolution.
Encouragée par le Gouvernement Général de l'Algérie
: la Bourse d'Espagne lui permettait, l'Espagne étant fermée
par suite de difficultés intérieures, de faire un voyage
en Italie. Belle compensation. Il en valait peut-être mieux ainsi,
elle fut sensible aux fruits splendides des arts italiens et d'un pays
qu'elle comprenait mieux. Faut-il dire aussi qu'elle connaissait déjà
la péninsule ibérique par un voyage précédent
? Ainsi que la Grèce, nous avons pu voir, en quelques pages constituées
par di\ ers moyens picturaux, pastel, crayon, peinture, l'effort du peintre
devant une nature divisée par les climats. Un bon travail, de sérieuses
espérances.
Une maturité de vue devient vite une maturité d'exercice,
lorsque celle-ci s'appuie sur le monde extérieur, et on y peut
acquérir un style. Pouvait-on compter dès lors pour proche
la création d'une oeuvre solidement composée et assez fine
d'harmonie pour constituer une unité visuelle et installer le poète
sur une attitude prise ?
Dans ces trois toiles récentes, exposées à la salle
Pierre Bordes, elle a répondu : oui !
Cela est important et j'ose dire ma surprise devant cette fermeté
de langage qui lia dans l'unité ces trois oeuvres de climat visiblement
algérien dans la couleur. Ces compositions sont heureuses. Unité
qui, au demeurant, rapproche nos meilleurs artistes Est-ce là une
certitude pour l'avenir ?
Elle se révèle, en ce moment, en puissance de moyens et
de dons personnels qui lui permettront, je l'espère bien, d'aborder
d'autres rives et d'autres aspects d'un pays d'adoption si bien servi
par la lumière. Se délivrer des entraves de la matière
que tant de tendances plastiques portent en des lieux les plus obscurs,
escomptant un pouvoir seulement pressenti.
Nelly Paté n'eut de cesse, dans la jeunesse de ses transports,
d'exposer ses oeuvres à Paris, dans les grands salons qui se disputaient
les diverses tendances de l'esthétique, chaque salon croyant la
détenir au plan le plus élevé. Elle parcourut le
cycle des trois plus grands : les " Tuileries ", les "
Indépendants " et les " Artistes Français ".
Ces diverses étapes ou " rondes d'essais ", l'entretenaient
dans la voie des recherches personnelles au moment des pires divisions
entre artistes.
Je la vois évoluer, mais elle demeure installée instinctivement
sur sa vision aux nuances fines et persuasives ; je la sais capable de
ces " retours à la poésie " soudains ; dans le
chaos des contingences, propres à la peinture, renouveler la position
du peintre et prendre l'attitude conforme à la beauté ressentie,
conforme à l'étendue de son rêve
Ainsi la peinture suit son cours en Algérie, où les ferments
de poésie se lèvent à chaque pas, où les a
apparences réelles offertes à la vue, nous laissent perplexes,
statuant sur une vie et des couleurs qui nous paraissent si puissantes
et telles qu'elles entraînent le découragement, le doute
de ne pouvoir jamais les révéler dans leur valeur attractive,
recherchées dans l'oeuvre, et qui portent l'émotion partout
où l'humain se dépouille d'un faux savoir, de fausses vérités
entretenues par l'ignorance et une éducation imparfaite.
Je pense que Nelly Paté doit à l'Algérie le meilleur
du sens d'un art conditionné par la lumière, art éclairé
aux sources nord-africaines, lieux enchanteurs dont elle accorda les gammes
colorées sur les horizons infinis de la poésie plastique.
Son succès actuel nous montre le bonheur qu'elle mit dans son jeu
à étre digne et reconnaissante des encouragements qui lui
furent prodigués sur sa terre d'adoption. Il sied d'accorder à
Nelly Paté l'attention que mérite son noble effort.
J.-D. BASCOULES.
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