Alger, Algérie : documents algériens
Série économique
Caves coopératives de la région de Mascara *
mise sur site le 15-9-2011
* Document n° 35 de la série : Économique - Paru le 15 octobre 1947 - Rubrique COOPERATION

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Caves coopératives de la région de Mascara

HISTORIQUE

La première coopérative viticole de la région fut créée à Mascara, en mars 1924, et prit le nom de cette ville : elle s'inscrivait dans un faisceau d'institutions de mutualité, dont le syndicat agricole fut, en 1895, la première réalisation Cette chambre syndicale devint, en 1903, après fusion avec le comice agricole, le " Syndicat professionnel agricole et viticole de la région de Mascara " qui porta, tout de suite, aux vignobles une attention particulière. En 1919, le syndicat participe à la création de la Caisse locale de crédit agricole mutuel à Mascara, qui devait devenir l'armature financière de tout le système coopératif de la région. En 1924, le Syndicat agricole de la plaine d'Eghriss, après dissolution, s'affilie au Syndicat agricole et viticole de Mascara. Un laboratoire, pour les besoins de l'agriculture, et des docks silos sont créés, et, la même année, la Cave coopérative de Mascara est fondée.

Le mouvement devait s'amplifier et, finalement, doter la région, au cours de quelque huit ans, de neuf caves coopératives portant ainsi à dix le chiffre actuel de celles-ci. Il est à remarquer que la progression s'est faite aux approches de la crise, et pendant celle-ci, en raison des conditions économiques devenues brusquement plus difficiles pour les viticulteurs et aussi à cause de l'accroissement de la production causée par les plantations des années 1924-1925.

La liste des caves coopératives fait ressortir la régularité de leur extension dans la région du vignoble : Thiersville 1928, Tizi 1930, Mascara coteaux 1931, Maoussa 1931, Ain-Fekkan 1931, Palikao 1931, Dombasle 1931, Oued-Taria 1931, Mascara-Saint-André 1932, sans compter la Cave des grands vins de Mascara, dont la destination est différente.

Depuis 1932, il n'a plus été construit de caves coopératives et le projet d'installation à Aïn-Farès n'a pas encore été mis à exécution.

PRINCIPES ET BUTS

Ces caves coopératives sont une intéressante manifestation du mouvement mutualiste fortement développé dans la région de Mascara. L'aide financière apportée par la Caisse régionale à ses adhérents n'était pas suffisante pour pallier un important inconvénient : la rareté des caves. Seuls, les viticulteurs les plus importants en possédaient pour la transformation et la conservation de leurs produits, tandis que la majorité se contentait de vendre ses raisins au commerce, et se trouvait dans une situation défavorable vis-à-vis des acheteurs. Cette dépendance pouvait amener quelque injustice, mais la construction d'une cave exigeant de gros capitaux dont l'immobilisation ou la rentabilité n'est pas toujours possible, la meilleure solution était donc de grouper les intérêts dans une coopérative. Outre qu'elle remédie à l'impossibilité, pour le petit propriétaire, de créer sa cave et le protège contre la spéculation, elle lui offre des avantages techniques d'outillage et d'aménagement qui sont, généralement, l'apanage de la grosse exploitation.

ORGANISATION ADMINISTRATIVE ET JURIDIQUE

Les caves coopératives sont des sociétés civiles .particulières de personnes à capital et personnel variables actuellement régis par un décret du 8 janvier 1947 relatif au statut juridique de la Coopérative agricole en Algérie. Elles sont dotées de la personnalité civile et relèvent de la compétence des tribunaux civils.

La société coopérative doit avoir au moins sept membres. Pour être sociétaire, il faut être viticulteur et posséder, dans la circonscription, des intérêts rentrant dans le champ d'action de cette société ; il faut également souscrire au moins une part, et en principe, une part par hectare. Il faut, d'autre part, s'engager à utiliser la coopérative pour tout ou partie des opérations qui peuvent être effectuées par son intermédiaire, et en conformité des engagements souscrits lors de l'adhésion. Cependant, les associations agricoles ayant leur siège ou leur rayon d'action dans la circonscription peuvent être sociétaires.
Enfin, les caves admettent des usagers qui participent aux frais de gestion mais non à la gestion et à l'administration. Au bout de trois ans, les usagers doivent, en principe, devenir sociétaires ou se retirer, sauf si ce sont des personnes qui ne remplissent pas les conditions exigées par le statut pour devenir sociétaires. L'admission est prononcée par le conseil d'administration sous réserve des garanties qu'il peut être en droit d'exiger. Le retrait de l'association joue pratiquement peu et il ne doit pas avoir pour effet de diminuer le capital social au-dessous d'un certain pourcentage. L'exclusion peut être encourue par ceux qui ne satisfont pas à leurs engagements.

Le capital social est constitué par des parts nominatives indivisibles, souscrites par chacun des sociétaires, d'une valeur nominale qui ne peut être inférieure à cent francs" et transmissible seulement par voie de cession, avec l'agrément du conseil d'administration. Ce capital est réparti entre les sociétaires, proportionnellement aux opérations qu'ils sont susceptibles d'effectuer avec cette société. Au moment de la souscription, trois dixièmes doivent être entièrement versés par les sociétaires, tandis que les six ou sept dixièmes sont empruntés à la C.A.C.A.M ; l'Algérie accordait, anciennement, une subvention de un dixième. L'administration a donc encouragé la création de ces caves par un jeu d'avances et de subventions qui fut particulièrement utile ; aujourd'hui, ces avances sont remboursées en presque totalité.

Le capital social peut être augmenté sans limitation par l'adjonction de nouveaux membres ou la souscription de nouvelles parts par les sociétaires. Il peut être diminué par suite de démissions, décès, interdictions, faillites ou déconfitures d'associés : la société n'est pas dissoute pour autant mais continue ; la veuve et les héritiers peuvent succéder aux sociétaires décédés. Le capital social peut être diminué par les reprises d'apports, jusqu'à concurrence d'un dixième du capital initial ou augmenté après remboursement intégral de l'avance faite par la C.A.C.A.M. Les parts des membres sortants sont annulées et ceux-ci ne peuvent bénéficier, éventuellement, que d'une indemnité.

L'administration et la gestion de la cave coopérative sont confiées à une assemblée générale et à un conseil d'administration : le droit de vote à l'assemblée générale est égal pour tous ; chaque cave est pourvue d'un conseil d'administration dont les membres sont des sociétaires nommés par l'assemblée générale au scrutin secret, compte tenu de certaines incompatibilités, et pour une période de trois ans ; ils sont révocables et doivent être propriétaires d'au moins cinq parts, les fonctions sont gratuites. Le conseil se réunit lorsque l'intérêt de la société l'exige. Les décisions sont prises à la majorité des membres présents. Ils disposent des pouvoirs de gestion et d'administration les plus étendus, sauf ce qui est expressément réservé par les statuts à l'assemblée générale. Le conseil peut nommer un directeur qui ne doit pas être un de ses membres. Il ne doit pas exercer, individuellement, ou par personne interposée, une activité industrielle ou commerciale Il ne pourra lui être alloué aucun pourcentage sur le chiffre des opérations réalisées par la société. Sa rémunération est fixe. Les dispositions concernant les commissaires aux comptes et l'assemblée générale sont sensiblement les mêmes que pour les sociétés civiles ordinaires. Le conseil d'administration élabore le règlement intérieur, et prend toutes les dispositions utiles pour l'organisation et le fonctionnement de la cave : il fixe, notamment, l'époque et assume la direction des vendanges. Les coopérateurs sont tenus de se soumettre aux dispositions des statuts et du règlement intérieur. La comptabilité est tenue à la Caisse régionale.

ORGANISATION FINANCIÈRE


Un des avantages les plus remarquables des caves coopératives est l'exonération totale d'impôts pour toutes les opérations qui entrent dans le cadre de leur activité. Le législateur a ainsi voulu marquer sa sollicitude à l'égard d'un mouvement qui vient en aide à des individus dont les moyens économiques sont faibles.

De plus, une organisation du crédit permet de placer à leur disposition des facilités financières qu'ils n'obtiendraient pas sans elle : les coopératives sont sociétaires d'elles-mêmes de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Mascara, qui est en liaison avec la C.A.C.A.M. Trois caisses locales dépendent de la Caisse régionale et coïncident avec des agences à Palikao, Montgolfier, Mascara.

Les caves coopératives ne traitent que le raisin de leurs adhérents ; elles ne peuvent, en aucun cas, procéder à l'achat de vendanges ; des sociétaires ou usagers apportent à la cave leurs vendanges qui sont transformées par celle-ci et, le cas échéant, vendues par elle, quoique ce courtage ne soit pas obligatoire ; les coopérateurs peuvent se réserver le droit de vendre, individuellement, leur quote-part, ou bien la cave peut conserver pour elle le pourcentage qu'elle vend ; les statuts sont libres de fixer ces dispositions ; la cave emprunte à la caisse régionale, pour payer les frais généraux qui seront récupérés en fin de campagne par un prélèvement sur la vente ; l'inventaire attribue à chaque viticulteur une quantité de vin estimée en fonctions de son apport ; on lui retient sur le produit de la vente une fraction pour le service des annuités de l'emprunt, les charges de frais généraux, l'amortissement du matériel ou des immeubles. S'il apparaît, après tous ces prélèvements, un excédent de recettes, le conseil d'administration en fixe la répartition. Un prélèvement est effectué pour les réserves, une somme peut être retenue pour payer au
propriétaire un intérêt fixé par l'assemblée. S'il existe encore un surplus, l'assemblée décide de son affectation et peut le répartir entre les sociétaires, à titre de ristourne proportionnelle aux opérations faites par eux avec la société. Il est à noter que les sous-produits servent, dans une grande mesure, à payer les frais généraux.

Le mécanisme financier de ces caves montre qu'elles se proposent comme unique but de venir en aide à leurs adhérents, à l'exclusion de toute considération lucrative que les statuts bannissent formellement.

POSITION DANS LE MOUVEMENT COOPERATIF


Les coopératives sont sous le contrôle du Gouvernement Général de l'Algérie. Sont, en outre, sous le contrôle de la C.A.C.A.M., celles qui ont reçu des avances de cet organisme ou des prêts des caisses régionales. Ce contrôle, outre les vérifications qu'il autorise, peut aller, dans certains cas particulièrement graves, jusqu'à dissoudre le conseil d'administration et le remplacer par une commission administrative provisoire.

Les coopératives viticoles sont groupées en unions à l'échelon départemental (unions régionales) et algérien (fédération algérienne des coopératives). Ces fédérations ou unions offrent un certain nombre d'avantages, dont une meilleure défense des intérêts, un règlement amiable des différends, notamment le cas de chevauchement des zones, la mise au service des coopératives, d'experts ou de techniques susceptibles de faciliter leur organisation ou leur fonctionnement.

ASPECT TECHNIQUE


Le vignoble mascaréen s'étend principalement aux abords immédiats de Mascara, sur une zone de coteaux d'abord, où la vigne apparaît comme la seule culture existante et possible, à Mascara, Saint-André, Saint-Hyppolite, Aïn-Farès, El-Bordj. Ensuite, sur une zone de hautes plaines, à Sonis, Cacherou, Dombasle. La plaine d'Eghriss et des îlots avoisinants sont moins bien partagés par la nature à cet égard. Enfin, le vignoble s'étend encore dans la région de Oaïda et dans la vallée de l'Oued-Hammam, à BouHanifia, Dublineau et Oued-Fergoug. Les terres son t peu productives mais donnent un vin dont la renommée n'est plus à faire. Seule, la région d'Uzes-le-Duc est vraiment déshéritée. L' ensemble de la région de Mascara compte 21.000 hectares qui rapportent en année normale environ 650.000 hectolitres.

Les principaux cépages de la région sont : le carignan, le cinsault, le morastel, le grenache, le faranah, l'alicante, le grand noir, le bouschet, le clairette, le semillon, le valencie, le mattereau. Ils produisent les vins rouges et blancs de qualité supérieure ; les vins rouges et rosés titrent en moyenne 12 à 13°. Les blancs vont de 14 à 16°. Tous ces vins sont fortement constitués, d'une valeur alcoolique très élevée, donc d'un bouquet charpenté, agréablement fruités, présentant une analyse parfaite de leurs composés et d'une excellente conservation. D'ailleurs, les vins de Mascara jouissent d'une réputation méritée tant sur le marché algérien que métropolitain et même étranger.

A l'heure actuelle, les caves coopératives groupent plus de 250 adhérents, représentant 3.500 hectares et la capacité totale des cuves atteint 170.000 hectolitres. L'examen de ces chiffres montre que ces caves s'adressent presque exclusivement à des petits cultivateurs. Le maximum de terre que possède un sociétaire est de 40 ha., mais cet exemple est unique et la majorité se situe aux alentours de 10 ha En outre, suivant les disponibilités, des usagers européens et musulmans sont libéralement admis et les sociétés offrent des facilités plus grandes à ceux qui se trouvent réellement dans une situation économique précaire. De même, l'admission au rang de sociétaire est facilitée à ces derniers s'ils le désirent. On n'exige même pas toujours d'eux qu'ils achètent une part par hectare de vigne possédé.

Les conditions particulières de la fermentation des raisins en Algérie, la teneur élevée en sucre, la faible acidité et la forte température au moment des vendanges, ainsi que la nécessité de traiter journellement de grosses quantités de raisins, font que la préparation du vin est une opération délicate.
Les caves coopératives offrent le moyen de l'effectuer dans d'excellentes conditions par les procédés les plus modernes et dans le respect de la discipline syndicale, sous la surveillance d'un spécialiste. L'outillage des caves coopératives est le même pour toutes : il comporte d'abord un conquet pour recevoir la vendange, conquet qui donne accès soit à un fouloir-égrappoir pour les rouges, soit à un pressoir continu pour les blancs et les rosés ; une fosse à vendange en contrebas contient les appareils mécaniques de foulage et de pompage. La cuverie où s'effectue la première fermentation, est composée de plusieurs rangées de cuves en ciment posées sur piliers avec un réservoirà eau en surélévation, avec des réfrigérants tubulaires en cuivre pour maintenir la température des moûts en fermentation, aux alentours de 30°. Plusieurs pompes à vin, fixes ou mobiles, servent à effectuer les manipulations. La cave d'achèvement des fermentations et de logement des vins est à demi-souterraine, séparée de la cuverie et comprend de grandes amphores en ciment de 250 à 300 hectolitres. Il faut ajouter des pressoirs hydrauliques pour extraire le vin contenu dans les marcs fermentés et qui forment les vins de presse, et la fosse à marcs où les marcs pressés attendent la vente aux distillateurs. La vinification est basée sur le principe de la fermentation des moûts en cuves avec chapeau. Il y a lieu d'ajouter méthodiquement, anhydride sulfureux, acide citrique et acide tartrique.

CONCLUSION

Le système des caves coopératives de la région de Mascara apparaît aujourd'hui comme ayant donné des résultats aussi satisfaisants que complets, et les améliorations ne semblent devoir porter que sur des points accessoires.

La question du vieillissement des vins se, pose, mais en plus de certains obstacles techniques comme le manque de bois, la situation économique actuelle fait préférer la vente immédiate des vins dans de bonnes conditions, au risque d'un vieillissement toujours délicat dans ces pays, et susceptible de leur apporter des mécomptes, tant dans le cas de pertes éventuelles que de fluctuation des cours. Cependant, en dehors de ces caves coopératives, destinées à vinifier les produits apportés par les sociétaires, existe une cave coopérative, " Les Grands Vins de Mascara ". sorte de magasin de vente à l'origine destiné seulement au vieillissement, aujourd'hui à la vente au détail ou en demi-gros. Cette cave bénéficie d'une cave annexe pour la transformation, où les vins sont particulièrement bien soignés (Cave des Coteaux), mais ce couple est une exception, et ailleurs les caves servent à la vinification et au logement, sans comptoir de vente

Cette question de la vente a été longtemps controversée, et on a hésité entre plusieurs solutions ; celle de la vente sur offres par la cave semble avoir prévalu. Il y aurait peut-être intérêt également à ce que tous les viticulteurs de la région de Mascara se groupent pour monter en France une maison chargée de la vente de leur produit.

Il serait bon également qu'il existe une distillerie coopérative dans la région pour pallier ainsi les inconvénients de la vente des marcs aux distillateurs, et permettre l'utilisation rationnelle des sous-produits. Le problème pour la distillerie se pose dans 1 es mêmes termes qu'il s'est posé pour les caves et sa solution offre les mêmes avantages.

D'un autre côté, tous les viticulteurs ne font pas partie de ces caves, les gros exploitants propriétaires de caves en sont exclus comme n'y ayant pas d'intérêts. Mais un certain nombre de petits exploitants n'ont pas voulu profiter de ces avantages, par un souci d'individualisme. Toutefois, ceux-ci adhérent de plus en plus au mouvement, soit à titre d'usagers, soit à titre de coopérateurs et la société leur accorde toutes facilités à cet égard.
Pour ce qui est du cultivateur musulman, étant donné les prescriptions coraniques et le fait, d'autre part. que la cave n'est pas habilitée à acheter d es vendanges, il restait volontairement à l'écart du système, mais la tendance opposée .se fait jour actuellement, et semble se développer, tandis que la création d'une section viticole à la S.I.P. de Palikao n'a pas donné les résultats escomptés.

On peut se demander s'il ne serait pas intéressant de créer une cave coopérative spéciale dont l'équipement permettrait d'empêcher la fermentation des moûts, et leur mise en bouteilles à l'intention des Musulmans.

En conclusion, dans l'arrondissement de Mascara, l'action coopérative, manifestation vivante de l'esprit d'entraide indispensable entre producteurs spécialisés, est en, progrès. Après une lente et laborieuse élaboration du mouvement, les coopératives viticoles ont atteint un stade presque définitif, Certes, la chaîne de création doit continuer avec les méthodes modernes imposées par les interférences mondiales du commerce international