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        L'Institut de Recherches Sahariennes 
         
      Il y aura bientôt dix ans que l'Institut des Rech 
        erches sahariennes existe officiellement, huit ans environ qu'il a commencé 
        son activité. C'est en effet en juillet 1937 qu'un décret 
        a créé l'Institut, de Recherches Sahariennes de l'Université 
        d'Alger en vue de coordonner et d'intensifier des recherches de tous ordres 
        sur le Sahara. 
         
        Cette création répondait avec un long retard à une 
        suggestion de l'Académie des Sciences Coloniales qui avait été 
        faite au moment du Centenaire de l'Algérie en 1930 et à 
        l'initiative plus récente de la Commission des relations intellectuelles 
        du Comité Algérie-A 0.F., patronné par la Chambre 
        de Commerce d'Alger. Pour mettre en valeur le Sahara comme le proposait 
        E -F. Gautier dans son mémoire fameux de 1929 : " Le Sahara 
        vaincu peut-il être dompté ? ", il était apparu 
        nécessaire d'organiser méthodiquement l'exploration scientifique 
        du désert qui avait été laissée jusque là 
        à l'initiative de quelques voyageurs. 
         
        Des Instituts pour l'étude des déserts existent dans d'autres 
        pays, notamment aux Etats-Unis et en U.R.S.S., où ils jouent un 
        rôle essentiel dans l'amélioration des méthodes agricoles 
        et la sélection des plantes cultivées. L'I.R.S. répond 
        à un tout autre but. Dans la pensée de ses fondateurs, il 
        devait avant tout remédier à la dispersion des chercheurs 
        dans des contrées et dans des activités différentes. 
        Le Sahara, on le sait, est trop vaste pour avoir jamais appartenu à 
        un seul maître. Même si on ne considère que le Sàhara 
        français, il y a d'abord une frontière entre l'Algérie 
        et l'A 0.F., frontière qui n'est pas, autant qu'on pourrait le 
        croire, une notion abstraite, et qui, de temps à autre, cause bien 
        des tracas aux infortunés chefs de poste ou commandants de cercle 
        qui ont la charge des populations frontalières. De son côté, 
        l'A.E.F., par la Colonie du Tchad, possède une fenêtre sur 
        le désert. Le Maroc revendique comme son hinterland le Sahara occidental, 
        jusqu'à la Mauritanie, et la Tunisie mord sur l'Erg oriental, jusqu'aux 
        abords de Ghadamès. Entre toutes ces autorités rivales, 
        on risque de perdre le sens des problèmes communs. L'Institut pare 
        à ce danger : il rassemble et contrôle les informations de 
        tout ordre : météorologique, géologique, hydraulique, 
        médical, démographique, et, à partir d'elles, il 
        élabore une science des hommes et du milieu dont l'Administration 
        pourra tirer profit. 
         
        Par ailleurs, l'exploration n'a jamais été le monopole des 
        professeurs, ni même des chercheurs professionnels qui ont, depuis 
        un an, à Béni-Abbès, leur laboratoire saharien, géré 
        par le Centre national de la Recherche Scientifique ; elle est poursuivie 
        simultanément par tous ceux qui vivent au Sahara : officiers, missionnaires, 
        ingénieurs, chefs de chantiers, dès qu'ils s'intéressent 
        à ce qu'ils ont sous les yeux. Malheureusement, la plupart d'entre 
        eux sont isolés loin de tout laboratoire et de tout centre intellectuel, 
        hors d'état de faire des comparaisons qui leur permettraient d'effectuer 
        un véritable travail scientifique. Il existe bien, à l'Université 
        d'Alger, un cours d'initiation pour les officiers des Affaires Indigènes 
        ; des cours analogues ont été organisés en A.O.F. 
        ; mais, la formation première une fois donnée, tous ces 
        jeunes gens sont lancés sans guides dans le bled. L'ambition de 
        l'I.R S. a été d'établir des contacts réguliers 
        entre les professionnels de la recherche et ces amateurs, dont les travaux 
        valent souvent mieux que cette épithète péjorative 
        : telles les observations onomastiques et topographiques d'un Saharien 
        qui s'est illustré depuis à d'autres titres, le général 
        D. Brosset. Du reste, comme une carte exacte est la base indispensable 
        de tout travail scientifique et que les cartes du Sahara, depuis l'époque 
        héroïque de Niéger, ont toujours été 
        dressées par les militaires, on ne comprendrait pas que l'I.R.S. 
        . n'ait pas recherché la collaboration de ceux qui ont la charge 
        de les établir. 
         
        Ainsi s'est constituée une sorte d'Académie du Sahara dont 
        les membres se recrutent par cooptation, en tenant compte seulement de 
        la compétence saharienne. L'Institut compte des professeurs, des 
        chercheurs chargés de mission, des officiers, des ingénieurs, 
        des missionnaires. L'Institut Pasteur d'Algérie qui, dans le domaine 
        médical, accomplit auprès des jeunes médecins de 
        poste passionnés pour leur métier, une tâche de coordination 
        du même genre, est naturellement représenté ; enfin, 
        pour mieux assurer la liaison avec l'A.O.F., l'I.R.S a tenu ). admettre 
        parmi ses membres M. Théodore Monod, Saharien chevronné, 
        qui, sur l'autre rive du désert, préside avec autorité 
        aux destinées de l'Institut Français d'Afrique Noire. Le 
        président de l'I.R.S. est le Dr. R. Maire, professeur à 
        la Faculté des Sciences, membre de l'Institut, auteur d'une monumentale 
        étude sur la flore et la végétation du Sahara central 
        ; le vice-président est M. de Peyerimhoff, inspecteur général 
        honoraire des Eaux et Forêts et naturaliste éminent, qui 
        avait pris part à ce titre à la mission scientifique du 
        Hoggar, organisée en 1930 par l'Université d'Alger. 
         
        Pendant les premières années, l'activité de l'Institut 
        s'était bornée à tenir des réunions où 
        étaient présentées des communications suivies de 
        discussions. Dès 1942, il put faire paraître, grâce 
        à une subvention des Amis de l'Université d'Alger, sous 
        le titre de " Travaux de l'Institut de Recherches sahariennes ", 
        un premier volume d'Annales (le nom d'annales avait été 
        écarté comme impliquant une périodicité qui 
        eût empêché alors cette création). Ce volume 
        a été suivi de trois autres volumes de chacun 200 pages, 
        comprenant une bibliographie de tous les travaux parus sur le Sahara. 
        En outre, l'I.R.S. a publié une carte de la déclinaison 
        magrÉtique dans le Sahara, par A. Lasserre et J. Dubief. 
         
        En 1944, l'I.R.S. a organisé, sur l'initiative de M. le Gouverneur 
        Général de l'Algérie, une mission scientifique au 
        Fezzan qui venait d'être conquis par nos troupes. Douze de ses membres 
        ont pris part à cette mission ; six d'entre eux y sont revenus 
        l'année suivante. Une notice préliminaire sur les résultats 
        de la mission a été publiée en 1945 et une série 
        de conférences ont été données à l'Université 
        d'Alger dans le courant de la même année. Les mémoires, 
        qui doivent former six volumes, sont en cours de publication. Les quatre 
        premiers, consacrés à l'anthropologie (par le Dr M.-E. Leblanc), 
        à l'hydrogéologie (par P. Bellair), à la géographie 
        humaine (par J. Despois), à la biologie végétale 
        (par Ch. Killian) ont déjà paru. 
         
        L'échange des publications, longtemps retardé par les hostilités, 
        est en bonne voie d'organisation : l'I.R.S. est en relations d'échange, 
        non seulement avec la Tunisie, le Maroc et l'A.O F., mais aussi avec l'Italie, 
        la Suisse, la Norvège, le Portugal, l'Egypte, les Etats-Unis, l'Australie. 
         
        Mais toute cette activité s'est déroulée jusqu'à 
        présent sur un plan supra-terrestre. Notre Académie du désert 
        ne dispose pas d'un local pour y tenir ses réunions et elle en 
        est réduite à demander l'hospitalité aux différentes 
        Facultés, elles-mêmes fort à l'étroit, de sorte 
        que s'il prenait fantaisie à un étranger de visiter l'Institut 
        de Recherches sahariennes, il courrait le risque de chercher longtemps 
        dans les couloirs de l'Université. On dirait qu'un génie 
        malicieux a transporté sur les rives de la Méditerranée 
        l'université nomade de l'Adrar, où les jeunes Maures viennent 
        s'initier à la science sacrée sous la tente des marabouts. 
        C'est parfait pour la couleur locale. On aimerait pourtant lui voir prendre 
        un jour une forme sensible et, pour cela, recevoir un local, une bibliothèque 
        spécialisée et un dépôt d'archives où 
        seraient rassemblés les manuscrits encore inédits des explorateurs 
        ainsi que les minutes de la cartographie saharienne, enfin, des collections 
        d'histoire naturelle et un musée photographique du désert, 
        bref tout ce qui est nécessaire à un véritable institut 
        de recherches Peut-être serait-il possible, alors, de lui adjoindre 
        cette " Maison du Saharien " dont les Amis du Sahara avaient 
        lancé le projet et qui serait pour les fonctionnaires et les touristes 
        faisant escale à Alger, l'équivalent de ce qu'est à 
        Paris le Club du Tour du Monde. Ce bâtiment pourrait trouver sa 
        place dans le programme d'extension de l'Université actuellement 
        en préparation. Il serait le symbole de ce que la France veut faire 
        du Sahara, jadis zone interdite, limite naturelle de l'expansion européenne, 
        aujourd'hui clef de voûte de notre empire africain. 
      R. CAPOT-REY, 
        Professeur à la Faculté des Lettres, 
        Secrétaire général de l'I.R.S. 
         
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