Alger, Algérie : documents algériens
Série sociale
L'Institut de RECHERCHES SAHARIENNES *
ici, le 4-1-2012

* Document n° 19 de la série : Culturelle - Paru le 5 juin 1947 - Rubrique SAHARA

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L'Institut de Recherches Sahariennes

Il y aura bientôt dix ans que l'Institut des Rech erches sahariennes existe officiellement, huit ans environ qu'il a commencé son activité. C'est en effet en juillet 1937 qu'un décret a créé l'Institut, de Recherches Sahariennes de l'Université d'Alger en vue de coordonner et d'intensifier des recherches de tous ordres sur le Sahara.

Cette création répondait avec un long retard à une suggestion de l'Académie des Sciences Coloniales qui avait été faite au moment du Centenaire de l'Algérie en 1930 et à l'initiative plus récente de la Commission des relations intellectuelles du Comité Algérie-A 0.F., patronné par la Chambre de Commerce d'Alger. Pour mettre en valeur le Sahara comme le proposait E -F. Gautier dans son mémoire fameux de 1929 : " Le Sahara vaincu peut-il être dompté ? ", il était apparu nécessaire d'organiser méthodiquement l'exploration scientifique du désert qui avait été laissée jusque là à l'initiative de quelques voyageurs.

Des Instituts pour l'étude des déserts existent dans d'autres pays, notamment aux Etats-Unis et en U.R.S.S., où ils jouent un rôle essentiel dans l'amélioration des méthodes agricoles et la sélection des plantes cultivées. L'I.R.S. répond à un tout autre but. Dans la pensée de ses fondateurs, il devait avant tout remédier à la dispersion des chercheurs dans des contrées et dans des activités différentes. Le Sahara, on le sait, est trop vaste pour avoir jamais appartenu à un seul maître. Même si on ne considère que le Sàhara français, il y a d'abord une frontière entre l'Algérie et l'A 0.F., frontière qui n'est pas, autant qu'on pourrait le croire, une notion abstraite, et qui, de temps à autre, cause bien des tracas aux infortunés chefs de poste ou commandants de cercle qui ont la charge des populations frontalières. De son côté, l'A.E.F., par la Colonie du Tchad, possède une fenêtre sur le désert. Le Maroc revendique comme son hinterland le Sahara occidental, jusqu'à la Mauritanie, et la Tunisie mord sur l'Erg oriental, jusqu'aux abords de Ghadamès. Entre toutes ces autorités rivales, on risque de perdre le sens des problèmes communs. L'Institut pare à ce danger : il rassemble et contrôle les informations de tout ordre : météorologique, géologique, hydraulique, médical, démographique, et, à partir d'elles, il élabore une science des hommes et du milieu dont l'Administration pourra tirer profit.

Par ailleurs, l'exploration n'a jamais été le monopole des professeurs, ni même des chercheurs professionnels qui ont, depuis un an, à Béni-Abbès, leur laboratoire saharien, géré par le Centre national de la Recherche Scientifique ; elle est poursuivie simultanément par tous ceux qui vivent au Sahara : officiers, missionnaires, ingénieurs, chefs de chantiers, dès qu'ils s'intéressent à ce qu'ils ont sous les yeux. Malheureusement, la plupart d'entre eux sont isolés loin de tout laboratoire et de tout centre intellectuel, hors d'état de faire des comparaisons qui leur permettraient d'effectuer un véritable travail scientifique. Il existe bien, à l'Université d'Alger, un cours d'initiation pour les officiers des Affaires Indigènes ; des cours analogues ont été organisés en A.O.F. ; mais, la formation première une fois donnée, tous ces jeunes gens sont lancés sans guides dans le bled. L'ambition de l'I.R S. a été d'établir des contacts réguliers entre les professionnels de la recherche et ces amateurs, dont les travaux valent souvent mieux que cette épithète péjorative : telles les observations onomastiques et topographiques d'un Saharien qui s'est illustré depuis à d'autres titres, le général D. Brosset. Du reste, comme une carte exacte est la base indispensable de tout travail scientifique et que les cartes du Sahara, depuis l'époque héroïque de Niéger, ont toujours été dressées par les militaires, on ne comprendrait pas que l'I.R.S. . n'ait pas recherché la collaboration de ceux qui ont la charge de les établir.

Ainsi s'est constituée une sorte d'Académie du Sahara dont les membres se recrutent par cooptation, en tenant compte seulement de la compétence saharienne. L'Institut compte des professeurs, des chercheurs chargés de mission, des officiers, des ingénieurs, des missionnaires. L'Institut Pasteur d'Algérie qui, dans le domaine médical, accomplit auprès des jeunes médecins de poste passionnés pour leur métier, une tâche de coordination du même genre, est naturellement représenté ; enfin, pour mieux assurer la liaison avec l'A.O.F., l'I.R.S a tenu ). admettre parmi ses membres M. Théodore Monod, Saharien chevronné, qui, sur l'autre rive du désert, préside avec autorité aux destinées de l'Institut Français d'Afrique Noire. Le président de l'I.R.S. est le Dr. R. Maire, professeur à la Faculté des Sciences, membre de l'Institut, auteur d'une monumentale étude sur la flore et la végétation du Sahara
central ; le vice-président est M. de Peyerimhoff, inspecteur général honoraire des Eaux et Forêts et naturaliste éminent, qui avait pris part à ce titre à la mission scientifique du Hoggar, organisée en 1930 par l'Université d'Alger.

Pendant les premières années, l'activité de l'Institut s'était bornée à tenir des réunions où étaient présentées des communications suivies de discussions. Dès 1942, il put faire paraître, grâce à une subvention des Amis de l'Université d'Alger, sous le titre de " Travaux de l'Institut de Recherches sahariennes ", un premier volume d'Annales (le nom d'annales avait été écarté comme impliquant une périodicité qui eût empêché alors cette création). Ce volume a été suivi de trois autres volumes de chacun 200 pages, comprenant une bibliographie de tous les travaux parus sur le Sahara. En outre, l'I.R.S. a publié une carte de la déclinaison magrÉtique dans le Sahara, par A. Lasserre et J. Dubief.

En 1944, l'I.R.S. a organisé, sur l'initiative de M. le Gouverneur Général de l'Algérie, une mission scientifique au Fezzan qui venait d'être conquis par nos troupes. Douze de ses membres ont pris part à cette mission ; six d'entre eux y sont revenus l'année suivante. Une notice préliminaire sur les résultats de la mission a été publiée en 1945 et une série de conférences ont été données à l'Université d'Alger dans le courant de la même année. Les mémoires, qui doivent former six volumes, sont en cours de publication. Les quatre premiers, consacrés à l'anthropologie (par le Dr M.-E. Leblanc), à l'hydrogéologie (par P. Bellair), à la géographie humaine (par J. Despois), à la biologie végétale (par Ch. Killian) ont déjà paru.

L'échange des publications, longtemps retardé par les hostilités, est en bonne voie d'organisation : l'I.R.S. est en relations d'échange, non seulement avec la Tunisie, le Maroc et l'A.O F., mais aussi avec l'Italie, la Suisse, la Norvège, le Portugal, l'Egypte, les Etats-Unis, l'Australie.

Mais toute cette activité s'est déroulée jusqu'à présent sur un plan supra-terrestre. Notre Académie du désert ne dispose pas d'un local pour y tenir ses réunions et elle en est réduite à demander l'hospitalité aux différentes Facultés, elles-mêmes fort à l'étroit, de sorte que s'il prenait fantaisie à un étranger de visiter l'Institut de Recherches sahariennes, il courrait le risque de chercher longtemps dans les couloirs de l'Université. On dirait qu'un génie malicieux a transporté sur les rives de la Méditerranée l'université nomade de l'Adrar, où les jeunes Maures viennent s'initier à la science sacrée sous la tente des marabouts. C'est parfait pour la couleur locale. On aimerait pourtant lui voir prendre un jour une forme sensible et, pour cela, recevoir un local, une bibliothèque spécialisée et un dépôt d'archives où seraient rassemblés les manuscrits encore inédits des explorateurs ainsi que les minutes de la cartographie saharienne, enfin, des collections d'histoire naturelle et un musée photographique du désert, bref tout ce qui est nécessaire à un véritable institut de recherches Peut-être serait-il possible, alors, de lui adjoindre cette " Maison du Saharien " dont les Amis du Sahara avaient lancé le projet et qui serait pour les fonctionnaires et les touristes faisant escale à Alger, l'équivalent de ce qu'est à Paris le Club du Tour du Monde. Ce bâtiment pourrait trouver sa place dans le programme d'extension de l'Université actuellement en préparation. Il serait le symbole de ce que la France veut faire du Sahara, jadis zone interdite, limite naturelle de l'expansion européenne, aujourd'hui clef de voûte de notre empire africain.

R. CAPOT-REY,
Professeur à la Faculté des Lettres,
Secrétaire général de l'I.R.S.