Alger, Algérie : documents algériens
Série économique
Le secteur d'améliorations rurales de M' Rabtin-Djorf*
mise sur site le 11-10-2011
* Document n° 26 de la série : Économique - Paru le 20 mai 1947 - Rubrique PAYSANAT

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Le secteur d'améliorations rurales de M' Rabtin-Djorf

Les Documents Algériens ont déjà exposé (série économique n° 13, ann,ée 1946, : Paysanat musulman) ce que sont les secteurs d'améliorations rurales et donné un aperçu général de l'ensemble de ces organisations (série économique n° 10: Paysanat et réformes agraires réalisées en 1945).

Le 13 avril, au cours de son voyage en Algérie, M. Édouard Depreux, ministre de l'Intérieur, visitait le S.A.R. de M'Rabtin-Djorf, dans la commune mixte de M'Sila, réalisation particulièrement intéressante si l'on tient compte des difficultés de démarrage (le douar choisi étant le plus pauvre de la commune, la population nomade, difficile à sédentariser et à éduquer, l'eau rare) et des résultats obtenus.

LES RAISONS DE CETTE CRÉATION.

M'sila
D'après carte Michelin 172, 1958 (Coll.perso)

La commune mixte de M'Sila occupe la partie occidentale du Hodna. Elle a une superficie de près 400.000 hectares de terres dont 150.000 environ sont cultivables mais ne donnent, en moyenne, qu'une récolte de céréales tous les sept ans, par suite d'une pluviométrie insuffisante (165 mm. en moyenne par an).

Aussi, la situation économique de la population rurale musulmane est - elle très précaire. Son accroissement continu (elle est passées de 29.485 habitants en 1891, à 54.346 en 1936 et atteint actuellement 72.000 âmes) et la stagnation de la production agricole posaient un grave problème démographique et social dont la solution était à rechercher dans une culture susceptible de procurer, en terres non irriguées, un revenu régulier et rémunérateur.

Se basant sur les résultats obtenus en Tunisie dans la culture de l'olivier en terre sèche, la similitude dés conditions géologiques et climatiques et l'état des deux olivettes expérimentales créées à M'Sila, l'une en terre sèche, l'autre en terre irriguée, il fut décidé de procéder à la plantation d'oliviers à la méthode Sfaxienne sur de grandes étendues en terres non irriguées et à la création d'un S.A.R. d'oléiculteurs musulmans.

LA CRÉATION DU S.A.R.

     Les terres de recasement.

Le choix des terrains à complanter a été déterminé par :
-----a) la convenance du sol à la culture de l'olivier en terre sèche (des prospections, sondages, prélèvements d'échantillons de terres et leur analyse ont permis de déterminer les terres légères et perméables, favorables à cette culture).

----- b) la possibilité d'arroser les plants pendant leur jeune âge.

----- c) la nature juridique des terres (le choix des terrains communaux et des terrains domaniaux par application des articles 111 à 114, de l'ordonnance du 13 avril 1943, offre le plus de facilité. Cependant, on a innové à M'Sila en cette matière puisque la plantation a été réalisée sur terrain arch avec l'accord de la Djemaâ intéressée).
----- d) l'accord et l'aide effective des populations intéressées.

     La mise en valeur des terres.
La plantation a été effectuée par souchets d'oliviers de Tunisie, de variété Chemlali. L'espacement des sujets à 25 mètres et des labours judicieux (1 labour profond et 2 labours légers par an) assurent, avec quelques irrigations (4 irrigations par an de 50 litres d'eau par arbre chacune) pendant les deux premières années. une bonne végétation.

La période d'attente est relativement courte, l'olivier pouvant produire à partir de la septième année. Pendant cette période, le terrain peut supporter des cultures intercalaires (orge, fèves).

La direction et le financement des travaux sont assurés par l'Administration, les futurs bénéficiaires apportant la seule chose dont ils disposent, leur travail. La gestion est donc menée sous une forme collective par l'intermédiaire de la Société Indigène de Prévoyance, pendant le laps de temps nécessaire à la mise en valeur et au remboursement, grâce aux bénéfices de l'exploitation, des avances consenties par le budget de l'Algérie. Quand les oliviers seront en plein rendement et une fois les avances amorties, l'Administration répartira les terrains complantés en lots de 10 hectares entre les familles du douar, ces lots devant être inaliénables et imprescriptibles et rester propriété de famille, l'Administration demeurant néanmoins toujours qualifiée pour imposer aux arboriculteurs un plan rationnel de culture destiné à assurer l'avenir de la réalisation.

     L'habitat rural.

Le programme de paysanat est complété par un programme d'habitat rural dont le but, à la fois cultural et social, est de recaser les fellahs épars dans le douar, en villages, pour lés associer, permettre ainsi une bonne exploitation, leur apprendre à cultiver rationnellement les lots qui leur seront attribués, leur assurer une habitation améliorée, saine et pratique, qui remplacera leur gourbi inconfortable et insalubre et mettre à leur portée l'école, l'assistance médicale et tout ce qui contribuera à améliorer leurs conditions de vie et à hausser leur niveau social.
PROGRAMME D'ENSEMBLE.


Le programme de paysanat et d'habitat rural a été divisé en tranches :
     Paysanat :
- 1è tranche : décembre 1945 à mars 1946 : plantation de 100 hectares d'oliviers au douar M'Rabtin-Djorf (C.M. de M'Sila).
- 2è tranche : mars 1946 à mars 1947: continuation de la plantation dans le même douar sur 1.500 hectares.

     Habitat :
- 1è tranche : 1946 : réalisation d'un prototype de logement au douar Ouled Guesmia, sur les lieux du séisme du 12 février 1946.
- 2è tranche : 1947 : construction de deux villages de recasement de 80 feux chacun au douar M'Rabtin-Djorf.

LES RÉALISATIONS.

     Les plantations.

La première tranche du paysanat d'oléiculteurs a été réalisée au douar M'Rabtin-Djorf à l'aide de souchets d'oliviers transportés de Kasserine (Tunisie). La reprise a été remarquable ; on relève 3 % seulement de manquants. Bien que la surveillance soit très difficile sur une étendue aussi grande, aucun dégât n'a été commis à la plantation par le bétail. L'irrigation a été effectuée par camions- citernes. Le prix de revient de la plantation s'est élevé à 172 fr. 65 par arbre.

La deuxième tranche a débuté aussitôt après l'achèvement de la première. 25.000 souchets d'oliviers ont été transportés par camions de Sfax en juin 1946, mis en pépinière au douar même, irrigués par pompage de la nappe phréatique située à une faible profondeur. Après piquetage, les trous ont été creusés et la plantation proprement dite effectuée, précédée du " pralinage " des plants et suivie d'un arrosage par camion-citerne. Elle est actuellement achevée, sauf dans la partie Sud, où les souchets vont être mis directement en place à leur arrivée de Tunisie en remplacement de ceux qui n'ont pas repris en pépinière. La sécheresse persistante (il n'est tombé que 23 mm. d'eau depuis septembre 1946) oblige à utiliser sans arrêts les camions-citernes.
La troisième tranche va commencer. Elle consistera en la plantation de 1.600 hectares d'oliviers, ce qui portera la réalisation à 3.200 hectares en fin d'année. Le douar qui a été prospecté est le douar Metarfa, limitrophe du douar Djorf et plus rapproché de M'Sila. Le transport dé 40.000 souchets d'oliviers de Sfax va commencer dans quelques jours à raison de 16 voyages de 2.500 souchets chacun effectués par le camion de 5 tonnes dont la S.I.P. vient de faire l'acquisition.

En outre, une pépinière de 300.000 noyaux d'olives vient d'être réalisée à M.Sila, pour les besoins des tranches ultérieures du programme de paysanat d'oléiculteurs.

L'HABITAT.

Le programme d'habitat rural a consisté d'abord à réaliser un prototype de logement sur les lieux du séisme du 12 février 1946, au douar Ouled Guesmia.
Il s'agissait de construire un logement d'un prix de revient peu élevé, utilisant au maximum les matériaux trouvés sur place, et adapté aux mœurs et coutumes des habitants. L'examen du type d'habitation musulmane du Hodna et la faible pluviométrie de cette région, ont fait proposer un type de construction en toubes, avec couverture en voûtes, qui a été retenu.

Ce type de logement est adapté au pays ; la voûte assure une température relativement fraîche en été et douce en hiver ; elle permet un blanchiment rapide et n'offre aucun abri aux scorpions nombreux dans le pays.

Chaque type de logement comprend :
--- 1 chambre d'hommes, de 3 x 3,75 ;
--- 1 gynécée, de 3 x 3,75 ; 1 cuisine, de 3 x 3 ;
--- 1 magasin, de 3 x 3,85 ; 1 écurie, de 3 x 3,85
--- 1 cour intérieure, de 6,25 x 6,50 ;
--- 1 jardin de 2 ares 65, entourant le logement.

Les logements sont groupés par quatre.

Le prix de revient d'un logement est de 194.000 fr. environ, soit 2.485 fr. le mètre carré de surface couverte.

La construction des deux villages de recasement de Djorf et Bensaoucha a été donnée en adjudication le 21 octobre 1946. Retardée par les formalités de l'emprunt pour le financement des travaux, elle a commencé au mois de mars. Les travaux sont activement poussés et le premier village, Bensaoucha, sera terminé, en principe, fin mai. A Djorf, le premier groupe a été construit en régie et il est complètement achevé.

Chaque village comprend :
--- 80 logements, répartis ,n 20 groupes de 4 ;
--- 1 école à deux classes, avec logement d'instituteurs ;
--- 1 maison commune composée d'une pièce à usage de mairie ; 1 local pour l'assistance médicale et une agence postale.

La construction des écoles et maisons communes doit faire l'objet d'une adjudication ultérieure, ainsi que la viabilité (aménagement de chaussées dans les deux villages et de la route de 6 km. 500 qui les relie).

L'alimentation en eau constituait un problème difficile. Il a pu être résolu grâce aux recherches d'eau qui ont été couronnées de succès. Pour le village de Djorf, l'alimentation sera assurée par le captage d'unesource dans le ravin dit " Faid Aroui ", situé à 2 km. au Nord du village et à une différence de niveau supérieure d'une trentaine de mètres. Une station de pompage de la nappe phréatique permettra d'alimenter le village de Bensaoucha.
Ainsi, 160 familles, comprenant au total près d'un millier de personnes, vont être recasées en deux villages situés à 6 km. 500 de distance sur une plantation constituée par une bande de 13 km. sur 1 km. 200 de largeur moyenne.

Le financement a été réalisé, moitié par une subvention de l'Algérie, moitié par un emprunt à 3 % consenti par la Caisse de Prêts Agricoles à la S.I.P. de M'Sila. Les attributaires des maisons auront leurs droits confirmés en pleine propriété, dans les mêmes conditions que pour les avances de paysanat, à l'expiration de la période d'amortissement.

LE PERSONNEL ET L'ORGANISATION MATÉRIELLE.

C'est la S.I.P. de M'Sila qui assure la marche et le financement de l'entreprise pendant la période d'attente allant jusqu'à une production rémunératrice des oliviers. Chaque tranche fait l'objet d'un projet de budget à la Commission du Paysanat à Alger ; les crédits délégués sont utilisés avec le souci de réaliser le maximum d'économies pour diminuer le prix de revient de la plantation. (Les bilans des deux premières tranches du programme de paysanat se soldent par des reliquats importants sur les prévisions de dépenses). L'Administrateur de la Commune mixte de M'Sila, président du Conseil
d'administration de la S.I.P., soumet au Conseil les décisions à prendre. La création d'une section " exploitation agricole ", au sein de la S.I.P., à comptabilité commerciale, avec agent comptable, facilitera l'entreprise.

Un chef de cultures principal, ingénieur agricole de Tunis, spécialiste de la culture de l'olivier en terre sèche en Tunisie, et un chef de cultures adjoint assurent la direction technique et les soins culturaux nécessaires. La main-d'oeuvre est recrutée parmi les intéressés.

Le manque de matériel lui appartenant en propre a constitué, pour la S.I.P. de M'Sila, la principale difficulté dans l'exécution des travaux et a nécessité la location de camionnettes-citernes pour les arrosages des plants. 'Cette difficulté va être aplanie. La S.I.P. a pu faire l'acquisition d'un tracteur pour les labours, d'un camion de 5 tonnes pour le transport des souchets et d'une citerne de 4.00C litres pour les arrosages. Un camion G.M.C. citerne est attendu.

La construction d'une maison à Djorf, pour le chef de cultures, est prévue Cette maison comportera des annexes pour entreposer le matériel et l'outillage.

LE PROGRAMME D'AVENIR.


La transformation en sept années dé 50.000 hectares du Hodna en un paysanat d'oléiculteurs permettant de recaser 5.000 familles, a été envisagée.
En outre, à la suite de prospections faites par M. Riflard, professeur d'agriculture à l'Ecole normale de Bouzaréah, l'extension du paysanat, d'oléiculteurs pourrait déborder le Hodna et intéresser les communes mixtes de Sidi-Aissa et Bou-Saâda.

Déjà un programme analogue à celui de M'Sila est projeté dans la commune mixte limitrophe de Barika et fait l'objet d'une étude.

Le S.A.R. d'oléiculteurs qui a débuté, il y a seize mois à M'Sila, peut donc avoir un développement considérable.

Malgré les difficultés premières, le résultat est maintenant tangible ; la situation économique des habitants qui ont les possibilités de s'employer aux travaux du S.A.R. s'est améliorée ; déjà, un certain nombre, n'estimant plus nécessaire de partir en achaba, sont restés au douar l'été dernier ; le chef de cultures a commencé à former les jeunes du douar qui l'ont secondé dans les travaux de taille. Les difficultés résultant de la nature juridique du sol ont pu être évitées et la situation pourra être réglée par le moyen d'une enquête d'en semble, au moment de l'attribution des lots de 10 hectares entre les hommes issus des familles dont la liste a été dressée. Seuls ils pourront bénéficier du partage, sous réserve d'avoir effectivement travaillé à la réalisation.
Une réussite dans des conditions particulièrement difficiles autorise tous les espoirs pour l'avenir.

Si la création des S.A.R. d'oléiculteurs du Hodna et la construction des villages de recasement réclament un gros effort financier de l'Algérie, l'entreprise constitue un placement sûr. Elle apportera une richesse économique importante et durable, améliorera considérablement les conditions de vie des populations musulmanes, résoudra le problème démographique et social et transformera une région actuellement déshéritée en un îlot boisé susceptible de créer une zone de condensation qui permettrait un adoucissement du climat.